Carmel

12 Mars 1895 – Oloron

 

Ma révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

La tombe de notre bonne soeur Saint-Joseph était à peine fermée, que notre divin Maître nous demandait un nouveau sacrifice, en rappelant à Lui notre bien chère Soeur Marie de Jésus, professe de notre monastère. Elle avait 56 ans, 4 mois et 9 jours d'âge, et 31 ans, 4 mois et 3 jours de vie religieuse.

Notre chère Soeur appartenait à une famille honorable de notre ville, où la religion fut toujours en honneur. Elle compte parmi ses membres deux prêtres dont l'un, frère de notre bonne Soeur, appartient au clergé de Paris ; une de ses soeurs aînées est aussi religieuse dans notre monastère. Les premières années de cette chère enfant s'écoulèrent dans l'innocence et la piété, à l'ombre du foyer paternel où les exemples les plus édifiants ne contribuèrent pas peu à développer ses pieuses inclinations. Son excellent père, qu'elle chérissait tout particulière­ment, rappelait les anciens patriarches par sa foi vive et son attachement profond aux pratiques de notre sainte religion. On le vit, dans un âge très avancé, le jour même de la solennité de la Pentecôte, fixé pour la clôture d'un jubilé, faire le jeûne et garder l'abstinence prescrits pour gagner l'indulgence, son état de santé ne lui ayant pas permis de le faire plus tôt. Le symbole de St-Athanase faisait ses délices. On eût dit qu'il en pénétrait les mystères et qu'il en nourrissait son âme ardente. Ses visites à ses deux filles étaient de vraies conférences spirituelles dont on sortait recueilli et édifié.

L'éducation de notre chère Soeur fut confiée à de pieuses dames qui dirigeaient un pensionnat dans notre ville. Elle eût bientôt gagné l'affection de ses maîtresses et de ses compagnes par son application, la douceur et l'aménité de son caractère.

Rentrée dans sa famille, le monde n'eut jamais d'attrait pour elle. Tandis que ses soeurs, appelées à s'y établir, y jouissaient des plaisirs permis, elle aimait à se retirer à l'écart dans la solitude, pour s'y livrer librement à la prière et au recueillement. L'entrée de l'une de ses soeurs aînées dans notre monastère la toucha profondément. Ce fut pour elle comme la voix de Dieu qui l'attirait irrésistiblement à suivre son exemple. Trop jeune encore pour effectuer son désir, elle venait souvent visiter sa soeur, et, chaque fois qu'elle quittait le parloir elle se sentait plus affermie dans sa vocation. Elle attendit sa vingt-unième année pour en parler à ses parents. Cette ouverture ne les surprit pas ; tout dans la conduite de leur enfant les y avaient préparés. Trop bons chrétiens pour refuser à Dieu ce nouveau sacrifice, ils ne pouvaient cependant se résoudre à la laisser entrer encore. Notre sainte règle leur paraissait trop austère pour sa santé frêle et délicate. Notre chère soeur elle-même partageait leurs craintes, et il fut décidé qu'elle attendrait encore quelques temps pour se fortifier. Dès qu'elle eut atteint sa vingt-cinquième année, elle n'hésita plus et les portes de notre monastère s'ouvrirent devant elle, le 18 Octobre, fête de notre Ste Mère.

Au comble de Ses voeux, la chère postulante commença sa vie religieuse avec ferveur. Elle garda nos saintes observances sans effort, se montra régulière, silencieuse, et fidèle à tous ses devoirs. Aussi fut-elle admise au St habit et à la profession après les épreuves ordinaires, à la satisfaction de toute la communauté.

Appelée à remplir les offices de seconde infirmière, portière et sacristine, ma soeur Marie de Jésus fut partout généreuse et fervente. Ce ne fut pas toujours cependant sans combat pour la nature. Un mot surpris par une de nos anciennes mères; alors qu'elle se croyait seule, nous le laisse deviner. Vaincre ou mourir, se disait-elle à elle-même. Elle surmontait ainsi les répugnances de la nature parla force de la Volonté, et remportait sur elle-même une victoire complète.

Le genre de travail pour lequel notre chère soeur avait le plus d'aptitude c'étaient les petits ouvrages qu'elle confectionnait avec un goût exquis. Tout ce qui sortait de ses mains était marqué au cachet de la perfection et du fini. Les reliquaires, cadres à cheveux,-etc., ne laissaient rien à désirer. Les rideaux du tabernacle et les voiles de Saint Ciboire de notre sacristie furent l'oeuvre de son goût et de sa piété. Son dernier travail fut une couronne destinée à être déposée sur la tombe de son père, le 2 Février, jour anniversaire de sa mort.

Bonne et expansive, ange de douceur et de paix, ses rapports avec ses soeurs furent aimables et sympathiques. Dans nos récréations, elle savait à propos citer une sentence de la Sainte Écriture, ou un mot du Saint-Évangile, propres à entretenir la conversation sur des sujets pieux et édifiants.               

