Carmel

11 Mars 1895 – Oloron

Ma révérende et très honorée Mère,

Paix et très respectueux salut en Notre-Seigneur qui, au lendemain du jour où nous célébrions la fête de sou Oraison au Jardin des Olives, a voulu nous faire partager son calice d'amertume, en enlevant à notre religieuse affection notre chère Soeur Anne-Marie de St-Joseph, doyenne de nos soeurs du voile blanc, professe de notre Monastère, âgée de 72 ans 4 mois et 23 jours. Elle avait passé en religion 41 ans 10 mois et 24 jours.

Notre chère Soeur avait manifestée plusieurs fois le désir qu'on ne lui fit de circulaire que pour réclamer les suffrages de notre Saint Ordre. Tout en respectant son humble désir, ma Révérende Mère, nous ne pouvons nous priver de la consolation de vous dire quelques mots de sa vie toute de dévouement et de charité. Née à St-Sever, dans le département des Landes, d'une famille profondément chrétienne, notre chère soeur puisa dans les exemples et les leçons de ses pieux parents cette foi vive, cet amour du devoir, ce dévouement sans bornes qui la caractérisaient. Attachée, jeune encore, au service de la famille de M. l'abbé Menjoulet, notre ancien et vénéré Supérieur, qui était alors archiprêtre de notre ville, elle venait quelquefois visiter la chapelle de notre Carmel, vers lequel elle se sentait fortement attirée. Ce ne fut cependant qu'à l'âge de 30 ans qu'elle vint se présenter à notre Révérende Mère Dosithée, de douce et pieuse mémoire, alors Prieure de notre Carmel. L'oeil exercé de notre Révérende Mère eut bientôt découvert dans la nouvelle aspirante, sous de faibles apparences, les qualités précieuses qui nous l'ont toujours fait tant apprécier. Elle fit son entrée dans notre monastère le samedi, veille du dimanche de la Passion ce qui nous la faisait appeler la courageuse postulante. Elle fut admise au St habit et à-la profession, après les épreuves ordinaires. Dès le début de sa vie religieuse, notre chère Soeur St-Joseph se montra ce qu'elle a toujours été jusqu'à sa mort : humble, généreuse, dévouée, charitable. Elle ne compta jamais avec le travail et la fatigue ; le devoir fut la règle de sa conduite ; elle sut lui sacrifier généreusement les attraits d'une profonde piété. Mais aussi, dès que ses occupations le lui permettaient, elle volait aux pieds du Dieu du Tabernacle, et puisait dans son coeur sacré de nouvelles forces et un nouveau courage pour continuer sa vie d'abnégation et de dévouement, et cette douce sérénité devant les difficultés 'qui nous a souvent édifiées. Son attrait était de prier pour les âmes en général, pour les intérêts de l'Eglise et pour ceux de la France. Ma Soeur St-Joseph fut un modèle pour ses compagnes ; elle fut bonne et charitable pour chacune de nous ; aussi a-t-elle emporté, en nous quittant, nos bien affectueux regrets. Sans être robuste, notre chère Soeur jouissait d'une bonne santé qui lui permit de garder nos saintes observances jusqu'à ses dernières années. Mie était cependant retenue parfois par une infirmité qui ne lui permettait plus de prendre part aux gros travaux ; mais elle s'occupait encore à la cuisine, et remerciait le bon Dieu qui lui accordait la grâce, malgré son âge avancé, de pouvoir se rendre utile à la communauté. Le 27 Janvier, jour où nous célébrions pour la première fois la fête de la Ste-Famille, plusieurs de nos soeurs furent obligées de s'aliter. L'Influenza faisait son apparition dans la communauté. Une de nos anciennes mères, atteinte deux jours après, nous donna, dès le début, de sérieuses inquiétudes, ainsi qu'une autre de nos soeurs, chez qui l'épidémie avait réveillé une maladie de coeur. Nous crûmes, d'après l'avis du médecin, devoir les faire administrer. C'est dans ces tristes circonstances, ma Révérende Mère, que plus que jamais, nous avons pu apprécier le dévouement de notre Révérend et vénéré Père, Supérieur du Petit Séminaire de notre ville ; il trouvait le moyen, malgré ses nombreuses occupations, de venir chaque jour visiter nos chères malades, leur porter les secours de son saint ministère, et des paroles paternelles et sympathiques, si propres à Soutenir leur courage et celui de nos soeurs qui, restées debout, étaient brisées d'émotions et de fatigue. Après avoir lutté quelques jours avec l'épidémie, je fus obligée de m'aliter moi-même. Vous pouvez juger, ma Révérende Mère, du brisement de mon coeur en quittant la communauté, au moment où elle avait un si grand besoin d'être soutenue et encouragée. Notre chère Soeur St-Joseph atteinte à son tour, ne se rendit pas d'abord, ne voulant pas augmenter le nombre de ses compagnes souffrantes ; mais, vaincue par le mal, elle dut s'arrêter, et, dès le troisième jour, notre Docteur constata une fluxion de poitrine. Elle reçut, ce jour même, la visite de notre vénéré Père, qui l'entretint assez longtemps et la confessa. Dès ce moment, le mal fit de rapides progrès, et cependant, le matin même du jour de sa mort, le médecin ne trouva pas le danger imminent. Vers deux heures, on s'aperçut d'un changement dans notre chère malade. Le médecin appelé aussitôt dit qu'il n'y avait pas de temps à perdre : notre bonne Soeur entrait en agonie. Notre digne aumônier vint, en toute hâte, lui administrer le sacrement de l'Extrême-Onction, et lui appliquer l'indulgence in articulo mortis. Il récita avec la Communauté les prières de la recommandation de l'âme, après lesquelles notre chère Soeur rendit le dernier soupir dans le calme et la paix des enfants de Dieu. C'était Un mercredi, jour consacré à notre Père St~Joseph, son glorieux patron. Nous avons la confiance, ma Révérende Mère, que notre divin Maître aura déjà récompensé la vie innocente et si pleine de mérites de notre chère Soeur ; nous vous prions cependant de vouloir bien ajouter, par grâce, aux suffrages déjà demandés, une communion de votre sainte Communauté, une journée de bonnes oeuvres, les indulgences du Via Crucis et des six Pater, et tout ce que votre charité vous inspirera. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, au pied de la Croix, avec un humble respect

Ma Révérende et très honorée Mère,
Votre bien humble Soeur et servante,
Sr Marie-Stanislas du Sacré-Coeur.
e notre Monastère de St-Joseph des Carmélites d'Oloron-Sainte-Marie, le 11 Mars 1895.
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