Carmel

17 juillet 1890 – Compiègne

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Sa volonté sainte nous a plongées de nouveau dans le deuil, en ravissant à notre religieuse et vive affec­tion notre chère soeur Louise-Marie-Josèphe-Stanislas-Thérèse de Jésus, professe et bienfaitrice de notre Carmel Elle était âgée de 29 ans 2 mois, et de religion 6 ans 11 mois et 5 jours.

Qu'il nous eût été doux, ma Révérende Mère, de vous montrer dans sa fraîcheur et son état cette fleur brillante qui a répandu de si suaves parfums autour d'elle, et surtout au moment d'aller s'épanouir dans les cieux! Il nous eût été consolant de vous faire suivre le cours de cette vie pleine d'espérances. La source en avait été si pure au sein d une famille distinguée où se sont conservées les chrétiennes et nobles traditions de notre France d'autrefois.

Mais nous sommes liée par une promesse que nous n'avons pu refuser à l'humilité vraie de notre «hère fille, son désir de n'avoir de circulaire que pour réclamer en sa faveur les suffrages de notre saint ordre, provenait évidemment de l'Esprit de Dieu, et malgré nos répugnances nous avons dû souscrire à ses voeux, et ne parler que de sa dernière maladie.

Nous sommes donc forcée de jeter un voile sur cette magnifique histoire d'une âme grande, géné­reuse, exceptionnellement dotée, que Notre-Seigneur s'est plu à plonger dans le creuset de la souffrance pour en faire pour l'éternité, nous l'espérons, l'un des joyaux de la couronne de la reine du Carmel. Le fondeur divin savait la valeur du métal qu'il voulait préparer, et que de fois il activa la flamme pour sa parfaite et rapide épuration ! Cette belle âme, objet des recherches du Coeur de Jésus, subissait les exigences toujours crois­santes de la divine jalousie, lorsque la dernière maladie vint achever l'oeuvre de transformation. L'or était prêt, Notre-Seigneur allait y ciseler son image en traits profonds et la mort y poser son ineffaçable sceau.

Une grâce inappréciable venait d'être accordée par la bonté divine à notre chère soeur Thérèse de Jésus, lorsque l'influenza s'abattit sur notre monastère, elle en fut aussitôt atteinte. En elle, ce mal étrange se greffait sur un état déjà très alarmant; les poumons étaient perforés depuis assez longtemps, notre enfant aimée fut bientôt aux portes du tombeau. Une congestion générale s'était déclarée, le danger devenait imminent, il était prudent qu'elle fût administrée. Elle était habituée à souffrir et à souffrir beau­coup, et quoiqu'elle se sentît gravement saisie, elle eut néanmoins quelque surprise de se voir si proche de la fin de son existence. Toutefois elle accepta avec consolation de recevoir immédiatement l'Extrême-Onction.

La foi, une foi vive et pure, l'avait seule conduite au Carmel. Elle avait fait d'héroïques sacrifices en embrassant la vie du cloître. Les flatteuses espérances d'un brillant avenir, sa tendresse dévouée pour •les siens, portée au plus haut degré, une nature exubérante de jeunesse et de vigueur, jointe à une délicatesse et une sensibilité exquises, tout cet ensemble avait fourni à la généreuse enfant la manière et l'occa­sion de sacrifices innombrables. Avec ce flambeau de la foi, elle avait traversé les années d'épreuves que lui avait ménagées la divine Providence, sa céleste lumière l'enveloppait alors tout entière, elle voulait que rien ne manquât à l'acte suprême. Le temps était court, le glaive pouvait tomber sur elle d'un moment à l'autre, cette âme vaillante replaça par l'intensité de ses actes la durée qu'elle ne pouvait leur donner. Dès ce moment elle fit à Dieu, avec une entière générosité, le sacrifice de sa vie. En face de cette solution imminente, elle demeurait calme, abandonnée aux saintes volontés de Dieu. L'humilité était bien alors sa note dominante ; notre chère soeur demanda pardon, en termes touchants, à la communauté, des fautes qu'elle avait pu commettre; elle était complètement à la préparation du départ.

