Carmel

09 Février 1893 – Chalon sur Saône

Ma Révérende et très Honorée Mère,

Très humble et très respectueux salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

A peine une année s'est écoulée depuis la mort de notre bonne Soeur Marie de l'Incarnation et voici qu'un nouveau sacrifice vient de nous être demandé. Notre chère et vénérée Doyenne, ma Soeur Annette Aimée de Jésus, après quelques jours seulement de maladie, s'est endormie dans le Seigneur, au jour béni de la Pré­sentation de Jésus au Temple. Elle avait 77 ans d'âge et était dans la 61e année de sa vie religieuse.

Notre chère Soeur, ma Révérende Mère, appartenait à une famille de notre ville, respectable à tous égards, mais surtout remarquable par ses traditions religieuses et ses habitudes de piété. Deux frères et une soeur partageaient avec elle les joies du foyer paternel ; ses deux frères furent toujours fidèles aux devoirs de l'honneur et de la religion ; sa soeur, plus jeune qu'elle de quelques années, se consacra au service des mala­des el des pauvres, à l'Hôpital de Dijon, où, sous le beau nom de Marie Clémence qu'elle reçut avec le Voile, et dont elle réalise si bien la signification, elle édifie encore sa Communauté.

Annette avait 16 ans lorsqu'une demoiselle de sa connaissance lui proposa de l'accompagner au sermon qui devait être donné dans notre Chapelle, à l'occasion de la fête de notre Sainte Mère, par un ami de la famille, également dévoué au Carmel. La chère enfant accepta avec joie et se sentit alors si attirée par Notre-Seigneur, si touchée par la parole de Dieu, si ravie par le chant des religieuses, qu'elle eut de suite la pensée d'entrer dans la Communauté. Le même soir, le prédicateur allant visiter ses parents lui dit : « Mon enfant, je vous ai vue aujourd'hui au sermon et tout le temps je vous ai demandée à sainte Thérèse. » Ces paroles pénétrèrent son âme d'une nouvelle lumière et dès lors elle résolut irrévocablement d'être Carmélite. Sa famille fut déso­lée quand elle apprit cette détermination ; Annette avait fait jusqu'alors le bonheur de tous, pourquoi vouloir partir ? Puis elle était si jeune ! Aussi la courageuse enfant fut-elle mise à une rude épreuve ; on lui représen­tait l'austérité de la vie du Carmel et chacun essayait par toutes sortes d'objections de la faire renoncer à son pieux projet. Tout fut inutile ; elle était inébranlable et, montrant ce que peut la grâce dans un coeur épris de l'amour de Jésus-Christ, elle répondait avec une fermeté tout à la fois douce et virile : « Dieu m'appelle, j'ai la grâce de la vocation, je ne crains rien. » Il fallut donc céder à ses instances; les parents donnèrent leur con­sentement, mais d'après la sage décision de son directeur elle dut attendre au printemps suivant pour réaliser ses désirs. Le 24 avril, son père, ses frères, sa jeune soeur et plusieurs membres de sa famille l'accompagnaient jusqu'aux portes du Carmel. Sa mère restée à la maison disait : « Ma petite Annette ne pourra se passer de moi ; vous verrez qu'avant huit jours elle sera de retour ici. » Il n'en fut rien et quelques jours après cette mère tant aimée vint elle-même voir sa fille au parloir.

Nous vous l'avons dit, ma Révérende Mère, la nouvelle postulante était douée d'énergie; mais le trait saillant de sa physionomie morale fut, dès le début et jusqu'à la fin, une sorte de naïveté, de candeur, de gaîté un peu enfantine qui, après avoir été l'apanage comme naturel de ses 16 ans, projetait encore un reflet de jeunesse sur ses dernières années. La chère petite qui venait à peine de quitter la pension où elle avait été élevée, apporta sa paume au Carmel, croyant tout simplement qu'elle trouverait sa place aux heures de la récréation. Cependant, docile aux enseignements et aux leçons des Mères qui dirigèrent son noviciat, elle se forma aux devoirs de la vie religieuse et fut admise à la grâce de revêtir le saint Habit et de prononcer les saints Voeux aux époques or­dinaires.

