Carmel

14 Novembre 1896 – Fontainebleau

 

Ma Très Révérende Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vient d'affliger bien douloureu­sement nos coeurs en enlevant à notre affection filiale, notre digne et bien aimée Mère Marie-Pie-Elisabeth de la Croix, professe de Nevers, fondatrice des Carmels de Meaux, de Fontainebleau, de Merville et d'Epernay.

Notre vénérée Mère était âgée de soixante-quatre ans deux mois dix jours, et comptait trente-six ans sept mois de profession.

Elle naquit en Champagne, d'une famille aussi distinguée par le rang honorable qu'elle occupait dans la société que par les qualités d'esprit et de coeur qui la distinguaient. Notre chère Mère ne puisa cependant pas la sève de la vie chrétienne au foyer paternel ; c'était au contraire dans un milieu rationaliste et mondain qu'elle devait passer son enfance entière.

Dieu, qui avait résolu de faire sienne cette petite âme d'enfant, l'instruisit Lui-même par des faveurs spéciales et par sa Providence : c'est ainsi qu'à cinq ans, Noémi, notre future Carmélite, apprit de son frère (cet enfant de bénédiction, frère unique de notre Révérende Mère, après avoir été un brillant élève de l'Ecole Normale, entra dan» l'Ordre de Saint-Dominique, suivit comme aumônier le corps des Zouaves Pontificaux et il est actuellement Supérieur d'une maison de son Ordre), alors âgé de sept ans, l'existence de Dieu, la nécessité de l'aimer, de le prier. Ce petit germe de piété déposé par les soins d'un enfant, déjà apôtre par le coeur, se développa d'une façon extraordinaire et produisit dans l'âme de Noémi des fruits admirables de salut.

Noémi devint une jeune fille accomplie. Douée d'une très belle intelligence, elle avait acquis, par les soins de sa mère, une instruction plus qu'ordinaire : elle .était du reste passionnée pour l'étude. Ses talents, son esprit, tous les charmes de sa personne la firent briller dans les salons et les soirées mondaines où ses parents l'obligèrent de paraître fort jeune. Par une grâce particulière, Noémi eut le secret de sanctifier ce genre de vie où tant d'autres se perdent! Le Saint-Esprit l'aida à accomplir bien des actes de vertu : c'était un succès littéraire auquel son humilité échappait en prétextant quelques occupations urgentes; c'était son chapelet qu'elle pressait entre ses doigts en appelant la Sainte Vierge à son aide à l'approche d'une tentation. Parfois, fermant les yeux et s'absorbant en Dieu, elle faisait son oraison au spectacle.

Quel que fût le milieu où elle dût paraître, elle porta, sans jamais le quitter, le scapulaire sur les épaules et la médaille de la Sainte Vierge suspendue à son cou. C'est ainsi que, bravant tout respect humain, Noémi lutta pied à pied pour mener dans le monde une vie chrétienne et pieuse. Elle eut le courage de surmonter tous les obstacles que d'autres auraient trouvés insurmontables. Elle se privait de tout aliment les jours d'abstinence aux repas où il ne se trouvait point de plats maigres, plutôt que d'enfreindre le précepte de l'Eglise. Elle faisait fréquemment la Sainte Communion, mais en cachette, et, à l'exemple de sainte Catherine de Sienne, elle savait trouver une cellule en son coeur pour s'y livrer à l'oraison.

Ce fut, à seize ans, dans le tourbillon d'une fête qu'elle entendit le premier appel à la vie religieuse. Pendant qu'elle prenait part à une danse, elle sentit son âme envahie d'un immense dégoût des frivolités du monde en songeant que tout passait. Cette vocation religieuse devait être achetée très chèrement. Noémi eut à soutenir pendant cinq ans une lutte terrible, d'abord contre elle-même, puis contre l'affection passionnée de son père qui ne pouvait se résoudra à se séparer de sa fille.

