Carmel

14 septembre 1888 – Le Mans

Ma Révérende et très honorée Mère,
Paix et très humble Salut en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Il y a quelques semaines, nous réclamions les suffrages de notre Saint Ordre pour notre chère Soeur ANNE DE JÉSUS, nous venons aujourd'hui nous édifier avec vous, ma Révérende Mère, par le récit de ses vertus qui nous laissent un si doux parfum d'édification.
Notre vénérée Soeur, née à Évron, ville du diocèse de Laval, eut le bonheur d'appartenir à une famille recommandable par ses sentiments chrétiens et ses principes patriotiques.
Un de ses Oncles paternels fut Confesseur de la foi pendant la révolution et mourut Vicaire Général de Monseigneur l'Évêque de Vannes.            
La Mère de notre chère Soeur Anne était une femme au coeur d'or, au caractère franc, loyal, toute  dévouée à sa famille. Élevée au milieu des terreurs de la révolution, elle avait vu le danger de près et avait appris de ses Parents à ne craindre que Dieu et à rester fidèle aux vieilles traditions de ses aïeux. Que de proscrits vinrent frapper à cette porte hospitalière et lui durent la vie! Cette Mère éminemment chrétienne conserva toujours comme un pieux héritage l'esprit de cordialité de ses bons parents, esprit qu'elle légua à ses chers Enfants, à sa petite Marie surtout qui ne s'en départit jamais.
A ces souvenirs d'enfance, se mêlait celui d'un ancien Bénédictin recueilli par sa famille. Souvent il traversait la bande joyeuse de Marie et de ses frères prenant leurs ébats, et parfois lui faisait entendre quelques paroles du bon Dieu.
Ce grain de sénevé jeté comme en passant ne tarda pas à porter ses fruits. De bonne heure, la petite fille devint sérieuse, et bientôt exerça une véritable influence sur son entourage. Dès lors se formèrent avec ses jeunes amies, pieuses comme elle, ces liens d'affection sincère et si fidèle, qu'elle en reçut jusqu'à ses derniers moments les plus touchants témoignages.                  
Elle aimait à rappeler aussi l'impression profonde que faisait sur sa jeune âme la vue du portrait d'un Révérend Père Carme qui ornait l'un des appartements de la maison paternelle. «Ce tableau m'atti rait invinciblement, nous disait-elle; je passais de longues heures en contemplation devant lui, ce qui me valut plus d'une plaisanterie, car on ne pouvait comprendre mon attrait.»  Dieu qui se sert des plus faibles moyens pour arriver à ses fins, ne parlait-il pas déjà à l'âme de l'enfant par la vue de ce personnage inconnu, comme par la voix de l'austère Bénédictin? Toujours est-il que lorsqu'elle résolut d'être religieuse, une seule pensée s'offrit à elle comme la réalisation de celle 'de toute sa vie, la pensée du Carmel.