D'une santé assez délicate, ma Soeur Aimée de Jésus ne put malgré son courage soutenir que peu d'années nos saintes observances et sa vue, déjà atteinte par un accident arrivé dans son enfance, s'affaiblit graduellement, ce qui ne l'empêcha pas d'être employée presque exclusivement au travail du dehors, dont elle s'acquittait avec une rare perfection. Son grand esprit de foi la soutint dans cette pénible épreuve qui s'aggrava encore plus tard, comme dans toutes celles qui se rencontrent nécessairement dans la vie.

La longue carrière de notre chère Soeur, ma Révérende Mère, peut donc se résumer tout entière dans ces deux mois : Prière et travail. Elle demeurait habituellement dans sa cellule, occupée à quelque ouvrage ma­nuel et plus encore de la pensée de son Bien-Aimé. Peu à peu, elle devint complètent aveugle et dans sa vieillesse, atteinte aussi de surdité, elle se trouva nécessairement bien isolée de la Communauté ; car il lui de­vint impossible, les dernières années de sa vie, de prendre part à nos récréations ; elle n'y faisait acte de pré­sence que les jours de Fête. Mais comme son coeur était partout et toujours avec nous! Elle s'intéressait à tout ce qui se passait dans notre Carmel et remerciait avec effusion celles de nos Soeurs qui avaient la charité de la tenir au courant des moindres choses. Sa tendre affection pour nous toutes lui faisait saisir avec empres­sement toutes les occasions de nous en donner des témoignages. Allait-on lui confier une joie ou une peine de famille, elle s'en montrait parfois émue jusqu'aux larmes et trouvait toujours à donner quelques paroles de re­ligieuse sympathie, d'encouragement, de consolation; puis promettait de prier, de redoubler de ferveur. On pouvait y compter., Sa mémoire prodigieuse qui ne lui fit jamais défaut, même au moment de sa mort, lui per­mettait de choisir, parmi les innombrables formules de ses dévotions, de quoi satisfaire à toutes les recomman­dations qui lui étaient faites. Les légendes de tous les Saints du paradis lui étaient connues. Outre son recours perpétuel à toutes les Notre-Dame et sa confiance filiale en notre Père saint Joseph, elle implorait l'assistance de tous les Bienheureux , de tous les saints Anges, selon l'objet de ses requêtes. Puis les âmes du Purgatoire, com­me elle les aimait! Que d'indulgences elle s'est efforcée de gagner pour elles! Durant ses nuits qui se passaient souvent sans sommeil, elle priait, elle priait sans cesse ; c'était pour la sainte Eglise, pour notre Saint-Père le Pape, pour les Missions, pour la France ; vraiment sa ferveur ne connut pas de déclin. D'une inébranlable confian­ce dans les promesses de certaines prophéties modernes, dont elle savait par coeur et dont elle interprétait à son gré les textes plus ou moins obscurs, elle croyait entrevoir à chaque instant l'aurore du triomphe de l'Église et de la rénovation de la France. Le moment lui semblait si précis, si clair! Puis arrivait une déception; mais ma Soeur Aimée de Jésus reprenait bien vite courage, fixait une autre date et se remettait en prières, s'efforçant de faire violence au ciel.

C'est ainsi, ma Révérende Mère, que s'écoulait pieusement l'existence de notre chère ancienne, lorsque arriva le 50e anniversaire de sa Profession religieuse. Nous lui fîmes une fête tout intime, il est vrai, mais sainte­ment joyeuse, à laquelle elle se prêta aimablement. Ce jour- là, à la récréation du soir, quand tout fut presque terminé, notre chère Jubilaire se jeta à genoux et nous chanta des couplets (il y en avait 23 ! ) qu'elle avait com­posés pour remercier ses mères et ses soeurs de tous les témoignages d'affection qu'elle venait d'en recevoir. Jugez, ma Révérende Mère, du travail qu'avait dû s'imposer notre chère aveugle qui, pour graver ses strophes dans sa mémoire, n'avait d'autre ressource que de se les répéter une à une, un nombre infini de fois, à mesure qu'elle les composait, et même s'exerçait à les chanter lorsqu'elle croyait u'être pas entendue.

