Carmel

08 décembre 1889 – Lourdes

MA RÉVÉRENDE ET TRÈS HONOREE MÈRE,

Après vous avoir saluée très respectueusement dans la paix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, permettez-nous de vous adresser le récit succinct de la vie et de la sainte et angélique mort de notre bien-aimée soeur, Marie de Jésus, dont le 5 avril dernier, nous vous annoncions le départ pour l'Eternité !

Notre chère enfant avait puisé, dans le sein d'une famille chrétienne et honorable, la foi éclairée et solide qui caractérise la catholique Vendée, son pays d'origine, dont elle aima toujours les pieuses traditions et l'héroïque his­toire. Elle fut confiée de bonne heure aux religieuses Ursulines de Jésus (dites de Chavannes). Là, sous la douce influence d'une maîtresse accomplie, son esprit et son coeur reçurent cette formation précieuse qui fit d'elle une élève parfaite. Les bontés infinies du divin Sauveur et les charmes secrets de la vie religieuse s'étaient révélés à sa jeune âme dans les soins et la tendresse de celles qui lui avaient appris à connaître, à aimer le Seigneur et à le préférer à tout. Aussi, lorsqu'elle dit adieu aux joies paisibles du couvent, son choix était déjà fait; elle aurait pu répéter, avec Sainte Agnès, « vous avez ravi mon » coeur et nul ne le possédera que vous, ô Jésus ! » Revenue au sein d'une famille où elle trouvait toutes les satisfactions de la vie, elle garda le trésor de cette grâce avec une fidélité persévérante. Cependant, le bon Maître, qui la voulait toute sienne, se plut à rompre insensiblement les attaches terrestres de cette âme aimante et dévouée; elle les vit disparaître les unes après les autres à des intervalles assez rapprochés : d'abord, deux jeunes soeurs, puis, son père vénéré, son excellente mère, une troisième soeur, enfin, sa chère Noémie la dernière de ses soeurs, chef-d'oeuvre de grâces et d'esprit, sur laquelle s'étaient concentrées les meilleures affections de son coeur brisé. La petite mourante avait eu comme l'intuition de l'avenir de celle qu'elle laissait sur la terre et lui disait quelquefois : « Si je dois être un obstacle à ta vocation, le bon Dieu me prendra. » Après ce dernier départ et ce suprême déchirement, notre pauvre enfant se sentit comme délaissée en ce monde. Sa santé assez frêle fut profon­dément ébranlée et son âme accablée sous le poids de tant d'afflictions pouvait s'écrier, avec vérité : « Seigneur, vous avez emporté comme en un tourbillon » ce qui m'était le plus cher et mon bonheur a passé comme un léger nuage. » Ce fut alors, qu'une de ces amitiés sincères et viriles semblable à celles qui unissaient les jeunes vierges des premiers âges de l'Eglise, vint aider notre bien-aimée fille à supporter le lourd fardeau de ses peines ; aussi, à l'heure suprême de sa mort, une de ses dernières paroles fut un souvenir pour celle qui, après l'avoir soutenue aux jours de la tribulation, lui était restée fidèle­ment attachée. Et maintenant la chère Valérie allait-elle se fixer à ce foyer désolé où l'épreuve, chrétiennement acceptée, avait attiré de nouvelles béné­dictions? Un frère entouré de sa jeune famille lui redonnait un bonheur relatif; mais Dieu, continuant en elle son oeuvre de sanctification, l'obligeait un jour à quitter la maison paternelle sans qu'elle se doutât que c'était pour jamais !....

