Carmel

04 septembre 1892 – Luçon

 

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

paix et très humble salut en notre seigneur

Le bon Maître vient de nous imposer un bien douloureux sacrifice en retirant à notre religieuse affection notre chère Soeur Marie SOLINE de Saint Jean de la Croix, professe du voile blanc, âgée de 29 ans et 7 mois, dont elle à passé 7 et demi en religion.

Vous faire connaître, ma Révérende Mère , l'âme prédestinée que le ciel nous a réclamée, est une tâche à la foi attrayante et difficile,car notre chère défunte ressemblait à l'hum­ble violette qui ne se dévoile guère que par son parfum ; aussi , bénissons-nous le Seigneur de nous l'avoir fait respirer pendant de trop courtes années . Nous voulons cependant essayer de vous faire entrevoir cette belle et douce figure , ce type de la vraie et parfaite religieuse.

Dieu, qui s'était montré prodigue des dons de la nature envers notre chère Soeur, et qui voulait lui départir non moins largement,ceux de la grâce, l'avait cependant fait naître dans un pays où les protestants formaient la majeure partie de la population. Sa mère, elle-même n'avait renoncé à l'hérésie qu'à l'époque de son mariage avec un catholique; aussi, l'édu­cation religieuse de l'enfant que le ciel venait de lui confier, devait-elle être très négli­gée. Mais, le Seigneur se réservera à Lui seul la formation de cette âme bénie. Afin de faire mieux éclater en elle les ressources infinies de sa libéralité , 11 suppléera à cette regret­table lacune, et notre jeune enfant, en gardant son troupeau , sera illuminée intérieure­ment par l'Esprit Saint. La vue de la nature la ravira d'admiration , et elle se sentira éprise d'amour pour son Auteur.

Lorsque vînt, pour la petite bergère, le temps de s'approcher pour la première fois de la table sainte , elle n'avait pas, à son grand regret, la liberté d'assister régulièrement aux catéchismes de la paroisse. « Pourvu, lui disait sa mère, peu instruite de la religion, que tu saches tes actes , cela suffit. » Aussi, connaissait-elle très peu elle-même la doc­trine chrétienne. Malgré cela, son coeur était bien préparé : Dieu avait été son Maître ! . .

Nous verrons, dans la suite, ce qu'il peut faire quand il ne rencontre pas de résistance à son action sanctifiante

Un trait de l'enfance de notre chère Soeur, qui montre sa droiture et son humilité,trouve ici sa place : Dans une instruction du catéchisme, le bon Curé voulant faire compren­dre à son jeune auditoire en quoi consiste le larcin, demanda à une enfant : « As-tu volé des pommes? » Point de réponse. Notre petite fille tremblait d'être interrogée, car elle se reconnaissait coupable et se disait intérieurenent : « Il faudra bien avouer la vérité. » La fatale question lui fut en effet posée : «Et toi, Sylvie, as-tu volé des pommes? » — « Oui, Monsieur le Curé, » répondit-elle avec confusion. Elle ne tarda pas cependant à être consolée,car son exemple encouragea ses compagnes qui avouèrent toutes avoir succom­bé à la même tentation.

Quelque temps après sa première communion , complètement livrée à elle-même,sans secours extérieur , la pauvre enfant oublia les impressions de grâce qu'elle avait reçues du ciel . Les plaisirs et la vanité trouvèrent l'accès de son coeur ; elle n'eut plus autant d'ardeur pour l'accomplissement de ses devoirs religieux , quelques-uns même furent négligés.

Dieu qui veillait avec un soin jaloux sur sa privilégiée, Lui envoya une grave maladie, pendant laquelle II lui fit entrevoir la mort qui pouvait la frapper. Effrayée de se trouver si peu disposée à paraître devant son Juge , elle dit avec angoisse : « Seigneur , si vous me rendez la santé, je me donnerai toute à vous. » Sa prière fut entendue et le danger disparut promptement. Quelques livres de piété, prêtés par de charitables amies, vinrent achever ce qu'elle appelait sa conversion . Cette faiblesse momentanée devint pour la jeune fille le point de départ d'une nouvelle vie. Désormais, le souvenir de ce court refroidissement au service de Dieu , ne s'effacera pas de sa mémoire , et une humilité profonde en sera l'heureux fruit.

Ce que Sylvie avait promis, elle le tint fidèlement ; mais il lui en coûta bien des luttes, car ses parents étaient loin de lui laisser la liberté de suivre ses attraits . Souvent même, ils la contristaient en l'obligeant à des actes qui blessaient sa conscience délicate. Parfois, le dimanche , elle demeurait à jeun jusqu'à midi , afin de recevoir la Sainte Communion à leur insu. Privée de faire des lectures pieuses durant le jour elle prenait sur son sommeil, pour donner à son âme la nourriture dont elle se sentait affamée ; il était cependant bien court, car dans les grands travaux de l'été, elle devait aller aux champs dès deux heures du matin . Sa mère s'aperçut bientôt de ses veilles, et lui enlevant des bougies qu'elle te­nait cachées sous sa paillasse, la contraignit à y renoncer. Toutefois, à force de douceur et de patience, la vertueuse enfant avait fini par obtenir, sur les points les plus importants Quelques concessions de la part de ses parents qui péchaient surtout par ignorance.