Il y a environ quatre ans et demi, une fatigue assez accentuée et qui semble avoir été comme une pre­mière atteinte de l'influenza, encore inconnue dans notre ville, amena ma Soeur Aimée de Jésus à l'infir­merie. Elle ne la quitta plus, son âge et ses infirmités demandant des soins dont il n'était pas possible de l'entourer dans sa cellule. C'est là qu'elle nous recevait tour à tour. Bonne, gracieuse, elle aimait dans ces petits entretiens à évoquer les souvenirs du passé pour s'édifier, en rappelant les vertus de nos vénérées an­ciennes et à jeter un regard d'espérance sur l'avenir, en parlant de ses chères prophéties. Elle était gaie tou­jours et désirait que la gaieté régnât parmi nous. Aux postulantes et aux novices blanches qui venaient la voir, elle demandait si elles riaient bien à la récréation et sur leur réponse affirmative: « C'est bon signe, disait-elle, » notre sainte Mère voulait cela, il faut qu'il en soit ainsi. »

Comme elle se montrait heureuse et reconnaissante lorsque nous allions passer quelques instants auprès d'elle! Nous le faisions aussi souvent qu'il nous était possible, surtout lorsque nous voulions recommander quelques besoins plus pressants à ses ferventes prières. C'est ce qu'elle appelait d'un air un peu mystérieux: Les confidences de notre Mère. Elle nous prenait alors les mains, nous les baisait et, toute pénétrée de l'im­portance des choses que nous lui avions dites, nous promettait de multiplier ses intercessions, nous indiquant de suite à quel saint il convenait de recourir pour la circonstance présente. Puis, pour unir le mérite du tra­vail à celui de la prière, elle choisissait de préférence celui qui lui offrait le plus de difficulté, « Donnez-moi » à dévider des écheveaux bien embrouillés, disait-elle tout bas à son infirmière; c'est pour aider notre Mère à débrouiller les affaires dont elle m'a parlé. »

Singulièrement adroite et persévérante, notre chère Soeur réussissait en effet encore, malgré sa cécité, à se rendre utile, filant, surfilant des bandes pour l'infirmerie, parfilant de la soie, etc., toute joyeuse et fière lors­qu'aux jours de fête de sa Mère Prieure elle pouvait lui offrir quelque aimable surprise toujours accompagnée d'un petit quatrain.           

Mais, ma Révérende Mère, nous ne vous dépeindrions qu'incomplètement notre regrettée Soeur, si nous ne vous disions un mot de l'affection surnaturelle et consolante qu'elle porta toujours à sa chère famille. Elle en ai­mait tous les membres, s'intéressant par dessus tout à ce qui touchait au bien de leurs âmes, réservant ses plus tendres sollicitudes pour ceux que visitait l'épreuve et cherchant, en toute occasion, à faire plaisir à tous; aussi fut-elle jusqu'à la fin entourée du respect, de la confiance, de la vénération de tous.

Au mois d'avril dernier, ma Révérende Mère, ma Soeur Aimée de Jésus terminait ses 60 ans de vie religieu­se. Depuis longtemps nous attendions cette date pour célébrer les Noces de diamant de notre chère Doyenne. Nous tenions à donner à celle fête toute la solennité possible, en lui conservant toutefois le caractère de fête de famille.

La cérémonie fut des plus touchantes. Les bonnes Soeurs de saint Vincent de Paul avaient voulu en re­hausser l'éclat en nous prêtant le concours de leurs chères orphelines, dont les voix fraîches et pures chantèrent durant la messe des cantiques appropriés à la circonstance. Toutes les Communautés de notre ville, représentées par plusieurs de leurs membres, étaient venues aussi. C'était vraiment une couronne d'honneur autour de cette âme, que 60 ans de fidélité au service de l'Epoux divin rendaient si digne de nos respectueux hommages. Les membres survivants de sa chère famille, accompagnés de leurs enfants, étaient là. Tous avaient tenu à lui donner ce témoignage de leur vénération et de leur reconnaissance. Mais, avant toute autre, la présence de sa chère Soeur Hospitalière inondait de joie le coeur de notre bien-aimée Jubilaire et donnait à la cérémonie un caractère d'autant plus touchant que, tandis que nous célébrions les Noces de diamant de ma Soeur Aimée de Jésus, Soeur Marie Clémence était arrivée elle-même au 50e anniversaire de sa consécration religieuse. Monsieur notre Aumônier, dans une allocution pleine d'à propos et de délicatesse, sut faire ressortir ce rapprochement qui émut vivement toute l'assistance. Une grâce d'un ordre plus élevé encore de­vait clore cette première partie de la fête. Vivement désirée et demandée longtemps à l'avance par notre pieuse Jubilaire, la Bénédiction Papale avait été sollicitée à Rome par Monseigneur notre Evêque, à la prière de Monsieur le Vicaire général, notre vénéré Père Supérieur, Notre chère Soeur la reçut avec les transports d'une sainte joie et d'une immense reconnaissance .

