Carmel

09 Janvier 1893 – Douai

Ma Révérende et très Honorée Mère,

Le saint Jour de Noël fut choisi par Notre Seigneur pour retirer des peines de l'exil notre chère et bien-aimée Soeur Marie-Angèle de l'Enfant Jésus, professe de notre Communauté, doyenne des Soeurs du voile blanc. Elle était âgée de 68 ans et avait 40 ans et 6 mois de profession religieuse.

Notre chère Soeur reçut le jour de parents chrétiens au village d'Anneux, près Cambrai (Nord). On lui donna au baptême le nom de Joséphine, qui la plaçait dès lors sous le puissant patronage du glorieux Saint que le Carmel honore d'un culte tout filial. Sa pieuse mère lui apprit de bonne heure à aimer Dieu et l'âme docile de l'enfant sut profiter de ces sages leçons. La jeunesse de Joséphine s'écoula paisiblement au foyer paternel, dans les occupations du ménage, loin des plaisirs du monde qu'elle ne voulut jamais connaître. Tout son bonheur était d'assister aux offices de l'Eglise et aux prédications ; elle n'hési­tait pas à parcourir des lieues pour donner cette satisfaction à sa piété. Vers l'âge de 20 ans, elle quitta sa famille pour entrer, comme fille de service, au Monastère des Dames Bernardines d'Esquermes. Pendant son séjour dans cette sainte maison, l'appel divin se fit entendre à son coeur et elle se sentit inclinée vers la vie austère du Carmel. M. le Directeur, après l'avoir examinée avec soin, l'autorisa à suivre son attrait et lui remit une lettre de recommandation. Joséphine se sépara avec peine des Religieuses qui avaient été si bonnes pour elle, et leur conserva toute sa vie un souvenir plein de reconnaissance. Bientôt elle se présenta à la Révérende Mère du Coeur de Jésus, alors prieure de notre Communauté. Cette digne Mère, l'ayant interrogée sur ses dispositions et ses aptitudes, consentit à la recevoir comme Soeur converse.

Dès son entrée, la chère postulante s'adonna avec ferveur aux pratiques de la vie reli­gieuse et se livra aux travaux de sa condition avec un courage que soutenait sa robuste constitution. Le temps d'épreuve ordinaire expiré, elle revêtit les saintes livrées du Carmel sous le nom de Soeur Marie-Angèle de l'Enfant Jésus. L'année suivante, la Com­munauté, toujours satisfaite de sa conduite, l'admit à la profession. Elle prononça ses saints voeux entre les mains de la Révérende Mère Saint-Joseph du Sacré-Coeur, de douce mémoire. Heureuse et reconnaissante d'être enfin liée à son Dieu pour jamais, notre fervente Soeur, n'écoutant que son dévouement, dépensait avec joie ses forces à l'entre­tien du jardin où elle travaillait avec une ardeur infatigable.

Mais, par timidité et aussi pour imiter sa compagne dont le tempérament était tout différent du sien, elle n'osait prendre, au réfectoire, la nourriture qui lui était nécessaire. Quand on s'en aperçut, il était trop tard. Une extrême faiblesse fut le résultat de ce jeûne trop sévère et, quelques mois après sa profession, Soeur Angèle fut affligée d'une maladie des plus pénibles. Dieu voulait, sans doute, que la croix fut désormais le partage de son épouse et il entrait aussi dans ses desseins adorables de fournir à la Communauté des occasions multiples de pratiquer, à l'égard de cette chère malade, les actes de la plus grande charité. Les médecins, appelés en consultation , se déclarèrent impuissants à la guérir ; on ne pouvait que la soulager un peu et s'efforcer de relever le moral ; car tout, en elle, était atteint à la fois. Par suite de cette situation, notre bonne Soeur fut privée, pendant plus de 38 ans, de l'assistance aux exercices de Communauté , et, ce qui lui était plus sensible encore, elle ne pouvait rester au choeur pendant la Messe. M. l'Aumônier, dont le dévouement est sans bornes, entrait de temps en temps, pour lui donner la Sainte Communion, à l'avant-choeur, au milieu des portes et fenêtres laissées ouvertes, même par le froid le plus intense.