Entre les trois frères que Dieu lui avait donnés, notre chère Soeur Anne de Jésus aimait particulièrement Joseph, le plus jeune. Les mêmes aspirations attiraient leurs âmes l'une vers l'autre, car le divin Maître qui les avait choisies, leur faisait sentir les mêmes touches secrètes et suaves de sa grâce. Le Grand Vicaire de Monseigneur l'Évêque de Vannes venant de temps à autre dans le diocèse du  Mans visiter sa famille, remarqua de bonne heure les heureuses dispositions de son neveu, aussi le voulut-il placer, à la grande satisfaction de tous les siens, au brillant Séminaire de Sainte-Anne d'Auray, tenu par les Révérends Pères Jésuites, ces pieux et intelligents éducateurs de la jeunesse. Dans la correspondance du jeune Collégien avec sa Soeur, il était souvent question des splendides  à la chapelle de Sainte-Anne. Durant les vacances, le récit des nombreux prodiges opérés dans le sanctuaire vénéré tenait toute la famille suspendue aux lèvres du pieux Narrateur. C'est alors que Marie sentit se développer dans son âme des sentiments de profonde piété pour la sainte aïeule de Notre-Seigneur.
Esprit naturellement élevé, admirateur du beau et des nobles aspirations, la jeune fille partageait aussi l'enthousiasme de son Frère pour les chefs-d'oeuvre classiques : Esther, Athalie surtout enflammaient son imagination. Elle les savait par coeur et les retint si bien que quarante ans plus tard, voulant obtenir une grande faveur de sa Mère Prieure, ma Soeur Anne de Jésus ne trouva rien de mieux que de se présenter devant elle au jour de sa fête comme une nouvelle Esther, et de lui déclamer l'immortelle prière de cette Reine, légèrement modifiée pour la circonstance : ce qui fit la joie de la soirée. Il va sans dire, que la faveur si gracieusement demandée fut non moins gracieusement accordée, et désormais la Bienheureuse sainte Anne eut, dans le Monastère, l'ermitage objet de tous les voeux de notre bien-aimée Soeur. Mais, n'anticipons pas sur les événements.
Le Collégien de sainte Anne d'Auray était devenu Séminariste de Saint-Vincent du Mans. Le jeune clerc se faisait remarquer par son angélique piété, la distinction de son esprit, son sens théologique droit et profond. Marie, sa soeur, sentait aussi l'appel de Dieu vers le Carmel. Elle s'en ouvrit à son Frère, mais le diocèse ne possédait pas encore les filles de sainte Thérèse.
A cette même époque la foi de la pieuse aspirante fut mise à une rude épreuve. Sa santé fut grave ment atteinte, et bientôt la faiblesse de la malade devint si grande qu'on la crut à ses derniers moments.
La pauvre Mère entourée de sa famille était agenouillée près du lit de sa fille et abimée dans sa douleur, quand tout-à-coup, un rayon d'espoir traverse son âme. Pleine de confiance, elle fait un voeu à sainte Anne pour la guérison de son enfant, et à peine ce voeu fut-il formulé que la jeune fille revenant à la vie, s'écria : Sainte Anne m'a guérie ! J'ai vu sainte Anne ! Je serai Carmélite!...
Plus tard, notre chère Soeur nous racontant sa guérison miraculeuse, nous disait: « A ce moment, je sentis au fond de mon âme une paix et une joie ineffables, et je vis une splendeur rapide comme l'éclair passer devant moi; je ne distinguai rien, mais je compris à n'en pouvoir douter, que ma Mère sainte Anne venait me guérir, et par reconnaissance, je m'attachai plus que jamais à l'idée de me faire Carmélite.
C'est peu de temps après cet événement que notre vénérée Mère Aimée de Jésus, de si douce mémoire, appelée d'Orléans par Monseigneur Garçon, vint établir une petite colonie Thérésienne à Saint-Berthevin-ès-Laval.                                     
L'abbé Joseph nommé depuis peu professeur au Collège de Château Gontier, ayant eu connaissance de la fondation, vint proposer sa soeur au nouveau Carmel. Le jeune professeur charma notre bonne et digne Mère Fondatrice qui lui promit de la recevoir aussitôt l'installation de sa petite famille religieuse dans la ville Épiscopale; le séjour à Saint-Berthevin n'ayant été que de six semaines.
II tardait:à notre vénérée Mère Aimée de Jésus de voir la Soeur de cet Ecclésiastique si distingué. Le jour arriva enfin, mais hélas! la jeune postulante, dans sa  simplicité naïve, s'étant figurée que pour entrer dans le cloître, il ne fallait plus rien avoir sur soi qui ressemblât aux ajustements du monde, se présenta dans une toilette impossible à décrire. Ondevine facilement l'impression de notre bonne Mère. Elle ne put si bien la dissimuler que la chère Aspirante n'en aperçut quelque chose. Elle  disait à notre vénérable Fondatrice quelques heures après, avec son fin sourire et sa légère pointe de malice: Oh! ma
Mère, quelle déception vous avez eue en me voyant!"  "- Mais vraiment ma petite, répondit simplement notre bonne Mère, je croyais que vous ressembliez à votre Frère!" Cette anecdote des premiers jours faisait la joie de notre chère doyenne; elle aimait à la raconter à la jeunesse, faisant ainsi agréablement les honneurs de sa personne.
Ce fut le 9 mars 1830 que la jeune postulante fut admise dans le petit Bethléem de la rue d'Iéna. Elle reçut le nom de l'illustre Sainte qui lui avait rendu la vie et à laquelle elle devait sa vocation. Ma Soeur Anne fut au comble de ses voeux.
Affable, prévenante, serviable malgré une certaine rusticité d'allures, notre chère Soeur plut à nos
bonnes anciennes Mères. La délicatesse se ses sentiments, l'exquise bonté de son coeur qui savait partager toutes les peines et s'inspirer à propos d'un mot affectueux pour toutes, faisait dire à nos premières Mères: Ma Soeur Anne de Jésus a l'éducation du coeur.

Deux ferventes Postulantes avaient précédé notre bien-aimée Soeur au Noviciat. Elle leur fut bientôt unie par les liens de la plus religieuse affection. Son âme ardente était bien faite pour les comprendre et partager leur attrait pour la pénitence.
Sa piété tendre, expansive, répandait autour d'elle le parfum dont son coeur aimant surabondait. Son amour pour Dieu, sa confiance en lui, étaient sans bornes. Elle parlait souvent du Ciel, de  son désir d'y aller voir Notre Seigneur. Mais que grande était sa ferveur de s'unier à Lui dans la sainte Communion! Lorsqu'elle avait cette consolation, tout en elle s'épanouissait.
"Quel bonheur, disait-elle, nous avons Notre Seigneur! qu'il serait difficile de vivre sans Lui!
Je ne sais comment font ceux qui n'ont pas la foi! » De quelles ruses ingénieuses n'usait-elle pas pour obtenir une Communion de grâce ! Les jours où son âme affamée de posséder Jésus était privée de ce pain céleste étaient vraiment les seuls où l'on put surprendre une teinte de tristesse sur son visage toujours serein, toujours gracieux.

Entre ces trois premières Novices régnait cette pieuse émulation qui double les forces, aplanit les
difficultés et fait remporter aisément les plus difficiles victoires. Les heures saintes étaient continuelles et se prolongeaient parfois bien avant dans la huit, ce qui n'empêchait pas cependant le défi du matin pour arriver la première, afin de recevoir la bénédiction de l'Ange Gardien du choeur.
Souvent on priait les bras en croix devant le saint Tabernacle, et plus d'une fois, le bien-aimé Pontife, Père de cette famille naissante, Monseigneur Carron, venant à l'improviste visiter son petit Carmel y surprit les ferventes Novices en adoration dans cette posture suppliante. Faisant alors le tour de l'étroite chapelle, il donnait son anneau à baiser à chacune, puis se retirait plein de consolation, les laissant dans l'attitude où il les avait trouvées.    
                                                                                                           