Un changement de climat pour affermir sa santé chancelante lui fut conseillé. Ne voulant pas trop s'éloigner de sa chère Vendée, la bonne ville de Nantes fixa son choix. Elle fut reçue, à titre de grande pensionnaire, dans une communauté religieuse. Là, dans le calme de la solitude et le recueillement de la prière, la voix du divin Maître se fit de nouveau fortement entendre à son coeur. Sans cesse obsédée de cruels souvenirs et sentant la nécessité de faire diversion à ses chagrins, elle trouvait sa consolation la plus douce à visiter les églises et chapelles des monastères. L'une d'elles, qui appartenait à une Congrégation vouée à la vie contemplative, avait pour son âme un charme particulier, et pendant plusieurs mois elle put croire que le Seigneur avait marqué là le lieu de son repos. Cependant, une personne qui s'intéressait vivement à notre chère fille et que celle-ci avait mise dans le secret de ses peines et de ses espérances, lui proposa d'entreprendre le pèlerinage de Notre-Dame de Lourdes afin d'obtenir de la Vierge Immaculée de nouvelles et plus décisives lumières sur sa vocation. Un tel projet ne pouvait que sourire à sa piété et à sa tendre dévotion envers la Reine du ciel. Elle vint donc se prosterner devant cette grotte bénie où la source de tant de larmes est tarie chaque jour et où un baume délicieux est apporté aux plus inconsolables douleurs... Quels ne durent pas être les épanchements de celte âme accablée par tant d'angoisses aux pieds de celle qui se nomme la Consolatrice des affligés! Comme elle était encore agenouillée devant la radieuse image, elle se retourne, poussée sans doute par une secrète inspiration, et aperçoit sur l'autre rive du Gave le monastère qui nous abrite. Elle éprouve soudain, dans le plus intime d'elle-même, un attrait irrésistible pour notre cher Carmel et accourt sans retard à notre grille. Des son premier entretien avec nous, elle ressentit une paix, un bien-être intérieur qu'elle ne connaissait plus depuis de longues années. Sa décision fut prise à l'instant même, et elle demanda, comme une grâce, d'être admise dans notre sainte maison. Nous jugeâmes prudent de lui imposer un délai de plusieurs jours afin qu'elle pût mieux étudier la volonté de Dieu sous le regard de sa Très Sainte Mère; et après cette épreuve qui nous sembla suffisante, cédant à ses désirs persévérants, nous lui ouvrîmes les portes conventuelles.

Dès son entrée, notre courageuse enfant se plongea dans le silence et la solitude avec les délices d'une âme qui se sent enfin dans son véritable élément. Notre chère soeur, en effet, semblait prédestinée aux renoncements, aux sacri­fices et aux immolations de notre existence cachée en Jésus-Christ. Il y avait en elle les plus grands contrastes, provenant à la fois sans doute de ses cruel­les épreuves et de l'action de la grâce qui pénètre jusqu'aux dernières divisions de l'âme. Naturellement douée d'un caractère ardent, expansif et d'un esprit sérieux, ses longues afflictions l'avaient marquée d'une ineffaçable em­preinte de tristesse, qui cependant ne l'empêchait pas de prendre une part attentive et aimable aux douces joies des récréations. Mais, son coeur paraissait s'être fermé du côté de la terre et toutes les puissances de cette nature délicate et impressionnable s'étaient comme absorbées dans la pensée de l'Eternité ; de là peut être son penchant plus particulier â l'isolement, son attrait plus marqué pour la cellule, qui devint le centre de sa vie et dont l'exquise propreté était une image de sa pureté intérieure. Habituellement unie à Dieu, nous avions remarqué qu'elle n'avait jamais besoin de livre pour se mettre en oraison : elle jouissait du privilège de ces âmes innocentes qui peu­vent fixer de plus près leur regard sur le divin soleil de justice. ! Mais, si elle en recevait des lumières pour son esprit, il en résultait pour son coeur un sentiment plus profond de ses imperfections et de ses misères morales. Notre bien-aimée Soeur Marie de Jésus était constamment pénétrée du plus amer regret de ses moindres fautes et parfois même d'une frayeur excessive des jugements de Dieu. A ces épreuves d'un nouveau genre vinrent s'ajouter tous les sacrifices exigés par le triste état de sa santé, qui s'était gravement altérée à la suite d'un rhume survenu, pour ainsi dire, le lendemain de sa profession. Notre chère enfant n'eut qu'une seule fois la consolation de remplir la charge de semainière pour laquelle sa voix juste et douce, son zèle du saint office semblaient si bien la disposer. Depuis lors, son existence devint un véritable martyre dont elle s'ingéniait à cacher le mérite. Privée de presque tous les exercices de commu­nauté, elle sut faire de sa cellule bien-aimée une sorte de petit sanctuaire d'où s'exhalait, à chaque instant, vers le ciel et vers la grotte bénie qu'elle contemplait avec une joie toujours nouvelle, l'encens de la prière et du sacrifice par la rési­gnation dans la souffrance. Elle ne laissait pas de réciter régulièrement l'office

