Carmel

15 Juillet 1893 – Tours

Ma Révérende et très Honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur !

 

Il y a deux mois à peine, vous faisant part de la terrible épreuve qu'il avait plu au bon Maître de nous envoyer, nous vous demandions les suffrages de notre saint ordre pour les deux chères victimes ravies à notre religieuse affection. Déjà nous vous avons dit un mot de la vie si édifiante et de la sainte mort de notre regrettée soeur Marie de Saint-Gabriel. Per­mettez-nous, ma Révérende Mère, de vous entretenir aujourd'hui de notre bonne soeur Marthe de Saint-Elie, doyenne de nos soeurs du voile blanc. Elle était dans sa soixante- seizième année et avait près de cinquante-trois ans de vie religieuse.

Notre chère soeur naquit aux environs de Tours d'une honnête et chrétienne famille de fermiers. Dès l'enfance, elle puisa dans les leçons et les exemples de sa pieuse mère cette foi robuste et cet amour du devoir qui la caractérisèrent toute sa vie, et mirent sa jeunesse à l'abri des dangers auxquels une nature ardente et un caractère vif et entreprenant auraient pu l'exposer. Elle grandit dans le travail, aidant ses parents à gagner le pain de chaque jour, mais plus portée encore à jouer avec les enfants de son âge qu'elle aimait à défier en toute rencontre et surtout à la course, lorsque, montée fièrement sur son âne, elle pressait son allure pour venir à la ville. Son instruction se borna à quelques leçons de lecture et à l'étude sérieuse du catéchisme qui la prépara à une bonne et fervente première communion. Mais la grâce de la vocation ne lui fut manifestée qu'à l'âge de vingt ans par un religieux Lazariste appelé, avec un de ses confrères, à donner une mission dans sa paroisse. La jeune fille n'avait jamais entendu d'autres sermons que ceux de son curé, prêtre très âgé, qui ne pou­vait pas toujours suffire aux labeurs du saint ministère. Le développement des vérités de notre sainte religion l'impressionna si vivement qu'elle résolut de faire une confession géné­rale au supérieur de la mission. Celui-ci, frappé de la droiture de cette âme, la questionna sur ses projets d'avenir et crut voir dans sa franchise et sa générosité un appel de la grâce à une vie plus parfaite. — « Voulez-vous être religieuse, mon enfant » ? lui demanda-t-il. Religieuse...? Jeanne n'en savait vraiment rien. — A son tour, elle interroge, se renseigne. Mais à toutes les propositions de son confesseur pour tel ou tel ordre actif ou enseignant elle donnait une réponse négative. Le saint prêtre nomma enfin le Carmel, lui faisant de notre genre de vie une peinture peu engageante. — « Eh bien, dit-elle résolument, c'est ce qu'il me faut ! Oui, je veux être Carmélite. »

Avant de quitter la paroisse, le pieux Lazariste engagea sa nouvelle pénitente à venir le trouver et notre chère soeur, très désireuse de mener à bonne fin la grave affaire de sa vocation, se promit bien de répondre à une invitation si bienveillante. Un jour que ses parents l'avaient chargée d'aller vendre à la ville les produits de la ferme, elle voulut réali­ser son projet; mais bientôt son embarras fut grand... Où habite le père de son âme et com­ment trouver sa demeure ?... Dans sa simplicité, elle s'adresse à tous les passants et demande si l'on ne connaît pas deux religieux qui prêchent des missions. Les Lazaristes, installés à Tours depuis peu, étaient à peine connus, de sorte que les recherches de la pau­vre enfant furent longtemps inutiles. Enfin la Providence, qui n'abandonne jamais ceux qui implorent son secours, la conduisit comme par hasard à la chapelle tant désirée. Le bon Père lui fit un excellent accueil et, après un examen sérieux, l'engagea à frapper à la porte du Carmel. Il lui fallut profiter d'une nouvelle occasion. Le divin Maître la fit promptement surgir et notre aspirante, laissant son âne au coin d'une rue sous la garde de son bon ange, vint se présenter à notre vénérée Mère Marie de l'Incarnation qui la reçut froidement et lui dit qu'il n'y avait pas de place. — « Eh bien! j'attendrai », dit-elle, et elle revenait de temps en temps à la charge, sans se rebuter d'être presque toujours éconduite. Au bout de dix-huit mois pourtant, sa persévérance toucha le coeur de nos Mères qui lui ouvrirent enfin les por­tes de l'Arche sainte le 9 juillet 1840, et lui donnèrent pour patronne la sainte hôtesse du Sauveur.