La clôture ne possédait pas d'ermitages, les Novices avisèrent au moyen de satisfaire leur dévotion et les désirs, de notre sainte Mère sur ce point. Dans l'étroit jardin, quelques pierres tombées du mur laissaient un espace vide figurant assez bien une petite grotte. Y placer une image de la Nativité de N.S., l'honorer par des prières plus ferventes encore que de coutume, fût toute la consécration que reçut ce petit sanctuaire. Il n'en devint pas moins le rendez-vous favori des trois chères Novices qui goûtaient les joies les plus suaves dans cette aimable dévotion à la sainte Enfance de Jésus. On y passait le grand silence d'après Complies, en hiver comme en été. Ma Soeur Anne servait d'excitateur. Pluie, neige ou glace, rien n'empêchait la visite au divin Enfant. On s'y retrouvait encore le matin, et parfois l'une d'elles, comme une nouvelle Thérèse, dont elle portait le nom, ne pouvant contenir ses transports, les laissait librement éclater au dehors. Elle faisait l'Oraison tout haut, et ses exclamations embrasées d'amour de Dieu, venaient comme autant de flèches les enflammer toutes.                       
Ou bien encore, cette âme séraphique commentait quelque passage de spiritualité dont la lecture l'avait touchée, mettant ainsi: en commun ses trésors, ce qui ravissait notre pieuse Soeur Anne et lui fit professer une véritable admiration pour sa compagne.
L'oeil vigilant de notre bonne Mère Aimée de Jésus ne quittait pas un instant ses chères Enfants. Voulant éprouver leur humilité et l'esprit qui les conduisait, elle donna une verte réprimande à l'orateur improvisé, ajoutant qu'elle ferait beaucoup mieux d'apprendre son Catéchisme que de se mêler de traiter des sujets si fort au-dessus de sa capacité. Les livres de spiritualité furent donc enlevés et remplacés par l'unique petit Catéchisme du diocèse. Mais qui peut arrêter le souffle de l'Esprit-Saint?
Dès les premières pages, le Séraphin, retrouvant ses ailes, semblait vouloir voler jusque dans les pro fondeurs de l'essence divine : « Entendez-vous, mes Soeurs, disait la pieuse inspirée,  Dieu est un pur esprit !... incréé !! immuable ! ! tout-puissant ! ! infini en toutes sortes de perfections !!... » Et les  recommençaient, et les âmes s'embrasaient d'amour pour un Dieu si grand, si beau, si bon auquel seul toutes voulaient appartenir.
Oh! ma Mère, s'écrïaiént-elles, que nous vous remercions de nous, avoirs donné le Catéchisme, mais c'est le plus beau des livres, c'est un livre d'or. Ce qu'entendant avec une indicible consolation, la bonne Mère les laissa désormais suivre en toute liberté leur attrait.
Si la prière était continuelle, le travail ne l'était pas moins. Dans ces temps d'extrême dénuement, tout devait être acheté au prix du plus pénible labeur. Balayer toute la maison, aider à la cuisine, se faire l'humble petite servante de toutes, furent les occupations préférées de notre dévouée Soeur qui se constitua, durant de longues.années, l'aide aimable et joyeuse de nos chères Soeurs du Voile blanc. Inégalité de caractère, mauvaise humeur, tout cela était inconnu à la jeune postulante qui s'offrait à tout d'un air si heureux qu'elle paraissait plutôt recevoir les services que les rendre.

Toute à Dieu  et à sa chère Communauté, l'ardente Enfant aurait pu trouver un obstacle  à l'essor complet de son âme vers Dieu, dans son grand attachement à sa vénérée Prieure. Là encore, l'habile Maîtresse résolut de l'éprouver. Elle mortifia sans pitié ce coeur si tendre. Ma Soeur Anne porta très courageusement  cette épreuve si sensible, et, grâce à sa fidélité, la bonne Mère parvint à faire de sa fille une âme détachée  dont la vie entière s'est écoulée dans le dégagement le  plus entier.
Ce postulat si fervent fut enfin couronné par la grâce du saint habit dont les  Compagnes furent ensemble revêtues le 8 novembre 1830.
Durant la cérémonie, un incident réjouit la jeune famille. Notre bonne Mère Aimée de Jésus ouvrant le Cérémonial, une odeur exquise s'en exhala, ce qui fut constaté par toutes les Soeurs et la digne Fondatrice de dire en souriant: Mes Enfants, c'est notre Sainte Mère qui bénit notre fondation.

