Carmel

17 avril 1890 – Troyes

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur Jésus-Christ, qui vient d'enlever à notre religieuse affection, notre chère Soeur Elisabeth, Anastase de Jésus, Doyenne de nos Soeurs du voile blanc. Professe de notre Communauté. Elle était âgée de 55 ans 6 mois et de reli­gion, 32.

 

Notre bonne Soeur appartenait à une famille estimable et aisée d'un village du Diocèse de Sens ; son Père, honnête cultivateur, exploitait deux fermes dépendantes de la paroisse, aidée du concours intelligent et actif de son épouse et de ses cinq enfants ; Elisabeth était la troi­sième ; ce fut au milieu des laborieux travaux de la campagne que s'écoulèrent ses premières années. Pendant un temps assez court, elle fut envoyée à une école que dirigeait une vertueuse religieuse de la Présentation ; là, elle apprit à lire et à écrire ; ses parents, auxquels son énergie et sa constitution robuste la rendaient doublement utile, ne croyaient pas nécessaire d'étendre plus loin son éducation ; cependant la jeune enfant était douée d une certaine intelligence et laissait entrevoir des dispositions à la piété, qui n'échappèrent point à l'oeil clairvoyant de sa digne Maîtresse ; pour l'y maintenir et la fortifier, elle lui donna à lire la vie édifiante de la Bienheureuse Germaine Cousin. Dieu toujours admirable dans ses voies se faisait sentir et parlait au coeur de cette petite fille. Sa précoce imagination, avec un sérieux au-dessus de son âge, méditait déjà les années éternelles el la nécessité pour elle d'éviter à tout prix de tomber en enfer pour toujours... toujours !

 

C'était, sous, l'impression de ces grandes vérités que la jeune écolière faisait lentement, silencieuse et recueillie, le trajet qu'elle devait parcourir pour se rendre à la maison paternelle, où elle reparaissait active, dévouée et laborieuse, cachant avec soin les pensées qui l'absorbaient tout entière, sans qu'on pût s'en douter; son secret était pour Dieu seuil... C'était sagesse et prudence néces­saires, car la Mère, qui croyait découvrir dans sa fille un penchant marqué pour la piété, veillait avec une sollicitude minutieuse, à l'éloigner de toute société ou exercices religieux, qui auraient pu favoriser ses inclinations et accroître sa dévotion. Aussi avec quelles précautions la pauvre enfant lisait et relisait le petit livre que lui avait donné sa bonne Maîtresse.

Lorsque ses frères et sa soeur transportaient avec elle le blé dans le grenier, Elisabeth avait la pieuse ruse de se réserver la tâche de vider seule tous les sacs ; forte et d'une adresse peu commune, sa besogne était faite dans un clin d'oeil ; alors, prenant dans sa poche la précieuse brochure qui ne la quittait jamais, elle en parcourait avidement quelques pages, puis au plus léger bruit qui annonçait le retour des porteurs, elle glissait adroitement le livre dans un sac, qu'elle semblait dénouer pour le débarrasser et le leur rendre au prochain voyage. C'était encore dans son Catéchisme que la chère petite cherchait à s'instruire et trouvait la nourriture dont son âme avait faim.

