Carmel

11 décembre 1891 – compiègne

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur Jésus-Christ !

Sa volonté adorable peut seule cicatriser la blessure qu'elle a faite à nos coeurs, en ravissant à notre religieuse affection notre chère Soeur Blanche Marie Véronique de Jésus, âgée de 31 ans, 9 mois, 4 jours, et de religion 8 ans 11 mois.

 

Au jour béni de la fête de notre Sainte Mère Thérèse, le céleste Époux se plaisait à visiter notre Carmel. Il y était venu d'abord, pour recevoir les premières promesses d'une jeune fiancée, qui se donnait à lui dans la joie et l'allégresse. C'était dans la solennité d'une fête qui avait réuni de nombreux témoins ; et la nuit qui suivait le jour radieux, il venait encore, mais furtivement et rapidement pour prendre avec lui l'épouse fidèle et consommer cette union dans les cieux. Ce coup fut saisissant pour nous, mais il ne fut pas imprévu pour l'excellente Soeur que nous pleu­rons, et dont nous essaierons de dire les vertus.

 

Notre chère Soeur Marie-Véronique de Jésus naquit à Rueil, près de Paris, d'une famille ho­norable et chrétienne. Son enfance s'écoula paisible et heureuse sous les regards vigilants de sa bonne mère, entourée du dévouement d'un père rempli de tendresse pour ses enfants, entre une soeur et un frère, qui augmentaient les joies du foyer paternel. Blanche était chérie des siens, son caractère était doux et prévenant, son intelligence vive et ouverte, son coeur affectueux. Dès lors, on pouvait prévoir ce qu'elle serait un jour ; elle inclinait toujours au bien, à l'accomplissement du devoir.

Les Dames de la Sagesse de Rueil furent les anges gardiens de ses jeunes années ; elles furent

chargées d'abord par les heureux parents de cultiver les qualités de leur aimable enfant. Mais ce fui dans la maison paternelle que Blanche acheva son éducation. Elle était en dehors de toute influence extérieure, capable de diriger ses pas vers le cloître, et Notre Seigneur agit lui-même sur son âme ; il fut seul le directeur comme il avait été l'initiateur de sa vocation au Carmel. Il parlait fout bas à la candide jeune fille qui s'ignorait elle-même, tandis qu'autour d'elle sa piété grave, sa fuite du monde, le recueillement habituel qui l'enveloppait tout entière, laissaient présager les desseins miséricordieux du Soigneur. C'est peu à peu, sous le souffle divin, que s'entrouvrit cette fleur délicate de la vocation religieuse, et c'est sous le chaud rayonnement de l'amour ardent du sacrifice, qui caractérisa toujours cette âme, qu'elle vint s'épanouir dans le Carmel. En effet, sa soeur aînée tombe gravement malade : Blanche offre spontanément à Dieu l'hommage de sa virginité pour l'apaisement de^^te cruelle souffrance; quelques mois plus tard, un nouveau pas est fait : c'est à Lourdes. le fO décembre, au pied des roches Massabielles, où elle est venue avec sa mère et sa soeur demander à Marie d'achever la guérison commencée, que Blanche, obéissant toujours à sa soif d'immolation et de dévouement, fait à Dieu, en faveur de sa soeur, le sacrifice de sa vie. Et vingt ans plus tard, le 16 octobre 1891, elle quittait la terre et consommait ce sacrifice.