Après la messe, notre aimable Doyenne se rendit au parloir avec sa blanche couronne et le traditionnel bâton qu'une main amie avait orné des plus charmantes fleurs. Là se pressaient déjà les membres de sa famille, avides de voir les traits de celle dont ils connaissaient si bien le coeur et qui, tout heureuse elle-même de leur donner cette joie, ne pouvait, hélas! rien voir de cette scène charmante et n'entendait que vaguement les ex­clamations des chers petits.

A l'issue des Vêpres, nous nous rendîmes au Chapitre où notre vénérable Doyenne renouvela sa Profession entre nos mains, puis, devant la statue de notre chère petite Vierge miraculeuse, déposée sur l'autel, elle ré­cita à haute voix une très touchante consécration qu'elle avait composée pour la circonstance .

Nous nous étions réservé les récréations pour prodiguer à notre bonne Soeur les témoignages de notre tendresse religieuse. Décorations, couplets, compliments, offrandes, tout répondait aux sentiments de nos coeurs et tout trouva dans le sien un écho que nous pouvons dire plein de jeunesse et de vie . Plusieurs de nos Carmels, aux­quels nous avions pu donner avis de notre fête, et quelques unes des Communautés de notre ville nous avaient envoyé, avec leurs voeux fraternels, de charmants petits ouvrages, des objets pieux et autres présents pour la vénérable Jubilaire. Nous sommes bien sûre de répondre aux désirs de son coeur en les en remerciant encore. Comme au jour de son cinquantain, elle nous chanta sa reconnaissance dans des couplets tout empreints de son esprit de piété .

Tout nous faisait espérer, ma Révérende Mère, que nous conserverions longtemps encore notre chère Soeur Aimée de Jésus et nous lui disions parfois que nous lui ferions des Noces de rubis plus belles que celles de dia­mant; mais nous ne devions pas avoir cette joie.

Dimanche, 29 janvier, vers 10 heures cl demie du matin, notre bonne Soeur fut atteinte d'un commencement de paralysie qui d'abord ne parut pas grave. Elle n'avait pas perdu connaissance et Monsieur notre Médecin ne vit rien d'inquiétant pour le moment. A sa visite du lendemain, il trouva la langue plus embarrassée, la para­lysie du côté gauche plus accentuée et, d'après son avis, nous crûmes prudent de lui faire recevoir les derniers Sacrements. Elle accepta volontiers de se confesser; Mr. notre Aumônier entra vers 5 heures et lui annonça le saint Viatique pour le lendemain matin ; notre chère Soeur lui exprima sa reconnaissance, et, sans avoir cons­cience de la gravité de son état, lui demanda elle-même l'Extrême-Onction. Elle avait toujours été convaincue qu'on attend souvent trop tard pour recevoir ces grâces et que parfois les malades n'ont pas assez de connais­sance pour en retirer tous les fruits. C'est ce qu'elle disait encore, il y a quelques jours, à sa chère infirmière. Mais quelle coïncidence, ma Révérende Mère !'... L'Hôpital de Dijon était en fête: on y préparait pour le lende­main, 31 janvier, la célébration solennelle des Noces d'or de la soeur de notre chère Doyenne, différée jusqu'à cette époque et de celles de deux autres religieuses; en même temps, trois novices devaient revêtir le saint Habit. Nous étions navrées en songeant que ces joies jubilaires seraient si promptement suivies, pour ma soeur Marie Clémence, d'un sacrifice aussi douloureux qu'inattendu!..

