Carmel

09 Juin 1893 – Figeac

Ma. Révérende et très honorée Mère.

Paix et très respectueux salut en N.-S. Jésus-Christ qui, aux derniers jours consacrés à honorer sa glorieuse Résurrection, a voulu nous ramener aux angoisses de l'agonie et aux douleurs de la mort, a livré la Communauté toute entière aux atteintes de l'influenza et en moins de huit jours a ravi, pour les rappeler à Lui, deux de nos soeurs à notre tendre et religieuse affection. Après deux jours seulement d'une maladie qui n'offrait aucun caractère de gravité, notre bien-aimée soeur Catherine-Pauline-Euphrasie de St-Louis de Gonzague, a quitté cette terre d'exil, âgée de 78 ans, 6 mois et 22 jours, et de religion 57 ans.

Son désir était qu'il ne fût pas fait pour elle de circulaire étendue, mais que seulement les suf­frages de l'Ordre fussent réclamés pour le repos de son âme. Nous voulons accéder en partie à son humble demande, mais il ne nous parait pas possible, ma Révérende Mère, de garder tout à fait le silence sur une vie aussi longue, si bien remplie et si édifiante que celle de Notre bonne Soeur Eu­phrasie.

Elle était née de parents éminemment chrétiens. Son père, artisan aisé, se livrait au commerce des bois de l'Auvergne, et sa mère, pieuse, laborieuse et infatigable était toute entière à l'éducation de ses nombreux enfants et au gouvernement de sa maison. Parmi cette turbulente jeunesse, la petite Pauline se distinguait par le sérieux de son caractère et sa piété précoce ; elle aimait le tra­vail, surtout la prière et s'isolait souvent pour aller prier pendant que les autres étaient à leurs amusements et à leurs jeux. Des goûts de mortification et de pénitence se révélèrent dès ses plus tendres années.

Ses parents étant venus habiter Aurillac, confièrent son éducation aux Religieuses de l'Instruc­tion, de l'Enfant Jésus, de cette ville, et c'est sous leur pieuse et maternelle direction que se déve­loppèrent avec la ferveur de l'enfant les germes précieux d'une vocation religieuse. Après sa pre­mière Communion, sou âme pure conserva un grand amour pour la divine Eucharistie qui demeura l'attrait le plus profond et le plus ardent de toute sa vie. Revenue chez ses parents, elle y prit sa place de fille aimante et dévouée, s'adonnant à l'exercice des vertus en même temps qu'au labeur qui pouvait soulager sa bonne Mère. Cependant l'appel intérieur de Dieu captivait son coeur et son âme et ses désirs de vie parfaite s'accentuant toujours davantage, elle déclara à sa famille qu'elle allait quitter le monde pour entrer au Carmel. Elle avait alors vingt-deux ans.

Ayant su qu'un couvent de Carmélites venait d'être établi à Figeac, elle se présenta à la digne Prieure fondatrice et sollicita son admission comme postulante ce qui lui fut heureusement accordé. Le 14 Juillet 1836, Pauline laissant son pays et ses affections les plus douces, franchit généreuse­ment la clôture pour se donner tout entière à la divine Marie, Reine et Mère du Carmel. Son esprit de prière, son attrait pour le silence et la vie cachée, son respect et son dévouement pour la Com­munauté lui acquirent bientôt l'estime de toutes les religieuses et elles la reçurent avec joie à la Vêture après quatre mois de postulat. Un an plus tard, le 7 novembre 1837, elle consommait l'oeu­vre de sa foi par l'émission des Saints Voeux.

Notre bien-aimée Soeur après sa profession religieuse, ne s'occupa plus que de la sanctification et de la perfection de son âme. Pénétrée d'horreur pour toute faute volontaire, elle s'efforça de plaire constamment à son divin Époux par une fidélité parfaite aux Observances de la Règle et la pratique exacte de ses devoirs. Elle sut se rendre très utile dans la Communauté et remplit succes­sivement les divers Offices de Lingère, Robière. Sacristine et Portière ; elle garda longtemps ce dernier emploi, y exerçant surtout l'influence bienfaisante de sa piété sur les personnes amies du monastère qui venaient s'édifier auprès d'elle et chercher ses sages et pieux conseils.

A l'époque de l'érection du Carmel de Villefranche, une des religieuses de Figeac y ayant été appelée pour exercer la charge de Prieure, notre chère Soeur Euphrasie lui fut bientôt adjointe comme Maîtresse des Novices. Elle s'acquitta de cette mission importante avec beaucoup de soin de piété et de zèle. Toujours unie à Notre-Seigneur, attentive à sa sainte présence, elle formait ses jeunes Novices à la vie intérieure par la pratique du renoncement et des vertus religieuses ; humble et détachée, elle les excitait plus encore par ses exemples que par ses paroles à la destruction de l'orgueil et de la nature vicieuse si pleine de recherche d'elle-même... Ma Soeur Euphrasie laissa de chers et édifiants souvenirs au Carmel de Villefranche................... ;