Le Seigneur récompensa tant de bonne volonté par le retour des fortes impressions qu'elle avait jadis éprouvées en contemplant la nature ; magnifique livre qu'on ne pou­vait soustraire à ses regards Ce Dieu, que son âme pure entrevoyait à travers le voile transparent de ses oeuvres , si bon, si puissant, si digne de notre amour; elle le voyait aussi méconnu , outragé autour d'elle, et cette vue mettait en son coeur un immense désir de réparation, et en même temps, le germe de la vocation à une vie plus parfaite. Mais elle ne connaissait aucun ordre religieux , et quoique ses aspirations devinssent de plus en plus pressantes , elle n'eût jamais osé les faire connaître à son Confesseur, retenue par le sentiment de son indignité .Lorsque, par humilité, l'âme craint de s'approcher de Dieu, c'est bien alors que ce bon Maître s'abaisse vers elle avec plus d'amour. Notre Sylvie en fit la douce expérience. Le Prêtre qui la dirigeait fut inspiré de lui demander si elle ne sou­haiterait pas entrer en religion, Cette proposition la ravit : « Oh! oui, dit-elle, j'y pense bien; mais puis-je nourrir cet espoir, moi si misérable, si ignorante? » La réponse affirma­tive la combla de joie.

D'après les dispositions de sa Pénitente, Monsieur le Curé jugea facilement que le Car­mel devait parfaitement répondre à ses attraits pour la pénitence, la réparation et la con­templation-. 11 fut arrêté, qu'il ferait des démarches dans le but de lui en procurer l'entrée.

Restait une grande difficulté à vaincre : comment arracher cette chère âme à une famille qui, malheureusement, ne pouvait pas comprendre le don de Dieu? Lorsque ses projets furent connus, elle dut subir une véritable persécution; elle ne pouvait plus aller à l'église qu'à la dérobée; la fréquentation des Sacrements lui devenait difficile , et les reproches ne lui étaient pas ménagés . Une lettre du digne Curé de la paroisse va faire connaître sa conduite dans cette douloureuse circonstance,

« A X...comme à Luçon, ma bonne Mère, tout a été calme dans cette vie qui s'est « écoulée si doucement dans la simplicité et la candeur.. Partout et toujours oubli de soi-même et dévouement de tous les moments. Dans les nombreuses épreuves lui venant de la part de sa mère, qui n'était jamais parvenue à se défaire des préjugés de la religion protestante, surtout à l'égard de la vocation religieuse, la pauvre petite attendait tout de son Dieu. Toujours gaie aux yeux du monde, elle ne livrait le secret de ses larmes qu'à son Jésus qu'elle aimait tant, Privée de visites régulières à l'église, ses occupations multiples et pénibles n'étaient que de longues prières.

Parvenait-elle à s'échapper, elle accourait pour me dire ( je l'entends encore ) 0 mon « Père, parlez-moi du Bon Dieu. »

Ne gagnant rien sur sa famille , elle dut enfin s'arracher violemment de la maison pa­ternelle en marchant sur son propre coeur et en brisant celui de sa pauvre mère , qui ne tourmentait ainsi sa fille que par un excès d'affection et un défaut de lumière.

La pieuse Aspirante au Carmel devait toutefois passer par une autre épreuve avant d'ar­river au lieu de son repos . Monsieur le Curé, ayant vainement frappé à la porte de plusieurs de nos Monastères, crut pouvoir adresser sa pénitente aux Dames de l'Assomp­tion. Elle obéit simplement, comme toujours, et elle commença un postulat dans cette sainte maison., où elle fut entourée de soins et d'attentions . Malgré la bonté de ses Mères , la pauvre enfant ne faisait que pleurer, non pas qu'elle regrettât le monde et les sacrifices qu'elle s'était imposés pour Dieu, mais le Carmel dont on lui avait parlé, ne cessait d'être l'objet de ses désirs.

Dans un songe qu'elle eut alors, des Religieuses se montrèrent à elle, vêtues de brun. avec des voiles noirs et des manteaux blancs; une d'elles la prit sous le sien, ce qui lui causa une agréable émotion. Mais hélas! ce n'était qu'un rêve, bien vite évanoui.

Après deux mois d'examen , la Supérieure proposa à la chère Postulante de l'envoyer à la Maison Mère , pour y commencer son noviciat. Celle-ci lui avoua alors simplement ses répugnances et ses attraits. Elle fut comprise par la digne Mère qui compatit à sa peine et lui promit de faire des démarches pour lui procurer l'entrée d'un Carmel, la Divine Pro­vidence la dirigea vers le nôtre, et nous eûmes l'heureuse fortune de recevoir cette enfant de bénédiction.

Aussitôt arrivée dans notre Monastère, notre chère Soeur sentit son âme se dilater ja­mais elle n'avait goûté tant de paix et de bonheur. Ce ne fut pas non plus, sans une douce surprise, qu'elle reconnut, en nous voyant, le costume des Religieuses qui lui étaient appa­rues en songe à l'Assomption, et qui l'avaient enveloppée de leurs blancs manteaux.

La vie de notre bonne Soeur au Carmel offre peu de traits saillants, et pour eu faire con­naître le côté édifiant, il faudrait la dérouler tout entière, sous vos regards, dans sa belle et sainte uniformité. Nous nous bornerons donc à vous parler de ses vertus. Mais, en cherchant celles qui ont dominé en cette âme de grâce , on se trouve fort embarrassé, car elle les a toutes pratiquées si parfaitement, qu'on est tenté de dire que son trait caractéristique est la perfection même.

