Carmel

11 Mars 1896 – Dorât

 

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

Que la paix de Jésus règne toujours dans nos coeurs,même lorsqu'il lui plaît de les attacher à sa croix !

Il y a deux mois, l'âme de notre chère soeur Marie-Geneviève Anne de St Barthélémy, Doyenne de nos soeurs du voile blanc, recevait l'appel Divin; nous avions l'immense douleur de nous en séparer, et nous vous demandions le secours de vos prières pour hâter son bonheur. Aujourd'hui, nous venons vous entretenir des vertus qu'elle a pratiquées pendant les 35 années de son passage parmi nous, et dont le souvenir nous restera cher, tout en creusant de plus en plus le vide qu'elle laisse dans notre Carmel qu'elle aimait si ardemment et auquel elle s'est tant dévouée !

Dans un humble bourg des Deux-Sèvres, notre chère soeur reçut le jour le cinq mai 1834 de parents pauvres des biens de la terre, mais riches en vertus et dont la foi robuste était le meilleur héritage ainsi qu'il s'en rencontre encore dans certaines parties du Poitou. Dès le lendemain elle naquit à la vie de la grâce en recevant le saint baptême et lorsque son intelligence s'ouvrit à la lumière et à la connaissance, elle ne vit et n'entendit que des choses propres à développer les bonnes qualités naturelles dont elle était douée. Ses excellents parents élevèrent leur petite Marie comme ils avaient été élevés eux-mêmes et lui transmirent fidèlement des enseignements chrétiens dont la base solide fut toujours, pour elle, un précieux préservatif. Ne sachant ni lire ni écrire, ils possédaient cependant d'une manière remarquable toutes les histoires de la Sainte Bible et se plaisaient à les raconter à leurs trois enfants ; la petite Marie les goûtait et les retenait si bien que, plus tard, devant faire souvent la lecture à ses compagnes, étant Religieuse, elle ne se trompait pas, en devinant plutôt qu'elle ne lisait, le nouveau Testament. Elle nous disait alors, que c'était sur les genoux de son vertueux père, qu'elle avait appris, toute enfant, l'Ecriture Sainte et le Catéchisme.

La charité qui fut toujours sa vertu favorite et qu'elle a parfois pratiquée jusqu'à l'héroïsme lui fut enseignée, en action, par sa mère, qui, malgré sa pauvreté, était devenue la Providence du pays par sa bonté, et allait jusqu'à partager son pain avec de pauvres passants, ne supportant pas la vue d'une misère plus grande encore que la sienne. Mais ne pouvant donner ce qu'elle ne possédait pas, ce fut surtout par des soins délicats qu'elle s'attira l'affection et la confiance des habitants du village, se faisant leur Infirmière,étant toujours prête à leur porter secours le jour et la nuit.

Marie n'avait que vingt et un ans lorsqu'elle perdit sa mère, ce qu'elle sentit vivement; la nécessité t'avait obligée de s'en séparer, depuis trois ans, pour, gagner quelque chose; elle était alors dans une des plus anciennes familles du pays, qui l'avait distinguée parce que Notre Seigneur la convoitant déjà, pour en faire son épouse, lui ménageait cette précieuse ressource. Élevée à l'école du dévouement et de l'oubli d'elle-même, elle abandonnait à ses parents tout le fruit de son travail pour les aider dans leur pauvreté !

Notre chère soeur passa plusieurs années dans cet intérieur de choix, comblée des bontés et même de la confiance de ses maîtres profondément chrétiens et chez lesquels les meilleurs principes étaient héréditaires ; elle puisa à cette bonne source qu'elle sut apprécier, des manières et des sentiments bien au-dessus de sa condition. Ma soeur Anne de Saint Barthélémy considéra toujours cette grâce comme un don particulier de Dieu, et la fidélité d'un reconnaissant souvenir la suivit jusque dans la tombe, car, peu de jours avant sa mort, elle aimait à rappeler encore bien des traits du passé qui avaient contribué à établir son âme dans la paix, alors que laissant dans le monde un frère dont l'avenir la préoccupait, elle avait été rassurée par la générosité de ses maîtres.

De son côté, Madame de L.. ne cessa jamais, tant qu'elle vécut', de lui faire part de tous les événements de sa famille, de se recommander à ses prières ; elle fit même un trajet considérable, pour venir la voir, lors de notre retour dans ce cher monastère nouvellement reconstruit. Touchante union, qui devrait toujours exister entre maîtres et fidèles serviteurs,mais qui ne se rencontre que là où le sens chrétien est profond de part et d'autre, et devient trop rare de nos jours pour n'être pas citée ici.

