Carmel

18 décembre 1891 – Luçon

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

paix et très humble salut en notre seigneur.

Le Divin Maître vient d'affliger sensiblement nos coeurs en ravissant à notre religieuse affection notre chère Soeur Louise de là Croix, professe du Carmel de Nantes, venue à la fon­dation de celui de Luçon en 1847, comme soeur du voile blanc . Elle était âgée de 80 ans, dont elle a passé 62 en religion.

Notre chère Soeur naquit en Bretagne, de parents profondément chrétiens, qui donnèrent à leur nombreuse famille une éducation digne de leur race et de leurs convictions religieuses. La bonne semence porta bientôt des fruits dans l'âme de la jeune enfant dont nous voudrions vous faire connaître les précoces vertus.

Douée d'une intelligence supérieure, simple et droite, la petite Louise aima Dieu aussitôt qu'elle le connut et dès sa première communion, elle était déjà capable de Lui témoigner son amour par des actes de générosité touchant à l'héroïsme. Un trait va en donner la preuve: Monseigneur l'Evêque de Nantes avait réuni plusieurs paroisses ensemble, pour y conférer le Sacrement de Confirmation, et notre jeune enfant dut parcourir un long trajet afin de se ren­dre au lieu désigné. Au retour de la cérémonie, sa famille s'arrêta dans une auberge pour y prendre un peu de nourriture et se reposer ; mais la jeune fille, qui avait entendu dire au caté­chisme qu'il ne fallait jamais mettre le pied au cabaret, refusa positivement d'y entrer, dans la crainte de commettre une faute. Ce fut en vain que les parents insistèrent: rien ne put l'ébran­ler et elle demeura à la porte, assise sur une pierre, jusqu'à leur départ. Arrivée à la maison vers trois heures du soir, à jeun, brisée de fatigue, la pauvre enfant ne tarda pas à être saisie d'une fièvre violente résultant d'un refroidissement qu'elle avait éprouvé en cette circonstan­ce ; ce qui faillit lui coûter la vie.

Le Seigneur, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, attira de plus en plus à Lui, par les touches de sa grâce, ce jeune coeur dont II voulait prendre une entière possession. La vue d'un clocher, d'une église la faisait tressaillir, et elle soupirait après les doux moments où il lui serait permis de demeurer au pied du tabernacle. Mais les loisirs devaient être rares dans la vie laborieuse qui l'attendait à la maison paternelle ; c'est pourquoi elle importu­na ses parents, afin qu'ils l'autorisassent à apprendre un état, espérant ainsi être plus libre d'assister à la sainte messe sur la semaine et de visiter le Divin Prisonnier. Ils y consenti­rent et la placèrent chez une couturière, qui leur sembla digne de confiance; mais notre pe­tite apprentie s'étant aperçue qu'il n'en était pas ainsi, quitta furtivement, à deux reprises, cette maison où sa vertu eût pu courir des dangers. Cette façon d'agir lui valut, de la part de sa famille, bien des reproches, qu'elle supporta en silence, préférant subir une humiliation plutôt que de se disculper aux dépends de la charité. Le père et la mère voyant leur fille si résolue à ne pas demeurer chez sa maîtresse, en choisirent une seconde très pieuse; ce qui lui donna une entière satisfaction.

Une mission, prêchée dans la paroisse de Hérie, acheva d'allumer dans le coeur de la jeu­ne ouvrière, les ardeurs de l'amour divin. Les belles cérémonies et surtout le chant des cantiques lui causèrent des impressions si vives et si profondes, qu'elles ne se sont jamais effacées de sa mémoire ; jusque dans son extrême vieillesse, elle aimera à en rappeler le souvenir, et à redire ses pieux refrains avec les élans d'un amour que l'âge ne saura refroidir.

Ce fut pendant cette grande mission que la pieuse jeune fille sentit le premier appel de la grâce à la vie religieuse. La sainte virginité avait, dès lors, pour elle, un attrait tout particu­lier. Dans le désir de se procurer une lecture sur cet intéressant sujet, elle parcourut plusieurs librairies de Nantes, demandant le livre de la Virginité. Je ne sais pas si elle rencontra ce qui faisait l'objet de ses recherches; mais l'Esprit Saint, qui n'a pas besoin de secours humains pour instruire les âmes, lui fit goûter le don de Dieu, et la poussa irrésistiblement vers le cloître.