Nous ne nous souvenons pas l'avoir vue commettre d' imperfection durant les sept années qu'elle a passées parmi nous. Ce n'était pas qu'elle fût exempte de celles dans lesquelles le juste tombe plusieurs fois le jour, mais elles étaient si légères, qu'elles ne paraissaient même pas au dehors.

Si la vertu de notre bien-aimée Soeur fut sans ombre, nous pouvons bien dire aussi, qu'au Carmel, elle n'eut pas d'aurore. Dès son entrée en religion, on la vit briller avec un éclat que bien d'autres pourraient souhaiter pour la fin de leur carrière.

Vous ne serez pas étonnée, ma Révérende Mère, de voir la chère enfant gravir si rapi­dement les sommets du Carmel, lorsque vous saurez combien a été profonde son humilité.

Encore jeune Bergère , elle recevait déjà des lumières sur cette vertu, et selon la métho­de employée d'ordinaire par le Divin Maître à sou égard, ces lumières lui furent données par le moyen des créatures inanimées. Elle avait vu, dans la campagne, de grandes her­bes, très élevées au dessus des autres, et à leurs pieds, de toutes petites, bien cachées; elle avait aussi remarqué que ses brebis ne touchaient pas aux grandes plantes , ordinaire­ment vides à l'intérieur, tandis qu'elles broutaient avidement les plus basses . L'Esprit- Saint lui fit comprendre que c'était l'image de l'humilité et de l'orgueil ; que l'âme qui veut s'élever n'est propre à rien et devient vide et sèche aux yeux du Seigneur. Docile à ces enseignements, notre généreuse Enfant s'exerça si bien dans la pratique de cette vertu, qu'à son entrée au Carmel, il lui fut facile de se mettre au dernier rang . La basse opinion qu'elle avait d'elle-même lui faisait estimer toutes ses Soeurs ; aussi la trouvait-on toujours disposée à obliger, à choisir de préférence les travaux les plus pénibles. Une de ses plus grandes épreuves lui vint de l'impossibilité où la réduisit la souffrance de se dépenser, com­me elle l'eût souhaité, pour sa chère Communauté: « Moi, disait-elle. qui aurais été si heureuse de servir mes Mères et mes Soeurs ; recevoir leurs soins, leur donner de la peine; oh! combien j'en suis confuse et reconnaissante ! »

Pendant sa longue maladie, ma Soeur Marie Soline cherchait toujours à éviter du tra­vail à sa bonne Soeur Infirmière ; elle ne la sonnait presque jamais la nuit, et l'obéissan­ce seule pouvait la décider à demander ce qui lui était nécessaire.

A entendre parler cette bien-aimée Soeur, dont l'âme était si pure, on l'aurait pu croire, toutefois, une grande pécheresse: « Si on savait ce que j'ai été, disait-elle, avec un accent convaincu, je ressemblais à ces bêtes que je menais aux champs. Oh ! que le Seigneur a été miséricordieux à mon égard ! »

Les âmes humbles ne croient pas l'être: c'est pourquoi elles creusent toujours plus pro­fondément dans l'abîme de leur néant et de leurs imperfections, afin de croître dans le mépris d'elles-mêmes. Telle était la disposition de notre chère Soeur la veille de sa mort, lorsqu'elle nous disait: « Je n'ai pas été assez humble, j'ai bien besoin que le Bon Dieu me pardonne. » Au milieu de ses grandes souffrances: « Je ne souffre pas plus que je ne le mérite. » Dans les angoisses de l'agonie, nous voyant prier à ses côtés, elle exprimait ses sentiments en ces termes: «.Oh! merci, merci, les prières de la communauté me soutien­nent, sans cela je ne pourrais pas me soutenir. »

C'est sur cette base solide du mépris d'elle-même que s'appuyèrent la douceur inaltérable, la patience à toute épreuve que vous pourrez admirer, ma Révérende Mère, dans le récit des derniers moments de notre regrettée Soeur. Nous nous bornerons donc à dire ici qu'ils furent l'écho fidèle de toute sa vie.

La reconnaissance, ce charmant rejeton de l'humilité, ma Soeur Marie Soline la possé­dait dans un éminent degré. ,Je ne crois pas, qu'on puisse pousser plus loin la délicatesse des sentiments envers les bienfaiteurs. Elle était touchante dans l'expression de sa gratitu­de, surtout dans ses derniers instants, alors qu'elle pouvait à peine parler. Un Deo gratias, accompagné du plus angélique sourire, suivait toujours le moindre service reçu . Une sim­ple aspiration que nous lui suggérions, une goutte d'eau qu'on lui offrait, son Crucifix qu'on lui présentait à baiser, faisait monter à ses lèvres ce cri du coeur : merci. L'obéissance est douce et facile à l'âme humble, aussi notre chère Enfant fût-elle cons­tamment la consolation de ses Mères par son esprit de foi et sa docilité. Jamais elle se per­mettait la moindre insistance pour satisfaire ses désirs. Jamais non plus, nous n'étions obligée de lui répéter deux fois le même commandement. Cette soumission, elle la rendait aussi bien aux plus jeunes Religieuses qui avaient à la diriger dans les offices, qu'à sa Mère Prieure. Au commencement de son noviciat, la bonne Mère alors en charge, ne trou­vant rien à lui reprocher, avait du parfois, pour l'éprouver, lui ordonner des actes ri­dicules. Elle les accomplit toujours, avec une telle simplicité qu'elle semblait trouver toutes naturelles les choses commandées. Dans un épanchement avec ses compagnes du Noviciat, cette parfaite obéissante a pu faire ce bel aveu: « Je n'ai été malheureuse qu'un seul jour au Carmel, parce qu'en ce jour j'avais fait un peu ma volonté. » Durant le séjour prolongé que fit notre chère Soeur à l'infirmerie, sa dépendance envers la Soeur Infirmière ne laissa rien à désirer. Le petit enfant, dans les bras de sa mère, n'eût pas été plus souple qu'elle ne l'é­tait entre les mains de celles qui lui prodiguèrent leurs soins.

