Carmel

09 août 1892 – Nevers

 

Ma Révérende et Très-Honorée Mère,

Paix et très-humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont la volonté , toujours adorable, vient de nous demander un douloureux sacrifice. Au soir de sa glorieuse Transfiguration, il Lui a plu de faire participer aux joies du Thabor, nous l'espérons, notre vénérée et bien chère Mère Anne-Marie de la Trinité, professe de notre Communauté ; elle était âgée de soixante-quatorze ans quatre mois, et avait passé près de cinquante-deux ans en religion.

Notre bonne Mère était née à Saint-Martin-des-Olmes, paroisse du diocèse de Clermont, dans une famille éminemment chrétienne, où elle puisa de bonne heure cet esprit de foi et de piété qui l'ont toujours caractérisée. La plus jeune de nombreux enfants et d'une santé délicate, elle fut entourée d'attentions de la part de ses parents, qui en faisaient leur petit Benjamin. Tandis que ses soeurs aînées s'occupaient des travaux du ménage , la petite Anne-Marie commençait déjà cette vie de prière et d'union avec Notre-Seigneur, qu'elle n'a jamais cessé de continuer jusqu'à son dernier soupir. L'amour possédait déjà ce jeune coeur à un si haut degré que toute petite enfant, lorsqu'en se réveillant le matin, elle entendait le chant des oiseaux, elle était inconsolable de ce que ces innocentes créatures avaient loué le bon Dieu avant elle... Rencontrait-elle des enfants de son âge , « Aimons bien le bon Dieu, mes petites filles; aimons-le beaucoup, toujours, » leur disait Anne-Marie, avec une ferveur que ces enfants n'ont jamais oubliée.

Sa première éducation avait été confiée aux religieuses Dominicaines de sa paroisse ; elle leur conserva toute sa vie un reconnaissant souvenir. Cette âme privilégiée comprit bientôt que le divin Maître, pour l'admettre dans son intimité, lui demandait de conserver son coeur dans la plus grande pureté ; aussi la vit-on toujours fidèle à éviter avec un soin jaloux tout ce qui aurait pu porter la plus légère atteinte à son innocence. D'une grande délicatesse de conscience, on la vit, le jour de sa première Communion, au moment de s'asseoir au sacré banquet, ne pas craindre de gravir les degrés de la chaire où se tenait son confesseur, pour aller lui soumettre une petite inquiétude ; ce qui lui valut de la part de ses compagnes des taquineries dont elle se mettait, du reste, peu en peine. Pourvu que son Jésus fût content, que lui importait tout le reste ...

Placée plus tard comme pensionnaire chez les religieuses Ursulines d'Ambert, elle sentit grandir de plus en plus son attrait pour la vie intérieure. Une parole de sa maîtresse lui expliquant les avantages et le mérite d'un acte d'amour fut un trait de lumière pour son arme. Dès-lors elle s'y appliqua fortement, et l'on peut dire que sa vie désormais ne fut qu'une suite d'actes d'amour. Les bonnes Mères Ursulines comprirent bientôt les desseins de Dieu sur cette jeune fille, qui répondait si bien à leurs soins intelligents, et l'aidèrent à suivre l'appel divin. Son coeur si reconnaissant n'oublia jamais ce qu'elle devait à ses pieuses maîtresses, et conserva toujours avec cette sainte Communauté des relations intimes.

La vie solitaire et cachée du Carmel répondait bien à toutes les aspirations de son âme ; aussi grande fut sa joie lorsque, accompagnée d'une de ses cousines appelée comme elle à être Carmélite, elle vit s'ouvrir les portes de l'arche bénie.

Dès le soir de son arrivée on put juger de ce qu'elle serait dans la suite par son exactitude à se conformer aux moindres pratiques de nos saintes Règles.

Le silence était un besoin pour son âme; aussi le gardait-elle inviolablement. N'étant encore que Postulante, on la vit un Dimanche matin venir au choeur avec ses habits de la semaine, et lorsqu'on lui en demanda la raison, elle répondit simplement qu'ayant oublié de sortir ses vêtements la veille, selon la recommandation de sa Maîtresse, elle aurait manqué au silence en ouvrant le meuble qui les contenait.

Ces bonnes dispositions lui méritèrent la grâce du saint Habit et de la Profession aux époques ordinaires. Le bon Maître qui, depuis son enfance, lui prodiguait ses divines caresses, combla sa petite Épouse le jour de ses noces de nouvelles faveurs. Malgré le soin qu'elle prit de les tenir cachées, les larmes qui coulèrent tout le jour trahirent son secret ce qui se renouvelait dans la suite à chacune de ses Communions.

