Carmel

08 mars 1892 – Nantes

 

MA RÉVÉRENDE ET TRÈS HONORÉE MÉRE

très humble et respectueux salut en notre-seigneur

Ce divin Maître, dont la volonté très sainte est toujours adorable, malgré ses rigueurs, vient d'affliger tous nos coeurs en appelant à lui subitement notre chère Soeur Marie-Joseph de Sainte-Thérèse, Tourière, âgée de 52 ans. Elle était depuis 26 ans au service de notre Communauté.

Cette chère Soeur était native de Mouzeil, petite paroisse de notre Diocèse. Elle appartenait à des parents pauvres qui gagnaient péniblement ce qui était nécessaire à leur subsis­tance. Dès son enfance, elle connut la souffrance, les difficultés de la vie. Elle était bien jeune encore quand la mort lui enleva son père ; c'était un homme de foi qui déjà avait imprimé dans l'âme de sa fille l'estime et l'amour de notre sainte religion; ce souvenir ne contribua pas peu à la pénétrer des mêmes sen­timents. Elle aimait à le rappeler, et à en témoigner sa recon­naissance au Seigneur.

Sa mère s'étant remariée, elle dut se mettre en service. Elle vint à Nantes où elle eut le bonheur d'entrer dans une famille chrétienne au sein de laquelle ses sentiments religieux se déve­loppèrent encore. Bientôt elle sentit en elle le désir de se donner toute à Dieu, et elle se détermina à entrer dans une communauté religieuse ; mais sa pauvre santé ne lui permit pas de s'y engager. Elle dut revenir dans cette ville pour chercher les moyens d'y gagner sa vie.

Notre Communauté cherchait alors une Soeur Tourière et était disposée, jusqu'à ce qu'elle en eût trouvé une convenable, à prendre une domestique ; c'est à ce titre que notre chère Soeur Marie-Joseph fut admise à notre Tour.

La grande énergie dont elle était douée la fit se mettre au service de nos Soeurs Tourières avec le plus entier dévouement. Bientôt elle n'eut plus qu'un désir, c'était de partager leur vie tout entière. Nous constations qu'elle était adroite, intelligente, très pieuse; la communauté, touchée de ses sentiments, accueillit ses désirs et l'admit en qualité de postulante Tourière. Elle en prit l'habit au mois d'octobre 1866, en la fête de notre Mère Sainte-Thérèse, dont elle joignit le nom à celui de Marie-Joseph. Le 8 décembre 1867, on l'engagea définitivement comme soeur Tourière.

Sa santé, qui fut toujours un peu misérable, lui rendit ce genre de vie, les travaux de cette vocation bien onéreux ; mais nous devons lui rendre ce témoignage que tout appel fait à son dévouement fut toujours généreusement entendu. Elle partageait, sans s'épargner, les travaux de ses compagnes, et toujours on la trouva prête à sortir par tous les temps pour faire les commissions. Elle était le plus souvent rendue la première à l'oraison, et à l'examen dans la chapelle avant le dîner; de même aux autres exercices religieux, quand elle se trouvait dans la maison. Toujours et partout elle fit remarquer son esprit d'ordre, de propreté, comme aussi sa piété, son esprit de prière. Cet ordre, cette propreté, la manière intelli­gente avec laquelle elle disposait toutes choses dans la chapelle, frappait tous les ecclésiastiques qui venaient y célébrer.

Nous devons dire que, si son caractère vif et un peu raide même la fit souffrir, et fit aussi parfois souffrir les autres autour d'elle, sa piété, sa régularité, ont donné une véritable édification. Nous avons la confiance que Dieu a compté aussi ses victoires, et qu'elle en reçoit maintenant la récompense.

Depuis quatre ans cependant, on avait cru devoir, pour son bien et celui de la Communauté, retirer cette chère Soeur des travaux qui se partagent la vie de nos Soeurs Tourières. Sa santé, qui s'affaiblissait de plus en plus, semblait nous le pres­crire, et son adresse permettait de l'utiliser avantageusement. Elle se prêtait à faire les vêtements de ses compagnes, à les raccommoder, et travaillait pour la Communauté. Toujours et en tout elle donnait lieu de reconnaître qu'elle s'appliquait à bien faire toutes choses. Il lui coûta cependant beaucoup de mener une vie moins active ; par nature elle aimait à se dévouer. Cependant nous devons reconnaître qu'elle se montra toujours soumise, et prête à faire tout ce qu'on lui demandait.