Cependant la pensée du cloître n'a pas encore effleuré cette âme ; un événement inattendu va faire briller la lumière qui doit lui montrer le chemin. Une jeune fille de Rueil entra au cou­vent des Bénédictines : son départ fut pour Blanche une révélation, elle comprit alors les desseins de Dieu sur sa vie : sous la grâce puissante qui passa dans son âme, sa vocation se dessina (claire­ment, comme elle parut évidente, un peu plus tard, pour tous ceux qui la connaissaient. Mais le but entrevu n'était pas encore atteint. La mort de sa mère, qui survint peu après, arracha à son coeur une généreuse promesse. Devant l'affliction de son père et l'isolement qui le menaçait, elle crut qu'elle devait sacrifier son attrait au dévouement filial, et devant la dépouille de sa mère, elle pro­mit de ne jamais le quitter. Bientôt, inquiète de cette résolution, elle consulta et confiante en l'assu­rance qui lui fut donnée que lorsque Dieu se choisit une âme pour lui appartenir sans réserve, il sait lui aplanir les voies et lever les obstacles, elle s'abandonna à cette divine volonté. En attendant qu'elle se manifestât, la jeune fille prit la direction de l'intérieur de la maison et seconda très activement son père dans les affaires qui lui incombaient. Mais le travail excessif auquel Blanche se livrait avec toute la vivacité de sa nature n'altérait pas en elle l'esprit de prière. Tout était réglé, et le temps que chaque matin elle s'était prescrit pour ses exercices était gardé fidèlement. Elle s'était fait un charmant oratoire près de sa chambre, et devant la Sainte Face, qu'elle honorait d'un culte particulier, brûlait une lampe qu'elle aimait à entretenir. Premiers hommages à la Sainte Face que N. S. devait récompenser plus tard.

Ainsi que le disait son zélé pasteur, avec une émotion vive, elle était l'exemple de sa paroisse, son angélique piété rayonnait dans la congrégation de jeunes filles dont elle faisait partie, ses bonnes oeuvres répandaient un parfum de charité et d'édification, et consolaient le prêtre dans un ministère souvent aride et désolé.

Mais il fallait à cette âme limpide les régions élevées et pures du cloître. Elle voulait être prête au premier appel de Notre-Seigneur ; elle s'occupa donc de chercher la maison religieuse où elle pourrait se fixer. Elle se présenta au Carmel de Paris, avenue de Messine, et après un assez long temps d'épreuve, elle obtint la promesse d'y être admise. Il restait à vaincre un dernier obstacle : la promesse formelle qui l'engageait envers son père, jamais elle ne pensa à en provoquer elle-même la rupture, elle attendait que seul le divin Maître dénouât le lien qui l'empêchait de donner à lui. En effet, son père ne tarda pas à deviner le sacrifice que lui faisait sa chère enfant, et prévenant ses désirs, il lui accorda généreusement la liberté de suivre l'appel d'en haut.

Malgré ce consentement, les épreuves pesaient sur l'âme de Blanche ; mais forte et résolue, elle écrivait: « Sans doute, je prévois plus d'une lutte, plus d'un déchirement, mais Jésus me restera toujours, et, en sa compagnie, tout me paraîtra aimable. Oh! oui, la Croix! voilà mon partage pour l'éternité. »

Craignant un instant que son ignorance de la musique ne fût un obstacle pour être reçue comme religieuse du choeur, elle écrit à son pieux directeur : «Dans le cas où cette circonstance m'empêcherait d'être admise comme soeur du choeur, je vous prie, mon père, de me permettre de demander à être soeur converse. Elles sont aussi religieuses que les autres, mais elles font tous les gros ouvrages. Ces fonctions seraient excellentes pour une orgueilleuse comme moi." C'est ainsi qu'elle soumettait ses plus ardents désirs, comme ses moindres démarches, à l'appro­bation de son père spirituel.

Enfin les portes du Carmel de Messine lui furent ouvertes. Son bonheur était complet. Elle trouvait dans ce fervent monastère la régularité, l'esprit de prière et de réparation qu'elle souhai­tait ardemment; des mères et des soeurs dont la bonté et les exemples la ravissaient, et qui ne s'effacèrent jamais de son souvenir reconnaissant. Dès les premiers jours de son postulat, elle se montra généreuse, régulière, avec un si vif attrait pour la mortification et la réparation que la Révérende Mère Prieure lui donna, en l'encadrant dans ceux de Jésus et de Marie, le nom de Véronique. Forte et tendre comme la Véronique de la Passion, elle avait reçu dans son coeur l'ineffaçable empreinte de la douloureuse image de son Dieu, lorsque la porte du monastère s'était refermée sur elle, la chère enfant avait dit Consummatum est, mais Notre Seigneur ne l'avait pas encore définitivement accepté.