Mais Dieu avait parlé. Noémi n'hésita pas ; elle attendit seulement l'heure favorable. A vingt ans elle perdait sa mère, qui, après être revenue depuis quelque temps à Dieu, mourait très sainte­ment, non sans avoir béni ses deux enfants et leur vocation religieuse. A vingt et un ans, Noémi quitta son père bien aimé pour se diriger vers le pieux asile où elle devait commencer sa carrière religieuse.

Son frère, ange gardien de toute sa vie, voulut raccompagner jusqu'à la communauté où elle devait commencer son noviciat. Il n'attendait lui-même que ce moment pour entrer dans l'Ordre de Saint-Dominique.

Ce fut chez les Filles de la Charité que Noémi s'essaya à la vie religieuse. Elle choisit cette Congrégation par pure obéissance à son confesseur. Mais elle comprit tout de suite que ce n'était pas là sa vocation. Elle s'en ouvrit aussitôt au Supérieur général, M. Etienne. Ce sage directeur réprouva pendant trois ans. Reconnaissant alors que, malgré une grande activité et un sens pratique admirable, la jeune novice n'était pas appelée à son institut, il l'envoya au Carmel.

Noémi partit pour Amiens. Elle y prit l'habit le 8 juillet 1857. Bientôt des crachements de Sang firent noter au médecin que l'air de la Picardie ne convenait pas à Son tempérament, et là Révé­rende Mère Aimée de Jésus, prieure d'Amiens, l'envoya à la Révérende Mère Emmanuel, alors prieure de Nevers, disant qu'elle lui donnait son trésor.

Noémi reprit les livrées du Carmel et fit profession à Nevers le 20 février 1859, elle reçut le voile noir des mains de Monseigneur Dufètre, le 4 mars de la même année.

Son frère bien aimé assista aux deux cérémonies, et c'est lui qui prononça les sermons d'usage. Les soeurs contemporaines de la Mère Elisabeth se rappellent, non sans attendrissement, ce jeune religieux avec sa couronne monacale et l'heureuse Carmélite avec sa couronne de roses blanches.

Nos Mères de Nevers ont conservé le souvenir édifiant des débuts de cette âme généreuse. Elle se distingua par les traits qui l'ont caractérisée toute sa vie : une très grande charité pour le prochain et une soif extrême de souffrir par amour pour Dieu.

Un an après sa profession, la Mère Elisabeth était appelée à fonder le Carmel de Meaux, Cn compagnie de la Révérende Mère Emmanuel de pieuse mémoire. Elle y fut envoyée comme Sous-Prieure, et son père lui-même devint le fondateur eh titre de cette maison naissante.

fin 1863, la Mère Elisabeth fut nommée prieure, charge qu'elle occupa depuis, presque toute sa vie sauf à quelques rares intervalles. Et c'est bien comme mère et prieure que nous l'avons connue, aimée, admirée. C'était une mère incomparable, sachant diriger les âmes vers les régions les plus élevées de, la vie surnaturelle. En direction, elle semblait communiquer un peu de cette vie

divine dont elle désirait vivre elle-même; elle inclinait les volontés les plus rebelles à accepter le» vouloirs de Dieu! Quand nous nous étonnions de ce pouvoir surprenant qu'elle possédait sur les âmes, elle nous répondait humblement que c'était Notre-Seigneur qui agissait, que pour faire du bien il lui fallait attendre le secours du ciel, car elle se croyait incapable de dire d'elle-même une parole substantielle. Ses instructions au chapitre avaient parfois l'onction de l'huile; d'autres fois c'étaient des flèches de feu qui nous enflammaient ou nous blessaient salutairement. Ses sermons à l'occasion des professions religieuses étaient remarquables par la doctrine et la hauteur des idées. Nous les avons précieusement conservés.

Son gouvernement était très ferme. Elle exigeait une très grande obéissance et ne transigeait pas avec les inspirations de la nature. Il fallait, bon gré, mal gré, passer par le moule de la disci­pline et nous ne pouvons que lui garder une vive reconnaissance pour le soin qu'elle a pris d'imprimer à notre Carmel une attache très prononcée pour toutes les observances régulières de la vie commune.