divin, assurant que jamais elle n'en ressentait de fatigue, que c'était au con­traire, son plus doux délassement. Pleine d'activité et de dévouement pour ses chères soeurs il fallait très souvent la surveiller dans la crainte que le travail, pris avec trop d'ardeur, n'excédât ses forces. Elle excellait dans la broderie des ornements d'Eglise; ce genre d'ouvrage eut toujours ses préférences parce qu'il lui rappelait les occupations de la Très Sainte Vierge dans le temple. Au reste, tout ce qui sortait de ses mains avait un cachet de grande perfection et se ressentait du soin extrême qu'elle apportait à toutes choses. Elle savait se plier avec une entière abnégation aux divers emplois qu'on lui confiait, quoi qu'il dût en coûter à son excessive délicatesse naturelle; c'est ainsi que pendant quelques mois de répit que lui laissa la souffrance, elle mettait sa plus douce joie à entretenir les lampes du monastère. Elle était douée, d'un esprit d'ordre, d'une aptitude rare pour les affaires, d'une remarquable solidité de jugement, tout un ensemble de qualités qui pouvaient donner le droit de fonder sur elle de grandes espérances. Les desseins du Seigneur sont impénétrables ! !      

Au lieu d'une vie de lente consomption qui semblait désormais devoir être la sienne, il lui préparait un sacrifice de moindre durée, mais plus douloureux et plus méritoire. Dans l'automne de l'année dernière une nouvelle bronchite vint rendre notre chère recluse encore plus solitaire et la faire ressembler « au passereau sur le toit, à la colombe cachée dans le creux du rocher » touchants emblèmes qu'elle affectionnait, qu'on a retrouvés dans son bréviaire et que nos soeurs ont été heureuses de se partager après sa mort. On ne pouvait donc plus la voir que dans sa cellule, transformée en infirmerie. Là, elle recevait toujours avec une douce gravité et un coeur profondément reconnaissant les visites dont l'aimable charité de notre Ste Mère Thérèse nous fait une consolante règle. Ses conversations avaient un cachet de piété méditative; elle se servait des plus petits incidents pour exciter en elle un détachement plus complet de la terre et y entretenir uniquement la pensée et l'amour de son Dieu : un jour, à travers sa fenêtre entrouverte, une petite feuille sèche, poussée par le vent d'automne, vint tomber aux pieds de notre chère malade; elle la prit entre ses mains, la considérant comme une messagère du ciel chargée de lui rappeler la fugitive durée de la vie et le généreux usage qu'il en faut faire jusqu'au dernier souffle au service du divin Maître. C'est ainsi, que cette âme aimante, élevée, se plai­sait à lire dans le grand livre de la nature, à y découvrir de mystérieux sym­boles dont elle faisait son profit spirituel; sa correspondance nous en fournirait de nombreux et charmants exemples. Si elle s'accordait parfois quelques joies par de naïfs épanchements elle était par ailleurs, très mortifiée et dure à elle même, sacrifiant avec peine au devoir de l'obéissance son grand attrait pour les pénitences corporelles. Pendant l'hiver, des intermittences qui se produisi­rent dans son état lui permirent de se rendre quelquefois au choeur pour assis­ter à la sainte messe; elle profitait de ces rares circonstances pour passer de longs moments prosternée aux pieds du tabernacle dans une attitude recueillie qui nous fut si souvent un sujet d'édification; nous commencions même à nous livrer au doux espoir de la conserver encore au milieu de nous. Hélas ! ce n'était qu'une illusion de notre amour maternel; au mois de mars, une nou­velle crise se déclara avec violence; une fièvre persistante dont l'intensité étonnait notre dévoué docteur, une très pénible oppression, des nuits sans sommeil ne tardèrent pas à épuiser sa poitrine et à la réduire à un état d'extrême faiblesse. Malgré les soins les plus empressés et les plus intelligents, le mal empirait et nous ne crûmes pas pouvoir la laisser dans sa cellule. Ce sacrifice fut un de ceux qui lui coûtèrent le plus; elle se soumit néanmoins : la volonté de Dieu et l'ordre de ses supérieurs furent toujours chose sacrée pour elle. Nous la fîmes donc transporter dans une petite infirmerie, moins éloignée de nous, et surtout plus rapprochée du saint autel, d'où le divin Maître devait la visiter plusieurs fois dans cette dernière phase de sa maladie. Notre bien-aimée fille comprenait la gravité de sa situation : « Voyez, dit-elle un jour en contemplant la nature qu'animait un beau soleil et en respirant les suaves odeurs que lui apportaient les premières brises du printemps, voyez, les fleurs se réveillent et moi, je le sens bien, il faut que je me prépare à entrer dans mon dernier sommeil ! » Puis, elle baisa son crucifix et parut se plonger dans une méditation profonde, interrompue par de pieuses oraisons jaculatoires. La nuit également elle ne cessait pas de prier pendant ses longues heures d'insomnies. Croyant bien souvent être seule éveillée, elle laissait échapper de son âme des soupirs, où se révélaient tour à tour sa piété, son ardent amour de Dieu et son abandon absolu à sa très sainte volonté.'''