Docile à cette motion intérieure, elle demanda et obtint une place de soeur converse au Carmel de Nantes. Elle y fit son entrée le 28 novembre 1829, n'ayant que 19 ans. En ce mê­me jour, notre Vénérée Mère Marie de St Pierre, fondatrice de notre Carmel, prononçait ses saints voeux; c'est cette nouvelle professe (coïncidence bien rare) qui devait elle-même re­cevoir les saints engagements de la jeune postulante, les éminentes qualités de cette chère Mère l'ayant fait appeler au gouvernement de sa communauté, dès sa sortie du noviciat.

Au comble de ses voeux, ma soeur Louise de la Croix commença son postulat avec l'élan et l'ardeur qui la caractérisèrent toute sa vie, et elle devint bientôt une parfaite religieuse. Des notes, envoyées par nos bonnes Mères de Nantes, vont un instant guider ma plume, car notre chère Doyenne était la dernière de nos Fondatrices, et les Mères qui eussent été si heureuses de faire connaître ses vertus, l'ont précédée dans la tombe.

La jeune Novice se fit bientôt remarquer par son exactitude à la réglé et aux usages de la maison. Sa simplicité, son obéissance, ses manières douces et polies lui gagnèrent tous les coeurs. Silencieuse et animée de l'esprit religieux, elle se rendit digne d'être proposée comme un modèle à toutes ses compagnes; mais elle se distingua surtout par une éminente piété qui ne fit que s'accroître avec les années.

Malgré de si précieuses qualités, la délicatesse de sa santé obligea à retarder la cérémonie de sa vêture; elle n'eût lieu qu'après 17 mois d'attente.

Cette première épreuve devait être, pour l'âme ardente de notre chère soeur, le prélude d'une seconde bien autrement sensible, occasionnée par un excès de mortification. Elle s'é­tait aperçue que la Révérende Mère Prieure, alors un peu souffrante, prenait très peu de nour­riture. Attribuant ce jeûne forcé à la vertu de sa digne Mère, elle crut bien faire en l'imitant; mais sa santé en souffrit tellement, que les Supérieurs, la jugeant insuffisante pour soutenir la règle du Carmel et les travaux de soeur converse, durent avec regret, se résoudre à la rendre au monde. Afin de lui épargner des moments d'angoisse, ils firent, en secret, prévenir sa famille de venir la chercher. Quel coup de foudre pour notre bien-aimée soeur, lorsqu'on lui an­nonça la terrible nouvelle ! «Non, dit-elle, je ne partirai pas!» et elle s'alla cacher dans un ermitage. Là, se jetant aux pieds de la Sainte Vierge, elle pria avec une ferveur dont on ne peut se faire l'idée, sans lui avoir entendu raconter elle-même ce moment tragique; peu de temps avant sa mort, elle nous rappelait encore ce trait avec une indicible émotion. En vain, sa Mère Prieure essaya-t-elle de la calmer. «Oh ma Mère, lui répondit-elle, d'un ton suppliant, accordez- moi seulement quinze jours; je vais prendre la cuisine, et vous verrez que je pourrai faire mon travail.» — «C'est impossible, ma pauvre petite, lui dit la vénérée Mère de la Miséricorde, vous n'en avez pas la force; puis, votre soeur est là qui vous attend.» — «Oh! ma soeur reviendra bien s'il te faut, et je vous promets que je ferai ma besogne.» Il n'était pas possible de résister à de telles instances, et la bonne Mère se rendit à sa prière. En effet, elle se mit à l'oeuvre avec tant d'énergie, que, selon son expression, elle volait à toutes ses occupations. Le Seigneur bénit de si courageux efforts ; sa santé se fortifia, et elle put enfin se donner irrévocablement au bon Dieu, au mois de mai 1833.

Pendant quatorze années encore, notre chère soeur Louise de la Croix édifia le Carmel de Nantes; jouissant de la confiance de ses Mères, qui la chargeaient habituellement de former les postulantes converses aux usages de leur condition.

En 1847, Notre Vénéré Prélat, Monseigneur Baillès, voulant fonder un Carmel dans sa ville épiscopale, s'était adressé à nos Mères de Nantes. Il avait surtout insisté afín d'obtenir la Mère Marie de St. Pierre, dont il connaissait le mérite et les rares capacités. Désirant être agréable à son Saint Collègue, Monseigneur de Hercé acquiesça à sa demande.