Cependant l'heure n'était pas arrivée, cinq longs mois de souffrances, endurées avec une patience admirable, devaient encore achever le chef-d'oeuvre de la grâce en notre chère enfant. Nous allions être témoins des merveilleuses opérations de la Croix dans une âme toute livrée à son action vivifiante.

 

Le sacrement de l'Extrême-onction avait apporté une amélioration notable dans l'état de ma soeur Thérèse de Jésus. Après avoir conjuré le péril prochain, notre dévoué médecin nous prévint que nous ne pouvions conserver désormais aucun espoir de retour à la vie. La science luttait depuis cinq années contre un mal dont elle entravait les ravages, sans pouvoir détruire le germe qui existait longtemps avant son entrée au Carmel. Le talent de notre bon docteur, si fertile en moyens, se joignait à un dévouement tout paternel pour notre aimable soeur, et elle devait à ses soins habiles la prolongation de son existence ; cepen­dant Dieu avait marqué le terme de cette vie qui nous était si chère, et le travail de destruction allait s'opérer lentement, mais invinciblement. Les visites du docteur apportaient toujours un allégement aux douleurs de notre enfant; ses bonnes paroles, non moins que les remèdes, faisaient apparaître une réac­tion favorable, aussi quelle profonde reconnaissance lui avait vouée la chère malade. Nous sommes per­suadée que peu d'instants avant d'expirer, un éclair de consolation traversa son esprit en apprenant qu'il venait encore lui apporter son secours. Comme il nous l'écrivait quelques heures après, il achevait auprès d'elle sa mission providentielle, en venant recueillir son dernier souffle.

Le lit de la patiente victime était l'autel où se consommait l'holocauste, elle ne le quitta pas un instant. Une fièvre dévorante empêchait le sommeil de fermer ses paupières, une toux continuelle et une expectoration effrayante la fatiguaient beaucoup. Elle nous disait qu'elle n'aurait jamais cru qu'il était pos­sible de tant souffrir sans en mourir. « Je n'en puis plus!... » nous répétait-elle, et le Fiat de la rési­gnation à la volonté divine demeurait victorieux dans son coeur et se retrouvait sur ses lèvres. On 1'entendait quelquefois murmurer au milieu de ses nuits cruelles : « Mon Dieu, je vous offre tout ! je n'en veux pas perdre une parcelle, tout pour l'Eglise, la France, les prêtres, les âmes ! »

Toutes les vertus chrétiennes et religieuses resplendissaient en ma soeur Thérèse de Jésus dans ces moments où la souffrance l'étreignait de toutes parts. Elle dominait sa nature impressionnable avec une force d'âme que nous admirions, car en elle le sentiment n'était pas émoussé. Elle conserva jusqu'à la fin sa pénétration d'esprit, sa délicatesse de coeur et un à-propos de discours et d'action qui nous jetaient dans l'étonnement.

Si l'épreuve était longue et rude pour notre fille si aimée, le divin Maître lui ménagea de nom­breuses et puissantes consolations. Monseigneur notre Evêque voulut bien la visiter, et les paroles de sa Grandeur, suaves et pénétrantes, lui apportèrent force et joie. Notre vénéré Supérieur, avec la bonté qui le caractérise, vint plusieurs fois lui donner des encouragements paternels qui lui faisaient le plus grand bien. Jésus ne visitait pas souvent lui-même sa jeune épouse sur la croix, elle ne put faire que rarement la sainte communion, mais le Maître était là dans la personne de ses ministres, et le secours du prêtre, si apprécié par notre chère enfant, était devenu sa ressource suprême, sa communion à la vérité et à la pureté divines. M. notre confesseur, pour qui elle avait une confiance filiale sans bornes, venait avec un dévouement constant l'aider à porter le poids de ses souffrances, et à former cette riche et pure couronne qu'elle dépose sans doute aujourd'hui dans le ciel aux pieds de l'Agneau.