Nous abrégeons, ma Révérende Mère. Notre chère Soeur rentrée dans son premier Carmel, y coula une longue vie de vertus et de mérites, toute cachée en Dieu, dans l'obéissance et le silence de la Règle, unie à ses Mères Prieures et à sa chère Communauté qu'elle aimait en la charité di­vine. Sa santé, que de rudes et fréquentes macérations corporelles n'avaient point ébranlée, subit ce­pendant des atteintes d'infirmités qui augmentèrent avec les années et qui devinrent pour elle le principe de souffrances, d'humiliations et de mérites que Dieu seul a comptés. Son pauvre corps se replia et la rendit toute contre faite ; ses yeux s'éteignirent. . . et durant plus de dix ans il nous a été donné de voir et d'admirer cette vénérable infirme pleine de patience et de résignation, ne se plaignant jamais que de la peine qu'elle croyait donner à ses soeurs infirmières, toujours esclave de son amour pour la régularité, se rendant à tâtons, essoufflée, à tous les exercices de Communauté, au Choeur, aux Processions, au Réfectoire, aux récréations et partout. Elle quêtait des soeurs lec­trices et les payait par de ferventes prières. Ne pouvant se résoudre à l'inaction, elle filait un gros fil de très utile emploi. Ses jours se passaient tout absorbés par la prière et la méditation des choses divines durant de longues heures devant le Tabernacle où suivant l'adorable Sauveur dans sa voie douloureuse, offerts pour les pécheurs et les âmes du Purgatoire !. .

Au mois de novembre 1887, elle compta un demi siècle de vie religieuse. Déjà dans le cours des années précédentes nous avions célébré quatre noces d'or et nous redoublâmes d'empresse­ment pour fêter les siennes. Malgré sa cécité, elle se prêta avec joie aux chants et aux solennités d'un si beau jour. Elle renouvela ses saints voeux dans toute la plénitude de sa foi et de son amour pour Dieu. Sa vénérable mère, âgée de quatre-vingt-quinze ans, voulut assister à la fête de sa fille et passa avec elle tout le temps laissé aux conversations du parloir. Cette sainte femme ne pouvait se lasser de bénir Dieu des grâces dont il avait comblé sa chère Euphrasie et dont son âme à elle-même était remplie !... La belle journée finit hélas !... comme tout ce qui est de la terre?... Six ans plus tard, ma soeur Euphrasie apprenait la sainte mort de sa mère qui avait compté cent un ans.

Nous pensions conserver notre bien-aimée soeur encore bien des années, quand, aux derniers jours du mois d'avril, l'épidémie terrible de l'influenza s'abattit soudainement sur notre Carmel et cloua sur leur couche dix-sept de nos soeurs. Notre chère soeur Euphrasie sembla vouloir braver le mal et ne s'en tenir qu'à un peu de fatigue ; elle luttait et le jeudi, 4 mai. elle se rendit encore au choeur pour y faire la sainte communion : « Ce sera peut-être la dernière de ma vie, » dit-elle aux soeurs qui l'engageaient à regagner sa cellule ; laissez-moi aller recevoir mon Dieu !... » Notre bonne soeur haletante ne tarda pas à se recoucher, mais sans donner d'in­quiétude sur son état ; elle semblait à peu près comme les autres : le samedi matin, elle accusa une grande faiblesse quoique parlant à l'ordinaire, quand vers neuf heures, elle parut tout à coup très mal ; son visage s'altéra, sa langue s'agitait sans parole et la respiration s'embarrassait. Tout alarmées nos soeurs accoururent à l'infirmerie où nous étions nous-même sérieusement retenue par la maladie, pour nous avertir du danger imminent de notre pauvre mourante. Notre digne aumônier, atteint lui aussi de l'influenza, ne pouvant être appelé, on se hâta d'aller cher­cher notre père confesseur extraordinaire... Mais hélas ! une demi-heure s'était écoulée et avant qu'il arrivât, notre bien-aimée soeur Euphrasie, toute préparée depuis longtemps au grand passage de l'Eternité, sans effort, sans agonie, venait de rendre son âme à Dieu !...

Quelle épreuve !... Quelle tristesse douloureuse de n'avoir pu lui faire recevoir les derniers sacrements de l'Eglise !... De n'avoir pu revoir ni assister notre bien-aimée soeur à l'heure suprême de la mort !... Le Seigneur nous l'a imposé... Et nous nous sommes soumise en adorant sa très sainte volonté !...

Malgré la confiance que la vie fervente et la douce mort de notre vénérée soeur Euphrasie de St-Louis de Gonzague nous donnent de son salut éternel, il faut être si pur pour entrer dans la gloire du Dieu infiniment saint que nous vous prions, ma révérende mère, de vouloir bien ajouter aux suffrages de l'Ordre déjà demandés, par grâce une communion de votre sainte communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis et des six Pater, et quelques invoca­tions à notre mère Sainte Thérèse, à notre père Saint Joseph et à sa sainte Patronne.

Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix de notre divin Maître et en la dilection de son coeur,

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Votre très humble soeur et servante,

Sr Thérèse de Jésus, R. C. ind, prieure.

De notre Monastère du Sacré-Coeur de Jé­sus. sous la protection de N.-P. Saint-Jean-de la Croix, des Carmélites de Figeac, le 9 juin 1893.

 

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