Notre bonne Mère avait reçu un rare don de piété. La sainte Messe et la sainte Communion étaient pour elle la source de grandes grâces. Là, se trouvant plus unie à son Dieu, elle pouvait mieux pénétrer ces mystères d'amour qui remplissaient son âme d'ineffables délices. Aussi que n'a-t-elle pas fait pour assister à toutes les Messes qui se disaient dans notre chapelle, et que de fatigues n'a-t-elle pas surmontées pendant les longues années passées à l'infirmerie, pour n'être pas privée de recevoir son Jésus-Hostie. Nos exercices de religion la ravissaient. Son amour pour Dieu lui fit trouver le moyen d'y ajouter de nombreuses pratiques de dévotion qu'elle n'omettait que pour s'acquitter de quelque devoir d'obéissance ou de charité. Son attrait pour la vie de recueillement et d'union la faisait demeurer silencieuse et cachée avec l'Époux dans sa chère solitude, où son coeur s'enflammait d'amour. Elle en produisait sans cesse des actes fervents. Ils lui étaient devenus si naturels que même pendant l'office on lui entendait dire entre les versets : « Mon Dieu, je vous aime ! Mon Dieu, je vous aime !,.. » Que de fois, allant du choeur au réfectoire, elle substituait, sans y faire attention, cette aspiration aux versets du De Profundis. Cet acte d'amour, qui sortait si brûlant de son coeur, animait ses moindres actions et l'aidait à vaincre tous les obstacles.

Notre bonne Mère Marie de la Trinité était, ma Révérende Mère, une âme de foi qui savait voir, trouver et aimer Dieu en tout et partout : De là ce calme, cette paix qu'aucun événement ne pouvait troubler. Sa conformité à la volonté de Dieu était si grande qu'un religieux qui la connaissait en fut frappé et aimait à la nommer la Soeur de la volonté de Dieu. Notre vénérée Mère avait une dévotion toute particulière au mystère de la sainte Trinité, et pour honorer les trois Personnes divines elle avait de nombreuses pratiques, comme, par exemple, de faire trois signes de croix, de baiser trois fois la terre, etc., etc.

La sainte Famille, Jésus, Marie, Joseph, était l'objet d'un culte tout filial ; aussi son premier soin en entrant en charge fut-il de lui dédier un ermitage au fond du jardin. Elle s'y rendait chaque jour, quel que temps qu'il fit, pour recommander à la sainte Famille toutes les âmes qui lui étaient confiées et tous les intérêts de la Commu­nauté. Aussi, en combien d'occasions difficiles et délicates n'a-t-elle pas ressenti les effets de sa protection.

Elle offrait fidèlement à Dieu chacune de ses actions, même les plus ordinaires, et y trouvait un puissant encou­ragement : par exemple, quand elle éprouvait de la difficulté à prendre sa nourriture, ce qui lui arrivait souvent, à cause de sa faible santé, alors elle offrait une première bouchée au Père éternel, une seconde au Fils, la troisième au Saint-Esprit, continuant ainsi à prendre son repas, passant aux Anges, aux Saints, et parvenait par ce moyen à surmonter son dégoût en sanctifiant cette action si vulgaire.

La charité de notre bien-aimée Mère la rendait ingénieuse à excuser toutes les défaillances et à couvrir même les plus grands péchés. Nous nous rappelons encore qu'étant maîtresse des Novices, elle ne laissait passer aucune occasion dé nous communiquer son estime pour chacune de ses soeurs. « Quand une pensée peu charitable se présente à l'esprit, »,disait-elle, «  on lui dit aussitôt: Passe et ne t'arrête pas! et ainsi la charité demeure intacte. » Bonne et compatissante pour chacune de nous, on la vit, dans sa charge de Prieure, redoubler d'attentions et dé dévouement envers ses filles. Sa charité s'étendait au dehors, et sans parler des secours spirituels qu'elle donnait abondamment à la sainte Église, aux Prêtres, aux âmes, par ses prières incessantes, avec quel bonheur, quelle délicatesse ne savait-elle pas distribuer les aumônes que la divine Providence mettait à sa disposition. Les âmes du Purgatoire étaient aussi l'objet de sa plus tendre compassion.

