Carmel

15 juin 1895 – Angers

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur, qui dans l'octave du jour où il a tracé aux siens la voie lumineuse qui doit les conduire au Ciel, a rappelé à lui, pour la faire jouir de la béatitude céleste, nous en avons la douce confiance, notre chère Soeur Marie-Thérèse de Jésus, religieuse de choeur et professe de notre Communauté, dans la 51e année de son âge et la 23e de sa vie religieuse.

Elle appartenait à une très honorable famille de Chartres ; son excellente mère éleva ses enfants dans les sentiments de la foi la plus chrétienne et leur inculqua surtout une tendre dévotion envers cette Mère de Dieu, que nos aïeux les Gaulois, quoique encore idolâtres, honoraient au pays chartrain, bien avant sa naissance, sous le titre de la Vierge qui doit enfanter. La petite Thérèse, c'était le nom qu'elle avait reçu sur les fonts baptismaux et qu'elle conserva en religion, avait besoin, et du secours de Marie, à laquelle elle garda toute sa vie une si tendre dévotion, et de la grande affection qu'elle portait à sa mère de la terre, pour vaincre les premières saillies d'une nature altière et d'une volonté qui s'imposait déjà à l'excès. Notre chère Soeur nous dira elle-même un jour, que sa bonne mère, inquiète de voir sa petite Thérèse si volontaire, allait quelquefois la recommander aux prières des Carmélites. Elle était loin alors de se douter que son enfant voudrait, de son propre choix, s'assujettir à la règle austère du Carmel.

Dieu, qui se plaît parfois à rapprocher les contraires, avait donné à sa soeur aînée, âgée seulement de quelques années de plus qu'elle, un caractère doux, conciliant, que la cadette dut plus d'une fois sans doute, exploiter à son profit. Si plus tard celle-ci appréciera les vertus d'une soeur qui devait, comme elle, devenir l'Épouse de Jésus-Christ, elle donnait, étant jeune, toutes ses préférences à un frère dont elle aimait à partager les jeux bruyants, nous disait-elle. Le frère et les soeurs vivaient heureux sous le regard de leurs bons parents, lorsque par un de ces coups du Ciel, aussi adorables qu'insondables, leur tendre mère mourut, les laissant tous les trois orphelins, à un âge où ils auraient eu, ce semble, plus que jamais, besoin de sa vigilance et de ses soins. On vit bien, cependant, qu'élevés à l'ombre du sanctuaire vénéré de Marie, consacrés à elle dès les premiers jours de leur enfance, la Mère de Dieu et des hommes devait adopter pour siens ces chers enfants et les couvrir de sa maternelle pro­tection. Cette pensée réjouissait notre chère Soeur Marie-Thérèse, et elle ressentait une conso­lation particulière en songeant aux sentiments si chrétiens de son digne frère, qui a trouvé le bonheur dans une alliance digne de lui, et se plait avec sa vertueuse épouse à faire régner Dieu au sein de sa nombreuse famille, si visiblement bénie de Dieu.