Dans l'intervalle, la Soeur chargée de la cuisine fut frappée d'apoplexie et en demeura paralysée. Soeur Angèle, dont les douleurs étaient moins aiguës, la remplaça dans cet office, aidée, pour les gros travaux, par ses charitables compagnes. Dans le courant d'Avril 1891, elle eut une fluxion de poitrine qui la mit en danger ; mais l'heure du divin Maître n'était pas encore venue ; il voulait la dédommager, à la fin de sa vie, des sacrifices nombreux qu'il lui avait imposés, En effet. Soeur Angèle se guérit et, peu après, nous eûmes la joie de la voir apparaître au choeur, puis à la récréation. Le bonheur de cette bonne ancienne se reflétait sur sa douce physionomie ; il était édifiant de la voir, au. premier son de la cloche, se diriger bien vite vers le choeur, sans trop savoir, parfois, pour quel exercice. Car, il faut le dire pour être exacte, son état se ressentait de l'enfance ; son intelligence était affaiblie, mais il lui en restait assez pour aimer Dieu de tout son coeur et acquérir des mérites par la patience. N'ayant plus assez de force pour le moindre travail, elle priait autant qu'elle en était capable ; sa grande peine était de ne pouvoir plus réciter tant de belles prières qu'elle savait autrefois et qui échappaient maintenant à sa mémoire. Malgré l'amélioration de sa santé, notre chère Soeur souffrait encore beaucoup ; l'impuissance où elle se trouvait lui était aussi un réel tourment et il ne lui manquait pas

d'occasions de pratiquer la patience. Elle en fit un bon usage et nous édifia souvent par son entière soumission à la volonté de Dieu comme par sa parfaite obéissance à l'égard de sa Mère prieure. Un mot, de la part de sa Mère, suffisait pour tout obtenir. S'il lui arri­vait de s'échapper un peu ou d'exercer les Soeurs par ses maladresses, elle recevait les observations avec humilité et réparait aussitôt sa faute, se montrant bonne, douce, cares­sante même.

Depuis longtemps Soeur Angèle désirait la mort et suppliait Notre Seigneur de l'appeler à Lui ; le moment du départ était plus proche que nous ne le pensions.

La veille de Noël, notre chère Soeur avait exprimé le désir de se lever pour la Messe de Minuit, mais, le moment venu, elle se sentit trop fatiguée. Elle assista à la Messe de l'Aurore, y fit la sainte Communion et revint, plus tard, à la grand'Messe. Nous remar­quâmes une légère altération dans ses traits, cependant elle ne paraissait pas plus malade qu'à l'ordinaire. Joyeusement occupée de la fête, elle chanta un cantique de Noël et peu après, une Soeur, lui parlant de l'Enfant Jésus, elle lui répondit: « Quand est-ce que nous le verrons? » Ce devait être bientôt. Notre bonne Soeur prit son repas à la cuisine, comme de coutume. Environ une demi-heure après, elle fut atteinte d'une apoplexie céré­brale qui lui enleva à l'instant sa connaissance ; elle ne la recouvra plus. On la trans­porta à la salle de Communauté où M. l'Aumônier entra aussitôt pour lui administrer l'Extrême-Onction. Nous fîmes ensuite la recommandation de l'âme; toute la Commu­nauté réunie entourait la chère mourante et l'assistait dé ses prières. Au moment où nous commencions le chapelet, le divin Enfant Jésus vint chercher celle qui avait reçu, avec son nom, une abondante participation à sa croix.

Nous avons la confiance que notre chère Soeur a reçu du Souverain Juge un accueil favorable ; mais, comme il faut être entièrement purifiée pour entrer dans le ciel, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre ; par grâce, une Communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, les indulgences des six Pater el du Chemin de la Croix ; elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire avec un profond et religieux respect.

De votre Révérence,

La très humble servante et Soeur,

Soeur MARGUERITE-MARIE DU CŒUR DE JÉSUS, C. D. IND., Prieure.

De notre Monastère des Carmélites de Douai, sous le patronage du Sacré-Coeur de Jésus, de Notre-Dame du Mont-Carmel et de notre Père saint Joseph, le 9 Janvier 1893.

 

Retour à la liste