La nature calme de ma Soeur Marie Soline, son esprit élevé, sa délicatesse de sentiments, la rectitude de son jugement, qui la rendaient propre à toutes choses, la disposaient surtout parfaitement à la vie contemplative; aussi s'adonna-t-elle à l'oraison mentale avec une grande ferveur et un plein succès ; elle y recevait tant de lumières sur nos Saints Mystères, sur les opérations de Dieu en l'âme, que les livres qui traitent de la plus haute spiritualité n'a­vaient pas d'obscurité pour cette chère Enfant, si ignorante des sciences humaines. C'est encore dans ce pieux exercice qu'elle trouvait le secret de l'énergie surnaturelle, que nous lui vîmes constamment déployer dans les souffrances physiques, devenues son partage du­rant la plus grande partie de sa vie religieuse.

Le bon Maître la favorisait, parfois, au temps de la prière, de grâces bien précieuses; les impressions qu'il lui faisait alors éprouver étaient si fortes qu'elle en devenait presque défaillante. C'est probablement après une de ses faveurs qu'elle écrivit de son sang les pa­roles suivantes: « Jésus, Marie, bénissez la résolution que je prends de n'aimer que Vous, de ne penser qu'à Vous, de mourir pour Vous, ô Jésus! » Le feu sacré de l'amour divin, qui lui donnait un zèle si ardent pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, eut pour foyer l'oraison, et surtout l'union habituelle avadhî Notre Seigneur ; car elle savait conserver le re­cueillement, non seulement aux pieds des saints autels, mais aussi parmi les occupations les plus distrayantes. Les opérations intérieures de la grâce se reflétaient sur son beau visa­ge, et donnaient à tout son extérieur un air de dignité qui frappait tous les yeux. Même pendant sa jeunesse, alors qu'elle vivait dans un milieu où la liberté de langage n'est que trop commune, sa présence inspirait un tel respect, que jamais, a pu nous assurer Monsieur le Curé, on eût osé dire, devant elle, la moindre parole inconvenante.

L'esprit de réparation, qui avait été le principe de la vocation religieuse de notre chère Soeur, devait se développer au Carmel sous l'influence des dons surnaturels qui lui. étaient communiqués dans l'Oraison, Oh! combien elle souffrait de voir le bon Dieu si peu connu si outragé !.. Cette vue la poussait à des mortifications et à des pénitences qui eussent effrayé des santés moins débiles. Le Dimanche surtout, (ce saint jour qui avait été si profané sous ses yeux) elle éprouvait un besoin plus pressant de se poser en réparatrice. Redoubler alors ses austérités habituelles, lui devenait un véritable soulagement que nous ne pouvions lui refuser.

Le Clergé avait aussi une large part dans ses prières; elle désirait ardemment voir le Di­vin Maître glorifié par la sainteté de ses Ministres, et elle ne cessait de le lui demander; offrant dans ce but bien des oeuvres saintes, dont Dieu seul a le secret.

Elle est vraie cette pensée d'un pieux auteur: «Les saints s'ébauchent sur le Thabor, et s'achèvent au Calvaire. » La souffrance est indispensable à la formation des saints, et notre fervente Soeur devait pacquer par ce creuset. La première épreuve que le ciel lui ménagea, peu de temps après son entrée en religion, fut la mort de sa bonne Mère . Ce coup l'atteignit d'autant plus sensiblement, qu'elle était la cause innocente de cette perte. La Mère, en effet, sans apprécier le principal mérite de sa fille, n'avait pu se soustraire aux charmes de son angélique douceur, et elle l'aimait bien tendrement. Aussi, son éloignement lui causa- t-il un chagrin si profond, qu'il la conduisit rapidement au tombeau. La bien-aimée fille connaissait la situation de la chère malade ; elle n'avait pas encore pris le saint habit, il lui était facile de retourner en arrière, et d'essayer ainsi de rendre à la vie celle qui avait une si large part dans ses affections. Elle préféra endurer les tortures de l'amour filial, et demeurer ferme dans son sacrifice; espérant par là attirer les bénédictions du ciel sur cette âme, dont elle désirait si vivement le salut éternel. Son espoir ne fut point vain, et la mort édifiante de sa Mère, en la consolant, lui fit bénir les desseins pleins de miséricorde de la Divine Pro­vidence, qui conduit les Elus par la voie de l'affliction, afin de les faire parvenir plus sûre­ment au port de la Jérusalem céleste.