Outre ces dons d'un ordre supérieur, la Mère Elisabeth était douée d'un esprit pratique et d'une aptitude très rare chez une femme pour les affaires : elle étonnait les hommes les plus expérimentés de tous les états. L'étendue de son esprit la rendait capable de comprendre les questions qui semblaient le plus éloignées de son genre de vie. Toutes ces qualités réunies faisaient de la Mère Elisabeth une vraie mère par le coeur et la tendresse et une supérieure hors ligne dans son gouver­nement aussi bien au point de vue spirituel qu'au point de vue temporel.

La Mère Elisabeth fut aussi appréciée des âmes d'élite qui, vivant dans le monde, aspirent cependant à la perfection! Que de secrets versés dans ce coeur fidèle à l'amitié comme il l'était à son Dieu! Que de larmes essuyées par sa tendre compassion! Que d'âmes réconfortées par sa parole tendre et forte à la fois! On sortait du parloir avec une volonté plus ferme pour marcher dans la voie qui mène à Dieu. Et quand on ne pouvait parvenir jusqu'à elle, on lui écrivait; ses réponses apportaient joie et lumière, ses lettres avaient un cachet d'élévation, de simplicité, de vigueur et surtout d'amour de Dieu qui s'imprimait dans les âmes.

Cette nature si extraordinairement faite pour le commandement avait cependant la passion de l'obéissance. Elle sut obéir d'abord à Dieu par une soumission admirable à ses divins vouloirs. Elle disait fréquemment : « II faut faire place à Dieu! — Obéissons en tout à l'Amour! »

Elle obéit à ses supérieurs avec une déférence admirable. Nous n'en citerons qu'un trait : Au Carmel de Meaux, on avait préparé un très bel ornement de forme romaine. Il était dessiné par la Mère Elisabeth et l'on avait commencé de le broder lorsque M. le Supérieur vint au monastère où il apprit le petit événement du jour. Il blâma aussitôt la forme de cette chasuble. Notre Mère Elisabeth ne répliqua rien. Cet ornement magnifique fut aussitôt modifié par la digne prieure; il perdit de son élégance première mais en revanche nos Mères l'appelèrent l'Ornement de l'obéis­sance.

Dans les quelques années qu'elle vécut au Carmel sans être en charge, la Mère Elisabeth demanda toutes ses permissions avec la ponctualité d'une fervente novice. Quant à son obéissance pour son directeur, elle fut poussée à un degré héroïque. Celui qui la dirigea pendant longtemps la traita parfois avec une force qui eût écrasé une âme moins bien trempée, mais elle sut toujours être cire molle sous la direction qu'on lui imprima.

Parlons maintenant de sa charité : elle fut ardente et généreuse. Jeune fille, nous la voyons porter en cachette sous un manteau de velours, des vêtements, des secours de tous genres à des pauvres de la ville; s'installer chez une femme malade et la remplacer auprès des enfants, les habillant, les soignant «n vraie Soeur de charité. Plus tard, cet amour du prochain se déversa sur les Ames : « J'ai résolu, (écrivait-elle) de me sacrifier pour Dieu, pour Jésus-Christ, pour les âme et dans ce dessein de me mépriser moi-même. J'ai résolu également d'être bonne et de chercher à rendre heureuses celles qui m'entourent en leur donnant la paix de Jésus. » Tel fut son programme et certes, elle sut l'accomplir. Elle avait le secret de deviner les besoins du corps et de l'âme de ses filles. Les âmes s'achètent, répétait-elle souvent et ce cri du coeur nous révèle cette vie de pénitence inouïe à laquelle elle se livra surtout pendant quinze années qui l'ont rendue martyre de pénitence.

Le récit de ses austérités fait frémir! Elle-même frissonnait parfois à la pensée seule de certaines nuits où elle devait se livrer à ce rude combat contre elle-même; mais l'amour de Dieu et l'amour des âmes lui faisaient surmonter les répugnances de la nature et elle ne céda que lorsque l'obéissance retira les permissions. Ces permissions d'ailleurs ne lui furent enlevées que devant la maladie qui graduellement faisait son oeuvre, manifestant de temps en temps ses progrès sur ce corps qu'elle minait sans jamais abattre l'énergie de sa volonté.