Elle ne pouvait souffrir dans sa conscience le plus léger nuage, le niveau de la sanctification s'éle­vait toujours. Tout allait droit à Dieu dans cette âme loyale en qui l'amour de la justice avait soulevé autre­fois plus d'une tempête de désolation et de crainte. La sainteté de Dieu l'avait étreinte sous sa puissance, et alors sa miséricorde l'immergeait dans ses flots, et ne lui laissait qu'une confiance pleine d'amour en la bonté de notre Père céleste. Son noble et beau caractère était libre d'exercer ses charmes attrayants et sympathiques.

Nos visites à l'infirmerie, aussi fréquentes que nous le permettaient les devoirs de notre charge, lui donnaient de la joie, elle nous accueillait avec des paroles charmantes et enfantines, et nous nous efforcions d'adoucir son état si pénible; nos chères soeurs lui prodiguaient aussi les témoignages de leur fraternelle affection»

Aux premiers jours de la congestion pulmonaire, on la veillait tour à tour, et chacune eût voulu que le sien revînt souvent, mais lorsque la maladie prit un autre caractère, et qu'une consomption lente sembla devoir nous laisser plus longtemps notre chère fille, une de nos soeurs infirmières nous demanda avec les plus vives instances de garder les veilles pour elle seule. Pendant plus de quatre mois, cette dévouée soeur passa les nuits à son chevet, s'ingéniant de toutes manières pour soulager sa jeune et intéressante malade, tandis que sa charitable infirmière du jour redoublait de soins et do prévenances pour enrayer la course du mal qui l'emportait.

Sa chère famille, si bonne pour notre Carmel, privée d'assister de près une soeur et une nièce bien- aimée, ne cessait de lui envoyer des témoignages touchants de sa vive et chrétienne affection. Elle lui faisait parvenir, ainsi que de bienveillants amis du Carmel. des douceurs dont elle pouvait user momenta­nément. La chère malade était remplie de gratitude pour ces délicates attentions.

Notre bon docteur était surpris do la vitalité de ma soeur Thérèse de Jésus. Elle avait eu plusieurs fois de si fortes secousses qu'il semblait que la mort allait achever de briser sa frêle enveloppe mortelle mais l'énergie du tempérament et du caractère dominait le mal, et nous la voyions ensuite revenir à son état habituel. Nous comprenons aujourd'hui le secret de ces longues et pénibles souffrances dans un corps faible, abattu : c'était l'effet des desseins tout miséricordieux du Seigneur, ainsi qu'elle en avait reçu naguère le annonces prophétiques. Aux mérites d'une vie courte, mais riche aux yeux de Dieu, et remplie de bonnes oeuvres, le divin Maître voulait à cette âme choisie un plus grand amour avec une plus longue croix, puisque sa croix bénie est l'avant-coureur des palmes de la victoire.

Cependant la jeune malade ne voulait pas se faire illusion ; elle était heureuse d'avoir eu le temps de préparation au dernier départ, elle en bénissait Dieu quoiqu'elle fût fait d'abord un sacrifice com­plet, que de transformations s'étaient accomplies encore sous l'influence des grâces immenses dont elle avait été favorisée ! Nous admirions ces vertus fortes et douces, aimables et viriles, exercées magnifiquement alors que la faiblesse physique augmentait de jour en jour. Mais elle observait toutes les phases de la maladie, découvrait les plus légers symptômes et interrogeait souvent le médecin pour savoir si elle ne touchait pas à sa fin. Trois jours auparavant, elle réitéra ses instances pour pouvoir lui faire ses adieux, lui disait-elle. Demain il sera encore temps, lui répondit enfin le bon docteur tout ému. Elle comprit... Le lendemain en effet, elle lui exprima sa profonde reconnaissance, et l'assura qu'elle ne l'oublierait pas, ni sa chère famille, lorsqu'elle serait au ciel; elle lui donna rendez-vous là-haut.

