Carmel

13 août 1894 – Pamiers

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Que la sainte et adorable volonté de Dieu soit faite !

Il y a six mois à peine, nous venions solliciter les suffrages de Notre saint Ordre pour deux de nos soeurs que la mort nous avait ravies presque en même temps.

Aujourd'hui, encore, nous venons, le coeur brisé, vous faire part du doulou­reux sacrifice que le Seigneur vient de nous imposer en enlevant à notre tendre affection, le 9 Août, à 9 heures et demie du matin, Notre bien chère et regrettée Mère Marie-Gabriel-Olympe du Sacré Coeur de Jésus, professe de notre Com­munauté, âgée de 46 ans et 5 mois, et de religion 21 ans.

Bien que cette pénible séparation ait été depuis longtemps prévue, néan­moins nous espérions toujours que le ciel se laisserait fléchir par nos incessantes supplications et laisserait quelques années encore, au milieu de nous, cet ange de douceur, ce modèle de vertu. Hélas ! les desseins du Très-Haut ne sont pas les nôtres, nous ne pouvons que les adorer en silence. Sa divine Majesté avait hâte de retirer de ce monde celte âme privilégiée, cette fleur, qui pendant plus de 20 ans avait embaumé notre Carmel de son suave parfum , devait être cueillie et transplantée là-haut, dans les jardins de la Cité sainte, pour y briller éternellement.

Notre bien-aimée Mère nous avait plusieurs fois priée, pendant sa longue maladie, de vouloir bien ne pas lui faire de circulaire, si ce n'est pour demander les suffrages de l'Ordre ; peu de jours avant sa mort, elle nous exprimait encore cet humble désir ; nous lui promîmes de nous y conformer autant que possible. Tout en respectant son amour pour la vie cachée et son mépris d'elle- même, nous ne pouvons, Ma Révérende Mère, nous priver entièrement de la consolation que nous aurions à vous parler en détail d'une vie si parfaite et si pleine de mérites pour le ciel ; aussi elle voudra bien nous pardonner, si nous nous permettons de vous en dire brièvement quelques mots.

Notre regrettée Mère appartenait à une famille respectable du diocèse de Carcassonne, où la religion a toujours été observée fidèlement. Son père et sa mère, tous deux d'une piété remarquable, inspirèrent de bonne heure à leur petite Olympe le goût de la vertu ; favorisée d'un heureux caractère, on put facilement former cette belle âme qui, d'ailleurs, n'était pas faite pour le monde. Sa première enfance se passa tout entière sous les yeux de ses dignes parents, qui ne la perdaient pas de vue, heureux de recevoir ses caresses, ils étaient ravis de voir se développer en elle les germes d'une vertu précoce.

Bien jeune encore elle mit tous ses soins à se préparer à recevoir, pour la première fois, le Dieu si bon de l'Eucharistie, qui devait un jour la prendre pour son épouse et lui accorder tant de faveurs. Plus tard, admise comme pensionnaire au couvent de Notre-Dame de Carcassonne, elle y devint bientôt, pour ses compagnes, un modèle de piété et de modestie. D'une intelligence rare et d'un esprit vraiment supérieur, elle profita admirablement bien des leçons de ses excellentes Maîtresses, qui lui gardent encore le plus affectueux sou­venir. Son coeur reconnaissant n'oublia jamais les bienfaits et les soins ma­ternels de ces ferventes religieuses

Rendue à sa famille, elle en fut sa plus douce consolation, aider sa bonne mère, faire plaisir à tous, on pouvait l'appeler l'Ange du foyer domestique. Cependant l'appel divin s'était fait entendre à cette âme prédestinée, qui trouvait ses délices à passer de longues heures auprès du Tabernacle, seule avec le divin Prisonnier, rien ne pouvait la distraire pendant ces doux entretiens. Servir Dieu parfaitement, ne vivre que de Lui et pour Lui, était sans cesse l'aspiration de son coeur aimant ; pour réaliser ce désir, le Carmel seul lui apparaissait comme le lieu le plus propre pour satisfaire son attrait. Il lui coûta beaucoup de s'en ouvrir à ses bons parents, sachant combien une telle résolution leur ferait de la peine. Cette nouvelle fut, en effet, pour eux, comme un coup de foudre; mais en véritables chrétiens, malgré les déchirements de la nature, ils ne voulurent pas s'opposer à la volonté de Dieu. Son père tomba malade peu après lui avoir donné son consentement; la famille consternée eut la douleur de le perdre en très peu de temps. Dieu avait accepté le sacrifice qu'il avait fait de sa chère fille. Il voulut l'en récompenser dans le ciel.

Bientôt après, les portes de notre Monastère lui furent ouvertes, et on ne tarda pas à reconnaître les qualités de la nouvelle postulante, aussi lui donna-t-on le saint habit an temps ordinaire.

Son noviciat se passa dans la pratique fidèle de toutes les vertus religieuses : obéissante, soumise, régulière, docile comme un enfant, charitable et dévouée pour ses Mères et Soeurs, on ne la trouva jamais en défaut. Après son temps d'épreuves, la Communauté la reçut à la sainte Profession, malgré sa santé délicate, qui parfois inspirait des craintes. Depuis ce jour béni qui l'enchaîna pour jamais à Jésus, par les trois voeux, sa vie ne fut plus qu'une continuelle ascension, toujours unie à Lui par la volonté et l'amour, rien n'arrêta sa mar­che rapide vers le sommet de la perfection.