Ce fut dans cette famille exceptionnelle, que notre future postulante sentit le germe d'une vocation qu'elle ne comprenait pas encore, mais que la grâce devait faire fructifier et mûrir dans cette âme droite et de bonne volonté. Notre Seigneur employa, pour toucher son coeur, une lecture que M. l'Abbé X., précepteur des enfants, faisait pendant le mois de Marie dans la chapelle du château ; un exemple de Madame Louise de France, la grande Carmélite de Saint Denis,fut le trait de lumière dont Dieu se servit pour lui découvrir la beauté de l'héroïsme dans le sacrifice, et cette impression fut si forte qu'elle crut devoir s'en ouvrir et reçut en cette circonstance de précieux secours, non seulement de M. l'Abbé X., mais de M. le Curé de sa paroisse auquel elle s'adressa aussi. Ce dernier qui la connaissait depuis son enfance, fut toujours pour elle d'une bonté dont le souvenir ne s'effaça jamais de son âme; il se montra heureux et fier de voir une de ses paroissiennes devenir Carmélite.

Pendant que l'épreuve du temps n'amenait que la confirmation plus grande d'une vocation qui paraissait certaine pour le Carmel, nous cherchions un sujet capable de remplir à lui seul toutes les obligations d'une soeur du voile blanc, notre monastère étant encore dans l'enfance, et par conséquent peu nombreux. Ce fut alors que notre Vénéré et toujours regretté Père Fondateur (encore M. l'Abbé Gay), duquel tout bien devait nous venir, s'adressa à son Carmel de Niort, si plein de paternelle bienveillance pour nous, et nous procura, par son entremise, la postulante que Dieu nous avait choisie.

La jeune Marie fit son entrée dans l'arche sainte, le 24 Juin 1860, veille de la fête de St Jean-Baptiste, elle avait 26 ans, une constitution excellente, un air doux, pur et serein; tout parla en sa faveur jusqu'à son gracieux petit costume Vendéen, dont elle fit,en souriant, le prompt sacrifice. Elle reçut, en entrant, le nom d'Anne de St Barthélémy et commença de suite courageusement cette vie de laborieux travail et de dévouement dont elle ne s'est jamais départie jusqu'à sa mort. Son bon caractère lui aplanit bien des difficultés dès le début; le temps de son noviciat en fut fort adouci et la communauté se montra heureuse de la fixer au service du Divin Maître, en la recevant à la prise d'habit, puis à la profession. Ce n'est qu'au bout de cinq ans, que les soeurs de choeur devenant plus nombreuses, on lui adjoignit une compagne qu'elle laisse dans de profonds regrets et qui ne peut assez se louer de tous les services qu'elle lui a rendus.

Ma soeur Anne de St Barthélémy était en effet bonne à tout, et on avait recours à elle en toute occasion, tant à cause de son adresse que de son dévouement. Son aptitude était aussi très grande pour soigner les malades, et son bon coeur savait deviner pour elles ce qui pouvait les soulager; qu'elle est celle d'entre nous qui, retenue au lit par un état de souffrance ne l'a pas vue entrouvrir doucement la porte de sa cellule, le matin après avoir passé la matraque, ce qu'elle faisait souvent pour en éviter la peine à ses soeurs et s'informer avant le lever de l'infirmière si elle ne pouvait rendre quelque service? Chaque demande qui lui était adressée, alors, était remplie avec un joyeux empressement et dans un complet oubli de ses propres fatigues. Sa constance dans l'abnégation a été remarquable tout le temps de sa vie religieuse. Elle avait un peu de lenteur, et cette légère imperfection - lui attirait parfois des répréhensions qu'elle acceptait toujours avec une profonde humilité.

