Carmel

07 Octobre 1893 – Lectoure

RÉVÉRENDE ET TRÈS HONORÉE MÈRE,

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vient d'affliger si douloureusement nos coeurs, en enlevant d'au milieu de nous notre jeune et bien-aimée soeur Françoise, Marie de la Croix.

Elle n'était âgée que de 23 ans et près de huit mois ; depuis trois années seulement elle édifiait notre petit Carmel de ces douces vertus, et nous donnait pour l'avenir les plus précieuses espérances; mais hélas ! notre divin Jésus pensait bien autrement que nous. Elle était déjà mûre pour le Ciel et il l'a ravie à notre religieuse tendresse.

Cette chère enfant, née dans une petite ville de notre Diocèse, dût le jour â des parents très chrétiens; elle perdit son père étant encore au berceau. Sa vertueuse mère si éprouvée par cette mort prématurée reporta sur son unique enfant toutes ses affections; Elle mit tous ses soins à diriger son esprit et son coeur dans les principes de la vertu et de la plus tendre piété. La petite Marie correspondit pleinement à l'attente de sa mère et devint par sa modestie et sa bonne conduite le modèle des jeunes filles de la paroisse. Bientôt la voix du divin Maître se fit entendre à son coeur, et malgré le cri de la nature elle résolut de quitter sa mère et ses vieux parents qui fondaient sur cette fille chérie toutes leurs espérances ; et pour fuir le monde avec ses séductions elle vint demander un asile au Carmel.

 

Elle fut présentée à la Mère qui nous a précédée par le pieux Directeur qui l'avait guidée dans le développement de sa vocation. Quand la sainte volonté de Dieu fut manifestée, sa bonne Mère loin de s'y opposer, offrit au Seigneur ce grand sacrifice et au milieu de ses larmes, se fit un honneur de lui consacrer son enfant. Au jour fixé pour le départ, fête de la Nativité de la Très-Sainte-Vierge, c'est au pied des -Autels que la mère et la fille se séparèrent, après avoir entendu la sainte Messe et communié ensemble; la mère ne pouvant à son regret l'accompagner continua â prier et la fille prit la voiture qui devait l'emmener au Carmel.

Arrivée dans notre Communauté, la chère enfant s'y trouva comme dans son centre; rien ne l'étonna de nos saints usages, tout, au contraire satisfaisait ses désirs de la vertu. Elle aimait sa sainte vocation et elle s'appliqua de tout son coeur à en connaître les devoirs pour les pratiquer. Silencieuse, modeste, laborieuse, elle fut un ange de douceur et d'humilité.

Permettez-nous, ma Révérende Mère, de transcrire ici une petite prière que nous avons trouvée dans ses papiers, rien ne peint mieux son intérieur :

« Seigneur, faites de moi une Religieuse selon votre coeur, douce, obéissante, une fille d'oraison et de prière, amie sans distinction de toutes ses Soeurs, ennemie de toute médisance et de toute division, insensible aux mépris, aux injures et à toutes les choses de la terre, sensible à votre amour et aux biens de l'heureuse Eternité. »

La Communauté fut heureuse de l'admettre, au temps prescrit, au Saint Habit, et puis à la Sainte Profession qu'elle désirait de toute l'ardeur de son âme. Ma Soeur Marie de la Croix était pour nous toutes un sujet de consolation et d'espérance par son intelligence, son jugement droit et son bon esprit; mais les voies de Dieu ne sont pas nos voies ! Sans être d'un tempérament robuste, notre chère enfant avait toujours eu bonne santé et rien ne nous faisait présager une fin si prématurée; elle fit sa retraite annuelle de profession à la fin du mois de Mai et ce ne fut que quelques jours après que nous remarquâmes une légère altération dans ses traits. Elle se sentait un peu fatiguée; nous la fîmes visiter par le médecin qui ne trouva rien de grave et prescrivit seulement quelques soins à lui donner. Voyant qu'elle ne se remettait pas, nous la fîmes visiter de nouveau, et cette fois nous fûmes terrifiées quand notre bon docteur nous déclara qu'elle était gravement atteinte. La terrible maladie de poitrine commençait ses ravages et ils ont progressé de jour en jour ! Ni les visites réitérées et si désintéressées de notre dévoué docteur, ni les soins multipliés que nous prodiguions à notre chère enfant, rien n'a pu arrêter le mal.

