Carmel

15 décembre 1892 – Toulouse

 

Ma Révérende et Très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur qui, à notre dernière épreuve, en réservait une que nous étions loin de prévoir, en appelant à Lui notre chère et bien-aimée Soeur Ombeline, Thaïs de Sainte-Thérèse, professe de notre Communauté, âgée de soixante-douze ans, vingt-trois jours, et de religion, quarante-cinq ans, quatre mois, vingt jours.

L'humilité de notre chère Soeur et l'esprit de pauvreté qui la caractérisaient, lui ont inspiré de demander-, dans un papier trouvé après sa mort, de ne point lui faire de circulaire.

« J. M. J. T.

« Je prie ma révérende Mère de ne pas me faire de circulaire; je désirerais que pour moi on ne fit pas de frais d'impression; une lettre de deux ou trois lignes seulement pour demander les suffrages de l'Ordre, et que les prières que le bon Dieu inspirera de faire en ma faveur soient pour les âmes du purgatoire, ainsi que toutes les messes que l'on ferait dire pour moi, de même que tous les offices des morts.

« Soeur Thaïs de Sainte-Thérèse. »

R. C. ind

Quoique condescendant à son pieux désir, nous croyons devoir, pour votre édification, ma révé­rende Mère, vous entretenir des religieux exemples que cette chère Soeur nous a donnés pendant sa vie.

Appartenant à une famille honorable et chrétienne de ce département, elle entra au Carmel le 12 novembre 1845; elle fut admise à la vêture le 25 août 1846 et à la sainte profession au temps ordinaire.

La régularité et l'ordre étaient ses traits caractéristiques. Ses aptitudes au travail et son dévoue­ment lui firent successivement occuper l'office des tuniques, celui des habits, la roberie et enfin l'office du linge qu'elle a rempli jusqu'à sa mort. L'amour de la pauvreté était inné dans son âme ; elle visait toujours à l'économie et le plus petit objet était, à ses yeux, digne de considération. Les traits racontés dans la Vie des Saints, sur la vigilance qu'ils portaient à la pratique des saints voeux, étaient présents à tous ses actes et gravés de telle sorte dans son esprit, qu'elle en édifiait joyeuse­ment nos récréations.

Quelle que fût la modestie religieuse de notre chère Soeur, en allant et venant dans le Monas­tère, rien ne lui échappait; malheur à celle qui avait oublié la moindre chose, elle pouvait courir à sa recherche, elle était placée en lieu sûr. Soeur Thaïs laissait l'auteur dans l'embarras, jusqu'à ce qu elle fût bien assurée qu'il avait un droit de justice. La santé de notre bonne Soeur qui s'était soutenue assez longtemps, nous avait donné, à diverses reprises, de graves préoccupations : deux crises de paralysie firent concevoir au médecin de sérieuses inquiétudes ; mais plusieurs années s'écoulèrent dans une amélioration progressive qui lui permirent de suivre la communauté dans la mesure de ses forces, s'occupant de ses emplois avec sa régulière activité.

 

Des mois avant Noël, soeur Thaïs, chargée de la crèche, faisait ses plans, méditant les costumes des personnages qui devaient y figurer, etc. Comme elle s'épanouissait des surprises que la grotte bénie allait donner à nos Soeurs, quoique la nouveauté n'eût rien de saillant; mais, le jour de Noël, la jubilation était au comble. Hélas, ma Révérende Mère, notre bonne soeur la voyait cette année pour la dernière fois. Quelques mois à peine et le Maître divin qui avait soutenu ses derniers jours au milieu des deuils successifs de notre cher Carmel, allait rappeler à la récompense. Après la sépulture de notre regrettée soeur Thérèse de Jésus, alors que la convalescence des malades devenait générale, le vendredi, 1er avril, elle sentit un peu de malaise; il fut jugé sans gravité par notre mé­decin qui, le samedi soir, inspiré providentiellement, voulut s'assurer si nos convalescentes pourraient, sans danger, entendre la sainte messe le lendemain. Il alla voir notre chère soeur Thaïs et revint près de nous pour nous faire part de sa situation. Le coeur était pris et laissait entrevoir, à court délai, un cruel dénouement; la nuit fut mauvaise; le dimanche, nous eûmes le bonheur, pour la première fois, de nous rendre auprès de notre pauvre soeur et de nous entretenir des années éter­nelles. L'ayant trouvée fort mal, nous conclûmes immédiatement qu'elle se confesserait dans la soirée. Monsieur notre aumônier s'empressa de venir auprès de notre chère malade qui, dans un calme parfait, faisait ses préparatifs pour le ciel. Les progrès furent si rapides, que n'ayant pu rester à jeun pour communier le lundi matin, comme nous l'avions espéré, la réception des der­niers Sacrements fut fixée à l'après-midi.

Impossible, ma Révérende Mère, d'exprimer la paix céleste que l'on goûtait dans cette petite cellule, où notre chère soeur souriait à la mort. Sa présence d'esprit à toute chose, ses humbles dispositions, ses réparations touchantes, tout prouvait que son âme conversait déjà avec Dieu qui allait lui ouvrir les bras de sa Miséricorde. Nous eûmes le bonheur de recevoir son dernier soupir, après sa dernière recommandation. Ainsi, elle rendit son âme à son Créateur, le mardi, à 3 heures du soir, venant de renouveler ses saints voeux dans nos mains, à l'instant où la cloche nous rappelait la divine Agonie. Sa mort bienheureuse nous remplit de consolation ainsi que toutes celles de nos Soeurs qui étaient présentes.

Quoique nous ayons la confiance que notre chère soeur Thaïs a reçu un accueil favorable du Souverain Juge, comme il faut être si pur pour paraître devant Dieu, nous vous prions, ma Révé­rende Mère, de vouloir bien ajouter, aux suffrages déjà demandés, une journée de bonnes oeuvres, une communion de votre fervente Communauté, les indulgences du Via Crucis et des six Pater, et tout ce que votre charité voudra bien lui accorder. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, dans les Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie et au pied de la Croix,

Ma Très Révérende Mère,

 

Votre très humble servante,

SŒUR SAINT-LOUIS DU SACRÉ-CŒUR

R. CI, Prieure.

De notre Monastère de la Sainte Mère de Dieu, de notre Sainte Mère Thérèse, de notre Père Saint Joseph, des Carmélites de Toulouse, ce 15 décembre 1892.

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