Une autre épreuve, non moins douloureuse peut-être, vint assaillir notre chère Soeur. Pen­dant quelque temps, des doutes contre nos vérités saintes torturèrent son âme, et l'on sait combien il est pénible pour une religieuse, qui n'a de consolations que dans sa foi et son espé­rance, de se trouver, par le fait de la tentation, comme privée de ces vertus. Mais Celui qui permet de semblables attaques, n'est-ll pas toujours prêt à nous secourir, et ne sait-Il pas faire tourner à notre avantage la malice de nos ennemis? Notre humble Fille remporta la victoire par ses armes ordinaires: la prière et la docilité aux guides de sa conscience.

Un peu plus tard , une maladie d'estomac réduisit ma Soeur Marie Soline à un état de langueur,qui devait se prolonger plusieurs années, aboutir à la phtisie, puis à la mort. Que de souffrances physiques et morales durant ce laps de temps!.. Le Bon Dieu les a comptées, et nous avons admiré avec quelle soumission elle a sans cesse accepté tous les sacrifices inséparables de cet état maladif.

Bien recevoir les épreuves actuelles, ne suffisait pas à la générosité de notre vertueuse Enfant; celles mêmes, qu'elle pouvait entrevoir dans l'avenir, devenaient l'objet d'un fiat amoureux. Parlant à une Soeur de la mort, de la possibilité de tomber en léthargie et d'être enterrée vivante, elle témoigna avec animation qu' elle s'abandonnait d'avance à subir ce supplice si le Seigneur le permettait.

Un billet, écrit de la main de notre chère Soeur, va, ma Révérende Mère, vous faire péné­trer le mystère de la parfaite conformité de sa volonté à celle du Souverain Maître. Il est ainsi conçu : «0 mon Dieu, mon Créateur, ô Jésus mon Divin Maître, je vous fais un entier abandon de moi-même, pour être anéantie, et pour souffrir toute ma vie si c'est pour vo­tre plus grande gloire. Je vous fais cette offrande par les mains de la Vierge Marie no­tre Mère.-» Comment, après un tel acte, ne pas faire bon accueil à la croix, de quelque côté qu'elle se présente ? Ce qui donne à la vie des saints un caractère d'héroïcité, c'est la cons­tance . Beaucoup d'âmes, en effet, sont capables de mouvements généreux; bien peu sa­vent se maintenir constamment dans un état habituel de générosité . Notre chère Enfant était de ce petit nombre, et sa vertu, qui n'a eu ni aurore ni ombre, n'aura pas non plus de déclin. Telle nous l'avons vue au moment où elle se consacrait à Dieu dans l'élan de sa ferveur, telle nous la retrouvons à la fin de sa courte existence.

Dès le 21 Juin, le médecin avait déclaré qu'on pouvait faire administrer notre chère Ma­lade; mais comme le danger n'était pas pressant, elle préféra attendre au 25, jour de la fête du Sacré- Coeur de Jésus. Cette précieuse grâce, reçue avec de grands sentiments de foi et d'humilité, lui devenait bien nécessaire; car elle commençait une lutte terrible, qui de­vait se prolonger durant deux longues semaines.

Des larmes coulèrent de tous les yeux, lorsqu'elle nous demanda pardon de ses fautes. Pauvre enfant, personne n'avait rien à lui pardonner; la seule peine qu'elle nous ait cau­sée est celle de la séparation.

Nous disions au début de ce récit, que ma Soeur Marie Soline, avait pratiqué toutes les vertus dans une égale perfection. Il nous semble cependant, qu'à là fin de sa vie, l'abandon à la très-adorable volonté de Dieu domina toutes les autres saintes dispositions de son âme, et cet abandon était d'autant plus méritoire, qu'il se produisait dans des circonstances plus douloureuses.

Permettez-moi, ma Révérende Mère, de faire passer sous vos yeux le spectacle qu'offrait notre édifiante Malade sur son lit de mort. Avec nous, vous admirerez, vous adorerez la sainteté infinie de Dieu mettant, par la douleur, la dernière main à l'oeuvre de sanctification d'une âme privilégiée, et la préparant à passer directement, de cette vallée de larmes, à la participation de sa béatitude éternelle.

Miné par de longues souffrances, le pauvre corps de notre chère Patiente, était réduit à un tel état, qu'elle pouvait dire avec vérité: Depuis la plante des pieds jusqu'au som­met de la tête , il n'y a aucune partie saine en moi. Les jambes démesurément enflées; les entrailles ulcérées; l'estomac ne pouvant plus supporter d'aliments; la poitrine atteinte par la phtisie ; la gorge tellement enflammée, qu'elle ne permettait que difficilement le passage d'un peu d'eau; un énorme abcès à la joue, qui perça la veille seulement de sa mort, et rem­plit sa bouche d'une matière corrompue qu'elle avait peine à rejeter; pas une position qui ne fût un supplice. Tout cela est peu de chose cependant, si nous le comparons aux angois­ses déchirantes, qui envahirent l'âme de notre sainte Victime pendant ces derniers jours.