Notre chère Mère Fondatrice gouvernait alors la communauté de Nantes, ce qui lui permit de choisir elle-même les sujets propres à la seconder dans l'oeuvre délicate que la Divine Providence venait de confiera ses soins. Appréciant les solides vertus et le parfait jugement de ma soeur Louise de la Croix, elle se l'adjoignît en qualité de soeur converse. Le choix ne pouvait être meilleur, car notre bonne Doyenne, chargée à Luçon comme à Nantes, de former les soeurs du voile blanc, sut toujours exercer sur ses Tobies la plus salutaire influence. Elles n'oublieront jamais les exemples que leur a laissés celle qu'elles aimaient et vénéraient com­me une Mère.

  Au début de la fondation, notre bonne Soeur rendit encore de grands services à la Communauté par son esprit de pauvreté; s'ingéniant pour tirer parti des moindres choses, et faire oublier le dénuement auquel on était parfois réduit. La chère cuisinière manquait souvent du nécessaire; mais elle savait facilement se tirer d'affaire. Lorsque le poisson faisait défaut pour le dîner du vendredi, elle recourait aux limaçons, disant toutefois gaîment: «Ces pe­tits malheureux, on les mange plutôt par raison que par affection.»

La vie de notre regrettée Soeur, quoique sainte, offre peu de traits saillants: une constante ardeur au service de Dieu en fait le principal mérite. Son âme s'épanouissait sans cesse sous le souffle de la grâce; elle bénissait et louait Dieu en toutes circonstances avec une sim­plicité qui allait parfois jusqu'à la naïveté, et amenait le sourire sur les lèvres des témoins de ses élans de reconnaissance. Les alternatives de ferveur et d'aridité, si fréquentes dans la vie spirituelle, lui étaient inconnues; aussi disait-t-elle un jour, en récréation: «On parle tou­jours de peines intérieures, d'épreuves, qu'est-ce donc que tout cela? Il y a quelque temps je pensais à mes péchés, j'étais touchée jusqu'aux larmes. Est-ce là une peine intérieure?

Heureuse ignorance, qui peint d'un seul trait les 62 années de la vie religieuse de notre chère Soeur, pendant lesquelles, goûter Dieu était son état normal, parler de Dieu faisait ses délices. Dans les dernières années de sa vie, toute autre conversation lui était insipide. De si consolantes dispositions se reflétaient sur son extérieur, habituellement empreint d'une dignité calme et sereine.

Tous les Prêtres qui ont eu des rapports avec notre chère soeur Louise de la Croix, demeuraient profondément édifiés de ses pieux entretiens. «Elle ira tout droit au ciel», disait Mon­seigneur de l'Espinay, premier Supérieur de notre Carmel. Notre Vénéré Prélat Monseigneur Gatteau, m'assurait aussi, qu'il aurait aimé, s'il avait eu des loisirs, à venir parler de Dieu avec cette bonne Soeur. Elle étonnait Sa Grandeur par ses vues profondes sur les mystères de l'In­carnation, et par son heureuse mémoire, qui lui permettait de citer, textuellement, de longs passages des auteurs spirituels les plus sérieux.

 Si notre chère Soeur charmait ainsi ceux qui ne la voyaient qu'en passant, elle était bien surtout la consolation de ses Prieures par son esprit de foi. Dans une retraite, un bon Re­ligieux, ayant dit que les inférieurs devaient être, avec leurs Supérieurs, comme de petits poussins sous l'aile de leur mère; à la sortie du sermon, nous rencontrant sur son chemin, elle nous tendit ses deux grands bras en disant: «Ma Mère, je suis le petit poussin!.. » Or, le petit poussin était septuagénaire, et la Prieure bien jeune; mais cette âme éclairée d'en haut n'a­vait pas besoin de compter les années de celles qui lui représentaient le bon Dieu, pour leur accorder sa confiance, leur rendre soumission et les entourer de son respect.

 D'après ce que nous venons de dire, vous comprendrez facilement, ma Révérende Mère, notre consolation de pouvoir on 1879, célébrer les noces d'or de cette aimable soeur, si at­tachée et si dévouée à sa communauté. La cérémonie fut solennelle; Monseigneur voulut bien la rehausser par sa présence, et offrir le Saint Sacrifice à l'intention de la Vénérable Jubilaire. Son neveu, Prêtre de St. Sulpice, Directeur au Grand Séminaire de Reims, prononça le discours de circonstance, heureux de témoigner ainsi l'estime qu'il avait pour sa sainte Tante.