Thérèse qui n'avait que douze ans à l'époque de ce grand deuil, en conçut un tel chagrin, malgré qu'elle ne mesurât pas toute l'étendue de la perte qu'elle venait de faire, qu'on crai­gnit sérieusement pour sa santé. Son bon père, alarmé, chercha à lui procurer quelques dis­tractions ; mais le souvenir de cette mort resta comme une pointe acérée au coeur impres­sionnable de l'enfant, elle n'en perdit jamais la mémoire, et déjà âgée, elle ne parlait qu'avec respect et attendrissement de cette mère bien-aimée. Au lieu de la laisser achever son éduca­tion dans l'un des excellents pensionnats de sa ville natale, son père songea à l'envoyer chez les Dames des Sacrés-Coeurs, de Picpus, à Laval, où, conjointement avec l'instruction, elle devait recevoir les soins particuliers que réclamait alors son tempérament. La charité de ses dignes maîtresses, leur dévouement de tous les instants, l'exemple de leurs vertus surtout, s'imposa heureusement à l'âme de la jeune fille ; elle garda toujours un profond sentiment de gratitude envers elles et aimait à se reporter aux jours heureux où elle avait habité cette maison bénie. Ses études terminées, elle rentra au foyer paternel ; elle y retrouva sa soeur qui partageait ses journées entre les soins affectueux prodigués à son digne père, et toutes sortes de bonnes oeuvres. Amour de Dieu et des âmes, zèle persévérant, calme habituel que rien ne déconcertait, tout se réunissait en cette âme d'élite pour opérer le bien avec fruit autour d'elle. La soeur cadette ne fit que regarder l'étoile placée par Dieu à ses côtés et entra résolument dans la voie qu'elle lui traçait. Libres de leurs personnes autant que de leur temps, les deux jeunes filles, dont le caractère et les allures différaient sur bien des points, se rencontrèrent sur le terrain de la piété et de la charité. Prodigue de ses soins autant que de sa bourse, auprès des pauvres et des malades, Thérèse fit en ces rencontres des actes que l'on peut appeler héroïques, tant ils répugnent à la délicatesse de la nature. Ne ressentant aucun attrait pour les plaisirs du monde, et ignorant encore les desseins de Dieu sur son âme, elle entra dans le Tiers Ordre de Marie. C'était dans le fait un premier appel, le prélude de la faveur encore plus grande que la Mère de Dieu devait faire un jour à son enfant, en permettant qu'on lui donnât entrée dans son Ordre privilégié.

Satisfaite de la liberté qu'elle possédait pour ses exercices charitables, alimentant sa piété par une communion très fréquente, qui faisait ses délices, elle ne songeait à rien autre chose, et si l'idée du cloître se fût présentée à son esprit, elle l'eût probablement rejetée comme incompatible avec le dévouement filial qu'elle devait à son respectable père. Mais Dieu, dans le jeu mystérieux de sa divine Providence, coordonne souvent le fait de toucher une seule âme avec celui d'atteindre tout un monde.

C'était l'heure où la France humiliée voyait l'ennemi s'avancer dans son sein ; un cercle de fer et de feu entourait Chartres et menaçait d'en rendre le séjour dangereux. Thérèse dut s'éloigner du théâtre de la guerre et venir en notre ville où des membres de sa famille la reçurent chez eux. En se séparant de son père, elle ne se doutait pas qu'il allait bientôt lui être enlevé et qu'elle n'aurait pas la consolation de lui fermer les yeux. Elle pensa souvent, depuis, que les inquiétudes causées par l'ignorance du sort de son fils unique engagé dans l'armée, jointe à la douleur que lui causaient les malheurs de la Patrie, avaient brisé cette existence si chère, en atteignant trop violemment son coeur.

Pendant son séjour à Angers, la jeune fille se mit sous la direction d'un Père Jésuite qu'elle devait revoir à différents intervalles de sa vie religieuse, et dont elle reçut encore les derniers conseils quelques semaines avant sa précieuse mort, arrivée l'année dernière. Ce vénéré Père, après l'avoir entendue quelque temps, décida que sa place était au Carmel ; mais plusieurs années s'écoulèrent sans qu'elle réalisât son pieux dessein.

La position de son frère l'avait conduit dans une ville des Basses-Pyrénées ; elle se rendit à l'invitation de sa nouvelle famille, et, avec sa soeur, alla passer quelque temps sous le ciel du Midi, au milieu de la belle nature de ces contrées, si différentes d'aspect avec celle qui l'avait vue naître. Thérèse, que les plaisirs du monde laissaient insensible, fut saisie par la grandeur du spectacle qui s'offrait à sa vue. Le souvenir des merveilles du Créateur, qu'elle avait contemplées en ces lieux, lui faisait chanter encore, avec enthousiasme, après vingt ans écoulés : « Œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur. » A l'exemple de la grande Réforma­trice du Carmel et de tant d'autres saints, elle découvrait Dieu dans l'ouvrage de ses mains : Le brin de mousse qui croît si beau dans ces parages, la fleur naturelle du vallon, que l'homme n'a point touchée, ne la ravissaient pas moins que le panorama grandiose qui se déroulait sous ses yeux. En l'entendant, à la récréation, nous dire ses impressions de voyage, nous comprenions la grandeur de l'holocauste offert au Seigneur, quand elle résolut de cacher sa vie derrière les murailles d'une sévère clôture. Aussi, lorsque quelquefois des jets trop humains de cette forte nature, venaient attrister celles qui étaient chargées de la conduire • dans le sentier de la Règle, en jetant une ombre sur sa piété, on se souvenait de l'immolation intime qu'elle avait dû faire pour l'embrasser.