Sa faible santé, qui fit de sa vie une souffrance presque continuelle, favorisait son attrait pour la vie silencieuse et cachée ; ce lui fut une bien grande peine lorsque la Communauté l'élut Sous-Prieure, puis ensuite Prieure. Mais c'était la volonté de Dieu, et notre vénérée Mère s'y soumit généreusement. Se plongeant alors de plus en plus dans l'union à Notre-Seigneur, elle lui laissa le soin de tout faire, ne quittant pas la place de Marie tout en faisant l'office de Marthe. Elle nous avoua que jamais elle n'avait été plus recueillie que durant les trois premières années de sa charge. C'était la récompense des sacrifices continues qu'elle faisait de son attrait pour la solitude et le silence ! A cette époque, elle fit construire notre choeur, et l'on peut dire qu'elle s'occupa plus des travaux par ses prières que par les diligences humaines.

Elle reçut ensuite le soin des Novices qu'elle s'appliquait à former à la vie intérieure, dont elle appréciait tant les fruits.

Le Seigneur, en retour des prières que notre bien chère Mère lui adressait sans cesse, avait répandu de si grandes grâces sur la Communauté, tant au spirituel qu'au temporel, pendant ses six années de Priorat, qu'elle fut élue de nouveau quelques années plus tard, et on la vit alors remplie d'un plus grand zèle pour la parfaite observance de nos saintes Règles.

Jusqu'à cette époque, malgré la faiblesse de son tempérament, elle avait pu, non sans beaucoup de généreux efforts, garder nos saintes Observances ; mais sa santé s'affaiblissant toujours, elle obtint, après ce triennat, de reprendre sa vie de Nazareth jusqu'au moment où le divin Maître voulut l'associer à sa vie souffrante en la retenant à l'infirmerie, où elle resta pendant treize ans, ne la quittant que pour aller au choeur assister à la sainte Messe et faire la sainte Communion.

Nous serions trop longue, ma Révérende Mère, si nous voulions vous parler en détails de toutes les vertus que nous avons vu briller en elle. Son humilité vraie et sincère la tenait dans une continuelle défiance d'elle-même, ne faisant rien sans demander conseil. Toujours prête à s'humilier, reconnaissant ses moindres manquements elle demandait pardon, même dans des circonstances où l'on pouvait penser qu'il eût mieux valu ne pas le faire. Par exemple, un jour qu'elle visitait des travaux de construction, ayant remarqué que les ouvriers faisaient mal leur ouvrage, elle se crut obligée de les reprendre un peu sévèrement. Mais bientôt, se reprochant cette petite vivacité, et craignant de les avoir mal édifiés, elle revint près d'eux, se mit à genoux et leur demanda pardon dans des termes pleins d'humilité.

L'obéissance parfaite qu'elle a pratiquée dès le premier jour de sa vie religieuse ne fit que s'accroître jusqu'à sa mort. Combien nous étions touchée de voir cette vénérée Mère s'assujettir avec un soin scrupuleux à demander les plus petites permissions et à observer exactement toutes les prescriptions de ses Supérieurs avec une simplicité d'enfant. Chaque fois que nous allions la visiter, cette bonne Mère, qui avait guidé nos premiers pas dans la vie religieuse, nous recevait avec un respect qui nous confondait et montrait que le regard de sa foi vive savait découvrir Dieu Lui-même dans la personne de sa Mère Prieure. Il était beau et touchant de la voir s'agenouiller avec tant de peine, par suite de ses infirmités, pour recevoir notre bénédiction à laquelle elle tenait tant, et nous étions sûre que chacune de nos visites lui serait une vraie consolation. «  II fait si bon, » disait-elle, « voir sa Mère ! à elle on peut tout dire ! »   II ne nous était pas moins consolant d'aller chercher près d'elle les conseils que son jugement si droit et son expérience nous rendaient si précieux.

Il y a treize ans, notre vénérée Mère Marie de la Trinité eut une crise violente qui la conduisit aux portes du tombeau et elle reçut l'Extrême-Onction, mais se remit un peu, sans pouvoir cependant reprendre la vie de Communauté, ce qui lui fut une source continuelle de sacrifices dont Dieu seul a pu mesurer l'étendue. Jamais une seule parole ne fit soupçonner ce qu'elle eut à souffrir de cette privation. Pour s'en dédommager, elle s'unissait à la Communauté non-seulement d'esprit et de coeur, mais suivait en particulier tous nos saints exercices. En ces derniers temps, où la récitation entière du saint Office lui devint impossible, elle en disait toujours quelque partie, afin de s'unir à cette grande prière de l'Église.

L'oraison, qui avait été pour cette âme privilégiée la source de tant de grâces, ne fut dès-lors plus interrompue. Elle parcourait tous les jours les mystères du Rosaire et les stations du Chemin de la Croix, et cette méditation lui apportait chaque fois de nouvelles lumières et de nouvelles forces.

