Carmel

15 décembre 1889 – Jérusalem

 

Ma Très Révérende Mère

Paix et très humble salut en Notre Seigneur !

En vous demandant vos suffrages au mois de Juillet dernier pour notre chère Mère Xavier du Coeur de Jésus professe de Lisieux, nous n'avons pu que vous parler brièvement de la grande perte que nous avons faite par la mort de cette bonne mère. Des circonstances indépendantes de notre volonté ne nous ont pas permis jusqu'à ce jour de vous entretenir de ses vertus. Il faudrait une autre plume que la nôtre pour vous faire connaître cette âme si belle, ce coeur si pur dont toutes les aspirations ont été pour Dieu et sa plus grande gloire, et pour le salut des âmes. Nous ne pourrons qu'esquisser à grands traits cette vie si bien remplie qu'on pourrait résumer en deux mots: elle a beaucoup travaillé et elle a cherché Dieu en toutes choses; Notre chère mère Xavier du Coeur de Jésus naquit à Lisieux d'une famille honorable et profondément chrétienne, et reçut au saint baptême le nom de Marie. Sa mère, femme d'une grande vertu, l'éleva ainsi qu'un fils qui fut l'unique frère de notre chère mère, dans la crainte de Dieu et l'amour du devoir; aussi croyons-nous pouvoir assurer que l'enfance de Marie se passa dans une grande innocence qu'elle a conservée toute sa vie. son esprit vif et enjoué faisait la joie de ses parents. Mais les exigences de l'éducatión à faire donner à cette enfant nécessitèrent une séparation. Ses parents la confièrent à un pensionnat de Caen d'un excellent esprit mais dirigé par des dames séculières ; ils craignirent qu'un couvent ne lui inspirât des goûts de vie religieuse. Rien d'ailleurs ne fût négligé pour que cette éducation fût complète au point de vue du coeur de l'esprit et de la piété; et elle fut couronnée de brillants succès. Le Père était heureux des aptitudes remarquables qui allaient se développant chez elle et des couronnes qu'elle remportait à chaque fin d'année. Ici se place un fiat qui eut une influence décisive sur l'avenir de mère Xavier. Après une de ces distribution de prix dont elle avait été le principal lauréat, une de ses maîtresses, qui redoutait pour cette élève un sentiment de vanité lui dit: Eh bien Marie, et après? Cette parole l'impressionna profondément et lui fut un trait de lumière ; comme St François Xavier son futur patron renonça à tout après avoir entendu de St Ignace: que sert à l'homme de gagner l'Univers... de même la jeune Marie à partir de ce moment résolût de briser avec le monde pour se donner toute à Dieu et ne pensa plus qu'à lui consacrer les talents dont elle se sentait si fière. Son divorce avec le monde fût résolu. Elle avait alors environ 16 ans à peu près. A cette même époque son père lui fit faire un voyage à Paris mais éprise des charmes de l'amour divin elle ne vit qu'avec indifférence les beautés de la Capitale. Dieu avait captivé son coeur et son désir de se donner à lui dans la vie religieuse devenait de jour en jour plus vif. Tout d'abord malgré son attrait pour l'oraison et la vie intérieure, elle pensa que y son activité naturelle et son besoin de dévouement ne lui permettraient pas de songer à un ordre contemplatif. Un jour de fête de Notre Dame du Mont Carmel Marie alla entendre avec de pieuses amies un sermon de leur vénéré pasteur [le Chanoine Cagniard] chez les carmélites dont il était le supérieur. En Sortant de la chapelle, M. le curé rencontra ses trois paroissiennes et s'adressant à notre future soeur, il lui dit: "Quand vous ferai-je entrer au Carmel?" Marie répondit aussitôt: "Jamais Monsieur le curé!" Mais cette parole la poursuivit pendant une année entière et toujours elle résistait en se disant intérieurement: "Je serai fille de la charité."  L'année suivante, ne pouvant plus résister à la grâce de l'appel, Marie se rendit en demandant à nos Révérendes mères de Lisieux une place; ses 21 ans allaient bientôt s'accomplir. La veille du jour où elle atteignait cet âge, elle demanda à ses parents à quelle heure elle était née afin de jouir de sa liberté, car son père et sa mère malgré leur grande piété, ne voyait q'avec douleur son entrée au Carmel. Sachant donc qu'elle avait vu le jour à 6 heures du matin, elle leur fit ses adieux avant de se coucher, leur annonçant son départ pour 6 heures précises. Elle se munit d'une paire de ciseaux et passant près de la rivière, elle coupa ses cheveux qu'elle jeta à l'eau comme un adieu au monde.             