Notre chère soeur Marthe, il faut bien le dire, n'avait aucune idée des pratiques de la vie religieuse ; tout lui semblait extraordinaire et s'harmonisait fort peu d'ailleurs avec ses allures rustiques et par trop indépendantes. Son caractère très prononcé, son franc parler qui se croyait tout permis, lui valurent bien des humiliations et ne contribuèrent pas peu à rendre les débuts de son noviciat pénibles et laborieux ; mais rien n'eût été capable de la faire reculer. C'est au milieu de ces premières épreuves que, voulant un jour consoler une postulante qui avouait ne s'être jamais tant ennuyée, soeur Marthe, chez qui la répartie ne faisait jamais défaut, mais qui se méprenait souvent sur la valeur des expressions, se hâta de lui répondre : « Soyez tranquille, ma soeur, ça ira de pire en pire... » Et de très bonne foi, elle croyait lui promettre des jours meilleurs.

Douée d'une forte et excellente santé, intelligente, active et pleine d'énergie, notre pos­tulante se dépensait sans compter, se livrant aux travaux les plus pénibles avec un dévoue­ment infatigable. Toutefois, un autre travail, plus rude encore, s'offrait à sa bonne volonté, celui de la lutte contre elle-même, et il faut avouer qu'elle avait beaucoup à faire pour réprimer les saillies d'une nature très personnelle, vive, entreprenante et voulant diriger à sa façon tout ce qui était de son ressort, voire même ce qui n'en était pas. Rien ne l'eût moins embarrassée que le commandement. Mais à côté de ces défauts, il y avait de trop réelles qualités pour que la bonne Mère Marie de l'Incarnation ne comprît bien vite tout ce que cette âme fortement trempée donnerait de gloire à Notre-Seigneur si elle se livrait généreusement à l'action de la grâce. Elle prit à coeur de la former aux plus solides vertus et dans ce but, ne lui ménagea ni les épreuves, ni les humiliations. La pauvre soeur ne se déconcertait ni des unes, ni des autres, mais devant les menaces de renvoi qui lui furent souvent réitérées, elle protestait énergiquement, assurant qu'elle aimait mieux mourir que de renoncer à sa sainte vocation et que, si on la jetait dehors par la porte, elle rentrerait par la fenêtre. Un jour, croyant qu'il n'y avait plus d'espoir, elle avise un endroit de la basse- cour où le mur est un peu moins élevé que nos grands murs de clôture et prit toutes ses mesures, se promettant bien, à l'aide d'une corde, de rentrer par là dans le cas où on la for­cerait à sortir. Et elle l'aurait fait, car elle avait une ténacité de volonté qui ne s'effrayait de rien pour arriver à ses fins. Dans ces moments critiques, elle courait se jeter aux pieds de la sainte Vierge que, dès son entrée, elle avait prise pour Mère et protectrice de sa voca­tion. — « Oh ! disait-elle plus tard, que de larmes j'ai versées devant cette statue du novi­ciat ! Quand tout semblait perdu, je lui criais avec plus de confiance encore : Ma bonne Mère, vous me garderez ! Je n'ai plus d'espoir qu'en vous ! »