Le dénouement approchait, hélas! les suffocations devenaient plus pénibles, mais notre chère fille conservait toute sa lucidité. Elle acceptait de légers narcotiques pour obtenir de courts instants de repos, mais elle ne voulait pas se priver du trésor de souffrances qu'elle appréciait comme moyen de glorifier Dieu et d'obtenir ses faveurs. Elle demeurait vaillante près du terme ; une mort vraiment triomphante allait achever de nous révéler les secrets de son âme, et à l'heure où tout se décolore et s'éteint, une vive lumière semblait jaillir de cette couche d'agonie et formait autour de la jeune vierge mourante comme une auréole de grandeur et de beauté célestes ; mais tout était simple comme ce qui est divin, c'était sur­tout la mort dans l'humilité.

La journée du mardi 24 juin avait été douloureuse, les étouffements devenaient plus fréquents ; notre vénéré père confesseur lui apporta le soir la sainte communion, c'était le viatique pour le grand voyage. Nous lûmes les prières de la recommandation de l'âme.

Nous ne quittions plus notre pauvre enfant ; elle' nous avait demandé de ne pas nous éloigner, c'était aussi notre désir. Nous restâmes à son chevet tout le jour et la nuit suivante. Elle nous remerciait avec effusion. « J'ai prié le bon Jésus pour que vous ne soyez pas fatiguée, ma bonne mère » nous dit-elle, et comme nous avions dû passer fort peu de temps dans la pièce voisine, tandis qu'elle reposait, elle nous prit les mains, au retour, en nous disant affectueusement : « Je sentais bien que vous n'étiez pas là ! » Nous, suivions anxieusement 1es progrès de la crise dernière, mais de quelle consolation n'étions-nous pas inondée, en même temps, d'entendre les actes de résignation, d'amour de Dieu, d'humilité qu'elle exprimait avec des accents inimitables.

Elle était profondément heureuse de mourir carmélite, que Dieu est bon ! murmurait-elle, je m'abandonne à lui pour trépasser de la manière qu'il le voudra. » Puis elle reprenait : « Je n'aurais pourtant pus désiré que cela traîne... J'ai hâte d'aller où je dois aller. Mais, mon Dieu, je vous offre tout pour le Saint-Père, pour le triomphe de l'Eglise, pour la sanctification du clergé, pour la France, ma bien-aimée patrie, etc.,

Qu'offrez vous pour cela, chère enfant? lui demandâmes-nous. —Ah ! c'est ma vie ! reprit-elle avec force, mourir à 29 ans ! Puis d'un ton doux et calme : « Mourir à 29 ans ou à 109 ans, c'est presque la même chose, la vie, ce n'est qu'un petit fil !" Elle était si proche des années éternelles.

Hormis les heures de nos saints exercices la communauté l'entourait; elle nous demandait de prier ensemble à haute voix, et nous exprimait son bonheur d'être ainsi assistée de ses mères et soeurs. «Depuis que vous priez de cette manière, mes douleurs sont diminuées de moitié, » disait-elle en souriant. Dans les intervalles de tranquillité, elle donnait un mot aimable à chacune, recevait gracieusement les commissions pour le ciel, et promettait de ne pas nous oublier quand elle serait auprès de Dieu ; mais elle suppliait qu'on ne laissât pas d'offrir longtemps pour elle de pieux suffrages. Notre chère enfant trouvait un mot de douce gaieté pour tromper la tristesse qu'elle devinait régner au milieu de nous. « Il ne faut pas qu'on pleure, je ne le puis pas, et je veux rester calme, ce n'est pas pour longtemps que nous nous disons adieu, la vie est si courte ! Je vous remercie toutes ! Je crains pourtant de les fatiguer mes bonnes soeurs, je les aime tant! je voudrais... » et elle s'arrêta, « je vais vous faire rire, eh bien ! je voudrais vous avaler toutes, mais par affection, reprit-elle. »

Nous lui suggérions de temps à autre de consolantes aspirations : Coeur de Jésus, océan de bonté, ayez pitié de nous, etc., elle les répétait avec une piété touchante. Nous cherchions à les varier, mais elle nous dit : « Ma bonne Mère, pourquoi chercher d'autres invocations que celles que vous venez de faire, elles sont très belles, il n'est pas nécessaire d'avoir toujours du neuf. » Elle aimait à s'offrir à Dieu par cette petite prière : Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon coeur, mon esprit et ma vie.