Cette année, au commencement de janvier, l'infiuenza vint s'abattre sur nos Soeurs Tourières. Toutes furent bien souffrantes ; mais notre Soeur Marie-Joseph fut la plus gravement atteinte. Tout d'abord notre bon Docteur, qui, en toute occasion, loue le

dévouement de nos Soeurs Tourières, et leur témoigne le plus bienveillant intérêt, nous dit que l'état de cette chère Soeur le laissait inquiet. Il venait la voir souvent, et enfin le 23 janvier il nous conseilla de la faire administrer. Nous en fîmes prévenir cette bonne Soeur, et tout préparer pour qu'elle pût recevoir les sacrements ce soir là même. Monsieur notre Aumônier, qui la visitait avec bonté dans sa maladie, lui apporta le saint Via­tique et l'Extrème-Onction. Pendant qu'on disposait sa chambre pour cette cérémonie, elle aussi voulut s'y préparer avec des soins minutieux. En vain on chercha à l'en dissuader, dans la crainte qu'elle ne se fatiguât ; elle répondit avec cette énergie qui ne la quitta point, et expliqua sa conduite en disant : Comment, pour recevoir mon Maître! que ne pourrais-je pas faire ?

L'état de notre chère Soeur s'améliora un peu, notre Docteur la suivait de près. Enfin le 24 février il nous dit qu'elle était beaucoup mieux, et qu'à sa première visite il la laisserait sortir de sa chambre. Mais hélas ! il ne devait plus la revoir que pour constater sa mort.

Nous avions l'Adoration solennelle dans notre chapelle les 2, 3 et 4 mars ; notre chère Soeur Marie-Joseph, s'appuyant sur l'opinion du médecin, avait dil à ses compagnes : Oh ! j'irai devant le Saint-Sacrement, quand je devrais en mourir le lendemain.

Le 2 mars, une de ses compagnes lui porta une tasse à prendre à six heures du matin; elle lui alluma du feu, et la quitta en lui disant qu'elle reviendrait bientôt avec un potage. Elle remonta en effet sur les sept heures avec une soupe; mais, en ouvrant la porte, elle vit cette chère Soeur étendue par terre auprès de son lit, sans vie, à demi habillée. Le médecin, que nous fîmes appeler en toute hâte, nous dit que sa mort avait dû être instantanée.

Cette chère Soeur, qui avait une affection au coeur depuis bien des années, nous avait dit à plusieurs reprises que proba­blement on la trouverait morte quelque jour, mais de n'être pas inquiète, qu'elle se tenait prête.

Un digne religieux, qui l'avait visitée peu de jours avant sa mort, nous écrivait à ce sujet : « A ma dernière visite à votre pauvre malade, je l'avais trouvée mieux, et je l'en félicitais. Elle se mit à pleurer, disant : "Je me faisais une fête de mourir et voilà que Dieu ne veut pas de moi 1 mois de plus". Ce que je trouvais encore de plus édifiant, c'est la résignation avec laquelle cette pauvre Soeur consentait à reprendre le fardeau de cette vie si éprouvée, que je connaissais. Sans doute, elle est morte en quelque sorte subitement, après un commencement de conva­lescence ; mais qu'elle était bien préparée par ces beaux sen­timents! »

C'est de même que nous envisageons cet appel si subit du Divin Maître, ma Révérende Mère. Nous vous prions cependant de vouloir bien faire offrir pour cette chère défunte, le Saint Sacrifice de la Messe, comme nous le faisons nous-mêmes pour toutes nos chères Soeurs Tourières. Nous vous en serons très reconnaissantes, ainsi que de tout ce que vous voudrez bien ajouter pour le soulagement de cette chère âme.

Veuillez agréer l'expression du respect avec lequel nous avons l'honneur d'être en Notre-Seigneur,

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Votre très humble servante,

S^ MARIE DE SAINT-BERNARD, R. C. 'ind.

--Prieure.        -

 

P.-S. — La Révérende Mère Prieure du Garmel de Chartres nous demande de recommander aux prières de notre Saint Ordre l'âme de M. l'Abbé Fabchereau, vicaire-général du Dio­cèse de Chartres, qui a été Supérieur de cette Communauté pendant de longues années, et lui a donné les preuves d'un dévouement vraiment paternel. Il est décédé le 18 septembre 1891.

 

De notre Monastère de Jésus-Médiateur et de l'Immaculée-Concep­tion de ta Très Sainte-Vierge, des Carmélites de Nantes, le 8 mars 1892.

 

Nantes- Écnile Ghmaiid, iP-nnio'">- brereté, place du Commerce, 4.

a. M. j. X.

 

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