Ma Soeur Aimée conservait sa connaissance et sa mémoire, et si parfois elle divaguait un peu, elle revenait bientôt à elle et répondait avec une entière lucidité d'esprit. Elle n'oubliait pas les Jubilaires de Dijon, et c'é­tait bien en union avec elles qu'elle se disposait à recevoir le lendemain Notre-Seigneur. Cependant, après Complies, survint une pénible agitation; la parole s'embarrassait; nous priâmes M. notre Aumônier de ne pas tarder davantage à l'administrer. Elle reçut, en présence de la Communauté, avec une foi vive et une tendre piété, le Saint Viatique et l'Extrême Onction et demanda l'Indulgence plénière. La nuit fut mauvaise; Le lendemain, dans la matinée, nous nous réunîmes pour réciter les prières du Manuel; notre chère malade parla avec action de grâces de la cérémonie de la veille, puis de la fête de Dijon ; elle nomma aussi plusieurs personnes amies de la Communauté et répéta quelques prières après nous. On lui voyait continuellement remuer les lèvres, elle priait toujours et faisait parfois le signe de la Croix. Dans l'après midi, il y eut un peu de mieux; nous lui dîmes que nous allions écrire à sa Soeur ; elle nous répondit, par mots entrecoupés : « Dites-lui. je vous prie, ma Mère, que j'ai reçu tons les Sacrements arec un grand bonheur et une grande consolation.. j'ai demandé l'Extrême Onction et l'Indulgence plénière, je suis heureuse... On attend souvent trop tard et alors on n'a plus sa connaissance et il faut trop se presser.... Mais je suis tranquille maintenant et bien contente. .. Si la mort vient, je suis prête. » Puis encore : « Je pense aux trois Jubilaires. Dites aussi que toutes nos Soeurs se sont empressées de prier pour ma soeur et pour ses compagnes. » Ce léger mieux semblait se soutenir et notre bon docteur nous dit que, s'il ne survenait pas de fièvre, nous pouvions espérer conserver notre chère malade encore un certain temps; mais dans la nuit du mercredi au jeudi, vers minuit, elle prit une forte fièvre. Dès le matin, pendant l'oraison, M. l'Aumônier, averti, se hâta de venir lui donner une dernière absolution; elle le reconnut et comprit quelle grâce lui était accordée. C' était déjà l'agonie. Depuis ce moment jusqu'à ce­lui de sa mort, plusieurs de nos Soeurs demeurèrent toujours en prière auprès d'elle; la Communauté récita à diverses reprises celles de la recommandation do l'âme, le rosaire, les litanies du S. Nom de Jésus, celles de la Sainte Vierge, le Salve Regina etc. C'était un besoin de coeur pour chacune d'assister, d'entourer cette chère et vénérée mourante; on ne s'éloignait qu'à regret et pour peu de temps. Le Seigneur a bien accompli en elle ces paroles de l'Evangile: Donnez et il vous sera donné. — On se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servi envers les autres. Notre chère agonisante entendait, elle comprenait; nous lui recom­mandâmes sa famille, ses amis, ceux de la Communauté, nous récitâmes la formule de nos saints Voeux, des actes d'abandon, d'amour, de contrition... « Oui, .s'efforçait-elle de répondre, oui. bien sûr. Elle prononçait après nous le S. Nom de Jésus, et jusqu'à 3 heures elle donna quelques signes de connaissance. Enfin la respiration devint plus lente. La Communauté revenue aussitôt après Vêpres priait avec nous, lorsqu'à trois heures et demie elle s'éteignit doucement.

Cette mort si calme, entourée de tant de grâces, tout en brisant nos coeurs, nous laissa pénétrées de consola­tion. Aussitôt après son dernier soupir, les traits de notre chère Soeur prirent une expression de sérénité qui fai­sait du bien à voir. On eut dit que son âme s'était envolée en chantant le cantique du jour: c'était bien vraiment dans la paix que Dieu avait appelé sa fidèle servante.

«  Le 2 février est un beau jour pour mourir, » nous écrivait le lendemain notre bon Père Supérieur, « et votre vénérable ancienne a bien réalisé les prédilections de son nom de religion...Au premier vendredi du mois, je prie le Sacré-Coeur de bien accueillir cette âme que la sainte Vierge lui a présentée hier. »

Cependant, comme il faut si peu de chose pour arrêter une âme au seuil de la béatitude éternelle, veuillez, ma Révérende Mère, faire appliquer au plus tôt à notre chère défunte les suffrages de notre saint Ordre; par grâce, une communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, les indulgences du Via Crucis et des six Pater, une invocation au Sacré-Coeur, à Marie Immaculée, à notre Père saint Joseph et à sainte Anne, sa Patronne. elle vous on sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, avec un profond et religieux respect, ma Révérende et Très honorée Mère,

 

Votre très humble soeur et servante,

Soeur M. MADELEINE DE JESUS. R. C. I ,

 

De notre Monastère de l'Incarnation et de Saint Joseph, des Carmélites de Chalon-sur-Saône, le 9 février 1893

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