Pendant de longues années, la petite Communauté ne dut sa subsistance qu'au travail des ornements d'Église. Notre chère Soeur Anne, moins adroite que ses Compagnes mais non moins dévouée, prenait  pour elle le plus pénible de la besogne, par exemple montait tous les métiers et  se tenait de longues heures dessous, guettant les aiguilles des brodeuses et les repiquant ensuite. Ce travail fatiguant contribua peut-être beaucoup à lui donner les grands maux de tête dont elle souffrit plus tard et qui firent de sa vie un long martyre.
On lui confia aussi l'office des chausses, qu'elle conserva presque jusqu'à ses dernières années; s'y appliquant avec un véritable esprit de pauvreté, une grande assiduité et charité. Son amour du travail ne lui permettait pas de rester un instant oisive ; de moelleux tricots pour les pauvres, travail dans lequel elle excellait, ou la confection de quelques jolies fleurs remplissaient ses instants libres.
Qu'elle était heureuse, cette bien-aimée Soeur, quand aux fêtes de ses Mères Prieures, elle pouvait leur offrir une corbeille de rosés ou autres fleurs de sa façon! Point de fêtes complètes, disait-on, sans les fleurs de ma Soeur Anne.                                    
Mais comment dire son attrait pour le Saint Office et l'assistance au Choeur ! Dieu en cela encore lui imposa de bien durs sacrifices. Douée d'une forte voix, ma Soeur Anne l'avait, hélas ! fausse en proportion, et malgré des avertissements réitérés, elle la dépensait sans se rendre compte de l'effet désastreux qu'elle produisait. Néanmoins, pendant longtemps, la charité de nos Mères lui permit de remplir les différentes fonctions du Choeur. Il arriva pourtant un moment où cela ne fut plus possible ; mais notre intrépide Ancienne obtint cependant d'officier, par dignité, durant les grandes Octaves. Elle s'y préparait plusieurs jours à l'avance, demandait l'aide et les avis de toutes celles qu'elle rencontrait. Le succès ne couronnait jamais ses efforts, mais avec son calme imperturbable, elle recommençait ses essais à la première occasion, si bien qu'elle put dire un jour de la fête de saint Jean : « C'est la cinquantième année de suite que nous officions aujourd'hui mais j'espère bien que ce ne sera pas encore tout ! »      
Sous l'influence de ce zèle pour l'Office divin, l'excellente Soeur se dévoua, pendant plusieurs années, à tenir éveillés, au moins du côté de Dieu, l'esprit.et le, coeur d'une chère Soeur qui perdait la mémoire. Souvent on entendait la Maîtresse et l'élève réciter ensemble quelques fragments des psaumes, les litanies, le chapelet, puis de simples aspirations jusqu'à ce que la pauvre Infirme ne pût même articuler.                                                                                                                         

Ainsi que nous l'avons dit déjà, ma Révérende Mère, notre bien-aimée Soeur Anne de Jésus ne manquait pas de finesse, ni d'esprit naturel. Elle savait à l'occasion dire une petite malice dont personne ne songeait à se blesser, son coeur était si bon ! Jamais la médisance n'effleura ses lèvres. Si, dans la conversation, il échappait quelques mots qui pussent'y ressembler, aussitôt notre vénérable Ancienne disait avec son aimable sourire: « Prenons garde! »    
Pleine de douceur, de patience, elle savait supporter les petits froissements qui blessent l'amour-propre, son ingénieuse charité trouvait toujours moyen de les excuser.
Oh! qu'elle fut bonne et fidèle amie, notre chère Soeur Anne de Jésus! Avec quelle ardeur, quelle persévérance elle priait pour les personnes qu'elle protégeait et patronnait près de Dieu. Une de nos bien-aimées Soeurs, tout particulièrement, peut en rendre un touchant témoignage.
Dès l'entrée de cette jeune Orpheline frêle et délicate, notre bonne Soeur lui dit : « Ne craignez rien, notre Sainte Mère vous a confiée à moi !» Aussi ne cessa-t-elle de veiller sur sa chère Protégée, de la suivre de ses prières et des mille attentions de sa tendre charité. En retour, cette bien-aimée Soeur eut la consolation de pouvoir prodiguer à notre vénérable Ancienne, à la fin de sa vie, les soins les plus affectueux et les plus dévoués ; si profonde était sa reconnaissance pour une fidélité qui ne se démentit jamais durant 46 ans !.....
Ma Soeur Anne avait un tel amour pour notre sainte règle, nos Constitutions et usages, un zèle si grand pour la régularité et la perfection; (comme elle l'entendait), qu'elle portait difficilement une exception, parfois nécessaire cependant en certaines circonstances. De là cette liberté qu'elle prenait et qu'elle poussait peut-être un peu trop loin avec ses Supérieurs; en leur faisant des observations qui lui paraissaient indispensables. Son âme large, droite et loyale ne comprenait pas qu'on peut agir autrement. Elle savait en tout temps et devant tout le monde accomplir son devoir, et avait le courage de ses ses convictions.
Aucune humiliation ne l'arrêtait. Si parfois on a eu à la reprendre dans sa manière de juger les choses, jamais on ne l'a trouvée dans des voies tortueuses. Sa brusquerie native dans son ton et sa parole brève allaient à cette âme simple et franche qui se croyait permis de tout dire. Ennemie déclarée de la flatterie, ma Soeur Anne allait droit au but et disait carrément sa pensée.
A côté de cette rondeur, il y avait beaucoup de perspicacité, une ténacité qui ne se déconcertait de rien pour arriver à ses fins. Ardente dans ses désiers, elle en poursuivait la réalisation envers et contre tous les obstacles ; sa ferme volonté ne semblait pas les connaître ou du moins ne s'en effrayait pas.
Notre bonne Soeur savait payer vaillamment de sa personne; repoussée, remise indéfiniment, le sourire sur les lèvres, elle laissait passer le nuage qui n'obscurcissait pas son espérance en semblant même y puiser un nouveau courage pour continuer son entreprise. Moins que personne, sa nature indépendante inclinait vers l'abaissement, aussi l'obéissance a-t-elle eut pour elle un double mérite.
Toute sa vie religieuse, ma Soeur Anne a senti l'assujettissement de demander une permissio. Si on vous donne telle chose, disait-elle quelquefois, prenez-la, mais ne la demandez pas ». Cependant, son bonheur de donner l'emportait sur sa fierté, alors pour se procurer ce plaisir, elle consentait à demander.