Nous avons déjà dit, ma Révérende et digne Mère, la pensée de la mort et des jugements de Dieu avait toujours vivement impressionné notre chère soeur, au point de lui causer parfois de véritables terreurs, ce qui nous faisait redouter le moment solennel où il deviendrait nécessaire de lui parler des derniers sacrements. Nous confiâmes notre inquiétude à notre Père Saint Joseph, dont la pieuse malade avait tant aimé à orner l'ermitage, et, grâce à sa puissante intervention et au zèle onctueux de notre bon aumônier, la chère enfant demanda et reçut le grand sacrement des mourants avec une foi vive 'et une tendre reconnaissance. C'était le mercredi soir, 3 avril; à partir de ce moment, une transformation vraiment merveilleuse, s'opéra dans notre fille bien-aimée, elle parut transportée dans des régions supérieures. Pendant les deux jours qu'elle vécut encore, elle offrit le spectacle le plus consolant qu'on puisse contempler en ce monde. Ah! ce n'est pas autrement que les saints ont passé les dernières heures de leur existence ici-bas! telle a dû être leur agonie, et leur précieuse mort devant Dieu! C'étaient les plus ardentes aspirations après la venue du divin Époux, des invocations sans cesse répétées à Notre- Dame de Lourdes, à notre Père Saint Joseph, à son ange gardien, à notre Sainte Mère Thérèse, des actes continuels d'obéissance et de mortification. La nuit qui suivit la cérémonie de l'Extrême-Onction ne fut qu'une longue action de grâces. Dans un moment de plus grande faiblesse elle crut qu'elle allait mourir et demanda avec instances qu'on récitât les prières des agonisants. Une de nos soeurs qui l'assistait se penchant vers elle lui dit : « Courage, c'est Jésus qui vient vous chercher. » Un sourire de bonheur illumina sa pâle figure. Revenue à elle peu d'instants après, elle dit d'un ton de doux reproche : « Vous m'avez trompée, il n'est pas venu; » et elle redoublait ses soupirs enflammés... Retenue loin de ce lit de douleurs et privée par là des suprêmes consolations maternelles, je visitais ma chère fille mourante par notre crucifix qu'elle baisait toujours avec émotion; d'ailleurs notre bon confesseur nous suppléait auprès de la chère petite par son dévouement paternel et ses fortifiantes paroles. Sa maîtresse ne la quittait pas non plus et toutes nos soeurs allaient s'édifier et s'animer au chevet de cette douce enfant. Celles qui ne pouvaient pénétrer dans l'infirmerie s'agenouillaient à la porte et prolongeaient ainsi leur oraison. Comme elle jouissait de sa pleine connaissance, rien ne lui échappait; elle avait les plus délicates attentions pour tous ceux qui l'entouraient. Notre excellent médecin étant venu lui faire une dernière visite, elle le remercia en termes touchants des soins qu'il lui avait prodigués. Une de ses infirmières lui exprimait le désir d'endurer à sa place ses cruelles souffrances. « C'est une trop bonne chose, répondit-elle vivement, je les garde pour moi. » On aurait pu croire, par moments, qu'elle était favorisée de la vision céleste et qu'elle entrevoyait la Patrie et les rayonnements de la gloire éternelle; son visage semblait s'illuminer, elle élevait les bras et poussait, des cris d'admiration. Oh! la belle assistance!... Qu'il est doux de mourir au Carmel !

On était au soir du 4 avril. Toujours en pleine possession d'elle-même, elle souhaita mourir le lendemain, fête du Précieux Sang, premier vendredi du mois et anniversaire de la 17° apparition de la Vierge Immaculée. « C'est pourtant bien difficile, ajouta-t-elle d'une voix faible et doucement résignée. » Bientôt après survint une nouvelle crise d'étouffement; nous crûmes que l'heure suprême allait sonner; c'était aussi sa persuasion. On l'entendit mur­murer cette prière : Venez, Seigneur, ne retardez plus, venez chercher votre petite épouse; Notre-Dame de Lourdes, ma mère bien-aimée, appelez votre enfant, ne me faites plus languir. Cependant, elle se remit un peu; mais à partir de cet instant, les suffocations devenues plus fréquentes épuisèrent les quelques forces qui lui restaient. La vie s'en allait rapidement; c'était déjà l'agonie, mais une agonie qui devait se, prolonger de longues heures. Elle supporta ces dernières souffrances avec sa patience habituelle, et la même crainte de les laisser paraître. Alors, comme toujours, elle ne voulait que Dieu pour témoin de ses combats et de ses mérites. Elle ne cessa pas de le prier durant cette nuit d'angoisses et de s'unir à Notre-Seigneur dans sa passion. Ses infirmières lui humectaient les lèvres que les ardeurs de la fièvre avaient desséchées. « Ah! c'est trop bon, dit-elle, ne le faites plus, notre doux Jésus » n'avait point cela sur la croix. » Ce fut avec joie qu'elle entrevit l'aube du vendredi 5 avril. Dès qu'elle en aperçut les premières lueurs, à travers les rideaux de sa pauvre infirmerie, ses grands yeux bleus s'éclairèrent soudain, un sourire ineffable illumina son visage amaigri, mais animé par la violence de la fièvre, et d'une voix émue elle dit : « Ah ! voilà donc l'aurore de ce beau jour » dont je ne verrai pas le couchant. »