Cette naïve et filiale confiance ne devait pas être trompée et, à quelques mois de là, une épreuve décisive vint montrer à toutes que la Vierge immaculée voulait bien cette enfant sous son manteau béni du Carmel. La chère novice était au plus fort de ses luttes et, malgré son courage et la persévérance de ses efforts, les progrès étaient peu apparents. Il y avait tant à faire pour assouplir cette forte nature et la plier aux saintes exigences de la vie religieuse ! La communauté s'en inquiétait sérieusement, mais la pauvre soeur avait un tel amour de sa vocation, un si grand dévouement pour les plus rudes labeurs ! Elle s'y livrait sans compter, avec ses forces et sa robuste santé se jouait des austérités de notre sainte règle ; mais peu à peu, l'absence du grand air et la longueur prolongée des exercices spirituels amenèrent une inflammation au genou qui bientôt l'empêcha presque complètement de marcher. Ce mal opiniâtre qui ne cédait à aucun remède, n'était-il pas un signe, une manifestation de la vo­lonté divine ? La Révérende Mère Prieure le crut ainsi, et le départ de la pauvre novice fut décidé. Ma soeur Marthe pria, supplia, assurant que la sainte Vierge la guérirait. Notre chère soeur Saint-Pierre, qui était sa compagne de noviciat, touchée de ses larmes, eut l'ins­piration d'aller chercher une petite statue de la sainte Vierge très ancienne et toute noire qui avait été mise au rebut. Elle l'appliqua sur le genou malade, et toutes les deux prièrent avec tant de foi et tant de confiance que l'énorme loupe disparut instantanément, sans que notre chère soeur en gardât jamais la moindre trace . En action de grâce, elle obtint de la Mère Prieure qu'on restaurerait la petite statue et, depuis ce miracle, pendant le mois de Marie, on la porte sur un petit autel de cellule en cellule, chacune de nous ayant la faveur de la garder toute une journée. On devine avec quelles effusions de reconnaissance l'accueil­lait ma soeur Marthe lorsqu'arrivait son tour de la posséder. Cette protection si visible de la très-sainte Vierge fit cesser toute hésitation et la chère novice eut enfin la joie de pronon­cer ses saints voeux, dans les transports de son âme. Délivrée de toute inquiétude, elle se livra avec une ardeur plus généreuse encore au travail de sa perfection. Plus que jamais aussi elle s'attacha à la digne Mère qui la nourrissait du pain des forts ; elle l'aima avec une tendresse toute filiale et pleine de reconnaissance. Plus tard elle devint la garde-malade préférée de cette bonne Mère, passant les nuits à son chevet et lui prodiguant les soins les plus délicats. Qu'il était plein de vénération le souvenir que notre chère soeur avait gardé de ses premières Mères, et que souvent elle aimait à entretenir ses jeunes compagnes des leçons et des exemples qu'elle en avait reçus !

Ma soeur Marthe devint bientôt précieuse à la communauté, tant par son ardeur infati­gable au travail que par son esprit d'ordre, de pauvreté et les mille industries de son génie inventif. Toujours attentive à ménager le bien de la sainte religion, elle prenait grand soin que rien ne se perdît par sa faute, et savait utiliser toutes choses pour faire elle-même une foule de petits travaux qui eussent nécessité le concours d'un ouvrier. Ardente dans ses désirs, elle en poursuivait la réalisation envers et contre tous les obstacles, que sa ferme volonté semblait ne pas reconnaître ou du moins dont elle ne s'effrayait jamais. Permettez- nous, ma Révérende Mère, de vous en citer un exemple choisi entre beaucoup d'autres :

Notre bonne soeur avait gardé de son éducation champêtre un goût prononcé pour les travaux du jardin. Elle s'en occupait beaucoup et avec succès; mais un malheureux peuplier lui faisait ombrage et empêchait, disait-elle, le complet développement de ses légumes. Elle demanda la permission de l'arracher. La Mère Prieure ne prit pas la chose au sérieux, la croyant d'ailleurs tout à fait impossible, étant donné que cet arbre était énorme et que ma soeur Marthe n'avait pas d'outils pour un pareil travail. Néanmoins elle fit semblant d'y consentir. Mais quelle ne fut pas sa stupéfaction, aussi bien que la frayeur générale, lorsque quelques heures après on entend un fracas épouvantable; c'était l'arbre qui tombait sous les coups redoublés de ma soeur Marthe. Elle eût pu être écrasée sous son poids ou tout au moins grièvement blessée; mais les bons anges, qu'elle savait mettre de toutes ses entre­prises, l'avaient gardée; elle n'eut pas la moindre égratignure.