Placée successivement dans tous les offices du Monastère, elle s'en acquitta toujours avec une exactitude et un esprit religieux remarquables. La Commu­nauté appréciant, de plus en plus, tant de qualités fut, heureuse, en 1889, de la placer à sa tête comme Prieure; ce fut alors, ma Révérende Mère, qu'elle déploya son zèle et son dévouement, rien ne fut négligé pour conduire son Trou­peau dans les sentiers étroits de la vertu, dévorée du désir de la gloire de Dieu, son âme aurait voulu embrasser tout l'univers pour le conquérir à Jésus-Christ.

Elue première Dépositaire, en 1892, c'est dans cette dernière charge qu'elle acheva d'épuiser ses forces, active et laborieuse, rien ne pouvait lui faire négliger son devoir.

Cette même année, sa santé éprouva une forte secousse, à la suite d'un regorgement de sang, qu'elle eût au mois de janvier; nous fîmes tout au monde pour la remettre, et nous parvînmes à force de soins à enrayer le mal pour quelque temps.

Au mois d'avril dernier, notre bien regrettée Mère se sentant très fatiguée, nous fîmes appeler notre excellent Docteur, qui ne trouva qu'un peu d'irritation dans les bronches, il prescrivit les remèdes nécessaires et ordonna à la malade un repos complet. Cependant un nouvel accident mit bientôt notre pauvre patiente à toute extrémité. A minuit, notre Vénéré Père Confesseur vint l'administrer, et nous dûmes la transporter à l'infirmerie ; c'est là que, comme une douce victime, elle s'est purifiée dans le creuset de la souffrance, l'espace de deux mois. Pendant tout ce temps, pas une plainte n'est sortie de sa bouche, toujours paisible et souriante, rien n'a pu altérer le calme de cette âme géné­reuse qui, à chaque instant du jour, s'abîmait tout entière dans la volonté du divin Maître. Tous les dimanches elle faisait l'impossible pour aller se nourrir du Pain des forts.

Sa famille, apprenant son état désespéré, voulut se donner la consolation de la voir une dernière fois. Monsieur son frère et Madame sa soeur, qui sont des modèles de toutes les vertus chrétiennes, vinrent avec leurs enfants passer quel­ques heures auprès d'elle à la grille, où elle put se rendre péniblement. Depuis ce jour sa faiblesse devint si grande, qu'il fallut nous succéder tour à tour pour la veiller chaque nuit. Nos charitables infirmières et nos bonnes soeurs du voile blanc ne la quittaient plus.

Le 28 juillet, se trouvant beaucoup plus mal, Monsieur notre digne Aumônier lui apporta le saint Viatique et lui adressa quelques paroles d'édification, qui la touchèrent profondément.

Notre chère malade demanda pardon à la Communauté dans des termes si humbles, que nous ne pûmes retenir nos larmes. Pendant son action de grâce elle renouvela ses voeux entre nos mains avec une ferveur extraordinaire.

Notre Vénérable Père Confesseur, en qui elle avait la plus entière confiance, est venu, plusieurs fois, lui apporter ses paternels encouragements.

Le mal, faisant de rapides progrès, la réduisit bientôt à un état voisin de l'agonie, ses souffrances étaient intolérables, mais toujours égale à elle-même, sa patience, sa résignation ont été héroïques.

La mort n'avait pour elle rien d'amer, elle l'appelait de tous ses voeux, son âme était prête et n'attendait que le moment du départ.

Le jour de la Transfiguration, notre Titulaire, le Dieu de l'Eucharistie vint la visiter pour la dernière fois. Il lui fut donné de goûter, un instant, les joies du Thabor. Combien il lui aurait été doux, ce jour-là, de pouvoir s'envoler au ciel. Il lui restait encore trois jours de mortelle agonie. Le 9, après la messe, nos soeurs se réunirent à l'infirmerie, pour lui réitérer les prières de la recommanda­tion de l'âme. C'est à 9 h. 1/2 qu'elle s'est paisiblement endormie dans le Coeur de Jésus. Toute la Communauté et Nous présentes.

Après son dernier soupir, que nous ne pûmes apercevoir, son corps resta flexible comme celui d'un enfant, et un air de béatitude se répandit sur tous ses traits.

Ses funérailles, présidées par M. Larue, vicaire général, eurent lieu le lende­main. Nos Révérends Pères Carmes et plusieurs prêtres de la ville nous firent l'honneur d'y assister et vinrent l'accompagner à sa dernière demeure. Veuillez, ma Révérende Mère, les recommander à Dieu dans vos oraisons.

Quoique la sainte vie de notre regrettée défunte nous fasse espérer qu'elle a reçu un accueil favorable du Souverain Juge, néanmoins, comme il faut être si pur pour paraître devant Dieu, daignez lui faire rendre au plus tôt les suffrages de Notre St-Ordre ; par grâce une communion de votre pieuse Communauté, l'indulgence du Via Crucis, celle des six Pater, une invocation au Sacré-Coeur de Jésus, au Coeur Immaculé de Marie, objets de sa tendre dévotion. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix, avec un religieux et profond respect,

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre très humble Soeur et servante

Soeur Marie ELISÉE

R. C. I.

De notre Monastère de Jésus Sauveur et de notre Père St-Joseph des Carmé­lites de Pamiers, le 13 Août 1894.

 

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