La ferveur avec laquelle elle se prépara à celte fête, par une retraite de dix jours, et renou­vela ses saints voeux entre nos mains, dut réjouir le ciel et nous procura une douce émotion. « Je veux désormais, nous dit-elle, commencer une vie nouvelle, et être comme un petit enfant d'un jour.» Ce qu'elle avait résolu si généreusement, elle le tint fidèlement, et l'on put, en effet, constater depuis lors, ses progrès sensibles dans la pratique du renoncement à ses vues propres.

C'est vers cette époque, que l'affaiblissement de la santé de notre bonne Soeur ne lui permit plus de faire sa semaine de cuisine. Il y avait là matière à sacrifice; naturellement active, elle aimait à se dépenser pour sa communauté. Mais le repos qu'on lui accorda lui procura l'im­mense avantage de la solitude, et elle ne fut pas longtemps sans apprécier cette nouvelle grâce, et en tirer un bon profit. Tout en occupant scrupuleusement son temps, soit à filer, soit à con­fectionner des alpargatas, elle pensait toujours à Dieu, priait ou chantait ses cantiques de mission. Son couplet favori était celui-ci: Au feu, au feu du saint amour de Dieu! Elle le répétait souvent, avec tant d'âme, qu'il eut été ravissant de l'entendre si l'harmonie du chant en avait égalé la ferveur. Parfois, cependant, l'attrait de la quenouille semblait dominer un ins­tant, et lorsque l'heure d'un exercice venait à sonner; quitter son cher fuseau lui était un acte de renoncement qu'elle offrait au bon Dieu. «Seigneur, dit-elle, un jour, en pareille circons­tance, je vous l'offre pour la conversion d'un pécheur.» Mais tout à coup, pensant à la bonté infinie de son Divin Maître, elle se reprocha d'avoir demandé si peu: "Ah ! pardon, Seigneur, ajouta-t-elle, ce n'est pas assez; donnez-m'en mille.» C'est ainsi que s'écoulèrent, joyeusement, paisiblement et saintement, les dernières années de sa longue existence.

Depuis quoique temps cependant notre fervente Soeur commençait à sentir le poids de l'âge; ses infirmités s'aggravèrent sensiblement ; une maladie de coeur amenait une enflure considérable aux jambes, et un engorgement du foie venait encore ajouter à ses autres souffrances un indicible malaise. C'était la première et tardive épreuve ménagée par la Divine Provi­dence, pour mettre le sceau aux vertus de notre bien-aimée Soeur, et faire ressortir sa courageuse piété. Nous la vîmes alors, avec admiration, se traîner au choeur à l'aide d'un petit bâton pour tous les actes de communauté. Dès l'oraison du matin, elle était rendue l'une des premières à son poste tant aimé.

Malgré un état si pénible, notre chère Ancienne ne désirait pas la mort; embellir sa couronne était toute son ambition. Elle nous disait même, après sa dernière retraite: « O ! ma Mère, j'ai eu, pendant ce saint temps, des lumières sur la perfection, qui ne m'avaient pas encore été données, et je ne serais pas fâchée si le Bon Dieu me laissait un peu de temps pour les mettre en pratique.

Peu après cette époque, l'affaiblissement physique de notre bonne soeur Louise de la Croix s'accentuant davantage, entraîna un certain engourdissement des facultés intellectuelles; les lectures qu'elle savourait tant autrefois, lui devinrent pénibles; son livre lui tombait des mains et l'assoupissement la gagnait même pendant le temps de l'oraison. Cette phase, toute nou­velle dans la vie de notre fervente Soeur, lui inspira les remarquables sentiments d'humilité qui l'ont animée jusqu'à ses derniers instants.