Le tableau serait incomplet, ma Révérende Mère, si nous ne mettions également sous vos yeux la patience , la douceur, la soumission avec lesquelles cette rude épreuve était supportée . Notre pauvre malade se reprochait ses involontaires gémissements et nous dûmes, pour la tranquilliser; lui conseiller de convenir avec le Divin Maître, qu'ils seraient autant d'actes d'amour et de réparation. « Tout ce que le bon Dieu voudra, répétait-elle sou­vent, autant qu'Il le voudra »

Cette double agonie sembla commencer surtout le lundi 4 Juillet. Voyant alors notre pau­vre enfant dans un état si violent, nous lui proposâmes de recevoir de nouveau la sainte ab­solution, dans l'espoir que la réception de ce sacrement deviendrait un adoucissement à ses tortures. Notre proposition fut acceptée avec reconnaissance. Le Saint Viatique, qu'elle reçut aussi le lendemain, calma en effet, momentanément, ses angoisses. Elle était souriante lors­que nous allâmes la voir. Comme nous l'en félicitions; « C'est le bon Dieu qui fait tout en moi nous dit-elle, moi je ne puis rien; je ne serais pas capable de sourire s'il ne le voulait pas, peut-être que demain je pleurerai » Nous l'entretînmes alors du ciel, du bonheur de voir la Majesté Divine : Bientôt, lui dissions- nous, ce bonheur sera le vôtre. Elle répéta à plusieurs reprises:« Je ne peux me le figu­rer » Puis, après un instant de silence: « Mais je crois.. .j'espère. ..j' attends... C'est com­me la Sainte Communion: on ne comprend pas comment Jésus se donne, on ne Le voit pas mais on croit. » La journée fut assez paisible. Dès le soir cependant, la souffrance intérieure reparut avec plus d'intensité que jamais; notre chère Soeur aurait pu répéter après notre Divin Sauveur: « Mon âme est triste jusqu'à la mort.». Mais comme Lui aussi, elle adorait la justice de Dieu, elle s'y soumettait. Pendant toute la nuit, la pauvre agonisante fit entendre de douloureux gémissements et parfois, avec un accent déchirant, ces exclamations: «Mon Dieu, mon Dieu, ne m'abandonnez pas! Marie, ma Mère, ne m'abandonnez pas ! Mon Dieu donnez-moi la patience! » Lorsqu'elle nous vit le lendemain matin, sa première parole fut celle-ci : «0 ma Mère, je suis complètement abandonnée! » Elle demanda Monsieur l'Au­mônier, qui s'empressa de venir lui donner l'absolution. Cette grâce, toujours reçue par el­le avec un grand esprit de foi, produisit encore une légère diminution de tristesse. Mais la souffrance physique suivait son cours, et des cris involontaires nous brisèrent le coeur durant tout le jour. Un instant cependant, lorsque nous étions seule près de son lit avec la Soeur In­firmière, elle prit son Crucifix entre ses mains, le pressa sur son coeur en disant avec une expression que nous ne saurions oublier: « 0 mon Jésus, Vous avez été crucifié pour moi, je veux être crucifiée pour Vous, comme Vous le voudrez, aussi longtemps que Vous le voudrez, oui mon Dieu,, oui mon Dieu.» Un peu plus tard elle ajoutait: « Dieu seul peut me secourir. C'est Vous, mon Dieu qui me donnez la force et le vouloir. »

La nuit fut encore bien douloureuse; mais le lendemain, jeudi, la purification semblait toucher à sa fin. Malgré des souffrances aiguës, notre sainte malade paraissait radieuse. L'a­bandon angoissé des jours précédents avait disparu; l'abandon parfait demeurait cependant toujours la note dominante de son état intérieur, comme le prouvent les paroles suivantes: «Mon Dieu, je ne voudrais pas avancer ma mort d'une minute, d'une seule minute: ven­dredi, samedi, comme Vous le voudrez. Vous le savez, Seigneur, votre volonté est ma. vie. Je remets mon âme entre vos mains.. .maintenant et pour toute l'éternité.»

Heureuse de voir un si grand changement dans les dispositions de notre chère Fille, nous lui demandâmes si elle ne sentait pas davantage la présence de Notre Seigneur: «Pas beau­coup plus, nous dit-elle mais je m'abandonne. Malgré un état de faiblesse excessif, et la pro­ximité de la mort, dont on entrevoyait les symptômes, elle conservait une étonnante présen­ce d'esprit. Comme nous recommandions à son souvenir les membres d' une bonne famille, qui lui avaient été très dévoués pendant sa maladie, elle répondit: «  Dites leur, ma Mère, que je prierai bien pour eux ». Puis, craignant de nous avoir manqué de respect, elle ajouta: «Si vous avez la charité, je n'ai pas bien dit. Dans une autre circonstance encore, regardant son crucifix qu'elle tenait constamment entre les mains, il lui échappa cette réflexion; « Nous n'avons besoin que de Lui». Mais se reprenant aussitôt en nous regardant :« Non pas que de Lui, mais c'est Lui qui est le principe de tout.» . C'était une allusion aux secours qu'elle recevait de ses Supérieurs. Leurs paroles étaient accueillies avec une si grande docilité, un si profond respect, que, pour cette âme de foi, Dieu était bien réellement en eux.

Nous passâmes, ainsi que plusieurs de nos Soeurs, toute cette journée à l'infirmerie; on y respirait un parfum céleste; la sainte mourante avait un mot aimable pour chacune de ses Soeurs ; toutes se recommandaient à ses prières; volontiers elle se chargeait de leurs commis­sions. Tout à coup, elle nous dit avec un délicieux sourire: « Je ne sais pas ce qui se passe là- haut, je ne sais pas si je pourrai bien me souvenir de tout ; ce sera comme le bon Dieu voudra, mais j'ai toujours bien bonne volonté.