Que d'ingénieuses et innocentes industries, l'Esprit-Saint suggérait à cette enfant, pour se dispenser de prendre part aux plaisirs et aux divertissements, toujours si pleins d'écueils, pour la jeunesse sans expérience ; un Irait, choisi entre beaucoup d'autres, suffira pour vous montrer. Ma Révérende Mère, son courage et son énergie; un jour, que toute la famille était conviée à la fête d'un pays voisin, les instances qui lui furent faites devinrent, cette fois, plus pressantes que jamais, Père, Mère, Frères et Soeur, s'étaient concertés pour lui faire subir le plus rude assaut et la décider à les accompagner ; mais Dieu était sa force, elle ne céda pas ! Alors sa Mère, non moins surprise que fâchée de son refus, lui dit : qu'en punition de son opiniâtreté, elle la laissait seule chargée du ménage et du soin du nombreux bétail que renfermait la basse-cour ; le tout fut accepté avec joie et exécuté avec un succès inespéré. Lorsque le lendemain, la famille revint, chacun se plaignait de son accablement et de ses fatigues !... Vraiment, leur dit notre héroïne, avec son entrain ordinaire, vous ne m'en­couragez pas à vous suivre à vos fêtes une autre fois, puisque vous en revenez tellement épuisés, tandis que moi, après avoir travaillé hier sans relâche, je me trouve aujourd'hui peine de force et de vigueur. Les à-propos de ce genre ne lui manquaient jamais. Dans une autre circonstance, sa mère lui offrit une chaîne en or ; oh non ! dit-elle, il n'y a que les insensés et les animaux qu'on enchaîne, je préfère une montre. La montre lui fut donnée et devint son régulateur, en même temps que l'utile instrument de ses pieuses inventions.

 Ce n'était qu'avec peine que la pauvre enfant pouvait se rendre à l'église de la paroisse, le Dimanche, pour entendre la Sainte Messe, permission qui ne lui était accordée qu'à la condition que tout serait en ordre avant son départ. Pour atteindre sûrement ce but dans un temps trop limité, Elisabeth consultait sa montre toujours bien réglée, puis, pendant que tout le monde reposait, allait furtivement avancer l'horloge d'une heure; le matin, elle se mettait à son ouvrage, avec un calme qui étonnait ses Frères et les portait à lui dire, non sans malice : tu ne vas donc pas à la Messe aujourd'hui ? Il est l'heure, tu seras en retard. - J'ar­riverai toujours assez tôt, leur répondait-elle avec une sorte d'indifférence! Grâce à cette pieuse ruse que l'on ne découvrait pas, son travail terminé, elle se rendait à l'Eglise, entendait la Sainte Messe et revenait heureuse d'avoir pu accomplir le précepte divin. C'était tout ce qui lui était possible et permis, et pourtant son coeur avait soif du Dieu d'amour caché dans le Tabernacle.

Toujours plus vivement impressionnée de la nécessité de sauver son âme, elle prit la résolution de profiter des quelques moments libres qui lui étaient donnés le Samedi, après avoir vendu les produits des fermes au marché d'une ville voisine ; aussitôt qu'elle s'en trouvait débarrassée, elle se hâtait d'aller trouver le vénérable Curé dont elle était connue, se confessait et recevait la Sainte Communion, le plus souvent à deux heures de l'après-midi et retournait chez elle encore à jeun ; pour éviter de donner le moindre soupçon, l'héroïque jeune fille avait adroitement trompé la surveillance dont elle était l'objet, en donnant lieu de croire qu'elle avait déjeuné avant son départ. Sa forte santé et plus encore sa courageuse piété lui permettaient cette rigoureuse abstinence qu'elle renouvela plusieurs fois.

Vous le comprenez. Ma Révérende Mère, ce n'était qu'au prix des plus dures privations qu'Elisabeth restait fidèle à son Dieu, dont la voix se faisait toujours plus entendre à son coeur; pressée par la grâce, elle se détermina à quitter ses parents sans les prévenir, pour répondre à l'appel de Notre Seigneur en se consacrant toute à Lui.

Une vertueuse personne qui avait sa confiance et l'aidait de ses bons conseils, lui ayant donné quelques détails sur la vie et l'austérité du Carmel, elle s'écria aussitôt : « C'est bien ce qu'il me faut, c'est là que j'irai. » A partir de ce jour, son choix fut irrévocable.