Nous lui parlâmes de sa chère famille, du souvenir qu'elle en aurait au ciel : « Oh! oui, oui, nous répondit-elle, je deman­derai pour tous les grâces du bon Dieu. » Nous fîmes approcher une novice qui se recommanda à ses prières : « Oui, je prierai beaucoup pour vous. Je vous ai peu connue, mais je vous aimais déjà, et je demanderai à N. S. que vous receviez la grâce de la sainte Profession, sans aucun retard, mais on ne peut abréger l'année. »

Je la priai de dire un mot à une nouvelle professe, elle la fit venir près d'elle et lui dit tout bas : « Entre nous deux seulement, car je ne veux pas poser, ni faire de discours ; vous commencez, commencez donc bien, car si vous faites maintenant un petit accroc, vous pourriez en faire de plus grands ensuite, il est difficile de s'arrêter. Ma chère petite soeur, vous aimez à rendre service, vous cherchez toujours à faire plaisir, continuez ainsi, soyez toujours aimable; votre caractère a une pente de ce côté, c'est une mine à exploiter, c'est une qualité précieuse, cela rend la vie si douce et si agréable qu'on ne voudrait plus la quitter. »

La confiance et l'humilité s'emparaient de son âme successivement. Après avoir répété la formule des saints voeux, elle ajouta : «oh! je les renouvelle de tout mon coeur, je regrette de les avoir mal pratiqués. Lorsqu'elle exprimait son bonheur de s'en aller au ciel, escortée pour ainsi dire par la communauté, « Vous voudriez bien, lui dit sa bonne infirmière, que nous allions toutes avec vous, chère soeur Thérèse de Jésus ?» « J'en serais très heureuse, répondit-elle, vous couvririez au moins toutes mes horreurs ! »

Un peu plus tard, lorsque, M. l'aumônier lui promit son souvenir au saint Autel pour l'aider à sortir du purgatoire : « Quand on a mérité d'être condamné à mort, dit-elle, on est bien content de n'être condamné qu'au bagne. »

Telle était l'attitude d'humilité dans laquelle demeura notre chère enfant jusqu'à la fin ; nous avions peine à retenir nos larmes en l'entendant ainsi parler d'elle-même, elle était si sincère. Et pourtant sá délicatesse de conscience était telle qu'elle redoutait l'ombre d'une imperfection pendant sa maladie, la lumière divine lui faisait apercevoir les plus légers atomes, et elle se les reprochait comme des fautes considérables. Elle ne comptait sur rien, sinon sur la miséricorde de Dieu, sür le secours de la sainte Vierge. « Marie, ma mère, venez à mon aide, s'écriait-elle, ne m'abandonnez pas, restez près de moi comme ma mère de la terre. Vous empêcherez le démon d'approcher. » Comme on récitait le Salve Regina, elle répétait avec ardeur : « Eia ergo, advócata nostra, etc. Le père m'a dit que le démon détestait cette prière, et que ces mots surtout le mettent en fuite, je veux les redire souvent. Jésus, source de miséricorde, j'ai confiance en votre amour, oui grande confiance, parce que je suis misérable. »

Sans émotion, sans crainte ni regrets, notre chère enfant nous parlait de sa mort, comme d'une translation immédiate qui ne l'eut pas concernée. La sérénité de son âme se peignait sur son doux petit visage si amaigri.

Le 25, à cinq heures du matin, notre vénéré père confesseur arriva ; il entendit encore sa confession. Elle n'était pas très mal, il s'éloigna pensant revenir plus tard, mais c'était pour la dernière fois qu il l'assistait. Elle-même nous avait dit: « Puisque j'ai passél'aurore, il est probable que j'irai jusqu'au soir. » Elle ne devait plus en avoir sur la terre, le jour de l'éternité, radieux et sans déclin, allait se lever pour notre chère soeur.