De combien de traits semblables, sinon plus audacieux encore, ne gardons-nous pas le souvenir ! Son dévouement aurait pu être parfois mieux éclairé, jamais plus absolu. La gêne, les privations se faisaient souvent sentir, surtout au moment de la construction de notre monastère; un travail dur, pénible, persévérant pouvait seul les alléger. Notre bonne soeur s'y dévoua dans une mesure plus qu'ordinaire, on peut dire jusqu'à l'abus de ses forces, payant vaillamment de sa personne partout où il y avait une occasion de se dépenser, un service à rendre à qui que ce fût. Et lorsqu'à la fin de sa vie, la grâce eut complètement dompté la nature, sa tenue, toujours si bien réglée, si digne, jointe à l'exquise propreté qui reluisait en toute sa personne, en faisait le type achevé d'une parfaite soeur du voile blanc. Elle avait une finesse naturelle et un à propos remarquable. Ses réparties spirituelles, sou­vent originales, égayaient nos récréations ; mais ce qui la distinguait surtout, c'était cet esprit de foi qui lui fit toujours voir Dieu dans l'autorité, quelle que fût d'ailleurs celle qui la lui représentât. Ame vraiment de bonne volonté, grandement désireuse du bien, de la perfection, elle savait poursuivre courageusement sa route, malgré les défaillances que la faiblesse de notre pauvre nature occasionne quelquefois, même après les plus fortes résolu­tions. Douée d'un sens droit, d'un bon jugement, elle saisissait parfaitement tout ce que demandait l'esprit religieux, et gémissait des obstacles qu'elle rencontrait dans sa nature qui toujours se ressentit un peu de sa première éducation. Mais jamais elle ne se décou­rageait ; après ses chutes, elle s'humiliait profondément, demandait pardon et retournait au combat avec cette persévérance qui, aidée de la grâce de Dieu, assure la victoire. Et vraiment nous pouvons lire qu'elle fut complète chez notre bonne soeur. Sous le ciseau du divin Maître, son caractère s'était assoupli et cette âpreté, cette brusquerie native firent place à la douceur d'une âme tranquille, pacifiée, qui ne cherche plus en toute chose que Dieu et son bon plaisir.

Exacte, ponctuelle, ma soeur Marthe quittait son travail au premier son de la cloche qui l'appelait au choeur, et sa régularité pour les exercices de piété fut toujours remarquable. Malgré ses travaux pénibles et continuels, elle trouvait le temps de satisfaire non seulement à ce qui était de la règle, mais encore à ses nombreuses dévotions. Qu'il était édifiant de la voir, surtout les dix dernières années, avide de toute occasion qui pouvait la ramener près de Jésus au Tabernacle ! Bien que très fatiguée par la chaleur et éprouvant parfois un besoin de sommeil qui la poursuivait partout, elle était toujours levée la première, toujours la pre­mière au choeur. Le soir, on l'y retrouvait après Complies, préparant, avec l'exactitude d'une novice, les points de sa méditation du lendemain. Aussi Dieu qui régnait en maître dans son âme, se plaisait-Il à lui faire entendre des paroles intimes qui la ravissaient. Elle allait à Lui comme un enfant à son père, lui parlant familièrement, avec une tendresse naïve et la plus grande confiance. En retour, elle en recevait des lumières spéciales et avait des aperçus éton­nants sur la vertu et la vie intérieure. Quelques semaines avant sa mort, elle disait en con­fidence à une soeur : « Je ne sais ce que le bon Dieu veut faire de moi, mais II me comble de grâces. »

Ma soeur Marthe était parfaitement conservée pour son âge et on peut dire qu'elle est tombée les armes à la main. Il y a près de trois ans, nous eûmes la joie de célébrer sa cin­quantaine quelques jours avant celle de notre vénérée Mère Thérèse, qui tant de fois avait projeté de réunir les deux jubilations dans une même fête. Mais depuis de longs mois déjà cette bonne Mère, comme une douce victime, était étendue sur l'autel du sacrifice, tandis que notre chère soeur Marthe, forte, alerte, portait vaillamment le poids de ses longues années de labeur. Rayonnante sous sa couronne fleurie, la chère jubilaire, entourée de nombreux membres de sa famille accourus pour la circonstance, se prêta avec une bonne grâce parfaite à tous les détails de cette touchante cérémonie qui parut, en quelque sorte, renouveler sa jeu­nesse et faire ressortir mieux encore la transformation opérée dans son âme par la grâce divine. Chants, surprises, rien ne manqua à cette douce journée et pourtant, tout en admi­rant avec reconnaissance les nombreux souvenirs qui lui étaient offerts, soeur Marthe ne semblait pas satisfaite. Pressée de s'expliquer, elle excita bientôt l'hilarité générale en demandant comme suprême cadeau de ses noces d'or... un tombereau de mortier... Elle voulait, ni plus ni moins, entreprendre la construction d'un mur pour remplacer une palis­sade en mauvais état qui sépare la basse-cour de notre jardin. Et elle y arriva, de sorte que, si nous pouvions oublier son dévouement et ses travaux, les pierres elles-mêmes parleraient pour nous en rappeler le souvenir.