En tout cela, l'excuse de notre respectable Soeur Anne était dans une faiblesse de tête, reste d'une terrible maladie qui aurait dû la lui faire perdre. Que de souffrances la chère Soeur eut à endurer depuis, par ce ramollissement du cerveau ! Sa vie devint un vrai martyre que Dieu seul a pu apprécier. Le moindre bruit, le chant d'un oiseau, le son d'une cloche, lui faisaient endurer une vraie torture. Quel vaste champ pour la souffrance et l'humiliation ! Notre énergique Soeur a supporté les unes et les autres avec un cou rage invincible, toute cachée dans la face de Dieu. On l'a vue dans ces moments difficiles serrer son crucifix  sur son coeur, jetant au ciel cette simple exclamation : « Mon Seigneur! » Exclamation accompagnée d'une expression d'ineffable tendresse. Nous avons trouvé dans ses papiers cette note écrite de sa main : « Les humiliations s'accumulant sur ma tête, j'ai compris que pour moi ce devait être une fête, parce que je suis en accord avec Jésus... Quels transports pour mon âme ! Quelle ivresse ! Jésus par là même m"assure de son amour. »    
Ce doux Sauveur, qui connaissait la générosité de son Épouse, voulut l'enrichir d'un double mérite, en permettant qu'elle se rendît parfaitement compte de son état ; elle n'en fut que plus empressée à donner à la Communauté les preuves de sa charité et de son affectueux dévouement, rendant service à toutes et recherchant les occasions de faire plaisir.
Toutes les fois qu'il était question de choses pieuses, ma Soeur Anne avait toute sa lucidité, au point que lorsqu'elle s'entretenait avec les personnes du dehors qui ignoraient sa maladie, elles étaient dans l'admiration de la manière dont elle parlait de Dieu et s'exprimait même sur des matières de théologie. Elle avait le sentiment de ce qui était erroné. Par suite, il est des choses qu'elle n'a pas voulu lire, parce que, disait-elle, je ne crois pas cela, on n'est pas dans le vrai. » . Quand le Saint-Siège se prononça, on vit alors que notre bonne Soeur ne s'était pas trompée.

Dormant peu, sa prière était continuelle. Sa dévotion aux Saints était sans limites. De tous, elle connaissait l'histoire, et même la parenté. Que touchante était la représentation qu'elle en faisait chaque année, à la Toussaint. Ils étaient là, formant une armée de trois à quatre cents vaillants soldats du Christ, s'offrant aux hommages de la Communauté. Quel épanouissement cette contemplation mettait sur le visage de notre-vénérable Soeur Anne.
Après les Saints de l'Église triomphante, venaient ceux de l'Eglise souffrante; alors l'exposition recommençait, composée, cette fois, de tous les souvenirs mortuaires de nos parents et amis qu'elle pouvait se procurer. Chaque visiteuse était invitée à déposer un billet portant promesse de prières et de bonnes oeuvres offertes à leur intention. Encore, quelle n'était pas sa joie, quand au dépouillement de cette quête spirituelle, notre bien-aimée Soeur trouvait l'offrande d'une Messe déposée soit par sa Mère Prieure, ou par notre généreuse Bienfaitrice, car le précieux Sang de N. S. était à ses yeux le trésor incomparable, l'objet de toute sa confiance. Aussi, disait-elle souvent : « Ne manquez pas, au moment de ma mort, de m'appliquer de Sang de mon Sauveur. »
Jésus à bien exaucé le désir de son humble et fidèle Épouse, en permettant qu'elle mourut au moment où Monsieur notre digne Aumônier récitant avec nousles prières du Manuel, lui appliquait tous les mérites de la Passion de N. S- et de son Sang divin, en lui donnant une dernière absolution.                               
Si notre bonne soeur Anne de Jésus honorait là Sainte Vierge avec amour sous tous ses titres connus, elle avait cependant une dévotion toute particulière pour sainte Anne et saint Joachim. Avec quelle suavité elle prononçait ces mots : « Les saints Parents de Marie.»II n'est pas de prières, de démarches que notre vénérée Doyenne n'ait faites pour propager leur culte.
Dans l'intérieur du Monastère d'abord, elle avait organisé de charmantes fêtes de famille, l'une au 26 juillet, et l'autre au jour de la découverte de la statue miraculeuse. La Communauté était invitée à se rendre après Compiles à l'ermitage de la Sainte Vierge où attendaient une parure et une illumination improvisées. Là récitation des Litanies, le chant d'un cantique, l'empressement que toutes mettaient à s'y rendre lui causaient un bonheur indicible. Pieux pèlerinage de famille que nous serons heureuses de conserver comme un des plus chers souvenirs de cette dévouée fille de sainte Anne.
Mais c'est dans l'Église universelle qu'elle désirait surtout voir grandir la touchante dévotion aux
illustres ancêtres du Sauveur, son ardent désir était de voir élever leurs fêtes au rite de deuxième classe. Écrire dans ce but des suppliques au Saint Père était pour elle peu de chose; prier N.N. S.S. les Évêques de vouloir bien en être les porteurs; était moins encore. Nous doutons qu'elles aient jamais été présentées, mais nous savons avec certitude que c'est Monseigneur Fillion, de si douce mémoire, pendant le Concile du Vatican, [qui] fit part à un grand nombre 'd'Évêquès du désir del'humble Carmélite et qu'il fut accueilli par une sympathie générale. Sa Grandeur, ainsi que Monseigneur David, évêque de Saint-Brieuc, daigna approuver le Souvenez-vous à sainte Anne qu'elle avait composé, et l'enrichir de 40 jours d'indulgences.
Quelle ne fut pas sa joie à l'avènement de Léon XIII lors qu'elle apprit qu'il portait le nom de Joachim, et sa noble Mère celui d'Anne ! ce lui fut toute une révélation. « Dieu soit loué, s'écria-t-elle, avec un visage vraiment illuminé, nos affaires vont bien! » Elles allèrent en effet si bien  que peu de temps après, le décret du Saint-Siège lui apportait la réalisation de ses désirs.
La publication d'une vie de sainte Anne avait constamment été son rêve. Il y a quelques années enfin, un Révérend Père de la Compagnie de Jésus voulut bien se charger de ce travail qui fut béni de Dieu. Une pieuse Parente pourvut généreusement aux frais d'impression, et dès lors, le bonheur de notre chère Soeur fut de répandre à profusion ce petit livre aussi intéressant que pieux, lequel, a déjà beaucoup contribué au développement du culte de sainte Anne, grâce au zèle du Révérend et digne Père qui est heureux de s'en faire l'Apôtre. Au lendemain de la mort de notre vénérée Soeur, nous apprenons par Lui que sur plusieurs points de la France commencent à se former des Confréries de pieuses Mères de famille, en l'honneur de la Mère de la Vierge Immaculée.
Notre bonne Ancienne hâtait encore de tous ses voeux l'achèvement d'un ouvrage sur saint Joachim, dû à la même plume. Au Ciel, elle va intercéder en faveur d'une cause qui lui fut également si chère ! Notre Mère la Sainte Église, notre Très Saint Père le Pape, les grands, intérêts de Dieu dans le monde entier, avaient toutes ses pensées et son coeur.
Quel n'était pas son enthousiasme-pourra sainte Liturgie ! Admiratrice de Dom Guéranger, maSoeur Anne en dévorait et savourait les pages incomparables. « Oh! quelle gloire, aura cet homme-là pour avoir ainsi écrit de Dieu, répétait-elle souvent! »...
Les grands Docteurs, saint Denys l'Aréopagite, notre sainte Mère Thérèse, sainte Gertrude, avaient encore ses prédilections ; elle vivait avec eux dans une douce intimité.
En revanche, elle professait une haine implacable contre l'infernal ennemi du genre humain ; on peut dire que toute sa vie cette chère Soeur l'a poursuivi sans relâche par l'aspersion de l'eau bénite, aussi goûtait-elle tout particulièrement la doctrine de notre Séraphique Mère sur cette dévotion. Que de soulagements physiques et spirituels n'a-t-elle pas reçus de l'usage fréquent qu'elle en faisait! Si parfois, ses aspersions solennelles à l'adresse « des esprits qui sont dans l'air » lui attiraient de malignes plaisanteries, notre aimable Soeur ne s'en troublait nullement, et pour cela ne ralentissait pas les témoignages  de sa confiance en la vertu de l'eau bénite.