Dès les premiers jours elle se montra un modèle de vie religieuse; ni l'abandon absolu de ses parents qui dura jusqu'au lendemain de ses voeux, ni les travaux et les austérités de sa nouvelle vie ne purent ralentir ion courage. Aussi avec quelle joie fût-elle reçue à sa prise d'habit et à la sainte profession. Son noviciat fût des plus fervents; elle donnait l'élan à ses jeunes compagnes ; elle était la consolation de la communauté. Sa profonde humilité lui faisait cacher tous ses talents excepté son adresse pour le travail que son dévouement l'obligea à laisser connaître. C'est dans ces sentiments qu'elle achevait sa troisième année de noviciat lorsque Mg Lefèvre évêque de Cochinchine demanda à nos mères de Lisieux des religieuses pour fonder un Carmel à Saigon. Cette fondation ayant été résolue et le Supérieur de la Communauté faisant appeler les Soeurs qui se sentaient capables d'un lointain exil, ma Sr Xavier du Coeur de Jésus s'offrit sans réserve. Toutefois son sacrifice si généreusement offert ne fût pas d'abord accepte, mais le bon Dieu manifesta sa volonté en faveur de ses désirs par une circonstance imprévue. La plus jeune des quatre soeurs destinées à la fondation n'ayant pu partir, ma Soeur Xavier sollicita de nouveau la faveur de la remplacer. Le digne Supérieur de la communauté désirant beaucoup la garder à Lisieux, posa pour condition de son départ le consentement de ses parents. Connaissant la grande affection et l'attachement qu'ils avaient pour leur fille chérie, il espérait qu'elle aurait un refus. Mais elle leur écrivit une lettre si touchante et si pressante qu'elle obtint leur consentement. Madame sa mère vint toute en larmes faire ses adieux à sa fille bien aimée et pendant qu'elle était au parloir, Monsieur son père avait la générosité d'adresser à sa chère enfant une lettre qui lui laissait toute sa liberté. Le départ fût fixé au 9 Juillet 1861 et au moment de la séparation ses parents et son frère qu'elle n'avait pas cessé d'aimer tendrement eurent la consolation de l'embrasser. Durant tout ce long voyage ma Soeur Xavier répandit partout la bonne odeur de Jésus-Christ, ne comptant pour rien toutes les fatigues et les incommodités de la route. Sur le navire le sablier à la main comme dans les wagons du matin au soir elle réglait comme au cloître ses heures de piété et de travail. Son oubli du monde et son profond recueillement lui laissèrent à peine remarquer un corps de troupes qui faisait avec elle la traversée pour Saigon.