Son désir croissant d'explorer ravins et montagnes, ne lui faisait cependant pas négliger les devoirs de son amour envers Dieu. Devait-on partir de grand matin pour l'ascension, du Pic du Midi ou quelque excursion lointaine ? elle n'y consentait qu'après avoir reçu l'Hôte divin du Tabernacle, qui déposait en son coeur le germe du sacrifice, pour le faire bientôt éclore au souffle embrasé de sa grâce. Naturellement, pendant ce séjour dans le Midi, elle devait se sentir attirée près de cette humble grotte où la Vierge Immaculée a daigné se manifester. Elle y vint et se fit la petite servante des clients de Marie, qui, de plus en plus, attirait à elle tous les coeurs chrétiens, par les miracles et les grâces qu'elle leur dispensait à profusion.

Cependant, Thérèse allait atteindre sa vingt-huitième année. Les distractions si goûtées qui lui étaient offertes et pouvaient se prolonger encore, la séduisaient ; mais à cette voix qu'elle avait cru entendre... devait-elle négliger de répondre?... On lui disait bien, d'un côté, que l'indé­pendance de sa nature s'accommoderait mal du joug d'une règle ; mais, d'un autre, sa pieuse soeur ne voyait pas sans une inquiétude qu'elle essayait de faire partager, que Dieu est le maître, qu'il veut être obéi, et elle ajoutait, sous forme d'encouragement, que le Seigneur est avec celui qui combat fidèlement, pour lui faire remporter la victoire. Thérèse se rendit. Songeant à la décision que son Père spirituel lui avait donnée, elle revint au lieu où elle avait été prise et se présenta à notre Carmel. Reçue par la Mère Prieure alors en charge, elle montra pendant son postulat et noviciat, toute la ferveur d'une âme généreuse, capable des plus grands sacrifices. Étudiant avec soin nos Règles et nos saints Usages, elle faisait penser à toutes qu'elle les garderait jusqu'à un iota. Un jour, elle en donna une preuve à son Direc­teur lui-même, qui était venu la voir au parloir. Celui-ci lui dit à la fin de l'entretien qu'il allait lui passer par la grille une petite gravure, Notre chère Soeur lui objecta respectueuse­ment qu'il ne nous était pas permis de porter la main à la grille pour y recevoir quelque chose. Le bon Père comprit. Saisissant avec son coup d'oeil exercé le profit qu'il pourrait retirer de ce petit incident, pour sa fille spirituelle, il lui dit : « C'est bien peu de chose ; si votre Mère Prieure était là, elle vous en donnerait facilement la permission. » Poussant la pointe encore plus loin, il trouvait d'autres raisons, mais il échoua devant l'invincible fer­meté de la novice, qui lui dit enfin qu'elle ne pouvait interpréter ainsi la pensée de l'autorité, et qu'elle préférerait de beaucoup être privée d'un souvenir, cher à ses yeux pourtant, plutôt que d'enfreindre un point de régularité. Alors, le vénérable religieux très satisfait de l'épreuve, lui dit : «Ma fille, je sors plus édifié de l'acte que vous venez de faire, que si j'avais entendu le meilleur sermon. »