A l'impression que lui causait son impuissance présente, venaient se joindre de pénibles retours sur le passé. Elle n'y voyait rien qui pût la rassurer complètement; toutes ses actions lui apparaissaient souillées par l'amour-propre, la recherche d'elle-même. Elle redoutait la mort, ou plutôt, le compte qu'il lui faudrait rendre à Dieu des précieuses grâces dont II avait été si libéral à son égard. Toutefois, cette vue n'altérait en rien sa confiance dans la misé­ricorde divine; elle n'était qu'un stimulant à la componction, et au détachement de toutes cho­ses. Rien, extérieurement, ne pouvait faire soupçonner cet état douloureux; son courage était le même. Quoiqu'elle ne pût se traîner qu'avec une peine extrême, et le secours de deux bras, elle assistait encore chaque jour à la sainte Messe, aux Vêpres et à Complies.

 Vers le 14 septembre, le mal, qui jusqu'alors avait progressé lentement, prit une marche plus rapide: de fréquents vomissements de bile, et des douleurs d'entrailles ne lui laissant plus de repos, firent pressentir un dénouement prochain. Dès le 23 septembre, Monsieur l'Archiprêtre de la Cathédrale vint lui administrer le Sacrement de l'Extrême-Onction. La sainte malade lui témoigna sa joie de pouvoir le recevoir en pleine connaissance. Elle était dans son fauteuil, et elle s'unissait avec ferveur à toutes les cérémonies et prières.

Ce secours devait lui être bien nécessaire, car il lui restait encore à endurer quinze jours de vrai martyre, pendant lesquels, cette fidèle Épouse de Jésus crucifié montra une admira­ble patience. Plusieurs fois, dans ce laps de temps, le Saint Viatique lui fut renouvelé. Son neveu, Monsieur l'Abbé Pinel venu pour faire ses derniers adieux à la chère mourante, eut la seule consolation de Le lui apporter. Il fit alors une touchante exhortation, et la remer­cia des prières qu'elle avait adressées au ciel à son intention, reconnaissant leur devoir la grâce de la vocation sacerdotale. La présence du Très Saint Sacrement ne permit pas à la fille de Ste Thérèse de répondre aux paroles émues du Prêtre ; mais leurs deux âmes se comprirent; ils acceptèrent leur commun sacrifice, heureux de l'offrir à Jésus Hostie.

 Notre pieuse Soeur recevait avec grand bonheur la Sainte Communion ; jamais cependant, elle ne nous en manifesta le désir; lorsque nous lui proposions cette faveur, elle nous répondait invariablement, avec un ton de conviction que nous ne saurions rendre: « J'en suis bien indigne. » Le dimanche, 6 octobre, alors qu'elle pouvait à peine articuler une parole, elle nous fit la même réponse. C'était un des derniers échos de sa voix expirante; nous le recueillîmes avec une douce émotion.

Notre chère Soeur se leva encore quelques instants le lundi matin; mais aussitôt recou­chée, elle perdit connaissance et entra en agonie. Pendant deux jours, nous entourâmes son lit de douleur, récitant les prières de la recommandation de l'âme et plusieurs autres. Nos coeurs étaient navrés de voir souffrir la pauvre agonisante sans pouvoir lui donner aucun soulagement, ni lui faire entendre une bonne parole. Et cependant, nous enviions le sort de cette chère âme qui, après avoir vécu dans les ardeurs de la charité, terminait sa carrière dans les profondeurs de l'humilité. Si la première disposition lui procura de plus douces jouissances, la seconde l'établit dans une plus parfaite sécurité; cachant à tous, même à ses propres yeux, la sainteté de sa précieuse mort.

C'est dans la nuit du mardi que notre chère soeur Louise de la Croix rendit le dernier sou­pir; une partie de la communauté et nous présentes. Aussitôt sa mort, ses traits, contractés par la souffrance, prirent une expression de paix et de sérénité, comme aux plus doux mo­ments de sa vie. Nous aimions à la considérer, bien persuadées que cette beauté qui nous charmait, n'était que le reflet du regard favorable de son Divin Époux. Cependant, comme les jugements de Dieu sont impénétrables, et qu'il juge les justices mêmes, nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien ajouter aux suffrages déjà demandés, par grâce, une communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis et tout ce que votre charité vous suggérera. Elle vous en sera très reconnais­sante, ainsi que nous, qui aimons à nous dire, avec un très profond respect,

De votre Révérence

 

La bien humble soeur et servante,

SŒUR MARIE DE LA TRINITE.

R. C. I.

De notre Monastère de Jésus Médiateur, de l'Immaculée Conception et de notre Père Saint Joseph, des Carmélites de Luçon, ce 18 décembre 1891.

 

 

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