Après sept mois d'essai,sa santé s'étant affaiblie, on fut obligé de la prévenir qu'on ne pouvait la garder. « J'ai le coeur brisé, écrivait-elle, en pensant que je vais quitter ce cher Carmel, objet de mon attente pendant si longtemps, mais j'adore la main de Dieu qui me frappe, en reconnaissant que j'étais bien indigne de cette vie toute céleste. » Mais l'épreuve ne dura que quelques jours. La Révérende Mère ayant apprécié les vertus solides, les qua­lités précieuses de la postulante, et sa vocation ne pouvant être douteuse, la proposa en qualité de bienfaitrice à notre vénérée Mère Marie-Thérèse, de pieuse mémoire. Notre Mère fondatrice l'accepta et l'accueillit avec une bonté toute maternelle. Consoler les affligés, soutenir une vocation éprouvée charmait son âme compatissante. Elle ouvrit donc notre Carmel à la chère enfant que le ciel lui adressait, et bientôt elle reconnut en elle un ange de candeur et d'innocence, une âme virile qui marcherait vaillamment dans les voies de la perfection religieuse.

La première formation de ma soeur Marie-Véronique de Jésus, avait laissé en elle une em­preinte profonde, aussi n'eut-elle qu'un court postulat. Mais l'effigie du divin Maître devait être gravée en traits profonds et douloureux dans son âme; elle subit de cruelles incertitudes pendant son noviciat. Malgré les adoucissements apportés pour elle aux austérités de la règle, sa santé faisait hésiter notre digne Mère Marie-Thérèse à la recevoir à la sainte profession ; des souffrances intimes se joignaient aux douleurs physiques, et de cruelles angoisses la crucifiaient. Notre chère soeur était dans son élément sur la sainte montagne, elle n'avait qu'un seul et ardent désir : river la chaîne qui l'attachait à Dieu. Elle redoubla de prières, le ciel les entendit, et l'on conçut l'espoir que son tempérament fatigué, mais robuste cependant, recouvrerait sa force. Après sept mois de noviciat, elle fut admise à prononcer ses voeux. « C'est la veille de la fête de notre sainte Mère Thérèse, écrivait-elle, que j'ai été reçue à la sainte Profession. Vous peindre mon bonheur et ma félicité est chose impossible. Oh ! qu'elles ont été vite oubliées les anxiétés et les douleurs de l'attente ! Cela est bien peu de chose pour acheter l'honneur d'être l'Epouse du Roi des rois, de notre bien aimé Jésus! Et puis, quelle délicatesse de ce bon Maître de se donner à moi à la même époque où dix ans auparavant, il avait bien voulu agréer la pauvre offrande que je lui avais faite de moi- même, en rendant la santé à ma soeur, par la main de Notre-Dame de Lourdes. »