Elle avait demandé à Dieu, au début de sa vie religieuse, de souffrir toujours et toujours davantage. Qu'elle fut bien exaucée, notre vaillante Mère!

Pendant que son corps était dévoré par la maladie et crucifié par la pénitence, son coeur était broyé par la souffrance, te coeur si sensible et si bon connut toutes les douleurs et toutes les amertumes morales. Mais son âme fut bien autrement martyrisée. Cette âme qui réconfortait si suavement et si maternellement, était torturée par des peines d'esprit de tout genre et par la crainte des jugements de Dieu. Pendant vingt années, elle fut livrée à un purgatoire anticipé : les abandons, les tentations l'assaillirent et elle eut à combattre énergiquement. Sa volonté resta debout au milieu des ténèbres et cette âme faite pour les grandes luttes, triompha par son amour de Dieu et son aveugle obéissance.

Au milieu de ces épreuves terribles, notre Mère trouvait le secret de ranimer la confiance dans les coeurs les plus découragés. Elle s'étonnait elle-même de cette puissance de sa parole et de ce que son âme pût répandre sur les autres, une si abondante sève de spiritualité au plus fort des aridités.

La Mère Elisabeth s'était livrée sans réserve à la souffrance, Par suite, il était nécessaire que sa personne, ses intentions fussent attaquées : nous faisons allusion à cette partie de sa vie où la publicité s'attacha à son nom et où ses oeuvres passèrent par la contradiction des langues, où elle fut en butte à des attaques violentes.

La Mère Elisabeth resta calme devant l'orage : elle garda son secret. Elle laissa ignorer le moteur qui l'avait fait agir. Nous pouvons lever le voile aujourd'hui. Ce fut le Souverain Pontife Pie IX lui-même qui traça la ligne de conduite à celle qu'il se plaisait à nommer « son zouave de la prière. » Et quand le Père de tous les fidèles fut averti de la tempête inattendue soulevée à cette occasion, il admira le silence de notre Mère Elisabeth et lui sut gré de son courage. Il lui donna alors un gage de son approbation en lui envoyant un bref qui conférait au Carmel de Meaux, le titre glorieux de Carmel de Pie IX. Dieu fit plus encore : Il donna à la bénédiction du Pape sur sa fidèle servante, une efficacité si grande, qu'elle fit jaillir une surabondance de paix et de consolation dans l'âme si longtemps angoissée de notre Mère Elisabeth; et depuis, sa vie spirituelle entra dans une phase de lumière et de force toute nouvelle.

En 1872, notre vénérée Mère publiait une édition de la vie de notre Père saint Jean de la Croix composée par le Révérend Père Dosithée de Saint Alexis.

Trois ans plus tard, Dieu l'appela à de nouveaux travaux. La bénédiction de Pie IX continuait à porter des fruits au Carmel de Meaux : les sujets devenaient trop nombreux; il fallut essaimer. Nos supérieurs résolurent d'envoyer la Mère Elisabeth fonder un nouveau monastère dans le même diocèse, à Fontainebleau.

L'acte d'obéissance qui lui était demandé coûta extrêmement à notre chère Mère : elle disait qu'il lui avait été aussi déchirant à son coeur de quitter ce Carmel béni que de quitter son père bien-aimé et sa famille ; mais, âme de foi, elle partit, s'offrant en sacrifice à Dieu, se consacrant de nouveau comme victime et réparatrice pour le triomphe de la Sainte Eglise, dans cette même ville de Fontainebleau où la papauté avait été humiliée en la personne de Pie VII.

Le fut le 14 Novembre 1875, que le Carmel fut définitivement établi en cette ville. La Mère Elisabeth imprima aussitôt a cette oeuvre, la vitalité qu'elle savait mettre en tout ce qu'elle entreprenait. Elle y rencontra de grandes difficultés, d'innombrables souffrances; la croix y fut plantée, mais avec elle la bénédiction du Seigneur car cette fondation se développa rapidement et alla toujours croissant.