Après sa profession, notre chère Soeur qui jusque là avait eu une parfaite santé, commença à ressentir les premières atteintes d'une maladie d'estomac, qui, traitée pourtant dès le début, ne devait jamais guérir complètement et devait finalement la conduire au tombeau. Elle montra alors son grand amour pour l'observance régulière, ne laissant pas, en ces commen­cements, de suivre la Communauté autant qu'elle le pouvait, assistant à l'office de Matines, où elle endurait des douleurs exceptionnellement pénibles, Contrainte parla disposition de son estomac, de suivre un régime qui, croyait-elle, était le seul qui pût lui convenir et qui, pour • toute autre, eût engendré très vite la satiété et le dégoût, elle le garda près de vingt ans sans y trouver cependant aucun allégement à son mal. Parfois, au contraire, les crises augmentant, mettaient la patience de notre pauvre Soeur à une rude épreuve, car, nous disait-elle alors : «Je ne suis pas un quart d'heure sans souffrir. » Les nuits souvent passées sans sommeil, voyaient redoubler, plus intenses, les souffrances du jour, aussi pour en abréger la longueur, se levait-elle, hiver comme été, dès trois heures du matin ; elle s'en allait devant le Saint- Sacrement, objet de son culte le plus fervent, et, répandant son âme devant son Dieu, elle lui demandait force et courage pour le jour qui allait suivre. Elle passait ainsi plusieurs heures au choeur, avant l'arrivée de la Communauté, n'ayant garde d'oublier les âmes du Purgatoire, pour lesquelles elle faisait chaque jour l'exercice du Chemin de la Croix. Notre-Seigneur, seul, a pu connaître l'étendue des efforts qu'il lui fallait faire, en ces dernières années, pour attendre l'heure de la première messe, à laquelle elle communiait. Ne pouvant rien prendre depuis la veille au soir trois heures, sans s'exposer à des cauchemars affreux la nuit, elle tombait de faiblesse le matin, sans vouloir céder à l'impérieux besoin de prendre quelque nourriture, dans la crainte de perdre une de ses communions. Les joies de "sa jeunesse fai­saient ainsi la consolation de son âge mûr, et la réception de l'Eucharistie lui donnait la force de supporter son pénible état. Des lectures très fréquentes lui étaient aussi d'un grand secours : i l'ouvrage de Dom Guéranger, sur la liturgie, si goûté parmi nous, la mettant chaque jour en rapport avec l'esprit de l'Église, l'éclairait sur le concours efficace que chacun des membres de cette grande famille de Dieu, si petit soit-il, peut apporter à tout l'ensemble; les récits émouvants des Apôtres de la foi dans les contrées lointaines, lui servaient d'aiguillon à pour suivre sa voie de sacrifice et d'immolation ; enfin les écrits de nos saints Fondateurs, qu'elle étudiait souvent, lui apprenaient combien une Carmélite doit être une âme livrée à Dieu et au salut de ses frères.

La maladie lui laissant quelque peu de répit, on la mit quelque temps portière ; mais Notre-Seigneur voulant mortifier l'ardeur, louable d'ailleurs, qu'elle mettait à remplir cet office, permit qu'elle fût atteinte de douleurs très vives dans les jambes. Pendant plusieurs années elle ne put mettre lé pied par terre, il fallait la porter dans un fauteuil à bras, au choeur, à la salle de récréation et même au jardin, dans les beaux jours, afin de lui faire respirer le grand air dont ses poumons avaient tant besoin. Ne pouvant faire de grands travaux, notre chère Soeur sut cependant toujours bien utiliser son temps. Elle s'employait à la confection de petits sachets du Saint Nom de Jésus et à celle des scapulaires de notre Ordre, qu'elle était heureuse d'offrir à ses Mères Prieures, aux jours de leurs fêtes, les sachant destinés aux Missionnaires qu'elle eût tant voulu aider plus efficacement.

Cependant, depuis plus d'un an, nous nous apercevions que notre chère Soeur Marie- Thérèse ne se nourrissait plus autant, les souffrances devenaient intolérables, les remèdes employés jusque-là semblaient avoir perdu toute efficacité j Notre bon et si dévoué docteur, qui met constamment sa science au service de son coeur, pour notre cher Carmel, essaya un changement complet d'alimentation, qui eût réussi s'il n'eût été trop tard. Au mois de février elle eut une crise si aiguë qu'elle nous demanda avec instance de lui faire recevoir l'Extrême- Onction, se croyant près de mourir. Nous acquiesçâmes à son désir, et Monsieur notre Aumônier qui l'avait confessée la veille, lui donna encore l'indulgence de notre Ordre. Les effets de ces grâces ne devaient lui être appliqués que trois mois après. Notre vénéré Père ' Supérieur entra la voir, et après lui avoir donné sa bénédiction et ses paternels encourage­ments, se retira, nous disant que nous pourrions la conserver encore longtemps. Il ne se trompait pas.