Pendant la récréation, toute la communauté s'assembla près de notre chère Soeur. Nous crû­mes, la voyant si joyeuse, lui être agréable en lui offrant de chanter un cantique sur le ciel - Notre proposition fut reçue avec reconnaissance. Elle exprima cependant une crainte: « Ma soeur Isabelle qui dort, ça va la réveiller. » Après un premier couplet, on lui demanda si elle était fatiguée, et s'il fallait continuer. « 8i notre Mère le veut», dit-elle avec sa soumission habituelle. La bonne soeur Infirmière, qui se reposait de ses veilles prolongées, dans une cellule voisine, fut en effet réveillée par les chants . Fort étonnée de voir sa malade parlant avec toutes ses Soeurs et craignant qu'elle ne s'épuisât, elle lui dit: «Vous vous fati­guez à parler, petite Soeur.—« C'est le bon Dieu qui le veut, lui répondit avec un doux sourire notre aimable mourante, s'Il ne le voulait pas, Il ne m'enverrait pas de la compagnie ». Puis se reprochant cette parole qui lui paraissait empreinte d'une légère teinte malicieuse: « Oh! pardon, pardon, ma soeur Isabelle ». Dans une autre circonstance, la charitable infir­mière dit encore à une soeur qu'il ne fallait pas la fatiguer, qu'on pourrait par là avancer son dernier moment. Elle l'entendit, et se mit à chanter ce refrain bien connu: « Ah! pour­quoi, sur la rive étrangère, si longtemps prolonger mon séjour?.. »

Nous vous citons, ma Révérende Mère, les traits charmants, les paroles édifiantes de notre bien aimée Soeur; mais ce que nous ne saurions rendre, c'est l'expression et la grâce ravis­santes qui accompagnaient tous ces actes, malgré des souffrances et une faiblesse dont on peut difficilement se faire l'idée.

Le grand silence venant à sonner, elle crut devoir congédier la communauté; mais avec sa délicatesse accoutumée:« Oh! merci mes bonnes Soeurs, d'être venues me visiter. .Ce n'est pourtant pas une belle merveille à voir» . C'est, lui dis-je, la merveille des miséri­cordes divines. « Oh! oui, répondit-elle, avec un ton de conviction inexprimable: «.Si on savait d'où le bon Dieu m'a tirée!.. non, on ne peut pas le comprendre ». On le comprendra, ajoutai-je, au jour des grandes révélations . Ce mot, dont elle ne comprit pas de suite la signification, effraya son humilité «  Les grandes révélations», dit-elle avec étonnement. Je lui expliquai que je voulais parler du jugement. Elle fut rassurée et dit: « Oh! oui, oui, ce ne sera qu'au jugement du bon Dieu que l'on saura tout ».

Quoique notre chère Soeur,dans la joie de son âme, sentit le besoin d'épanchement, l'heure, du silence fut respectée. Un moment cependant, jetant un regard amoureux sur son cruci­fix, et levant ensuite les yeux vers le ciel, elle s'écria: «O mon Jésus! Vous êtes monté glo­rieux devant... Vous m'attirez. . . Vous me soutenez, .. Vous me portez ». . .

Le changement si sensible opéré dans les dispositions intérieures de notre chère enfant, avait produit une certaine réaction sur son pauvre corps défaillant, et quelques-unes de nos Soeurs étaient tentées de croire à un miracle de Notre Dame de Lourdes. ( La malade buvait de l'eau de la source bénie ). Je lui demandai alors si elle serait bien aise de guérir. Elle répondit: «Au point où je suis rendue, je préférerais la mort; mais comme le bon Dieu voudra. Je n'ai pas demandé la mort, parce que je la redoutais, mais je l'accepte de grand coeur »

Pendant la récréation du soir, la communauté se réunit de nouveau à l'infirmerie. Ma Soeur Marie Soline nous voyant autour d'elle, nous demanda de faire chanter un Magnificat, pour remercier le Seigneur de tous les bienfaits dont II l'avait comblée, et lui obtenir la grâce de se conserver jusqu'à la fin dans des sentiments d'humilité, ajoutant toutefois: « Si cela, ma Mère, entre dans vos vues » . Cette heure, passée près de la sainte mourante, fut encore délicieuse pour toutes. Elle remerciait le bon Dieu de lui avoir donné ce mo­ment de répit pour dire adieu à ses Mères et à ses Soeurs, et elle ne cessait de nous édifier par ses paroles si pleines de charité.

C'était le dernier éclat d'une lampe qui s'éteint, et les espérances de guérison, que quel­ques-unes avaient conçues, s'évanouirent promptement. La nuit se passa cependant aussi calme que pouvait l'être la dernière de la vie.

La malade commençait à avoir des hallucinations, les objets changeaient de forme à ses yeux; mais elle souriait encore de ses méprises. Sentant sa fin prochaine, elle me pria de demeurer à ses côtés. Au milieu de la nuit, craignant que je ne fusse fatiguée, elle témoigna le désir que j'allasse prendre du repos.