Il y a six ans, nos supérieurs jugèrent que la maison de Fontainebleau pouvait fournir des sujets aptes à une fondation nouvelle. La Mère Elisabeth partit sous la garde de l'obéissance avec quelques-unes de ses filles, le 30 Août 1890, à Merville, diocèse de Cambrai. Elle organisa la maison, pourvut aux offices, régla le spirituel et le temporel de la communauté et revint à Fontai­nebleau. Mais elle continua à guider de loin ses filles bien-aimées de Merville. Ce fut même en leur écrivant pour leur donner quelques conseils et en leur envoyant sa bénédiction que notre Mère Elisabeth s'endormit dans le Seigneur.

Le 3 mai 1895. une autre fondation, sortie de Fontainebleau, s'établissait à Epernay, sous la conduite de notre Mère Elisabeth. La Vénérée Mère se consacra à cette oeuvre avec un coeur et un zèle extraordinaires. Elle y épuisa ses dernières forces, mais aussi elle y goûta ses dernières consolations quand elle vit Dieu bénir le grain de sénevé et lui donner rapidement l'accroissement nécessaire pour abriter les oiseaux du ciel que sa grâce allait y réunir. Cette oeuvre de notre chère Mère était a peine achevée qu'une violente crise de coeur vint trahir ses forces sans toutefois arrêter son ardeur; car, ne calculant pas avec la maladie, elle arriva le 17 août dernier à Fontainebleau pour régler des affaires temporelles qui y réclamaient impérieusement sa présence, et c'est ainsi que par un concours de circonstances imprévues et providentielles, Dieu allait consommer le sacrifice de celle qui s'était offerte comme victime plus de vingt ans auparavant pour la papauté et le triomphe de l'Eglise dans ce Carmel de Pie VII, en la fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs, le 20 septembre, jour anniversaire de la prise sacrilège de Rome.

Le 25 août la Mère Elisabeth se trouva assez bien pour suivre régulièrement tous les exercices d une retraite prêchée par un de nos Pères. Elle en goûta la doctrine aussi élevée que solide et pratique, y renouvela son âme dans une revue de sa vie tout entière et par des entretiens spirituels dont elle sortit toute imprégnée de paix et d'amour de Dieu. Le mal ne cédant pas, malgré les soins qui lui étaient prodigués, elle resta à l'infirmerie vivant d'oraison, de prière et ne se livrant qu'à un travail restreint. Nous espérions que la vie reprendrait peu à peu son cours, mais les forces étaient épuisées sans cependant que rien ne nous laissât soupçonner un danger imminent.

Le 20 septembre, après avoir prié toute la matinée, elle nous arriva en récréation toute joyeuse se disant mieux ; elle eut un mot aimable pour chacune et parla de projets d'avenir. Elle s'entretint ensuite avec une soeur malade, lut quelques lettres et se mit à écrire. A peine étions-nous de retour des Vêpres que nous allâmes la voir. Quel coup pour nos coeurs quand, ouvrant la porte, nous la trouvâmes sans mouvement et sans vie, frappée par une embolie au coeur ! ! !

En 1887, au sortir d'une très grave maladie où elle avait été entourée de secours spirituels, elle nous avait dit : « Pourquoi, mes chères enfants, avoir ainsi importuné le ciel pour obtenir ma guérison, j'étais si bien disposée et vous verrez que je mourrai seule!!! » C'était une prédiction. Elle avait toujours désiré mourir en faisant un acte d'amour de Dieu et tout porte à croire que Dieu l'appela à Lui dans l'exercice même de la prière, car elle avait déposé avec ordre sa plume et ses lunettes; elle avait donc interrompu sa lettre et, comme elle en avait l'habitude, elle avait dû adresser à Dieu quelques oraisons jaculatoires pleines de ferveur et d'amour, et nulle créature n'était là pour interrompre ce colloque intérieur entre le Seigneur et sa fidèle servante; en sorte que nous pouvons espérer que Dieu la frappa juste dans un acte de charité parfaite.