Notre bonne soeur puisa dans la fête de sa jubilation une ferveur nouvelle et se hâta de faire ses derniers préparatifs, car, disait-elle, « le départ approche ». Rien cependant ne le faisait prévoir, et devant son heureuse vieillesse, ses facultés si bien conservées, nous espé­rions que longtemps encore elle resterait au milieu de nous ; mais le bon Dieu devait trom­per nos prévisions. Il y a trois mois, l'influenza s'abattit sur la communauté et ma soeur Marthe, une des premières atteintes, fut aussi une des plus fortement prises. Les soins intelligents et dévoués de notre bon docteur semblèrent enrayer le mal. Elle qui d'abord avait entrevu la mort, se prenait à faire de nouveaux projets lorsque, le dimanche 30 avril, survint une complication et bientôt une congestion pulmonaire. Eu quelques heures, et mal­gré les remèdes les plus énergiques, le danger devint imminent...

Retenue nous-même à l'infirmerie, nous avions eu la douleur de ne pouvoir assister, quelques jours auparavant, notre regrettée soeur Marie de Saint-Gabriel. Les défenses expresses du médecin confirmées, malgré nos instances, par notre bon Père Supérieur, nous imposèrent le même sacrifice pour notre pauvre soeur Marthe, et combien il fut senti de part et d'autre ! « C'est ma seule peine » , disait la chère mourante, dont le grand esprit de foi voyait Dieu si parfaitement dans la personne de sa Mère Prieure. Notre bon Père Supé­rieur, si dévoué pour son Carmel, voulut bien nous remplacer auprès d'elle et la fortifier pour la lutte suprême par ses paroles pleines d'encouragements et de consolations. Dans la soirée il la prépara lui-même à recevoir les derniers sacrements et se retira tout édifié de ses dispositions. L'approche de la mort la trouvait prête : ne pouvait-elle pas dire avec saint Paul : « J'ai combattu le bon combat ; j'ai achevé ma course et maintenant j'espère avec une ferme confiance le couronnement des divines miséricordes à mon égard... » Avec une lucidité parfaite, elle reçut l'extrême-onction, le saint Viatique et demanda humblement pardon à la communauté dont quelques membres seulement purent se réunir auprès d'elle. La chère mourante répondit à toutes les prières et sembla oublier son mal pour ne penser qu'aux grandes grâces qui lui étaient prodiguées.

L'arrivée de Notre-Seigueur dans sa petite cellule provoqua un véritable élan d'amour : elle était toute transfigurée. Dès lors elle ne s'occupa plus que de Dieu, s'unissant à toutes les aspirations que lui suggéraient la bonne Mère sous Prieure et l'infirmière qui, à peu près remises, se relevaient auprès de son lit où, jusqu'à la dernière heure, la prière ne fut pour ainsi dire pas interrompue. Elle répondait à tout, promettait de prier pour toutes les intentions qu'on lui recommandait, pour la communauté qu'elle aimait tant... Et comme une soeur lui disait : « Ma soeur Marthe, voudriez-vous me céder votre place » ?   — Oh non, répondit-elle, je suis bien trop heureuse d'aller enfin voir Dieu et le posséder à jamais ! » — L'agonie se prolongeait sans rien enlever à notre chère soeur de son calme, de son admirable sérénité. Vers minuit, la respiration devenant plus lente, ses chères compagnes du voile blanc, qui avaient pour elle une tendresse toute filiale et qui ne la quittaient pas, allèrent chercher la Mère sous-Prieure; celle-ci eut encore le temps de lui suggérer quelques pieuses aspirations... Par une délicatesse toute divine qui ne pouvait nous échapper, notre bonne soeur exhala son dernier soupir au coup de minuit, en la fête de l'Invention de la sainte Croix, nous laissant l'espoir que le Verbe incarné, à qui elle avait une singulière dévotion, lui aura appliqué abondamment, à cette heure même, les mérites de sa venue en ce monde et de ses divines souffrances.

Nous aimons à penser, ma Révérende Mère, que cette âme fidèle aura pu, en arrivant au ciel, rendre compte de ses victoires à Celui pour qui elle avait si généreusement combattu. Nous vous prions cependant de vouloir bien ajouter aux suffrages qui déjà lui ont été appli­qués, avec l'indulgence des six Pater celle du via Crucis, une communion de votre fer­vente communauté et une journée de bonnes oeuvres. Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, avec le plus religieux respect,

Ma Révérende Mère,

Votre humble soeur et servante.

Soeur M.-MADELEINE DU SACRE COEUR

R. C. I.

De notre monastère de l'Incarnation et de la sainte Famille des Carmélites de Tours, le 15 juillet 1893.

 

P.-S. — Un de nos Carmels nous prie de demander les suffrages de l'Ordre pour une soeur décédée qui n'aura pas de Circulaire.

Retour à la liste