Notre chère malade se remit petit à petit, et pendant quelques semaines un léger mieux se fit sentir ; mais des symptômes alarmants se succédant, ne nous laissaient déjà plus guère d'espoir de la rétablir, quand une bronchite survint, qui la fit beaucoup souffrir. Une toux violente déchirait jour et nuit sa poitrine, augmentait ses maux d'estomac et, pro­voquant des vomissements, achevait de briser sa frêle enveloppe. L'épuisement complet des organes ne pouvant plus s'assimiler aucune nourriture, amena une enflure considérable qui, se portant aux jambes d'abord, envahit bientôt jusqu'à la ceinture. Notre pauvre malade souffrait un vrai martyre, dans tout son corps, dont la moitié était réduit à l'état de squelette ; mais sa force de caractère et plus encore la pensée qu'elle était la victime du Seigneur, lui donnaient la patience nécessaire pour souffrir tous ces maux. Pas une plainte ne s'échappa de ses lèvres en ces derniers jours, elle s'unissait à son divin Époux crucifié et ne soupirait, nous disait-elle, qu'après le bonheur d'aller le contempler pendant l'éternité. Comme elle ne pouvait garder la plus légère nourriture, nous craignions de la voir mourir sans recevoir le Viatique du voyage, mais Dieu voulant récompenser les efforts de notre chère Soeur, pendant sa vie, pour ne pas perdre une seule communion, permit que les vomissements cessassent.

Notre-Seigneur vint dans son coeur le jour de l'Ascension et encore le dimanche suivant. Ici, M. l'Aumônier, que sa sollicitude pour cette chère âme tenait toujours en éveil, lui avait renouvelé la veille la grâce de la sainte absolution et récité avec la Communauté réunie, au pied de son lit, les prières de la recommandation de l'âme. Nous revînmes plusieurs fois ce jour et les suivants prier le bon Dieu d'alléger les souffrances de notre chère Soeur, qui nous paraissaient très grandes. Elle parlait peu, mais gardait toute sa connaissance. Ses dévouées infirmières qui, depuis quatre mois, lui prodiguaient à chaque instant leurs soins, essayaient encore, en la changeant fréquemment de position, de lui procurer un peu de soulagement. La Soeur qui la veilla dans la nuit du mardi au mercredi, fut effrayée de son calme ; elle ne manifestait plus aucun désir, nous-mêmes remarquâmes ce changement le matin de bonne heure, quand nous y allâmes. Sa respiration s'accéléra dans la matinée, nous ne la quittions plus, et récitions avec quelques-unes de nos Soeurs, les prières du Manuel, quand nous vîmes que l'heure du dénouement n'était plus éloignée. Cette âme qui avait tant aimé Marie, devait recevoir à ses derniers instants, ici-bas, le gage que sa maternelle protection l'avait conduite du berceau à la tombe. Il était midi, les premiers tintements du Regina sonnaient juste au moment où notre chère Soeur Marie-Thérèse rendait son âme à Dieu, dans cet avant-dernier jour du mois consacré à honorer la Reine des anges et des hommes.

Si la vie de prière et d'immolation est d'un grand prix aux yeux du Seigneur, nous espé­rons que celle de notre chère Soeur, toute passée sous le pressoir de l'infirmité et du cortège de douleurs que celle-ci entraîne après elle, lui aura obtenu un accueil favorable de Celui qui, seul, s'est réservé le jugement. Rachetant les quelques défectuosités de son caractère par une grande générosité envers Dieu, Te zèle de sa gloire et l'amour des âmes, elle nous donne en partant la consolation de penser que le divin Moissonneur, après l'avoir purifiée, aura recueilli dans le champ de son âme, pour l'en récompenser à jamais, une ample moisson de mérites.

S'il lui restait cependant quelques-unes de ces pailles qui doivent absolument passer parle feu, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui en obtenir la prompte délivrance, en lui faisant rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre, par grâce une communion de votre fervente Communauté et l'indulgence du Via Crucis, elle vous en sera très reconnais­sante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire en l'Esprit d'amour et de vérité,

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre bien humble Soeur et Servante,

SŒUR MARIE-CLAIRE, Prieure,

R. C. Ind.

De notre Monastère de l'Incarnation, sous la protection de la Sainte Famille, des Carmélites d'Angers,

Le 15 juin 1895.

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