Dans sa profonde humilité, elle avait souvent exprimé le désir de mourir étendue par terre, elle nous avait même demandé d'y condescendre à ses derniers moments. Nous n'eûmes pas besoin de le faire, car nous la trouvâmes modestement allongée sur le sol, le visage contre terre, dans l'attitude où un marbre célèbre représente la vierge et martyre sainte Cécile. Ce fut alors que notre digne Père confesseur, M. I'Archiprêtre de Fontainebleau, appelé en toute hâte et lui supposant comme nous un reste de vie, lui administra les derniers sacrements; c'était une scène digne des anciens temps où nos saints sont représentés étendus humblement par terre et rendant leur dernier soupir entourés de leur famille religieuse. Qu'elle était belle ainsi notre chère et bien-aimée Mère! Sa physionomie exprimait la paix et la consolation; Nous l'exposâmes au Choeur et il se fît aussitôt une procession ininterrompue de personnes venant pieusement prier à la grille pendant les quatre jours que nous conservâmes sa dépouille mortelle. On faisait toucher des chapelets, des médailles, à celle que l'on proclamait déjà sainte.

Cette mort si subite ne fut pas imprévue. La Mère Elisabeth nous avait dit : Je mourrai subitement, mais je ne m'en effraye pas, m'y préparant chaque jour.

Ses funérailles eurent lieu le jeudi 24 septembre. Elles furent particulièrement touchantes dans leur simplicité. Un grand concours de prêtres et de fidèles, de riches et de pauvres, tinrent à honneur de suivre la dépouille mortelle de notre Mère Elisabeth jusqu'à sa dernière demeure. C'est au cimetière de la ville qu'on dut la conduire car nous n'avons pas encore la permission d'enterrer nos défuntes dans la clôture. M. le Curé chanta la messe et présida à l'inhumation assisté d'un Père Carme et d'un Père Bénédictin. Les chants magnifiquement exécutés par les enfants de la maîtrise sous la direction du Maître de chapelle de la paroisse impressionnèrent vivement toute l'assistance. Les larmes coulaient de bien des yeux. Mais dans cette imposante cérémonie, on cherchait en vain celui à qui tous pensaient en ce moment, le frère bien aimé de notre Mère Elisabeth. Le vénérable religieux s'était refusé à lui-même cette suprême consolation pour ne pas interrompre une retraite qu'il prêchait dans le midi, donnant en cela l'exemple de la fidélité héroïque au devoir qui fut toujours sa devise.

La mort de notre vénérée Mère, tout en brisant nos coeurs, a laissé en nous toutes, une profonde impression de paix et de confiance. Nous avons assurément bien des motifs d'espérer qu'elle jouit dès maintenant de la félicité des bienheureux. Sa vie, si remplie d'actes de vertu poussés souvent jusqu'à l'héroïsme, ses pénitences excessives, les souffrances de tout genre qui lui furent départies et qu'elle supporta avec patience, sa mort si douce et si providentiellement précédée d'une bonne retraite et de la prière, cette paix, cette sérénité, cette douceur, cet abandon des derniers jours, toutes ces circonstances manifestement ménagées par la Providence nous font rendre grâces à Notre-Seigneur de la sollicitude ineffable de ce bon Maître à l'égard de ses épouses fidèles, les préparant Lui-même par une amoureuse disposition pour les appeler à Lui au moment où elles sont le mieux disposées.

Cependant, ma Révérende Mère, comme il faut être si pur pour contempler l'ineffable beauté de Dieu, nous vous supplions d'ajouter aux suffrages déjà demandés, le Via Crucis, une journée de bonnes oeuvres de votre fervente Communauté et tout ce que votre charité vous suggérera. L'âme de notre chère et très regrettée Mère Elisabeth vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, ma Révérende Mère, qui avons la grâce de nous dire avec un religieux respect,

Ma Très Révérende Mère,

Votre bien humble Soeur et Servante,

Sr Marie-Marguerite du Saint-Sacrement,

Carm. déch. ind., Prieure.

De notre Monastère du Sacré-Coeur et de l'Immaculée-Conception, Carmel de Pie VII. Fontainebleau, le 14 Novembre 1896.

Retour à la liste