Former un projet, le mettre à exécution, était la même chose pour cette âme ardente qui ne redoutait aucune difficulté, qu'aucun obstacle ne pouvait déconcerter. Ce fut dans ces conditions que, profitant du premier moment qu'elle crût favorable, pendant que les ombres de la nuit a protégeaient encore, elle quitta le toit paternel et se hasarda seule, à l'âge de dix-sept ans, sur le chemin qui devait la conduire à la Ville, où elle espérait trouver le saint asile, objet de ses désirs. Mais hélas ! au point du jour, on s'était aperçu de son absence. A peine la pauvre fugitive avait pu se croire en sûreté, qu'elle se sentit arrêtée par un bras vigoureux qui la fit retourner en arrière et rentrer promptement au foyer domestique. C'était l'aîné de ses frères qui s'était mis à sa poursuite et n'avait pas tardé à l'atteindre.

Ce premier échec ne changea rien au plan qu'avait conçu Elisabeth, aussi ne tarda-t-elle pas à tenter une nouvelle évasion nocturne ; cette fois, ses combinaisons étaient, du moins elle le croyait, plus précises et plus sûres ; elle était certaine de trouver un Carmel dans la ville où elle se rendait ; étant d'ailleurs plus éloignée de son pays natal, elle y serait en plus grande sécurité et à l'abri de toutes recherches. Lorsqu'on connut cette seconde fuite, l'émoi devint général ! Non seulement les Frères, mais le Père et la Mère se dirigèrent de tous côtés pour découvrir ses traces ! déjà l'intrépide jeune fille était arrivée au terme de son voyage, avait frappé à la porte du Carmel et déposé dans le coeur de la digne Prieure qui le gouver­nait, le désir véhément d'y être admise sans retard, en avouant, avec simplicité et franchise, par quels moyens elle était parvenue à s'éloigner de sa famille opposée à sa vocation. La Révérende Mère, après l'avoir écoutée avec intérêt et charité, jugea prudent de l'abriter à l'extérieur, dans le logement des Tourières, pour se donner le temps de réfléchir, de prier et connaître quelle réponse elle devait faire à l'humble suppliante qui se croyait enfin arrivée au comble de ses voeux. L'illusion ne fut pas de longue durée ! Dès le lendemain, la porte donnant sur la rue s'ouvre : au bruit de la sonnette fortement agitée, la tremblante Elisabeth reconnaît sa Mère et, saisie de frayeur, va se réfugier dans le fond d'un grenier d'où il lui fallut bientôt sortir pour la suivre et revenir une seconde fois auprès d'elle.

 Les difficultés se succédaient avec les déceptions sans ébranler la vocation de la jeune fille, sans affaiblir ses espérances ! mais elle devait passer encore dans un nouveau creuset avant de les voir couronnées ; une épreuve plus longue et plus douloureuse que celles qui avait précédé, lui était réservée. La fièvre typhoïde frappa en même temps sa Mère, un de ses Frères, âgé de quinze ans, et l'atteignit elle-même ; tous trois se trouvèrent en peu de jours aux portes du tombeau ; la pauvre Mère succomba avec son fils ; Elisabeth, âgée alors de dix-huit ans, survécut seule et n'apprit la double perte qu'elle avait faite qu'au début d'une pénible convalescence qui, la tenant pendant trois ou quatre ans dans un tel état de faiblesse et d'épuisement, lui ôtait toute possibilité de songer désormais à la vie du cloître.

 Resté veuf avec quatre enfants et chargé de deux fermes, le Père, désolé, se trouva dans le plus grand embarras et ne crut pouvoir mieux faire que de mettre à la tète de l'une d'elles son Elisabeth, dont l'intelligence et le dévouement lui inspiraient une entière confiance. Il ne se trompa point : la fermière improvisée remplit sa tâche à la satisfaction de tous les siens qui s'applaudissaient de la conserver près d'eux.

Au milieu de ses occupations laborieuses, la jeune personne ne perdait pas de vue sa vocation ; l'appel de Dieu devenait plus pressant et sa santé meilleure lui avait rendu, avec ses forces, la confiance de pouvoir être admise ou Carmel ; elle renouvela ses instances à son digne père, homme doux, bon et pacifique, qui, vaincu par ses persévérantes sollicitations, lui donna enfin le consentement désiré et attendu depuis si longtemps ! à peine l'eût-elle obtenu qu'elle vint se présenter à Notre regrettée Mère Constance, alors en charge, qui reconnut dans la prétendante une vocation réelle, un caractère franc, avec les indices d'une piété d'autant plus solide, que Notre Seigneur lui-même en avait mis le germe dans son coeur et l'y avait fait croître ; elle fut admise sans hésitation pour Religieuse de choeur.