Elle était très-fidèle à faire chaque année sa retraite de dix jours, et pendant ce temps gardait un rigoureux silence. Pas une seule parole n'était prononcée dans son infirmerie ; écrivant au besoin, bien qu'avec peine, des billets à ses infirmières pour demander les choses nécessaires, préférant parfois même manquer de quelque chose plutôt que de rompre son cher silence.

En vraie pauvre et parfaite Carmélite, elle employait tout son temps à s'occuper au travail de la lingerie, afin de pouvoir encore rendre à sa chère Communauté quelques petits services. Nous étions édifiées de la voir rechercher les plus petits morceaux d'étoffe jetés au rebut et les assembler ensuite pour son usage.

L'infirmerie était pour notre vénérée Mère comme un petit Nazareth où elle vivait sous le regard de Dieu, dans l'intimité de Jésus et de Marie. Aussi elle nous avouait n'avoir jamais éprouvé pendant ces treize années d'infirmité un seul moment d'ennui. Ses chères infirmières, qui l'ont soignée avec un infatigable dévouement, se trouvaient bien récompensées de leurs soins assidus par le parfum d'édification qu'on respirait dans cette infirmerie toute pleine de la présence de Dieu Cette bonne Mère ne manquait pas de leur dire toujours un petit mot sur la perfection, sur l'amour de Notre-Seigneur, et leur témoignait de mille manières son affectueuse reconnaissance. Elle tenait à se faire lire tous les jours quelque chose de nos saintes Constitutions et du papier d'exaction : «  J'y trouve toujours, » disait-elle, « quelque chose à apprendre. »

Le bon Maître l'aimait trop pour ne pas lui faire part des trésors de sa Croix. Il ajouta à son état de souffrances habituelles un mal qui nécessita une opération douloureuse à l'oeil. Loin de s'en plaindre , elle s'en réjouit, et la reçut comme un don précieux de l'amour de son Époux. Vers la fin de sa vie, elle passa par le creuset des peines intérieures, ce qui lui fut d'autant plus sensible qu'elle n'avait jamais connu cette épreuve. Mais là encore la prière fut son refuge ; elle y puisa la force de supporter cette agonie, redisant sans cesse avec Jésus au Jardin des Oliviers le Fiat de l'abandon.

Le 1er mai de cette année ramenait le cinquantième anniversaire de sa Profession. Dans sa ferveur elle aurait bien voulu s'y préparer par une grande retraite, mais elle dut se contenter de quelques jours seulement. Son état de faiblesse ne lui permit pas de descendre au choeur avec sa cousine pour la touchante cérémonie de leurs noces d'or. Notre vénérée Doyenne, tout en étant son aînée, a encore le bonheur de pouvoir suivre la Communauté, qu'elle continue d'édifier par sa parfaite régularité. Notre bien-aimée Mère put cependant recevoir la sainte Communion à la grille des malades et suivre de la tribune les prières du Jubilé Ce fut pour nous, ma très Révérende Mère , un grand sacrifice de ne pas la voir au choeur ; mais, tenant à profiter de cette occasion pour lui témoigner notre filiale reconnaissance et la dédommager de toutes ses. privations, nous allâmes à l'infirmerie lui remettre le cierge, la couronne et le bâton bénits , puis dire les prières d'usage. Notre chère jubilaire écouta avec plaisir les couplets composés pour cette mémorable circonstance ; elle ne sut comment nous témoigner sa joie et sa reconnaissance. Elle fut aussi profondément touchée des souvenirs que lui envoyèrent plusieurs de nos Carmels , en particulier celui où l'une de ses chères nièces a le bonheur d'être Carmélite. Son coeur déborda aussi de gratitude envers les amis de notre Communauté , qui voulurent bien , par leurs largesses, prendre part à notre petite fête de famille.

Notre vénérée Mère sembla rajeunie pendant quelques jours, puis elle retomba dans son état d'affaiblissement, qui progressa toujours. Comme nous étions habituées à la voir dans ces alternatives de mieux et de plus mal, ayant déjà reçu quatre fois dans sa vie religieuse les derniers Sacrements, nous espérions la conserver encore. Mais la fidèle servante avait accompli sa tâche ; Notre-Seigneur ne voulait pas tarder davantage à la récompenser et à se l'unir pour toujours dans la gloire.