N'ayant pas eu le mal de mer, elle fût à même de secourir ses compagnes qui furent très éprouvées durant le trajet. Le navire le Japon ayant fait eau pendant trois jours, un naufrage parût imminent. Notre si aimée Soeur, écrit une de ses compagnes de voyage, ne perdit pas un instant son calme et son union avec Dieu. Enfin, arrivée à Saigon le 9 octobre de la même année au milieu du plus complet dénuement elle se mit à l'oeuvre avec l'ardeur et l'espoir d'un plein succès. La maladie ayant contraint deux des soeurs de revenir en France, notre bien-aimée Mère Xavier, restée seule avec sa mère prieure, fût sa consolation et son soutien. Appelée à lui succéder dans la supériorité, elle eût pour ses filles une tendresse de mère et remplit encore la charge de maîtresse des novices avec beaucoup de zèle et de charité. Sa facilité à apprendre 1a langue annamite la mit à même de traduire en cet idiome les livres les plus nécessaires de notre St Ordre. Notre chère mère aimait la Cochinchine et se trouvait heureuse au milieu des jeunes annamites qu'elle avait en partie formées à la vie religieuse; elle espérait mourir dans le petit Carmel de cette lointaine mission où elle avait travaillé et souffert pour l'extension du règne de Dieu. Mais le Seigneur avait d'autres desseins sur cette âme qui s'était donnée à lui avec tant de générosité. En 1872, il la pressa de suivre l'inspiration qu'il lui avait donnée depuis longtemps de porter ailleurs les effets de son zèle. Un Carmel à Jérusalem fût l'objet de ses rêves et de ses aspirations ; et le bon Dieu qui avait lui-même formé ce désir dans le coeur de notre chère mère, après de dures épreuves et les souffrances les plus sensibles, se plût à le réaliser avec le concours du Carmel de Carpentras notre cher berceau religieux.

Jusqu'ici nous n' avons presque que transcrit les détails que nous ont donnés avec tant de bonté les dignes mères qui ont guidé les premiers pas de notre chère soeur Xavier dans la vie religieuse où qui ont goûté avec elle la vie de famille de son cher Carmel de Lisieux. Il nous reste à vous dire, ma Révérende Mère, ce que nous avons vu de nos yeux depuis que le bon Dieu par la sainte obéissance nous avait intimement unies pour l'oeuvre de la fondation de Jérusalem.

Ce fût le 26 août 1874 qu'elle mit le pied sur le sol de la Ville sainte, le coeur débordant de joie et de bonheur : elle avait tant soupiré après le jour où les promesses du divin Maître seraient accomplies !

Ici comme à Saigon, tout était à faire et pendant près de 16 ans, la vie de notre chère Mère devra être un acte presque non interrompu d'abnégation et de dévouement. Notre première installation sur la Ste montagne des Oliviers se fît dans le chalet de notre bien aimée et regrettée fondatrice qui nous aida elle-même à le transformer en un soi-disant monastère où il n'y avait pas de lieu régulier. Dans ces conditions il fallait songer à construire. Ignorantes de la langue et des usages du pays, nous confiâmes nos travaux à un entrepreneur mais les dépenses dépassant de beaucoup nos prévisions et nos ressources, nous dûmes de l'avis de notre architecte nous résigner à faire construire nous-mêmes. Mère Xavier devait sous sa direction s'occuper des travaux. Ce ne fut pas sans quelques craintes d'insuccès que nous nous décidâmes à l'en charger. Nous nous connaissions mutuellement de date récente et nous vous l'avons déjà dit que Mère Xavier savait si bien si naturellement s'effacer qu'il ne fallût rien moins que cette occasion pour nous révéler les trésors d'intelligence, d'énergie, de dévouement et de persévérance à surmonter les difficultés de tous genres qu'elle tenait soigneusement cachées mais aussitôt qu'elle eût reçu son obédience, elle se mit à l'oeuvre avec ardeur. Elle dût tout d'abord refaire les plans qui ne pouvaient s'adapter à l'emplacement qu'au prix de frais énormes. Le jour ne suffisant pas, elle prenait sur la nuit pour ce travail que notre savant architecte discutait, corrigeait et complétait enfin. La reconnaissance nous fait un devoir, ma Révérende mère, de recommander à vos prières cet homme de bien qui nous a donné ses conseils, qui a dirigé nos travaux avec le plus parfait désintéressement, qui nous a soutenues dans nos jours d'épreuves et à qui les bontés ont acquis le titre de bienfaiteur et d'ami le plus dévoué.