Ne s'occupant aucunement de ce qui ne la regardait pas, notre vénérable Soeur a quelquefois ignoré pendant longtemps des événements de Communauté qui étaient passés, ou sur le point de s'accomplir. Elle commençait vraiment à planer au-dessus des choses de la terre.
En 1880, le cinquantième anniversaire de la fondation de notre Monastère nous donna en même temps la consolation de célébrer les noces d'or de trois de nos bien-aimées Soeurs. Quelle charmante fête de famille! Nos chères Jubilaires couronnées de fleurs, rayonnantes de bonheur, portaient vaillamment le poids de leurs longues années de labeur. Au Chapitre, la cérémonie fut des plus touchante. Monseigneur d'Outremont, notre, digne Évêque et Supérieur, de pieuse mémoire, voulut bien célébrer le saint Sacrifice et adresser à nos chères Doyennes quelques-unes de ces bonnes paroles dont son coeur avait le secret. Sa Grandeur pénétra ensuite dans la clôture, accordant gracieusement l'entrée à un vénérable Prêtre, proche Parent de ma Soeur Anne, l'une de nos bien-aimées Jubilaires.
Aimable et pleine d'entrain, elle répondit parfaitement à tous les honneurs qui lui étaient faits et eût la consolation tant appréciée d'officier aux Vêpres. Surprises, chants, cadeaux, rien ne manqua à cette douce fête qui laissera dans nos coeurs d'impérissables souvenirs. De nouvelles épreuves devaient encore enrichir le trésor de mérites de notre bonne Soeur Anne.
Quelque temps après sa Jubilation, elle se cassa l'épaule en tombant dans un escalier. Une seconde chute lui  brisa le col du fémur. Toujours semblable à elle-même, pleinement et amoureusement abandonnée à la volonté divine, notre vénérée Soeur accueillit la croix avec son calme ordinaire. Réduite à garder la même position durant de longues semaines, elle souffrait extrêmement de ne pouvoir se rendre aucun service, cependant on ne l'entendit jamais se plaindre. Au contraire, toujours ingénieuse à prendre, selon son habitude, les choses du bon coté. "Bienheureux, disait-elle tranquillement, qu'il ne me soit arrivé rien de pire! » ou encore : « Tant d'autres dans la même position  que moi n'ont pas les soins qu'on me donne! »
Douce, facile, mortifiée autant que reconnaissante, notre vertueuse Soeur ne cessa de nous édifier par son esprit religieux. Un désir de sa Mère Prieure ou de ses charitables Infirmières était toujours accueilli par un aimable sourire, bien que souvent il lui imposât un douloureux sacrifice.