Toutes nos soeurs se succédaient auprès de son lit; elle les reconnaissait parfaitement et avait pour chacune un mot d'affection. Jamais elle n'avait paru plus expansive et plus rayonnante; elle se chargeait, avec une charmante simplicité, de toutes leurs commissions pour le Ciel! Son coeur était impatient d'aller s'en acquitter, et, à l'exemple de son divin Époux qui fut obéissant jusqu'à son dernier soupir sur la croix, elle nous fit demander la permission de mourir..... puis, on l'entendit murmurer ces paroles : « Mon Dieu, notre Mère y consent, permettez vous-même que j'obéisse!....

Lorsqu'on essayait de modérer les pieux élans de son âme: « Oh! non, disait-elle, cela ne me fatigue pas; prions, prions jusqu'à ce que j'aie touché le coeur de mon bon Maître. » La plus grande partie de la journée s'était insensiblement écoulée dans des alternatives de craintes et d'es­pérances, surtout dans une continuelle édification. A 4 heures du soir, notre vénéré supérieur vint consoler notre chère mourante par une dernière béné­diction; elle en témoigna sa reconnaissance en lui donnant rendez-vous au Ciel! Le terme des souffrances approchait visiblement; notre admirable enfant parlait encore de la sainte communion; elle sentait sans doute qu'elle entrait dans la communion éternelle! elle renouvela ses saints voeux sur son Crucifix et à 6 heures, au premier son de l'Angélus, elle se redresse et tout à coup s'écrie : « Cette fois, j'en suis sûre, je vais partir ». Une de nos soeurs ayant repris : « Oui, voici Jésus qui vient, dites avec moi : Jésus, venez! » elle répéta ces mots, se pencha sur le bras de sa bonne infirmière, puis sa tête retomba doucement sur sa poitrine, son âme venait de s'envoler à Dieu......

A ce même instant, le second tintement de l'Angélus nous inclinait devant Marie avec ce verset : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. » Et nous nous souvînmes alors de cette demande de la Belle Dame à Bernadette : « Ma fille, faites-moi la grâce de venir ici pendant quinze jours; je vous promets de vous rendre heureuse non point en ce monde, mais dans l'autre. »  

Ma soeur Marie de Jésus, comme la petite Voyante, était venue pendant six années prier et s'immoler devant la roche miraculeuse; ses souffrances physiques et morales avaient fait de sa vie religieuse une vie d'épreuves; et maintenant elle allait recevoir la récompense promise par la Belle Dame et pouvait, il nous semble, dire à cette toute puissante Reine du Paradis : « Qu'il me soit fait selon votre parole. » Ma soeur Marie de Jésus était âgée de 36 ans moins un jour.

Votre bienveillante charité, ma Révérende Mère, a déjà fait rendre à notre bien-aimée fille les suffrages de notre saint Ordre; qu'elle daigne y ajouter une journée de bonnes oeuvres, le Via Crucis, l'indulgence des 6 Pater et quelques invocations à Jésus, Marie, Joseph, qui, nous disait-elle, dans son naïf langage, « sont tous mes amours. » Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, qui éprouvons toujours, au milieu de nos souffrances, une douceur bien grande à nous redire, en Jésus-Christ Notre Seigneur, avec le respect le plus profondément affectueux,

De Votre Révérence,

La très humble servante.

Soeur THÉRÈSE DE JÉSUS, R. C. I.

De notre monastère de l'Immaculée Conception, de notre Père St Joseph, de Ste Philomène, sous la protection du Très Saint Nom de Jésus, des Carmé­lites de N.-D. de Lourdes, le 8 décembre 1889.

Lourdes. — Imprimerie de la Grotte.—L. Latapie.

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