Le vendredi, elle parut heureuse de nous revoir et dit: « Aujourd'hui vendredi, jour de la Sainte Passion.. Quel beau jour pour mourir!. . » Et comme elle nous vit lui tâter le pouls: « C'est la fin n'est-ce pas ma Mère »? Oui, lui dîmes-nous, vous n'avez plus que peu d'instants à passer sur la terre. «Eh bien! réjouissons-nous quand même» , répondit-elle.

Avant la Sainte Messe, Monsieur l'Aumônier vint lui donner une dernière absolution , qui acheva de la purifier et la laissa en paix. Recevoir aussi de nouveau le Saint Viatique eut été l'objet de ses ardents désirs; mais cette faveur ne pouvait lui être accordée; parce qu'il lui devenait impossible d'avaler même une goutte d'eau, Après le Saint Sacrifice, lors­qu'elle nous vit arriver, revêtues do nos manteaux, achever á l'infirmerie notre action de grâces, elle demanda si Monsieur l'Aumônier allait revenir, sans oser en dire davantage. C'est avec peine, qu'il nous fallut lui enlever le doux espoir qu'elle conservait encore de recevoir son Jésus. Selon son habitude, elle répéta; « Comme le bon Dieu voudra-» . Un peu après ce­pendant, nous la vîmes avancer doucement la langue sur les lèvres demeurer ainsi quelques secondes , puis fermer la bouche et garder un profond silence. Etait-ce un message que son bon Ange lui faisait de la part du Dieu de l'Eucharistie? Etait-ce une muette prière qu'elle adressait à Jésus, encore présent dans les poitrines de celles qui l'entouraient? Etait- ce une communion spirituelle? Je ne lui ai pas demandé, respectant son recueillement, qui me parut une fervente action de grâces.

Le moment suprême approchait, en quelques heures, cette belle âme devait rompre son enveloppe mortelle, et cependant, toujours même lucidité d'esprit. Il me semble la voir lorsque nos Soeurs vinrent nous rejoindre à l'infirmerie, promener dans l'appartement ses grands yeux à demi voilés, et faire entendre d'une voix à peine intelligible ces paroles: « Y a-t-il bien des chaises pour nos Soeurs » ? Quelques moments avant sa mort, je pus encore saisir ces mots: « 0 ma Mère, j'ai fait bien des imperfections depuis ce matin » . Chère enfant, ce qu'elle se reprochait prouve bien son excessive délicatesse de conscience : elle avait demandé, à plusieurs reprises, de changer de position son pauvre corps de plus en plus meurtri.

A midi et demi, nous nous disposions à lui procurer de nouveau ce léger adoucissement lorsqu'elle s'éteignit entre les bras de nos Soeurs, sans que nous ayons pu saisir son der­nier souffle.

Vivement impressionnées du beau et déchirant spectacle qui s'était déroulé sous nos yeux depuis quelques jours, nous eûmes de la peine à réciter le Subvenite; ce n'est qu'à tra­vers nos larmes, que nous pûmes faire monter au ciel cette magnifique prière, si pleine d'espérance.

Malgré l'excessive chaleur, et la décomposition où se trouvait le corps de notre bien-aimée Soeur au moment de son décès, la consolation nous fut donnée de conserver ses précieux restes pendant quarante-quatre heures, sans en être nullement incommodées. Comme nous redoutions le contraire, nous avions crû pouvoir faire à la chère défunte un recommandation à ce sujet. Cette parfaite obéissante nous a-t-elle entendue de l'autre monde? Dieu a-t-Il voulu donner des preuves de la sainteté de sa servante? Nous ne pourrions le dire; mais il serait difficile, de l'aveu même du Docteur, d'expliquer naturellement le fait.

La vie si pure de notre chère soeur Marie Soline, terminée par un martyre si patiem­ment supporté, nous permet d'espérer qu'elle a déjà trouvé place dans le cortège de l'A­gneau sans tache. Cependant, comme les jugements de Dieu sont impénétrables, nous vous prions ma Révérende Mère, de vouloir bien ajouter, aux suffrages de notre saint Ordre déjà réclamés, par grâce, une Communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis, et tout ce que votre charité vous suggérera. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui aimons à nous dire, avec un très profond respect,

De Votre Révérence,

 

La bien humble soeur et servante,

SŒUR MARIE DE LA TRINITÉ.

r.c.i.

De notre Monastère de Jésus Médiateur, de l'Immaculée Conception et de notre Père Saint Joseph, des Carmélites de Luçon, ce 4 septembre 1892.

 

P. S. Nous recommandons à vos charitables prières l'âme de Monsieur l'Abbé Giraud, Vi­caire Général; décédé presque subitement. Ce saint Prêtre s'est acquis bien des droits à notre gratitude, n'ayant cessé de donner à notre Carmel les preuves du plus sincère dévouement pendant plus de vingt cinq années; il disait aussi habituellement la Sainte Messe dans notre chapelle. Nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien nous aider à acquitter la dette que nous avons contractée envers lui.

 

Nous avons l'intention de faire imprimer, prochainemnt, les cérémonies de Vêture et de Prise de voile, latin et français. Ces extraits de notre manuel, destinés aux Ecclésiastiques et aux séculiers qui assistent à nos fêtes, formeront deux petits livrets séparés, au prix de 0, 25 à 0, 30 chaque. Si vous en désirez un certain nombre d'exemplaires, veuillez, ma Révérende Mère, nous en donner avis dans le courant de ce mois.

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