Nous ne vous dirons pas. Ma Révérende Mère, le bonheur de notre future postulante. Dieu seul l'a connu dans sa réalité, aussi se hâta-t-elle de faire ses derniers adieux à son Vénérable Père, à ses Frères el à sa Soeur, et revint pleine de joie, franchir enfin le seuil du cloître béni qu'elle avait tant souhaité ! Elle entra avec la même volonté forte qu'elle avait montrée dans le monde. Adroite et courageuse, comme nous vous l'avons dit plus haut, aucun obstacle n'entravait son dévouement à l'épreuve et sa ferveur dans l'accomplissement des devoirs de notre sainte vocation. Ce fut dans ces dispositions que Notre bonne Soeur Anastase commença, poursuivit son postulat, et reçut le saint habit au temps ordinaire. Son bon père, son frère aîné et sa soeur lui donnèrent la consolation de les voir à la cérémonie, et la quittèrent cette fois satisfaits.

Revêtue des saintes livrées de la Reine du Ciel, l'heureuse Novice redoubla d'ardeur pour obtenir par une grande fidélité à cette première grâce, la consommation de son sacrifice.

L'expérience et la prudence éclairée de Notre Vénérée Mère Constance, lu avaient rendu en quelque sorte, la conduite des Novices une longue et sainte habitude, qui lui permettait rarement de se tromper dans le jugement qu'elle avait à porter, sur les sujets confiés à sa sollicitude maternelle ; elle observait soigneusement sa novice, voyait avec satisfaction ses constants efforts et son courage à surmonter et réduire son active nature.

Toutefois, après de mûres observations pendant l'année du noviciat qui touchait à sa fin. Notre digne Mère demeura-t-elle convaincue, qu'il fallait au tempérament de notre chère Soeur Anastase, beaucoup d'exercice, le grand air, avec des occupations moins sédentaires que celles des Soeurs du Choeur. Après avoir communiqué ses appréciations, qui furent goûtées et reconnues justes. Notre bonne Mère sonda sa chère novice en lui proposant de se mettre au rang de nos bonnes Soeurs du voile blanc, qu'elle jugeait plus convenable à sa vigoureuse constitution et plus en harmonie avec ses aptitudes. Surprise mais résignée, elle accepta l'offre qui lui était faite, et consentit à recommencer une seconde année de Noviciat pour se former aux devoirs de sa nouvelle position. Notre vaste enclos, et la basse-cour la remettaient dans son centre d'autrefois ; sans manquer à ses devoirs religieux, qu'elle tenait à accomplir exactement, son zèle et son dévouement pour sa famille religieuse, prirent un nouvel essor et lui méritèrent, après cette épreuve portée vaillamment, l'insigne faveur d'être reçue à la Sainte Profession au temps voulu, à la satisfaction générale. Alors plus que jamais, le travail le plus laborieux devint pour notre généreuse Soeur un jeu dans ses mains, le plus pesant fardeau une légère bagatelle ; un trait qui date à peine d'une année, justifiera ce que nous avançons.