Et ce bonheur ne connut pas de nuage pendant toute sa vie religieuse. Forte de ses engagements, la jeune Carmélite s'élança avec une sorte d'impétuosité dans le chemin de la perfection, il fallait modérer les excès de son zèle. Elle s'appliqua particulièrement à garder avec une exactitude inviolable nos saintes Règles et Constitutions ainsi que tous nos usages. On ne la trouvait jamais en défaut sur ces différents points. Tout était prévu longtemps à l'avance dans les offices où elle se trouvait placée, afin que rien ne vint rompre cette chaîne d'or de la fidélité, par laquelle elle voulait se lier au céleste Epoux. Il y avait eu parfois quelque inflexibilité dans le caractère, quelques exagérations dans ce zèle qui ne connaissait pas d'entraves : pourquoi ne le dirions-nous pas? puisqu'elle obtint la victoire sur elle-même; victoire qui ne peut être l'effet que d'un mâle courage. Notre chère enfant nous avait demandé de la garder une année de plus au noviciat : nous souscrivîmes à ses voeux, car c'était un exemple à offrir plus longtemps aux jeunes novices qui l'admiraient. Elle s'adonna plus que jamais à l'obéissance qui devint la loi de toute sa vie. Si elle lui imposa des sacrifices, elle donna surtout à son âme cette paix radieuse qui se lisait habituellement sur ses traits ce fut le secret de son bonheur, de sa patience, de son héroïsme en toute vertu: tout était pour elle une communion à la divine volonté. Elle se livrait au travail pour sa chère communauté avec dévouement et ardeur, quelque fût l'emploi dont elle était chargée, ses mères prieures pouvaient avoir toute sécurité, il était rempli selon les vues de l'obéissance. Tous les points du règlement de cet office étaient observés à la lettre, les soeurs étaient pourvues selon leurs besoins et en temps opportun. Pour arriver à ce but, elle ne comptait pas avec la fatigue, nous devions souvent mo­dérer cette ardeur, cette vivacité qui eut mis ses officières en déroute.

C'est ainsi que comme seconde portière, et plus tard comme première, elle donna toute satis­faction à l'intérieur du monastère et au dehors. Notre chère fille nous rendait, dans cet emploi, de nombreux et grands services. Il n'y avait pas, pour ainsi dire, d'imprévu pour elle-même au tour. Discrète dans ses fonctions et pleine de charité pour ses soeurs, aidée d'une mémoire heureuse, elle procurait à chacune tout à point, ou plutôt toujours en avance, si la chose était possible. Ma Soeur Marie-Véronique aimait cet office qui lui fournissait les occasions de se dépenser pour sa chère famille religieuse et mettait on oeuvre son activité infatigable.

Tous nos saints devoirs avaient un charme profond pour elle, mais l'office divin lui était plus cher que tous les autres. Elle y déployait sa forte voix avec une ampleur qu'il fallait souvent arrêter, car elle ne s'harmonisait pas toujours avec le choeur, ce lui était un véritable chagrin, mais après des efforts constants, elle parvint à s'unir avec parfait accord aux autres voix et elle devint un grand secours à l'office; Là encore elle était d'une précision sans ri­vale pour toutes les cérémonies. Elle les remplissait avec esprit de foi et amour pour Notre Seigneur présent dans le lieu saint.

Toujours recueillie, modeste et silencieuse, elle était une règle vivante ; c'était la religieuse accomplie.

Ces palmes qu'elle cueillait si nombreuses, le divin Maître les lui préparait avec amour, et par sa correspondance à la grâce, elle se maintenait à un niveau élevé dans la perfection. Sa voie était droite et simple, à l'abri de toute illusion.

Au moyen de l'examen particulier qu'elle employait avec une constance rare, elle s'exerçait à la vertu qu'elle s'était proposé d'acquérir dans sa retraite chaque année: elle atteignait ainsi son but et ne passait à autre chose qu'après avoir obtenu un résultat complet. C'est ainsi que notre chère fille allait de victoires en victoires, de vertus en vertus, jusqu'au Jour où elle allait pos­séder Dieu en Sion. Ce travail intérieur s'opérait dans une succession pleine d'ordre qui ne laissait pas de lacune, et lorsque dans la dernière année de sa vie, elle nous consultait sur ce qu'elle devait faire désormais, nous ne trouvâmes rien de mieux pour cette âme avancée que de lui donner ce dernier mot de notre sainte Règle qui résume tout : Usez de discrétion qui est la règle des vertus. Elle s'y appliqua énergiquement et nous admirions comment elle savait vaincre et surnaturaliser sa nature ardente ; elle mettait dans tous ses actes un juste tempérament de douceur et de force, de charité et de régularité, de maturité et de sagesse. Notre chère Soeur Marie-Véronique avait aimé Notre-Seigneur Jusqu'au terme des saintes lois qui nous régissent.