A l'école d'un tel maître, notre chère mère Xavier eût bientôt saisi ce qu'elle devait savoir pour diriger les travailleurs. Il faut avoir expérimenté ce qu'il faut de patience et de tact pour faire exécuter les travaux par ces grands enfants d'arabes plus ou moins paresseux et ce qu'il faut de circonspection avec les fournisseurs de matériaux si habiles dans l'art de tromper. Notre chère Mère sût les dominer, s'en faire respecter et aimer; nous en avons eu des preuves en maintes circonstances et notamment le jour de sa mort. Plusieurs ouvriers musul­mans vinrent la voir exposée au choeur et pleuraient comme des enfants qui auraient perdu leur mère.

Mère Xavier passait tous les jours de longues heures sur le chantier pour surveiller les travailleurs et en même temps que les constructions, elle organisait notre jardin, qui était à notre arrivée un chaos. Que de combinaisons pour en tirer le meilleur parti, le niveler, faire des murs de soutènement, des talus les plantations, tracer les lignes, etc. Notre chère Mère a fait exécuter tous ces travaux par nos arabes bien neufs dans l'art; mais elle avait celui de les dresser. Elle mettait à tout cela une grande ardeur que le bon Dieu se plaisait à ralentir par le manque de ressources. Combien de fois notre chère Mère croyant toucher au terme de ses travaux et espérant retrouver sa chère solitude, les voyait interrompus pour un temps plus ou moins long, l'argent faisant défaut. Quelle souffrance pour son âme pour se remettre à l'oeuvre après les interruptions! Mais une fois sous l'im­pulsion de la Ste Obéissance, un soleil de feu pas plus qu'un froid glacial ne l'empêchait de remplir le devoir de surveiller qu'elle savait admirablement allier  avec l'exactitude aux actes de communauté. Elle était presque toujours la première et si elle prévoyait ne pouvoir se rendre au son de la cloche, elle avait soin de se munir de permissions; nous les lui donnions très larges pour les cas imprévus sachant ce que devait lui coûter de fatigues la distance à parcourir pour aller nous les demander. Elle en usait rarement et aussitôt qu'elle pouvait nous voir, c'était un besoin pour elle de nous en rendre compte. La parfaite dépendance de notre chère Mère nous édifiait constamment: elle était d'autant plus méritoire que son intelligence et la confiance que nous lui témoignions l'autorisait à décider de plusieurs petits travaux à exécuter. Pour elle, cette autorisation générale ne suffisait pas et ce n'était qu'après avoir obtenu de celle qui lui tenait la place de Dieu l'approbation de ses propres idées qu'elle les mettait à exécution. Dieu seul sait combien de fois cette humble soumission lui a valu le sacrifice de son propre jugement et cependant, elle n'en était que plus fidèle à demander notre avis, n'étant satisfaite que lorsqu'elle nous avait fait plaisir.

Il ne fallait rien moins que sa prodigieuse dextérité et son dévouement pour mener de front les travaux de construction et les écritures du dépôt; mais elle agissait avec tant de pureté d'intention et d'union avec Dieu qu'évidemment il l'aidait puissamment dans ce rude labeur. Elle apportait à tout ce dont elle était chargée l'exactitude, l'ordre et la précision. Elle y mettait tant de clarté et de méthode, notant si bien chaque chose au jour le jour, que malgré la maladie subite dont elle fût frappée et qui lui rendit impossible tout renseignement, il ne s'en est suivi pour nous aucune obscurité, aucun embarras.