Très intelligente, et remplie d'attrait pour les choses de Dieu, l'âme de notre chère soeur s'ouvrit peu à peu à la grande et sûre doctrine de Monseigneur Gay ; elle comprenait et commentait ses ouvrages que bien des esprits plus cultivés que le sien trouvent parfois trop élevés. Quand elle entrait tard au Réfectoire, et qu'on en faisait la lecture, elle les reconnaissait aussitôt, sans avoir entendu le titre et nous disait très simplement ensuite : « Oh! je n'ai pas besoin d'en entendre bien long, je reconnais de suite, le style de notre Père! » Nous aimions à lui faire chanter pendant les récréations les naïfs Noëls Poitevins qu'elle avait appris dans son enfance, ce qu'elle faisait toujours avec une bonne grâce parfaite. Dans ces derniers temps, sa surdité causait quelquefois des quiproquo qui amenaient de bons rires dont elle prenait sa part en disant joyeusement : « Je suis toujours contente d'amuser nos soeurs. »

Elle avait aussi une très grande prédilection pour Dom Guéranger et lorsqu'elle entendait lire l'Année Liturgique de ce savant et illustre Bénédictin elle en était ravie et son visage s'illuminait. Douée d'une excellente mémoire, elle savait par coeur toutes les hymnes Liturgiques, et reprenait, même avec un certain sérieux, les soeurs de choeur lorsqu'elles se trompaient en les citant. Tout cela cependant, sans sortir jamais de sa place de soeur du voile blanc, que nous lui avons toujours vu garder sans effort, mais avec une simplicité et un esprit d'enfance que tous les Prêtres en rapport avec elle, au confessionnal, ne pouvaient qu'admirer. Il y a quatre ans, nous eûmes la grâce d'une retraite prêchée par un Révérend Père Bénédictin; c'était un vrai bonheur pour notre chère soeur !... Allant lui parler des dispositions de son âme, pendant le cours de la Retraite, elle lui dit avec sa naïveté charmante : « Mon Révérend Père, vous aimez bien Dom Guéranger n'est-ce pas? . .. Eh bien, croyez que je l'aime encore plus que vous. » Elle se plaisait à dire souvent que, si Dieu lui en faisait la grâce, lorsqu'elle entrerait en Paradis,le premier saint qu'elle irait saluer, ce serait Dom Guéranger. Hélas ! notre chère soeur ne se doutait pas alors que notre Vénéré Père, Monseigneur Gay, qu'elle aimait si finalement, l'y précéderait !

Ma soeur Anne de Saint Barthélémy savait animer ses plus humbles travaux d'un esprit' intérieur qui lui faisait trouver partout la vie de l'âme et l'encourageait à une besogne parfois bien rude.... Elle étonnait, en licence,par sa conversation très spirituelle; et l'une de nos chères Mères qui avait subi cette impression à ses débuts lui disait, plus tard, en plaisantant,étant devenue Prieure: « Ma soeur Anne de Saint Barthélémy, c'est vous qui m'avez fait mes premières écoles de Carmélite ! » Ce qui était toujours, pour elle, un nouveau sujet de confusion. Elle avait surtout pour le sacrifice de la messe un profond attrait qui finit par posséder son âme entièrement ; elle y reçut souvent des grâces d'anéantissement, pendant que Dieu lui faisait puissamment sentir la force de sa sainteté! Son âme s'en relevait alors plus courageuse encore, pour suivre le chemin qui lui restait à parcourir. Pendant ses travaux humbles et cachés, à la cuisine et au jardin, elle aimait à s'unir par la pensée aux messes qui se disaient dans toutes les parties du monde et en offrait le mérite pour les intentions recommandées. Lorsque nous entendions un assez grand nombre de messes, les jours de fête, et qu'elle pouvait se trouver au choeur, elle en jouissait grandement et nous disait un jour, en pareil cas, sous l'empire d'une forte impression de recueillement: « L'âme s'élève à mesure que les messes se disent.... à la dernière, il me semblait être dans le Ciel ! »

Cependant les forces de notre chère enfant déclinaient ; cette robuste constitution était minée peu à peu par une maladie d'estomac qui depuis quatre ans ne permettait de prendre que du lait, et nous ne pouvions assez nous étonner de lui voir faire autant de travail avec aussi peu de nourriture. Elle passa également par un creuset très douloureux qui prouve la jalousie de l'Epoux Divin pour les âmes qu'il s'est choisies.... Lorsqu'il ne trouve pas de vrais défauts à combattre, il épure les qualités dont l'excès peut dégénérer en fautes, quand elles ne sont pas assez surnaturalisées; c'est ce qui arrivait pour notre chère soeur, très bonne, très dévouée, mais voulant que personne ne souffrit autour d'elle, et ne comprenant pas toujours que l'indulgence de l'autorité, pourtant si grande, n'allât pas jusqu'à la faiblesse en certaines circonstances.... Jésus voulait son âme toute belle avant de l'appeler à Lui, et voilà pourquoi il la préparait aux noces éternelles dont la consommation était proche !