Ces vertus et son parfait esprit religieux, nous la firent choisir pour nous aider auprès de nos chères novices. Devenue l'ange du noviciat, ma Soeur Marie-Véronique se dévoua avec zèle à cette tâche. Sa sollicitude était sans cesse en éveil ; les plus légères infractions au cérémonial ou aux usages du Carmel, les moindres négligences dans nos saints devoirs n'échappaient jamais à sa vigi­lance ; mais elle mettait dans la correction de la bonté et de la douceur. Ses exemples spécialement avaient une salutaire influence sur nos chères enfants. C'était un modèle d'humilité, de patience, de force, mais surtout de fidélité.

Nous nous reposions sur notre chère fille d'une foule de détails d'administration ; elle avait l'esprit pratique, aimait l'ordre et le mettait partout où elle était employée. Ame de foi, elle se te­nait toujours unie à sa Prieure, elle l'entourait de ses prévenances filiales et respectueuses; saisis­sant ses vues et ses désirs, elle lui était un secours permanent.

La santé de notre chère Soeur Marie-Véronique qui avait donné de sérieuses inquiétudes au début de sa carrière s'était beaucoup améliorée, grâce aux soins dont elle avait été l'objet. Elle était très heureuse de suivre habituellement la Règle, mais souvent aussi elle portait secrètement des souf­frances physiques: nous les devinions, et nos charitables infirmières s'empressaient d'y remédier.

Au mois de septembre, notre chère Soeur eut le désir de devancer l'époque de sa retraite an­nuelle. J'ai le pressentiment, nous disait-elle, que si je ne la fais pas maintenant. Je ne pourrai pas plus tard. Elle était souffrante, nous l'avions exemptée de ses emplois, et mise au complet repos depuis plusieurs jours. Nous hésitions à lui accorder cette retraite dans de telles conditions, mais elle réitéra ses instances, en nous assurant qu'elle manquerait ces Jours de prière et de solitude si elle ne se hâtait, et que du reste elle n'en aurait pas de fatigue. Elle commença les saints exercices le 14 septembre. Le divin Maître qui l'avait attirée si puissamment, lui fit entendre cette parole di­vine, lumineuse et forte qui jette l'âme dans la voie du sacrifice, et le plan de retraite que, de concert avec elle, nous avions conçu auparavant, fut modifié pour suivre l'attrait divin. C'est la Croix qui se présentait à elle dans son austère nudité, dans son immolation suprême ; notre chère Soeur l'étreignit avec amour, et il lui fut donné d'en goûter les âpres suavités.

Neuf années auparavant, après avoir lu la vie de la Soeur Marie de Saint-Pierre, de Tours, consa­crée à la Réparation, elle avait dit à sa soeur : « Je serais contente si, comme cette sainte carmélite, j'avais neuf années de vie religieuse", et elles lui furent accordées.

Nous n'avions pas cessé de l'entourer de soins pendant sa retraite ; elle se trouvait presque re­mise au bout de la carrière, néanmoins nous lui imposâmes des ménagements qui lui contèrent beaucoup et auxquels elle se soumit. Nous avions plusieurs lois consulté le médecin qui n'avait trouvé rien de grave, ni de caractérisé.