Notre chère Mère n'était pas moins fidèle dans la pratique de la sainte pauvreté. On peut dire qu'elle était sa vertu caractéristique. Quel soin, quelle vigilance n'avait-elle pas pour exclure dans la construction du monastère tout ce qui lui paraissait tant soi peu blesser cette vertu: elle en aurait même poussé trop loin 1a pratique sous le rapport des dimensions à donner aux pièces; c'était toujours trop spacieux; elle nous le disait d'une manière si convaincue que subissant il faut le dire son influence, nous avons peut-être trop restreint certaines pièces. Tout ce qui était à l'usage de notre chère mère Xavier portait le cachet de la pauvreté; elle avait l'art de tout utiliser, de se servir de ce qui était au rebut. Les choses cassées, brisées, qui auraient été à charge à une autre, étaient pour elle une trouvaille qu'elle recueillait avec une joie presque enfantine; nous pourrions sur ce sujet entrer dans des détails intéressants; mais nous dépasserions les limites d'une circulaire.       

Bien que souvent occupée des affaires matérielles et en contact fréquent avec les ouvriers, notre chère Mère n'y perdit jamais l'amour de la solitude et de la vie intérieure. Son silence les jours de fêtes et dimanches, et pendant les licences, ses conversation toutes de Dieu où se révélait son ardent amour de l'Eucharistie et son grand zèle pour les âmes, laissait voir une âme vivant en la présence de Dieu et que l'obéissance seulement, les devoirs de sa charge de dépositaire, inclinait vers les choses de la terre.

La Ste communion était sa vie, l'office divin ses délices: elle souriait presque toujours en psalmodiant depuis qu'elle avait trouvé le moyen de le réciter presque sans distraction. Son assiduité au choeur était remarquable; après des journées d'un travail incessant, harassée de fatigues, elle n'acceptait aucune dispense des matines bien qu'elle y fût souvent accablée de sommeil.           

Le genre d'occupation de notre chère mère Xavier était pour son âme un état continuel de souffrances mais dont personne ne s'apercevait tant sous l'impul­sion du dévouement et de l'obéissance, elle paraissait y être de coeur et d'âme, mais nous comprenions que la violence continuelle faite à son attrait intérieur était pour elle une dure épreuve et pensant que ce coeur surabondant d'amour de Dieu trouverait un soulagement à ses souffrances en se communiquant à d'autres âmes, nous lui confiâmes la direction du noviciat. Nous avions été bien inspirée. Notre chère mère s'inclina humblement et mit toute son application à cette charge importante qu'elle a constamment remplie avec la plus humble dépendance et le plus entier dévouement. Son coeur se dilatait en instruisant de leurs devoirs nos chères enfants; elle travaillait avec ardeur à les faire marcher dans la voie de la perfection par la pureté du coeur, la pratique de la vie com­mune et l'union à Dieu par le souvenir de sa sainte présence. Elle poussait les âmes au plus parfait; et si elle ne passait rien à celles qui voulaient y tendre, elle savait être patiente avec les âmes de bonne volonté mais encore faibles. Quelle souffrance pour son coeur si désireux de donner des âmes à Dieu quand il fallait se décider au renvoi d'un sujet ! Si par ses conseils elle aidait les novices à s'établir dans l'union à notre Seigneur, par la pratique des vertus chrétiennes et religieuses et sa ste présence, notre chère Mère ne les instruisait pas moins par ses exemples. Nous vous avons déjà fait connaître ma Révérende Mère son amour de la vie cachée, de la pauvreté et du silence. Son désir de la perfection la poussait sans cesse à la découverte d'une nouvelle industrie pour y atteindre. Nous voyons par son journal que l'édifice spirituel allait de pair avec la construction du monastère et la culture de son âme avec celle du jardin. Elle attendait avec impatience toutefois le moment où les travaux de construction, d'aménagement et de jardinage achevés, elle pourrait vaquer exclusivement à son intérieur. Encore un coup de collier, disait-elle et je pourrai me cacher dans la solitude.