A la dernière confession des quatre temps elle dit joyeusement à notre confesseur extraordinaire: «Je m'affaiblis beaucoup... c'est Jésus qui vient... quel bonheur!» Son allégresse le frappa, il se la rappela plus tard. Elle paraissait de plus en plus attachée à la Communauté qu'elle avait toujours tant aimée et lorsqu'elle avait occasion d'entrer dans quelque office, ce qui arrivait souvent, car on avait sans cesse recours à son adresse et à sa bonne volonté, elle disait en souriant: «N'y a-t-il pas autre chose à faire? profitez-en bien car je ne durerai peut-être pas longtemps!» Enfin, elle sentait l'arrivée de l'Epoux et s'en réjouissait. Elle disait même, aux jeunes soeurs de la cuisine pour lesquelles elle était particulièrement dévouée : «Je ne dépasserai pas beaucoup la fin de l'année 1895... si je vais jusque là ! »

Bientôt l'estomac ne put même supporter le lait, et tous les moyens furent employés pour soutenir cette précieuse existence; mais l'âme était prête, et Jésus, qu'elle avait fidèlement servi, voulait la couronner promptement. Loin de se reposer, elle travaillait avec plus d'ardeur, comme si elle avait voulu épargner de la peine aux autres après sa mort. Elle répondait souvent quand on lui parlait de son état d'affaiblissement : « J'irai jusqu'au bout.... Dieu fera le reste ! » La veille du jour où elle s'alita,elle porta encore un panier de sable si lourd, qu'après son départ, il fallut se mettre plusieurs pour achever de le transporter au lieu de sa destination. Une de nos mères la rencontrant ce jour-là au jardin et, frappée de son changement, s'arrêta pour lui demander de ses nouvelles, elle répondit : «Je ne suis pas bien, je sens la mort me passer partout ! »

Le lendemain matin, dimanche 29 décembre, une syncope lui faisait perdre connaissance. Nous fîmes aussitôt appeler notre dévoué docteur qui constata que l'état était sérieux; elle voulut entendre la messe et communier au choeur,ce qu'elle faisait pour la dernière fois! On la conduisit ensuite à l'infirmerie, ce qui lui causa une vraie peine; elle avait toujours dit qu'elle n'y passerait pas et mourrait dans l'exercice de ses fonctions ; elle nous supplia de la laisser aller à la cuisine, ajoutant: «Si je m'arrête... je meurs ! » mais ayant fait quelques pas et étant retombée, elle comprit qu'elle n'avait qu'à se livrer et n'eut plus qu'une pensée celle que « Jésus venait !»

Les syncopes se succédaient plus rapprochées et nous la vîmes se préparer à la mort avec une force d'âme remarquable, et cela sans faiblir un seul instant. Pendant les treize jours qu'elle passa (encore sur la terre, il est impossible de dire l'édification qu'elle nous a donnée par sa paix constante et joyeuse, sa parfaite obéissance, son complet abandon. Elle était comblée de grâces au point de vue spirituel et ne cessait d'en remercier Dieu. Notre Vénéré Père Supérieur, qui habite heureusement près de nous; et dont la bonté et le dévouement sont sans égal, venait souvent l'encourager de ses paroles fortifiantes, et, chaque fois qu'elle en exprimait le désir, lui apportait la céleste nourriture qui devenait de plus en plus son unique aliment!... Que de fois, le blanc autel de l'Infirmerie se dressa auprès de son lit, et Jésus-Hostie vint trouver sa fidèle servante qui ne pouvait plus aller à Lui! Elle demandait aussi souvent la Communauté qui venait l'entourer, et elle avait pour chaque soeur une bonne et douce parole.

Ma soeur Anne de St Barthélémy souffrait peu, mais les syncopes devenaient plus fréquentes, la faiblesse augmentait ; elle ne se faisait aucune illusion sur l'issue du mal, et répétait, sans cesse, avec sa sérénité habituelle: «Tout ce que Jésus voudra. » Le Docteur jugeant prudent de ne pas la laisser seule, nous passions tour à tour la nuit auprès de notre chère enfant, pour faire reposer l'infirmière; elle était fort agitée, mais sa grâce de dévouement ne l'abandonnait pas jusque dans les bras de la mort : « Reposez-vous, ma soeur, disait-elle gracieusement, je vous promets de vous appeler si cela est nécessaire.» Pauvre chère soeur, elle, qui s'était tant prodiguée à l'Infirmerie, savait ce que ces soins ont souvent de fatigant.