Le vendredi 22 juillet elle s'alita. Le lendemain nous fîmes prévenir M. le Docteur ; il nous déclara que, vu sa grande faiblesse, il était prudent de la faire administrer. Le dimanche 24-, notre bon Père Aumônier, toujours si dévoué pour nos âmes, vint la confesser, lui donna le Saint-Viatique et l'Extrême-Onction qu'elle reçut avec sa foi et sa piété accoutumées. En voyant enfin arriver le moment de l'union éternelle, sa joie fut grande, car on peut dire que sa vie n'avait été qu'un soupir continuel vers le Ciel. La grâce de l'absolution et du Saint-Viatique lui fut renouvelée le dimanche 31, ainsi que le vendredi 5 août. Le samedi 6, elle touchait à sa fin et semblait n'attendre pour partir que l'arrivée de notre bon Père Aumônier, lequel, obligé de s'absenter, lui avait dit de ne pas mourir avant son retour. Cette vénérée Mère, qui avait tant de confiance en lui, obéit à son désir, mais elle trouvait le temps bien long. Dans la soirée notre bon Père vint lui donner une dernière absolution, et après s'être assuré qu'elle pouvait encore recevoir le Saint-Viatique, il le lui apporta. Elle reçut avec reconnaissance cette grande grâce ; n'était-ce pas la récompense de son ardent amour pour la sainte Eucharistie et de tous les efforts qu'elle avait dû faire pour ne laisser aucune de ses Communions malgré ses souffrances continuelles ?

Chacune voulut lui donner ses commissions pour le Ciel, et notre chère mourante nous assura qu'elle n'oublie­rait personne et ne cesserait de solliciter pour sa chère Communauté qu'elle aimait tant toutes les bénédictions du Coeur de Jésus.

Plusieurs billets trouvés après sa mort exprimant la plus vive reconnaissance pour ses Mères et Soeurs , ainsi que pour tous ses bienfaiteurs spirituels et temporels, nous donnent l'assurance qu'elle sera fidèle à sa promesse.

Dès ce moment elle baissa sensiblement tout en gardant sa parfaite connaissance ; déjà nous lui avions fait plusieurs fois les prières de la recommandation de l'âme, et la voyant plus calme nous allâmes dire Matines. Nous les terminions à peine lorsqu'on vint nous chercher. Toutes nous nous rendîmes à l'infirmerie pour dire de nouveau les prières auxquelles elle put encore s'unir. Son agonie si douce et si calme se prolongea jusqu'à minuit moins un quart. Elle rendit alors le dernier soupir, une partie de la Communauté et nous présentes. Ainsi s'éteignit cette vie si grande dans sa simplicité ; son âme, purifiée par de si longues souffrances, s'envola, nous en avons la douce confiance, dans le sein de Celui qu'elle avait tant aimé. La sainte Vierge, à laquelle elle se croyait redevable de sa vocation au Carmel et qu'elle aimait comme sa tendre Mère, avait voulu l'emmener au Ciel en ce jour qui lui est consacré.

Comment vous dire, ma Révérende Mère, la douleur que nous éprouvons en perdant cette vénérée Mère, vrai type de la parfaite Carmélite. C'était notre Moïse priant sans cesse pour sa chère Communauté et les besoins de tous ceux qui se recommandaient à nous. La pensée de son bonheur et l'assurance qu'elle nous a donnée de ne pas nous oublier au Ciel peuvent seules adoucir notre peine.

La vie de prières et de souffrances de notre bien-aimée et très-vénérée Mère, nous donne la plus ferme espé­rance qu'elle a été favorablement accueillie par le Souverain Juge ; mais comme il faut être si pur pour contem­pler sans voile la très-adorable Trinité, nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre saint Ordre. Par grâce, une Communion de votre sainte Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis, celle des six Pater, trois Gloria Patri et une invocation à sainte Anne, sa patronne. Elle vous en sera très-reconnaissante ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, ma Révérende Mère, dans l'amour de Notre-Seigneur,

 

Votre humble soeur et servante.

SŒUR MARIE MARGUERITE DE L'ENFANT-JÉSUS.

R. C. I

De notre Monastère de l'Assomption de la sainte Vierge, sons la

protection de notre Père saint Joseph des Carmélites de Nevers.

le 9 août 1892.

P. S. — Notre regrettée Mère Marie de la Trinité a demandé par écrit que les prières qui seraient faites pour elle après sa mort soient appliquées aux âmes du Purgatoire.

Nota. — Nous regrettons et plusieurs de nos Monastères avec nous, l'usage qui s'est introduit depuis quelque temps d'envoyer à la mort des Soeurs un simple petit billet où l'on ne demande pas même les suffrages de l'Ordre.

 

 

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