Avant de toucher à ce but si désiré, notre chère Mère dut mettre en rapport une partie du jardin restée presque inculte jusqu'à ces temps derniers. Heureuse surtout de nous avoir fait plaisir, la satisfaction de sa mère prieure étant dans son esprit de foi la satisfaction de Dieu même. Pauvre chère Mère, c'est le coeur bien ému que nous traçons ces lignes en songeant à toutes les fatigues qu'elle s'est donnée pendant les trois mois qui ont précédé sa mort. Sa santé se soutenait malgré tout, aussi ni elle ni nous ne pensions être si près de la séparation. Qui aurait pu penser que le bon Dieu nous enlèverait sitôt cette chère mère è entre les mains de laquelle nous espérions déposer bientôt le fardeau qui pèse sur nos épaules ! Elle nous était si nécessaire à tous les points de vue que nous aimions à rêver pour elle une longue et heureuse vieillesse mais les desseins de Dieu sont impénétrables !...

Le 17 Juin, notre chère mère Xavier était en parfaite santé et dans la joie de l'entrée en retraite de deux novices pour leur profession qui devait avoir lieu le jour de la fête du Sacré-Coeur de Jésus. Avec sa précision ordinaire, elle avait dressé son plan pour préparer le mieux possible ces chères enfants à la grande action qu'elles allaient faire, désirant que cette retraite leur serve toute leur vie et on voyait que son coeur toujours si plein de Dieu était au comble du bonheur. Mais le divin Maître en avait disposé autrement. Le 20 au soir notre mère descendit au jardin où elle resta à peine 5 minutes mais ce fut assez pour lui donner un refroidissement précurseur d'une pneumonie qui fît de rapides progrès sans que nous nous doutions de la gravité de la maladie. La chère malade ne se croyait que légèrement indisposée par un accès de fièvre du pays. Nous fîmes toutefois appeler notre médecin qui après l'avoir auscultée nous déclara qu'elle était sans espoir de guérison; nous éclatâmes en sanglots à cette déclaration inattendue. C'était dans la matinée de la fête du Sacré Coeur; nos enfants venaient de prononcer leurs saints voeux et quelques heures après notre chère Mère nous était ravie C'est vers les 3 heures de 1'après midi qu'elle rendait son dernier soupir dans un doux sommeil. Malgré toutes nos diligences, notre père confesseur n'avait pu arriver à temps pour lui administrer les derniers sacrements. Notre chère Mère s'était confessée le mercredi, avait fait la Ste com­munion le lundi, fête de saint Jean Baptiste et nous avait assuré que rien ne lui faisait de la peine; son âme était en paix.

Quel jour mémorable choisi par le divin Maître pour rappeler à Lui celle qui avait préparé deux nouvelles épouses pour les noces éternelles! Lui a voulu la couronner dans le ciel et lui dire: venez votre couronne est prête; vous y avez attaché les deux derniers fleurons.

La douleur de la perte de notre chère mère Xavier est sans cesse renaissante, elle nous manque tant!... Que de peine partagées, que d'inquiétudes, d'angoisses supportées en commun; et elle n'est plus là, mais elle est dans le sein de Dieu et heureuse d'un bonheur sans mélange de tristesse, qui ne doit pas finir, ou du moins s'il lui reste à expier encore quelques fautes échappées à la fragilité humaine, j'ose espérer, Ma Révérende Mère, qu'en plus des suffrages déjà demandés, vous voudrez bien la faire bénéficier encore de vos prières et des| indulgences que vous pouvez gagner.

Nous remercions les prêtres nombreux qui ont bien voulu accompagner notre chère mère Xavier à sa dernière demeure, ainsi que toutes les personnes qui dans cette douloureuse circonstance nous ont témoigné leur affectueuse sympathie. Notre chère défunte vous sera très reconnaissante de tout ce que vous aurez fait pour le repos de son âme ainsi que nous, qui aimons à nous dire avec un profond et religieux attachement en Notre Seigneur,

Ma Très Révérende Mère ,

 

de votre révérence la très humble soeur et servante,

Sr Marie Aloysia

De notre monastère su Sacré Coeur de Jésus des Carmélites du Pater

à Jérusalem le 15 décembre 1889.

 

Jérusalem – Impr. des PP. Franciscains

Retour à la liste