Carmel

18 août 1888 – Blois

Ma Révérende et très honorée Mère,
Paix et très humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vient de retirer de l'exil de cette vie, notre chère Mère, Marie-Jeanne du Saint-Coeur de Marie, couventuelle de notre Monastère. Elle était dans la 58e année de son âge, et la 36" de sa vie religieuse.                                                       

Notre bonne mère nous ayant instamment priée de ne lui faire de circulaire que pour solliciter les suffrages de notre Saint-Ordre, nous croyons devoir respecter cette demande qui lui fut suggérée par la plus délicate charité et une discrétion toute religieuse.
C'est le 10 novembre 1886, que la Mère du Coeur-de-Marie franchit le seuil de notre Carmel, dont elle avait à plusieurs reprises imploré la fraternelle charité. Son bon sens religieux, son humble attitude, son esprit de paix, et le soin qu'elle prit toujours de se tenir à la dernière place, lui gagnèrent bientôt les coeurs. Aussi se sentit-elle promptement à l'aise. Mais le Seigneur ne laissa pas longtemps notre Bonne Mère jouir de cette vie de Communauté qu'elle aimait tant. A peine était-elle ici depuis quelques semaines, que sa santé s'altéra ; sa poitrine très faible ne put supporter l'air vif des bords de la Loire, et bientôt la pauvre Mère, put constater le dépérissement sensible de ses forces, Au mois de décembre 1887, son état devint tel, qu'il nous causa de sérieuses inquiétudes; une maladie de coeur, dont elle avait depuis longtemps le germe, en se déclarant tout à fait, vint encore compliquer sa situation. La chère malade alors eut à ajouter au sacrifice de sa santé, celui de ne pouvoir se dévouer pour sa famille d'adoption. Ce fut pour elle une grande épreuve de tomber languissante au lendemain de son arrivée. Elle en souffrit toute la peine et l'humiliation avec paix et résignation, et nous demanda timidement si nous ne voudrions pas lui donner la consolation de mourir conventuelle de notre Monastère. Elle en fit la demande au Chapitre dans des termes pleins d'humilité, que ses larmes rendaient plus touchants encore. Bien qu'elle ne comptât qu'un an de séjour parmi nous, la gravité de son état et sa conduite si religieuse inclinèrent vers elle toutes les capitulantes. Après sa réception, on improvisa une petite fête dont elle se montra fort touchée ; et dès lors se voyant au comble de ses voeux, elle s'abandonna totalement à la sainte volonté de Dieu. A partir de cette époque, le mal fit de tels progrès, que notre bonne Mère du Coeur-de-Marie ne sortit que rarement de sa cellule ou de l'infirmerie. Sa vie ne fut plus qu'un sacrifice perpétuel et une préparation à son dernier soupir. Vendredi dernier, le danger paraissant imminent, nous lui fîmes part de l'approche de l'Époux. Le divin Maître eut pour elle une délicatesse dont nous ne saurions trop le remercier : un vénérable Père de la Compagnie de Jésus, qui l'avait acheminée vers notre Carmel, fut providentiellement amené dans notre ville. Il put alors, avec un religieux dévouement, lui prodiguer non seulement les secours de notre Sainte Religion, mais encore faire couler dans son âme, par ses pieuses et paternelles paroles, des fleuves de paix et de sainte joie. C'est dans ces sentiments que notre chère Mère du Coeur-de-Marie rendit son âme à Dieu, confondant dans une même prière et un même sacrifice, le souvenir de son Carmel de Blois et celui de son cher berceau religieux qu'elle aima toujours si tendrement.
Nous espérons que la vie si éprouvée de notre bonne Mère lui aura valu un accueil favorable du Souverain Juge. Cependant, comme il faut être si pur pour paraître devant Dieu, nous venons vous prier, Ma Révérende et très honorée Mère, de lui faire rendre, au plus tôt, les suffrages de notre Saint-Ordre. Veuillez lui accorder, par grâce, une Communion de notre sainte Communauté, une  journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis et des six Pater. Ellevous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix,

Ma Révérende Mère,
Votre humble soeur et servante,
Soeur Marie-des-Anges, R. C. I,
De notre Monastère de l'Assomption de la Très Sainte Vierge, des Carmélites de Blois, le 18 Août 1888.

Blois. —Imprimerie E. Moreau et Cie, rue Pierre-de-Blois,  14. —9683.

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