Vers six heures et demie, une sorte d'agonie commença. Elle demanda M. l'Aumônier qui accourut aussitôt Elle avait toujours vivement désiré d'être assistée d'un prêtre à ses derniers moments, ses voeux étaient exaucés. Elle eut quelques assauts dont elle triompha, nous offrions alors nos plus ardentes prières. Celles de la recommandation de l'âme lui furent réitérées plusieurs fois. Nous lui soutenions la tête de la main gauche, et de la droite nous tenions sa main. Elle nous la pressait de temps en temps. Nous offrions à Dieu cette âme belle et pure, toute parée pour les noces divines, et notre sacrifice se confondait avec le sien.

M. l'Aumônier la fortifiait par des paroles de loi et de confiance, et s'apercevant que tout allait finir pour notre chère soeur Thérèse de Jésus, il lui donna une dernière absolution et l'indulgence in articulo mortis. Pendant ces deux heures d'agonie, elle avait eu toute sa connaissance, elle s'éteignit si doucement, sous cette grâce suprême, que nous ne pûmes distinguer son dernier soupir.

Nous avions perdu une fille, une soeur... mais les Anges, les Vierges la recevaient dans leurs phalanges. Elle avait passé de la souffrance au bonheur, de l'exil à la patrie, de la terre au ciel. Nous ne pouvions le croire. cette expansion, pleine de vie, de son âme dans lès nôtres, pendant ces heures de grâces n'était pas la transition ordinaire de ce monde à l'éternité. Nos coeurs étaient déchirés de la séparation, mais nous éprouvions toutes je ne Bais quel sentiment de confiance en sa félicité, de paix et de consolation qui tempérait la tristesse que son absence laisse dans notre Carmel. Elle y tenait une très large place ; de son infirmerie, elle rayonnait sur tout le monastère, elle était toujours prête à obliger et à faire plaisir.

La cérémonie des obsèques de notre chère soeur Thérèse de Jésus fut aussi solennelle qu'il était possible, dans cette pieuse et belle chapelle que nous devons à sa générosité. M. notre Supérieur vint les présider et chanta la grand'messe ; presque tout le clergé de notre ville y assistait. Sa si famille éplorée était accourue malgré la distance, pour lui donner encore un gage de sa tendresse fraternelle, et une nombreuse assistance témoignait de la pieuse sympathie attachée à son souvenir.

Les restes mortels de notre chère enfant nous sont conservés dans notre Carmel. Elle repose auprès de sa sainte amie, soeur Marie du Saint Sacrement. Les deux anges se sont retrouvés, et en les visitant souvent toutes deux, unies dans la mort comme elles l'avaient été dans la vie, nous demandons à Dieu que notre fin soit semblable à la leur, car c'était le triomphe de la grâce, la mort précieuse devant le Seigneur.

 

Quelque fondées que soient nos espérances en la félicité dont jouit maintenant notre très aimée soeur Thérèse de Jésus, comme la sainteté de Dieu exige une pureté sans tâche des âmes qu'il admet à la Béatitude et à la vision céleste, nous vous prions, ma Révérende mère, de vouloir bien ajouter aux suffrages de l'Ordre demandés, une communion de votre sainte Communauté, les indulgences des six Pater, du Vis Crucis, des invocations à ses saints patrons.

Notre chère soeur Thérèse de Jésus avait fait le voeu héroïque en faveur des âmes du purgatoire. Nous vous serons très reconnaissantes de ce que vous voudrez bien faire néanmoins pour le repos de son âme.

C'est aux pieds de Marie, mère de douleurs, dans une religieuse union avec votre cher Carmel, que nous avons la grâce de nous dire avec un affectueux respect, ma Révérende et très honorée mère,

 

Votre très humble soeur et servante

SŒUR MARIE DES ANGES

R. G. ind.

De notre Monastère de l'Annonciation des Carmélites de Compiègne, le 17 juillet 1890.    

 

Compiègne. — Imprimerie et Librairie LEROY-JOLY

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