Se sentant mortellement atteinte, elle voulut faire ses dernières recommandations à celle qui avait été la fidèle compagne de ses travaux pendant 30 ans ... et aux jeunes novices du voile blanc pour lesquelles elle aurait donnée, si elle l'avait pu, le meilleur de sa substance. Elles l'entouraient en pleurant et l'appelaient encore: «Grand Mère. » Entre autres paroles elle leur dit celle-ci bien belle dans sa simplicité: «Ce qui me rassure, en ce moment, ce n'est pas d'avoir murmuré, lorsque j'étais jeune Religieuse, ou différé de faire ce que l'on me commandait. .. mais c'est d'avoir dit; Oui ma mère.... Oui ma soeur... je le ferai le plus tôt possible... tout de suite.» L'obéissance prompte et sans raisonnement était le testament qu'elle leur laissait.

Enfin une hémorragie se déclara, et fut suivie de plusieurs autres et le Docteur découvrit alors qu'une plaie s était formée à l'estomac et que tout espoir était perdu! Notre bien- aimée fille avait toute sa connaissance, elle la conserva jusqu'à la fin. Le matin du 10 janvier, à 8 heures, elle ne souffrait pas beaucoup encore, et souriait à toutes celles qui l'approchaient. Elle priait, et regardait constamment la statue du Petit grand, notre adoré Jésus de Prague, à laquelle nous portons tant de dévotion, et que Nous avions fait placer au pied de son lit. «Que chacune de mes respirations dise Jésus» répétait- elle souvent... puis elle ajoutait: «Oh! je n'ai pas peur de Lui, bientôt je serai jugée près de sa crèche... s'il me fait des reproches je lui répondrai: Jésus je vous aime!» Notre chère mourante était douce à la mort qu'elle voyait clairement approcher, sans aucune appréhension.

Mais les angoisses ne tardèrent pas à se produire avec une effrayante intensité et les souffrances qui suivirent durent raccourcir le temps du Purgatoire inévitable, que Dieu préférait lui faire sentir en partie sur la terre. Nous ne la quittions pas, et lui suggérions des paroles d'encouragement qu'elle entendait parfaitement et pouvait encore répéter.

Elle avait demandé notre Vénéré Père Supérieur dès le commencement de la crise; il était là, lui renouvelant plusieurs fois la grâce de l'absolution, l'assistant, priant auprès d'elle, ainsi que la communauté, qui bien des fois déjà avait dit les prières des agonisants. Vers deux heures, n'en pouvant plus, elle s'écria: « Ah! la nature est aux abois! ».... puis elle se reprochait la moindre parole de plainte que la douleur lui arrachait.... Elle Nous avait dit qu'elle rendrait le dernier soupir à trois heures, peut-être l'avait-elle demandé à Dieu. Elle ne pouvait plus se faire entendre, mais on voyait au mouvement

de ses lèvres qu'elle redisait sans cesse le nom de Jésus.... Lorsque finit, dans un dernier effort, cette terrible lutte entre la vie et la mort, et que tout fut terminé pour son âme ici-bas, nous vîmes, en effet, que Notre Seigneur avait choisi non seulement le jour, mais aussi l'heure de son sacrifice pour consommer le nôtre et nous continuâmes les prières au milieu de nos larmes !

La chère soeur qui nous quittait, avait soixante et un ans huit mois d'âge, et trente cinq ans six mois de vie Religieuse; elle avait fait le voeu héroïque en faveur des âmes du Purgatoire. Puissent son dévouement, son courage, mais surtout ses souffrances, plus précieuses que toute autre chose, au regard de Celui qui a tant voulu souffrir, être une semence féconde autour de nous, mais aussi pour notre pauvre France si cruellement persécutée !

Le surlendemain de sa mort, Monsieur le Doyen de la paroisse du Dorât qui veut bien être notre confesseur et se montre toujours si paternellement bon pour nous, a officié pour la cérémonie de l'enterrement, et fait les absoutes dans notre choeur, où nous avons eu la douce consolation de voir une nombreuse couronne de Prêtres entourer cette chère dépouille.

Nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien ajouter aux suffrages déjà demandés, quelques invocations à ses saints patrons; elle vous en sera, très recon­naissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire au pied de la croix ma Révérende et très Honorée Mère,

Votre humble Soeur et Servante, Soeur Marie-Joseph du Bon Pasteur R. C. I.

De notre Monastère de Nazareth, des Carmélites du Dorât, le 11 Mars 1896,

 

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