Une de nos Mères lui dit un jour : Mu bonne Soeur Anastase, il y a dans tel endroit un sac de 45 à 50 kilos qu'il faut peser ; prenez une brouette pour le transporter et le ramener près du tour, après vous êtes bien assurée de son poids ; oui, ma Mère, répond-elle et amène la brouette sur laquelle le sac est placé ; l'active commissionnaire se met en marche, et arrive bientôt à un corridor trop étroit pour son véhicule improvisé : que faire ? Elle s'arrête, réfléchit un instant... la question est promptement résolue; notre chère Soeur avec une habileté, un calme, et un sang-froid peu ordinaires, met le sac sur son épaule, prend la brouette d'une main et traverse allègrement le passage difficile qui eût entravé tout autre. Il en était ainsi dans chaque occasion où de pénibles travaux appelaient le concours de notre bien-aimée Soeur, dont le non vouloir porté jusqu'à l'oubli et l'immolation d'elle-même, ne voyait d'autres bornes que celles de sa charité, qui n'en connaissait aucune. Elle traitait son corps comme un ennemi dangereux, le maltait rudement par un labeur que la discrétion ne réglait pas toujours et qui demandait souvent la maternelle sollicitude de ses Mères Prieures, pour modérer son ardeur et lui donner du repos. Elle voulait gagner le Ciel à tout prix ! se faire violence pour y arriver, lui rendait, croyait-elle, tout possible.

Nous pensons devoir vous dire ici. Ma Révérende Mère, qu'à ce point de vue, notre bonne Soeur Anastase, porta plus d'une fois jusqu'à l'excès, son zèle qui mettait tout à la mesure de sa nature énergique et robuste, qui ne la tenait pas toujours dans les bornes de la dépendance et de l'assujettissement religieux ; ses désirs ardents, lui persuadaient que, dans un moment de presse, elle pouvait devancer l'heure de son lever ou retarder ce le de son coucher, avec intention d'en rendre compte après, à qui de droit.

La sainte pauvreté fut la vertu de prédilection de notre regrettée Soeur ; les vêtements les plus usés étaient ceux de son choix ; les morceaux mis de côté avaient sa préférence, tout lui était bon ; nous la voyions avec édification et attendrissement, venir après les compiles, munie de sa balle à ouvrage remplie de vieux débris d'étoffe, qu'elle savait employer avec une adresse et un succès qui excitaient souvent notre hilarité et provoquaient nos joyeuses plaisan­teries à la récréation du lendemain ; elle riait avec nous en nous montrant gracieusement l'heureux résultat de son travail.

La dévotion de notre fervente Soeur au saint Rosaire était remarquable, elle le récitait souvent, même pendant son travail et après les fatigues d'une journée laborieuse ; elle ne manquait pas de lire chaque soir le sujet d'oraison qu'elle devait méditer le lendemain.

Nous serions beaucoup trop longue, Ma Révérende Mère, si nous vous décrivions en détail les vertus que nous avons vu pratiquer à notre chère défunte ! Dieu seul sait au prix de quels sacrifices et de quelles violences, elle lui a été fidèle !

Depuis longtemps déjà, nous nous apercevions d'une certaine altération dans les traits de notre bonne Soeur Anaslase, malgré ses efforts pour nous dissimuler sa faiblesse. Mais au commencement d'octobre dernier, vaincue par le mil, elle vint nous trouver en nous disant : Ma Mère, je n'en peux plus... ce fût pour nous toute une révélation, nous comprimes la gravité de son étal par cet aveu et la fîmes mettre à l'infirmerie, mesure qu'elle accepta bien qu'à regret avec soumission. Ici, Ma Révérende Mère, commence pour notre bien-aimée Soeur, une carrière d'abnégation et de souffrances que nous sommes incapable de vous dépeindre. Pendant quelques jours la pauvre malade put encore se lever et le quinze du même mois trouva dans son énergie et son coeur, assez de courage pour composer d'affectueux couplets à deux de nos vénérées Soeurs dont nous fêtions le cinquantin ; c'était la dernière production de son âme aimante, où se peignaient les sentiments et l'affection dont tant de fois elle nous avait donne des marques touchantes; le surlendemain, son état devint assez alarmant et le dix-neuf on jugea qu'il était prudent de la faire administrer ; mais Dieu réservait à son humble servante un nouveau creuset, daris lequel celle âme vigoureuse devait être lentement purifiée et rendue plus digne encore des récompenses immortelles qui lui étaient destinées.

