Carmel

18 décembre 1892 – Montauban

 

Ma Révérende et Très-Honorée Mère,

Paix et humble salut en Notre-Seigneur.

C'est pendant l'Octave de la belle fête de l'Immaculée-Conception, qu'il a plu à Dieu d'imposer à nos coeurs un douloureux sacrifice, en appelant à Lui notre chère Soeur Clémence-Marie des Anges, professe de cette maison, âgée de 70 ans et de religion 43.

Notre regrettée Soeur appartenait à une famille éminemment chrétienne, sur laquelle le Ciel répandit ses meilleures bénédictions. Deux de ses frères sont, dans l'état ecclésiastique, tout dévoués à la gloire de Dieu ; une de ses soeurs, après s'être consacrée à Notre-Seigneur, dans le pieux Institut des Religieuses de l'Immaculée-Conception, est morte, dans les missions étrangères, pleine de mérites et de vertus.

Dans ce foyer béni, celle que nous regrettons si sincèrement, puisa les sentiments de foi et de piété qui l'ont toujours animée. De bonne heure se mani­festa en elle la pensée de se donner à Dieu ; néanmoins, elle ne comprit pas d'abord quel était le port désiré où son âme trouverait, dans l'éloignement du monde, cette vie cachée en Dieu, qui l'attirait avec une mystérieuse puissance.

Elle sut attendre et prier. Enfin, vint l'heure où la lumière d'en haut lui montra le Carmel. Son âme, pressée de désirs avivés par l'attente, ne mit point de délai à se rendre à l'appel divin. Elle avait 27 ans quand elle sollicita et obtint une place dans ce monastère.

Les grandes difficultés que notre chère Soeur trouva au chant et à la réci­tation du saint office, lui fournirent de vraies épreuves dès le début. Parfois la pauvre postulante croyait se voir en face d'un obstacle infranchissable et une désolation profonde s'emparait d'elle. Parut cependant le jour qui mit fin à ses craintes ; admise à la prise d'habit, puis à la sainte profession, ses voeux les plus ardents furent réalisés. Depuis lors toute la vie de notre chère Soeur Marie des Anges peut se résumer dans ces deux mots : silence et humilité.

Son amour de la vie commune fut toujours remarquable et c'est en en prati­quant constamment les devoirs qu'elle s'est sanctifiée. Il est plus facile d'admirer que de rendre cette vie si simple, si uniforme, mais si sainte par cela même qu'elle était toujours égale. Jamais, en effet, nous n'avons vu de défaillance dans sa marche vers Dieu seul. Il était son but et tout en elle révélait une séparation complète des choses créées. C'est dans l'obscurité de la cellule, où s'est écoulée cette belle vie, que nous la trouvions toujours laborieuse et zélée pour le travail, pendant que son âme, selon le mot de nos saintes constitutions, s'acheminait par cette solitude, à ce pourquoi la règle ordonne que chacune demeure à part soi.

A cet amour de la retraite et du silence, notre chère Soeur joignait un grand esprit de mortification. Esclave des moindres prescriptions de la règle, elle s'adonnait encore à de nombreuses pénitences de surérogation. Tout en elle et autour d'elle portait l'empreinte de son grand esprit de pauvreté ; elle était d'une indifférence parfaite pour ce qu'on mettait à son usage : ne rien refuser, ne rien demander, tel fut son principe fidèlement suivi.

Animée du plus profond esprit de foi, notre bien regrettée Soeur était toujours sincèrement unie à ses Mères Prieures et fut ainsi pour toutes un sujet de consolation. En un mot, ma Révérende Mère, cette belle âme, comme une humble violette, cherchant toujours à disparaître et à être oubliée, ne cessait de répan­dre autour de nous le doux parfum de ses vertus.

Nous étions loin de penser, quelques jours avant sa mort, que notre chère Soeur allait nous être enlevée. Elle était sujette à une certaine oppression de poitrine, à laquelle le médecin n'avait jamais trouvé de gravité. Trois ou quatre jours avant son décès, elle nous dit sentir, la nuit, de pénibles étouffements ; nous remarquions aussi en elle une fatigue générale. Monsieur notre docteur, appelé dès le premier jour, ne trouva rien de sérieux dans son état. Le dimanche matin, 11 du courant, notre bonne Soeur assistait à la messe avec la communauté et y communiait. Le soir, vers quatre heures, nous lui proposâmes d'aller se coucher, elle nous pria de lui permettre de recevoir, avant, la bénédiction du Saint-Sacrement, qui se donnait à cinq heures.

Le lendemain matin, pendant les heures, nous nous sentîmes pressée d'aller nous-même voir notre chère Soeur : « Ma Mère, nous dit-elle, quand nous l'abor­dâmes, je suis guérie, je ne sais quel saint a fait ce miracle.» Nous nous retirâmes complètement rassurée, quand après la messe l'infirmière vint, eu toute hâte, nous avertir qu'elle paraissait s'affaiblir d'une manière effrayante. En effet, nous la retrouvâmes presque sans mouvement ; aux questions que nous lui fîmes, elle répondit : « J'ai bien sommeil, et n'ai besoin que de dormir. » Ce furent ses dernières paroles. Elle conserva cependant sa connaissance et nous pûmes lui faire recevoir l'Extrême-Onction. Peu de temps après elle rendit son dernier soupir, si paisiblement, qu'à peine avons-nous pu le saisir.

La mort a semblé respecter sa dépouille; aucune altération ne parut sur ses traits, qui semblaient, au contraire, prendre une expression de jeunesse.

La vie si édifiante et la mort si douce de notre bien-aimée Soeur Marie des Anges, nous donnent la confiance qu'elle a déjà reçu sa récompense, mais les secrets de la divine justice sont impénétrables. Nous vous prions donc de lui faire rendre au plus tôt les suffrages de l'ordre. Par grâce, une communion de votre sainte communauté, une journée de bonnes oeuvres, et l'indulgence du Chemin de la Croix Elle en sera reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire en union de vos saintes prières,

Ma Révérende et très-honorée Mère,

Votre très humble soeur et servante,

Soeur MARGUERITE-MARIE DU CŒUR DE JÉSUS.

R. C. I.

De notre monastère du Saint-Enfant Jésus et de notre Sainte Mère Thérèse des Carmélites de Montauban, le 18 décembre 1892.

 

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