Carmel

06 janvier 1890 – Tulle

 

MA RÉVÉRENDE ET TRÈS HONORÉE MÈRE,

Paix et très humble salut en Jésus-Christ, Nôtre-Seigneur.

C'est au milieu des saintes allégresses du doux mystère de Bethléem, que la croix, étoile lumineuse, est venue briller sur notre Carmel. Notre divin Sauveur a voulu sans doute, nous faire sentir une fois de plus, la vérité de cette parole de notre père saint Jean de la Croix : « Celui qui veut trouver Jésus ne doit point le chercher sans la croix. »

En effet, ma Révérende Mère, notre bon Maître vient d'imposer à nos coeurs un bien douloureux sacrifice, en rappelant à Lui notre chère et bien-aimée soeur Anne-Célie-Blandine-Marie-Thérèse de l'Immaculée-Conception, âgée de 52 ans, 8 jours, et de religion ans et 23 jours.

Cette âme mûrie par la souffrance, était prête pour le grand jour ; aussi le divin Enfant de la crèche, abaissant sur elle son regard, a voulu cueillir, pour l'emporter au ciel, ce fruit cher à son coeur. Nous ne pouvons qu'adorer et bénir !...

Nous avions commencé la circulaire de notre regrettée Soeur, heureuse, ma Révérende Mère, de faire passer sous vos yeux le tableau d'une vie religieuse dans laquelle la souffrance a eu sa large part ; mais notre bien chère fille vient elle- même nous imposer silence. Dans un billet que nous trouvons parmi ses papiers, elle nous supplie de ne pas lui faire de circulaire et cela avec un accent d'humilité si touchant et si vrai, que nous croyons devoir condescendre en partie, à sa prière. Nous regrettons que la forme trop intime de cet écrit ne nous permette pas de vous le citer textuellement, ma Révérende Mère ; il suffirait à vous faire connaître l'âme de celle que nous pleurons. Ma Soeur de l'Immaculée-Conception croyait sincèrement que pour dire d'elle quelque chose d'édifiant, il faudrait l'inventer; son humilité seule, ma Révérende Mère, a pu lui faire penser cela. Nous croyons au contraire avoir le droit d'en juger d'une manière bien différente; les humbles sentiments de notre chère fille n'en sont-ils pas la meilleure preuve?

La vie tout spécialement pieuse et fervente de ma Soeur de l'Immaculée-Conception, son attachement à nos saintes règles, lui ont valu bien sûr, la récompense que le Seigneur accorde aux âmes qu'il aime avec prédilection. Depuis près de huit ans, son existence n'était qu'un long martyre. Réduite à ne pouvoir faire un pas sans l'appui d'un bras charitable, elle ne pouvait aussi parvenir à se faire com­prendre que fort difficilement. Des douleurs aiguës s'ajoutaient, nuit et jour, à tout ce que cet état avait de pénible et de crucifiant. Tout était accepté par notre chère Soeur, avec une ardente foi, une piété tendre, une adhésion profonde à l'adorable volonté de Dieu, nous pouvons dire même avec une douce gaieté.

 

Dans les premiers jours du mois de décembre dernier, notre vénérée Mère Thérèse de Jésus nous avait suggéré la pensée de faire, en union avec le cher Carmel de Lourdes, une neuvaine à la Vierge Immaculée pour obtenir quelque soulagement à l'état si douloureux de notre bien-aimée fille. Fait digne de remar­que, c'est à la suite de cette neuvaine que le divin Maître a dit son dernier mot sur cette vie crucifiée.

La lampe de cette vierge fidèle venait de s'attiser encore par les grâces de la retraite. Elle méditait avec nous, sous la direction si paternelle et si élevée, de notre bon et saint Évêque, les trésors cachés dans le saint Évangile. Son âme se retrempait à cette source divine ; elle y buvait à longs traits les eaux vivifiantes et pures qui nous étaient servies, par notre vénéré Prélat, avec autant de dévoue­ment que de force et de suavité.

Si ma Soeur de l'Immaculée-Conception ne pensait pas mourir encore, néan­moins elle s'y préparait. « Je veux faire à Monseigneur, disait-elle une revue de toute ma vie. Je parle inintelligiblement, je vais écrire ; si j'écris mal et que Sa Grandeur ne puisse me lire, je prierai notre chère Révérende Mère de vouloir bien lui faire la lecture de mes fautes. »

Au cinquième jour de la retraite, notre bien-aimée fille fut prise par une fluxion de poitrine. « C'est beaucoup trop pour elle, dit notre bon docteur, il faudrait un petit miracle pour la guérir. » Notre chère Soeur a succombé en effet le 29 décem­bre et s'est endormie pieusement comme elle avait vécu, après avoir reçu tous les Sacrements de notre Mère la Sainte Église. Ces derniers secours, ma Révérende Mère, avaient été demandés par notre bonne Soeur elle-même. Les frayeurs de la mort qui naguère encore affligeaient cette âme, semblaient avoir disparu pour faire place au calme, à la paix la plus profonde. La piété, la ferveur, caractère distinctif de celle que nous pleurons, se traduisaient encore même dans les étreintes de l'agonie. Avec quel bonheur recevait-elle l'eau bénite, chaque fois que nous la lui présentions!...

Combien il était touchant pour nous, ma Révérende Mère, de la voir, presque jusqu'à sa dernière heure, tracer sur elle le signe de la croix, baiser avec amour son Christ, son chapelet et son scapulaire.

C'était donc le 29, à une heure de l'après-midi, que notre bien-aimée Soeur ren­dait son âme à Dieu, le 31, nous accompagnions sa dépouille mortelle à notre petit cimetière où elle repose dans l'attente de l'éternelle résurrection!...

Malgré notre ferme espérance que cette épouse fidèle a été favorablement reçue par le divin Maître, nous vous prions, ma Révérende Mère, de lui faire rendre au plus tôt, les suffrages de notre saint Ordre. Par grâce, une communion de votre fervente communauté, l'indulgence du Via Crucis, une invocation à Notre-Dame du Mont-Carmel, à notre père saint Joseph et à tous les Saints et Saintes de notre saint Ordre, objet de sa tendre et particulière dévotion. Notre regrettée et si chère fille vous en sera très reconnaissante ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, en l'amour du divin petit Roi de notre Bethléem,

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Votre humble Soeur et Servante,

Sr MARIE-ARCHANGÈLE DE L'ENFANT-JÉSUS, R. C. I.

De notre Monastère de Jésus, Marie, Joseph, Thérèse

des Carmélites de Tulle, le 6 janvier 1890.

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