Ma Révérende Mère, C'est au pied de la Croix du divin Maître, le coeur brisé par la douleur, que je viens vous faire part de l'épreuve qu'il nous a envoyée en appelant à Lui notre chère Soeur Marie- Joséphine, tourière agrégée, âgée de 47 ans, et de profession 16 ans 1/2. Notre chère Soeur appartenait à une chrétienne famille de la catholique Bretagne. Elle avait puisé, auprès de ses bons parents, cette foi vive, cet amour du devoir poussé jusqu'à l'héroïsme qui l'ont toujours distinguée. Pendant son séjour parmi nous, elle nous a constamment édifiées par ses vertus solides et son esprit vraiment religieux. D'un jugement droit, d'un caractère doux et aimable, d'une humeur toujours égale, elle répandait la paix autour d'elle. Douée d'une grande piété, elle s'était imposé bon nombre de prières, et, dût-elle prendre sur son sommeil, elle y était fidèle, malgré ses nombreuses occupations. Son esprit de pénitence l'a portée à suivre notre sainte Règle dans toutes les choses compatibles avec la vie du tour. Dieu seul a pu compter toutes les répugnances qu'elle avait à vaincre pour habituer son estomac au régime maigre ; le plus souvent elle en était réduite à ne prendre qu'un potage auquel elle ajoutait un peu de légumes. Toutes les macérations lui étaient familières et ses veilles devant le Saint-Sacrement étaient fréquentes. Elle poussait jusqu'à l'extrême l'amour de la pauvreté. Notre chère Soeur avait un grand zèle pour le culte divin; elle ne s'épargnait aucune peine pour que la plus petite des rubriques fût ponctuellement observée ; elle trouvait son bonheur à orner la chapelle, à parer les autels. Elle avait un grand amour pour Notre Saint Ordre ; c'était pour elle une douce consolation de recevoir nos Révérends Pères Carmes. Son dévouement à la Communauté ne connaissait pas de bornes et elle nous en donnait journellement des preuves, s'imposant de grandes fatigues pour procurer ses intérêts. Enfin, ma Révérende Mère, cette bonne Soeur avait à un haut degré l'esprit du Carmel et faisait tous ses efforts pour se tenir en la présence de Dieu. La dernière fois que nous eûmes la consolation de l'entretenir de ses dispositions intimes, je la quittai, convaincue qu'elle était arrivée à faire tout ce que Notre-Seigneur lui avait demandé. Aussi, éprouvons-nous une grande douleur en nous voyant privées désormais d'un pareil trésor de vertus. Notre chère Soeur fut atteinte, le 26 avril, de l'influenza qui dégénéra en fluxion de poitrine. Malgré les soins qui lui furent prodigués, le mal alla toujours progressant. Dimanche, 7 Mai, elle reçut dans de saintes dispositions les derniers sacrements. Le dernier jour qu'elle passa sur cette pauvre terre, le sourire ne quitta pas ses lèvres, « Ma Soeur, disait- elle à sa compagne, je vois la Sainte Vierge.» Si on lui demandait: « Ma Soeur voulez-vous aller au ciel? Je serais heureuse, disait-elle, de rester avec mes bonnes Mères et mes Soeurs, mais que la volonté de Dieu soit faite. » Elle s'unissait aux prières qui étaient faites auprès d'elle. A sept heures du soir, de ce même jour, elle s'éteignit doucement dans une grande paix. Tout nous porte à croire qu'elle a reçu un accueil favorable du Souverain Juge. Mais comme il faut être si pur pour aller au ciel, nous vous prions, ma Révérende Mère, de faire au plus tôt offrir à son intention le Saint Sacrifice de la Messe et d'y joindre tout ce que votre charité vous suggérera. Permettez-nous de recommander à vos bonnes prières les Soeurs de la Charité de Bourges el du Bon-Pasteur, ainsi que plusieurs Dames de la Ville qui nous ont donné, dans cette douloureuse circonstance, do grandes preuves de leur dévouement. Veuillez agréer, ma Révérende Mère, avec nos remerciements, l'expression du religieux et profond respect avec lequel j'ai la grâce de me dire de Votre Révérencc, La très humble Soeur et Servante, THÉRESE de la CROIX, C.D. Ind., prieure. De notre Monastère de la Sainte Mère de Dieu, sous la protection de notre Père Saint Joseph des Carmélites déchaussées de Bourges. le 11 Mai 1893.