Le docteur appelé au début, ne savait d'abord que penser de l'affaiblissement dans lequel il trouvait la malade, et déclara à plusieurs reprises, après des visites réitérées, qu'il ne voyait aucun médicament pour conjurer les progrès du mal dont il ne prévoyait pas la durée qui pouvait être longue. Nos prières pour notre bien-aimée Soeur se multipliaient toujours plus pressantes, tandis que la maladie suivait son cours, en étant à la pauvre patiente l'usage de tous ses membres, au joint de la mettre dans l'impossibilité de se rendre le plus léger service ! L'épreuve était grande pour cette nature forte et active, mais nous eûmes la douce consolation de voir notre bien chère Soeur, accepter, calme, et résignée, ce calvaire si nouveau pour elle et embrasser la Croix avec amour en répétant après Notre Divin Sauveur ; mon Dieu, que votre sainte volonté soit faite! ! Sa langue embarrassée, n'articulait qu'avec peine des paroles que son infirmière, à peu prés seule, pouvait comprendre ou deviner; si la soumission de la malade fut aussi admirable qu'édifiante, la persévérante charité de celle qui la soignait fut sans borne ; pendant plus de six mois que durèrent les indicibles souffrances de notre pieuse défunte, elle ne la quitta ni jour ni nuit, c'était elle quelle réclamait toujours ; un cri de douleur s'échappait de sa poitrine oppressée, aussitôt qu'elle la voyait s'éloigner tant soit peu ; la nuit même, la mémoire lui faisant défaut, notre bonne Soeur Anastase appelait sa dévouée infirmière lorsqu'à peine elle s'était posée sur son lit toute habillée pour prendre un moment de repos ; nous tenons pour une grâce particulière qu'elle ail pu soutenir une telle fatigue pendant si longtemps.

Notre pieux et digne Aumônier dont le paternel dévouement et la charité pour notre Communauté sont sans mesure, entra aussi souvent que le permettent nos constitutions, pour donner à notre bien-aimée Soeur, les secours de son saint ministère et toujours la quittait, touchée de ses édifiantes dispositions. En effet, sa patience fut héroïque ! pas une plainte ne s'échappa de ses lèvres dans ses plus cruelles douleurs ! Il fallait prier près d'elle ou lui lire un chapitre de l'Imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ, dont elle ne se disait jamais fatiguée.

La victime s'affaiblissait toujours plus; les crises d'étouffement devenues plus fréquentes, présageaient une fin prochaine ; deux fois déjà les prières de l'agonie lui avaient été réitérées, ainsi que la grâce des sacrements. Le jeudi 17, après une nuit des plus pénibles, elle s'endor­mait dans le Seigneur, pour aller recevoir au ciel, nous en avons la confiance, la couronne promise à ceux qui auront vaillamment soutenu les bons combats et remporté la palme d'une glorieuse victoire.

Mais comme il faut être si pur pour paraître devant Dieu, nous vous prions. Ma Révérende Mère, de vouloir bien appliquer à notre bien chère Soeur Anastase de Jésus, les suffrages de notre saint Ordre, par grâce une journée de bonnes oeuvres, une Communion de votre fervente Communauté, le Chemin de la Croix et ce que votre charité voudra bien y ajouter.

C'est au pied de la Croix et en union de vos saintes prières, que nous vous prions d'agréer le religieux respect avec lequel nous avons la grâce de nous dire.

Ma Révérende Mère,

 

Votre très humble Soeur et Servante, SOEUR MARIE-CONSTANCE DE L'ENFANT JÉSUS.

R.C.I.

De Notre Monastère de Notre-Dame de Pitié des Carmélites de Troyes, le 17 avril 1890.

P. S. — Ma Révérende Mère, nous recommandons à vos ferventes prières et à celles de votre Communauté, l'âme de Monsieur l'Abbé Paul Socquard, Chanoine honoraire de.notre diocèse et Supérieur de notre Carmel. Son religieux et paternel dévouement, lui ont acquis des droits à un reconnaissant souvenir.

 

Imp. Brunard, rue Urbain IV, 85. — Troyes

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