L'attrait particulier de notre chère soeur Marie de Jésus fut le Saint-Sacrement. Elle avait prononcé ses voeux le jour où l'Eglise en célèbre la fête. Tous les moments dont elle pouvait

disposer les jours de dimanche et des l'êtes, elle les passait au choeur, soit en oraison, soit occupée à de pieuses lectures qu'elle aimait particulièrement. L'ancien et le nouveau testament, l'Imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ et les psaumes avaient ses prédilections. La Sainte communion faisait ses délices, et ce fut pour sa piété tendre et affectueuse un bien dur sacrifice quand, plus tard, sa grande faiblesse la priva d'une partie. des communions de règle. Elle aimait beaucoup le S'Office, et ne se ménageait pas pour la psalmodie et pour le chant. Sa voix douce et mélodieuse nous fut longtemps d'un grand secours.

La Santé de notre chère soeur se soutint pendant plusieurs années depuis sa profession. Ayant cru alors nous apercevoir d'un affaiblissement de ses forces, nous voulûmes la soumettre à des soulagements. Son amour de la règle ne put lui faire accepter la moindre dispense. Nous devons avouer, ma Révérende Mère, que dans cette circonstance; notre bonne soeur Marie de Jésus, sembla oublier Ce qu'elle a^ait appris déjà depuis longtemps; que l'obéissance vaut mieux que le sacrifice. Elle le comprit enfin et se rendit. Malgré les soins qui lui furent prodigués, son état de faiblesse se prolongé» plusieurs années, sa vie ne fut plus qu'un long sacrifice qui, en lui enlevant peu à, peu ses forées, la priva de la consolation de suivre les actes de communauté.       

C'est dans cet état de faiblesse, ma Révérende Mère, que notre chère soeur fut atteinte, une des dernières, de l'influenza. Dès que le médecin l'eut vue, il ne nous laissa pas d'espoir. Notre bon et vénéré Père qui, comme nous vous l'avons dit dans la circulaire de notre chère Soeur St-Joseph, venait tous les jours visiter nos malades, s'entretint avec notre bonne Soeur ; la voyant si faible, il la confessa et la prépara à recevoir les derniers sacrements. Elle y consentit sans peine et les reçut avec sa piété ordinaire. Elle demanda pardon à la communauté d'une voix ferme et d'un ton si pénétré que nos soeurs en furent profondément touchées. L'état de notre chère Soeur se maintint ainsi les deux jours suivants, après lesquels commença une longue et pénible agonie.

Le lundi matin, à 8 heures, son regard éteint annonçait une fin prochaine. La Mère Sous-Prieure et les soeurs qui étaient debout se réunirent auprès d'elle et récitèrent les prières de la recommandation de l'âme. A 8 heures 1/2, elle exhala son dernier soupir et rendit sa belle âme entre les mains de son Créateur.

Vous comprenez sans peine, ma Révérende Mère, combien il fut pénible pour mon coeur de me voir privée de la triste consolation de me trouver au chevet de nos deux chères soeurs mourantes. Le bon Dieu, nous en avons la confiance, daignera nous compter le mérite d'une telle privation. Elle a été partagée par la soeur de notre chère défunte qui, retenue aussi par l'épidémie, a été privée de voir sa soeur dans ses derniers moments.

Les obsèques eurent lieu le mercredi 20 Février. MM. les Curés d'Oloron, un nombreux clergé de la ville et des environs, nous témoignèrent par leur présence leur religieuse sympathie. Plusieurs professeurs du Petit Séminaire, qui nous est si dévoué, nous prêtèrent le

concours de leurs voix pour le chant du nocturne, de la Messe et de l'enterrement. Le tout fut exécuté avec tant de piété et de solennité que les obsèques de nos deux soeurs rivalisaient avec les offices de nos plus grandes fêtes. Veuillez nous aider par vos prières, ma Révérende Mère, à témoigner notre profonde reconnaissance à tous les membres du clergé, au Petit séminaire et à notre vénéré Père, qui en est le supérieur.

Toutes les congrégations religieuses de la ville y étaient représentées par plusieurs de leurs membres. Les parents et amis de la famille de notre chère Soeur se rendirent nombreux ; notre Chapelle était comble.

Les lettres paternelles et bienveillantes que sa Grandeur Monseigneur Jauffret, notre digne Évêque, voulut bien nous adresser dans ces tristes circonstances, furent un baume pour nos coeurs, ainsi que les fraternelles sympathies de plusieurs de nos chers Monastères, qui nous ont exprimé la grande part qu'ils ont prise à notre pénible épreuve. Nous les en remercions bien affectueusement.

Nous avons la confiance, ma Révérende Mère, que l'âme angélique et fidèle de notre bien chère soeur, Marie de Jésus, jouit du repos dans le sein de celui qu'elle a uniquement aimé ; nous vous prions néanmoins de vouloir bien ajouter aux suffrages déjà demandés une commu­nion de votre sainte communauté, une journée de bonnes oeuvres, les indulgences du chemin de la Croix et des six Pater, et tout ce que votre charité vous inspirera. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, au pied de la Croix, avec un bien affectueux respect.

Ma Révérende et très honorée Mère,

Votre bien humble soeur et servante,

Sr Marie-Stanislas nu Sacré-Coeur

De notre Monastère de St-Joseph des Carmélites d'Oloron-Sainte-Marie, le 12 Mars 1895.

Retour à la liste