Nous étions toutes désolées; nous priions le Sacré-Coeur, la Très-Sainte-Vierge, sainte Jeanne de Toulouse, nous ajoutions neuvaine sur neuvaines, mais nous sentions que notre Seigneur ne nous exauçait pas. Et le mal augmentait toujours! Comme disait son Père Directeur il y avait dans cette maladie quelque chose de mystérieux : Dieu voulait cueillir cette fleur, Jésus voulait près de lui sa petite épouse!... Deux mois environ ont suffi pour consommer cette oeuvre.

La pauvre enfant venait d'abord au choeur avec la Communauté pour faire la sainte communion, mais vers la fin elle était si faible qu'il fallut en restreindre le nombre; car elle a toujours désiré communier à jeun, même le dimanche, veille de sa mort où on lui porta le Bon Dieu à l'infirmerie. Deux jours avant, nous lui avions proposé de recevoir l'Extrême-Onction, ce qu'elle avait accepté bien volontiers. Sa pauvre mère avertie par nous du danger où se trouvait sa chère fille était accourue accompagnée du bon Père Directeur dont nous avons déjà parlé. Celui-ci entra avec notre dévoué Père Confesseur et eut la consolation d'administrer lui-même ce sacrement à cette chère âme qu'il avait fait entrer en religion et qu'il venait exhorter à mourir.

Son état s'aggravait de plus en plus; elle avait parfois des crises d'étouffement qui la faisaient cruellement souffrir. Enfin le dimanche dans la soirée, l'étouffement redoubla, l'air lui manquait, elle était agitée et dans son délire ne pouvait pas supporter qu'on s'approchât d'elle. Nous étions au choeur pour la veille du 24, priant pour elle et cependant ne pensant pas que sa fin fut si proche. A minuit nous la retrouvâmes encore très-agitée, mais vers la demie elle devint calme et nous crûmes quelle était mieux; appelée près d'elle un instant après par la soeur qui la veillait, nous reconnûmes avec effroi qu'elle se mourait. Aussitôt nous fîmes avertir nos soeurs et le prêtre qui, en arrivant en toute hâte lui donna une dernière absolution. Elle avait rendu son âme à Dieu ! 11 était minuit et demi, à la première heure du 25 Septembre 1893.

Nous adorons les desseins du Bon Dieu qui nous impose un si pénible sacrifice par cette mort si prompte et si prématurée. Puisse ce Dieu toujours infiniment bon agréer notre humble soumission à sa Sainte Volonté et admettre au plus tôt en sa divine Béatitude cette petite âme qui avait tout quitté pour lui seul.

Daignez, ma Révérende Mère, ajouter aux suffrages déjà demandés, par grâce une Communion de votre Sainte Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Chemin de la Croix; une invocation aux Très Saints Coeurs de Jésus et de Marie, à notre Père Saint Joseph, à notre Sainte Mère Thérèse, à notre Père Saint-Jean- de-la-Croix et à Sainte Françoise sa patronne. Notre pauvre soeur vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, ma Révérende Mère, qui vous prions d'agréer le religieux et fraternel respect avec lequel nous sommes en Jésus et Marie

 

Votre très-humble soeur et servante,

S'- EUPHRASIE DU SACRE CŒUR,

Carmélite ind.

De notre Monastère de la sainte Mère de Dieu, de notre Père saint Joseph et de notre sainte Mère Thérèse des Carmélites de Lectoure, le 7 Octobre 1893.

 

P. S- — Nous recommandons à vos saintes prières, ma Révérende Mère, l'âme de notre bon Père Supérieur qui vient de mourir ; aidez-nous à payer notre dette de reconnaissance envers ce vénérable et saint Prêtre qui, ayant été d'abord confesseur de la Communauté, nous a témoigné tout son dévouement dans la charge de Supérieur durant plus de 45 ans. Nous avons encore la douleur d'avoir une soeur bien malade, que votre charité veuille bien aussi prier et faire prier pour elle.

Un de nos Carmels vous prie, ma Révérende Mère, de vouloir bien faire appliquer les suffrages à l'âme d'une soeur pour laquelle on ne fera pas de circulaire.

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