Une grande fatigue s'était emparée de notre chère Soeur, et le vendredi 8 octobre, après qu'elle se fût confessée, des symptômes plus alarmants se manifestèrent. Nous la fîmes aussitôt transporter à l'infirmerie et la fièvre avec délire nous fut l'indice d'une maladie grave. En effet, deux ou trois jours après, la fièvre typhoïde, sous une forme cérébrale, était constatée. Les soins prescrits par notre bon docteur étaient donnés, par nos charitables infirmières, le jour et la nuit avec un dévouement plein d'abnégation; le délire ne quittait pas la chère malade: un moment la connaissance lui revint: nous en profitâmes pour avertir Monsieur notre confesseur, en le priant de devancer son heure, car il devait venir ce jour-là; il accourut avec sa bonté ordinaire et la malade se confessa avec une en­tière lucidité. Nous parlâmes à notre digne Père des derniers sacrements, mais ma soeur Marie-Vé­ronique était pleine de force et de vie, la maladie n'était qu'à son début, il fut convenu qu'on lui donnerait le Saint Viatique le lendemain, fête de notre sainte Mère Thérèse. Notre pieuse Soeur nous eu parla avec bonheur et nous demanda de faire une belle parure à l'infirmerie pour s'asso­cier à la double fête du jour suivant. Mais, quelques heures après, le délire reprenait et il était im­possible qu'elle reçut la communion. Depuis cet éclair de lucidité qu'elle recouvra pour achever de se purifier des légères tâches qu'elle pouvait avoir encore sur son âme, notre chère malade n'eut plus de connaissance parfaite. Dans la matinée du 15, le médecin constata quelque amélioration, dit en nous quittant nous dit: « Tout n'est pas désespéré quant à la fièvre typhoïde. » Une médication compliquée était prescrite et nos «hères soeurs infirmières s'y conformèrent exactement. La fin de la journée avait été pénible, mais la chère malade n'en avait pas conscience, toutefois sa pensée se portait encore vers Dieu ; à un moment où la Soeur infirmière la voyait regarder fixement au pied du lit, celle-ci lui demanda. — « Que voyez-vous donc ma Soeur? — Mon bon ange, répondit-elle, il est bien beau ! » —et elle ajouta quelques paroles édifiantes.

Notre chère malade paraissait mieux dans la soirée, la fièvre diminuait : mais vers une heure du matin, la Soeur infirmière, très expérimentée, qui la veillait et lui avait donné fréquemment les potions ordonnées, s'aperçut tout à coup d'un symptôme de mort prochaine; lorsque nous arri­vâmes, nous étions proche de l'infirmerie, notre bien-aimée fille touchait au moment suprême. Nous lui fîmes quelques invocations, et peu après, elle rendait sa belle âme à Dieu, sans secousse, et sans que nous ayons pu apercevoir son dernier soupir ; l'asphyxie avait fait rapidement son oeuvre. Notre dévoué docteur et d'autres médecins ne purent s'expliquer cette mort si prompte. Dieu l'avait sans doute permis, pour lui épargner les terreurs du dernier moment, car elle en avait été très effrayée précédemment : la préparation de notre chère soeur au passage suprême avait été faite auparavant, au moment même où elle tombait frappée par la terrible maladie, mais sans qu'elle fut encore déclarée. Elle nous avait supplié de réunir la communauté pour demander pardon de ses fautes; nous avions cédé à ses désirs, quoiqu'il n'y eût aucune apparence de fin prochaine; elle avait renouvelé ses voeux entre nos mains et accepté toutes les volontés de Dieu sur elle pour la vie et la mort.

Mais si pure qu'ait été la vie de notre chère Soeur, n'ayant pu lui procurer tous les secours de notre sainte religion, et la Sainteté divine trouvant des taches dans ses anges même, nous vous supplions, ma Révérende Mère de vouloir bien ajouter aux suffrages de l'Ordre déjà demandés, une communion de votre sainte communauté, les indulgences du Via Crucis, les six Pater, une petite prière à la Sainte Face et des invocations à notre Sainte Mère Thérèse.

Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire avec un affectueux respect, ma Révérende et très honorée Mère

 

Votre très humble soeur et servante,

Soeur MARIE DES ANGES

R. C. Ind.

De notre Monastère de l'Annonciation des Carmélites de Compiègne, le 11 décembre 1891.

 

Aa moment ou nous allions envoyer cette circulaire, nous avons la douleur de perdre notre chère soeur Augustine de Saint Joseph, du voile blanc, pour laquelle nous réclamons au plus tôt les Suffrages de notre Saint Ordre.

 

Beauvais – Impr. de l'Orphelinat Saint-Sauveur, 4 rue Nicolas-Godin.

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