A l'âge de notre bonne Ancienne, ces deux accidents devaient être mortels, mais à la grande surprise de notre bon Docteur, qui lui prodigua les soins les plus intelligents et les plus dévoués, elle s'en remit promptement et si bien qu'elle put jusqu'à la fin de sa vie se servir librement de son bras cassé, et parcourir tout le Monastère appuyée seulement sur son petit bâton.
Notre bien aimée Doyenne put donc revenir en Communauté, à la grande joie de tous nos coeurs, nous l'aimions tant! Nous la regardions comme une précieuse relique de ce bon vieux temps dont le souvenir nous charme toujours. Nous aimions surtout à admirer la transformation faite dans son âme par la grâce. L'humiliation, l'abjection, voilà quels ont été les instruments dont le Seigneur s'est servi pour faire au coeur de son Épouse les crucifiantes opérations de son amour jaloux. Elle s'est laissée tourner et retourner par la main divine, et est arrivée à la fin de sa carrière à cette vertu consommée, dont nous respirions avec bonheur le doux parfum, et dont le reflet se voyait sur son vénérable visage. C'était un repos, c'était une paix, une béatitude que les choses de la terre ne peuvent  donner. Conversant toujours avec le Ciel, elle conservait comme un rayonnement de la gloire des Saints avec lesquels cette chère Soeur aimait tant à s'entretenir.
Le divin Maître a vérifié pour notre bonne Soeur Anne cette parole du saint Évangile : Les humbles seront exaltés. Plus notre vénérable Doyenne avançait en âge, plus sa force morale grandissait. Gardant toujours la parfaite possession d'elle-même, digne dans sa simplicité, c'était la plus aimable vieille qu'on pût voir.         

Ici, ma Révérende Mère, nous sommes heureuses de laisser parler la chère Mère qui nous a précédée dans la charge, partageant de tout coeur son appréciation.
« Âme de foi fortement trempée, notre bonne Soeur Anne de Jésus sut profiter des épreuves par lesquelles la divine Providence l'a fit passer. Sous le ciseau du Maître divin, sa nature ardente s'était assouplie, son coeur aimant s'était complètement tourné vers Dieu et les choses de Dieu. Pendant les dernières années de sa vie, nous avons eu souvent l'occasion d'admirer l'oeuvre de là grâce dans cette chère âme, et de nous édifier de sa piété, de son détachement, de son filial abandon, de la démission de  son jugement, aimant à voir et à honorer Dieu dans la personne de sa Prieure. En un mot pendant les années de notre charge, nous n'avons jamais quitté cette vénérable Soeur sans ressentir en nous un plus  grand dégagement des choses de là terre, un plus grand désir de la gloire de Dieu et du salut des âmes.» A ce portrait si fidèle des dispositions de ma Soeur Anne au terme de sa vie, nous n'ajouterons qu'un trait : c'est qu'elle nous a nous-même souvent confondue par son respect, son esprit d'obéis sance, son humilité.
Oui, Dieu régnait vraiment en maître dans cette âme, aussi se plaisait-il à lui faire entendre parfois de ces paroles intimes qui la ravissaient. Assurer son salut, sa prompte union à Dieu aussitôt après sa mort était sa grande préoccupation: Que de prières, que d'oraisons de tous genres n'a-t-elle pas faites dans ce but? « Oh! pas de Purgatoire, disait-elle quelquefois, un acte d'amour parfait au dernier moment, et puis aller droit au Ciel. » Quelle a été belle cette mort ! douce et simple comme sa vie. Cependant,  notre bonne Soeur ne la désirait pas. Voyant son Dieu en tout et partout, Elle n'était pas pressée de nous quitter. Mais aussitôt que l'appel du Maître s'est fait entendre, cette âme de la trempe des anciens patriarches a répondu : me voici, Seigneur, je suis prête à partir.
Oublieuse d'elle-même, elle n'aimait pas occuper les autres ; le bon Dieu a favorisé son attrait : sans autre maladie que ses 84 ans et l'affaiblissement progressif de ses forces, elle s'est éteinte en quelques jours, fortifiée par la bénédiction toute paternelle que s'empressa de lui envoyer Monseigneur, notre vénéré Père et Supérieur, qui nous donne en toutes circonstances les preuves de son plus bienveillant intérêt.
Le Dimanche, 26 août, notre courageuse Soeur, se rendit encore à l'Oratoire pour recevoir son Bien Aimé Jésus, mais ce suprême effort sembla l'avoir épuisée.   
Le mardi suivant, elle reçut le saint Viatique et l'Extrême-Onction en pleine connaissance, s'unissant à toutes les prières, et remercia elle-même Monsieur notre digne Aumônier des précieuses consolations qu'il voulait bien lui apporter.       
Avec une lucidité parfaite, peu de temps avant sa mort, elle répondait avec nous au chapelet et aux pieuses aspirations que nous lui suggérions, nous souriait, remerciait du regard ses dévouées infirmières, et répéta plusieurs fois: Oh! Vanité! Vanité! Vanité!
Son dernier soupir n'a été saisi que par celles de nos soeurs qui la regardaient attentivement et qui virent descendre peu à peu sur ce front consacré par tant de souffrances comme un reflet de la paix
du Ciel.  
Ce fut le mercredi 29 août que notre vénérée et regrettée Soeur s'endormit ainsi comme un petit enfant entre les bras de son Père céleste, entourée de Monsieur notre excellent Aumônier, et de toute la Communauté réunie.      
Quel air de candeur et de simplicité après sa mort ! Tous ceux qui la virent en furent frappés. On se sentait doucement attiré auprès d'eIle. La souplesse de ses membres, leur blancheur et leur transparence, l'absence de tout ce qui rappelle la corruption de notre pauvre nature, tout nous disait encore en la regardant : les humbles seront exaltés !            
Par une coïncidence touchante, la sainte Eglise ne mettait sur nos lèvres que des chants du Ciel en cette fêté de la Dédicace des Églises de Notre Ordre, doublement chère à nos coeurs par l'anniversaire de la Consécration de notre chapelle. Aussi, nous sembla-t-il vraiment entonner l'hymne du triomphe pour notre bien-aimée Soeur, en chantant auprès de sa dépouille mortelle, exposée à découvert, cet office si beau, si consolant pour nos âmes. N'était-elle pas elle-même, en effet, cette regrettée Soeur,  ce Tabernacle sanctifié parle Seigneur, une de ces pierres vivantes choisie, taillée, polie, ciselée par le marteau: et la main du divin Ouvrier? Pierre précieuse, toute prête à prendre place dans l'enceinte de la Jérusalem céleste.                                                                                              
Avec quelle ferveur nous demandâmes à Dieu par la récitation de l'Office des Morts qui suivit, de vouloir bien hâter l'heureux moment de son entrée dans la splendeur des Saints !
Et il nous semblait déjà entendre sa voix nous redire avec un accent tout nouveau : « Non, pour moi il n'y a plus de pleurs, plus de cris, plus de douleur, car le premier état est passé. Revêtue des mérites infinis du précieux Sang de mon Sauveur, il m'a été donné de réaliser cette parole : « Elles viendront à Vous, Seigneur, avec allégresse, portant leurs gerbes dans leurs mains ! »                

Ses obsèques furent solennelles. Monsieur l'Archiprêtre de Notre-Dame de la Couture que nous avons le bonheur d'avoir pour Confesseur ordinaire et qui nous témoigne le plus religieux et le plus paternel intérêt, voulut bien, à la tête de son Clergé,et assisté de plusieurs saints religieux et autres Ecclésiastiques, nous faire l'honneur de présider la cérémonie qui fut belle et touchante. Que Monsieur l'Archiprêtre et ses dignes Assistants veuillent bien  recevoir ici l'expression de notre vive gratitude, ainsi que toutes les personnes qui ont bien voulu nous représenter et accompagner le corps de notre regrettée Défunte.
Nous éprouvons encore le besoin d'exprimer notre reconnaissance à celui des membres de sa famille qui a bien voulu s'arracher à ses nombreuses occupations, toutes de zèle et de charité, pour venir lui donner un dernier témoignage, en conduisant le deuil. Jadis, c'était la Mère de notre chère Soeur qui visitait et consolait dans la prison où elle mourut, l'aïeule de ce digne Magistrat ; aujourd'hui c'est lui qui l'accom pagne jusqu'à sa dernière demeure, au cimetière de la ville, n'ayant pu avoir la consolation de garder sa chère dépouille dans le nôtre.
Veuillez nous pardonner, ma révérende Mère, d'avoir peut-être dépassé les bornes ordinaires d'une
circulaire, mais notre bien-aimée Soeur Anne étant la première fille de notre chère Mère Fondatrice dont la Communauté a l'occasion d'écrire  la notice, tant de choses se rattachaient à sa vie que nous nous sommes laissée entraîner comme malgré nous, à en reproduire, quoique très imparfaitement les diffé rents traits.    
Aux suffrages déjà demandés, veuillez bien encore, ma Révérende Mère, ajouter par grâce, une Communion de votre fervente Communauté, l'indulgence duVia Crucis, les six pater, une invocation à Sainte Anne, à Saint Joachim, et à notre sainte Mère Thérèse, objets de sa tendre dévotion. Elle vous en sera profondément reconnaissante, ainsi que nous qui avons l'honneur de nous dire, avec un religieux respect dans les Coeurs sacrés de Jésus et de Marie,
Ma Révérende et très honorée Mère,
Votre humble Soeur et Servante,    
Soeur M. THÉRÈSE de St-AUGUSTIN,
RCI
De notre Monastère de Jésus-Médiateur et de l'Immaculée-Conception des Carmélites du Mans,
le 14 Septembre 1888.
Voici le Souvenez-vous composé par notre chère Soeur :
« Souvenez-vous, ô très saints parents de Marie! que jamais on ne vous a rappelé la joie ineffable que vous avez ressentie à la naissance de votre Fille bien-Aimée qui devait être la mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans être exaucé. Animée de cette confiance, je me prosterne à vos pieds, ô saints aïeux de mon Sauveur, et vous supplie d'exaucer mon humble et confiante prière ».
(40 jours d'indulgence).

P.-S. Nos Mères d'Angoulême nous chargent de vous dire, ma Révérende Mère, qu'elles ont
oublié de faire rectifier sur l'Ordo, l'adresse du Carmel de Sydney. Elles vous prient donc de bien vouloir en attendant adresser, vos circulaires àla Révérende Mère Prieure des Carmélites, Marrickville,  Australie, Sydney.

Le Mans. — lmp. Leguicheux et Cie.

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