Carmel

04 mars 1890 – Bergerac

 

Ma Très révérende Mère,

Paix et très humble salut en N. S. Jésus-Christ qui vient d'imposer à nos coeurs un douloureux sacrifice en appelant à Lui, à l'âgé de 60 ans, notre vénérée Soeur Marie de la Sainte-Trinité, tourière agrégée de notre Communauté depuis 52 ans.

Cette excellente Soeur, Tertiaire de Notre Ordre, fut adressée à nos Mères, dès le début de la fondation, par nos Révérends Pères Carmes de Bordeaux.

Préservée de bien des dangers par une protection toute particulière de la divine Providence, elle en conserva toute sa vie un souvenir qui la remplissait de reconnaissance et d'amour, et entretint dans son coeur, jusque dans les bras de la mort, les sentiments de la plus filiale confiance en Dieu.

D'un dévouement et d'une activité incomparables, notre bonne Soeur Marie s'est sacrifiée corps et âme pour son cher Carmel, qu'elle aimait à l'égal de l'affection que lui rendaient ses Mères et ses Soeurs. Nous.

pouvions tout lui confier et nous reposer sur elle dans les circonstances les plus délicates, car sa discrétion était à toute épreuve et son jugement parfait.

Sous une écorce un peu rude, elle cachait des vertus vraiment religieuses, aussi, ma Révérende Mère, après une attente de 20 ans, une de ses Mères Prieures lui permit d'ajouter aux voeux de chasteté et d'obéissance celui de pauvreté qu'elle garda, suivant sa position, avec la plus scrupuleuse fidélité. Son abandon au bon plaisir de Dieu, sa grande mortification et sa patience furent un vrai sujet d'édification pour les personnes qui l'approchèrent ; les nombreuses visites qu'elle reçut, pendant sa maladie, disent assez la profonde estime qu'on avait pour elle.

Le samedi 22 Février, la chère malade fut prise d'une violente crise de suffocation qui nous laissa très préoccupée des progrès effrayants d'une maladie de coeur dont elle souffrait depuis longtemps. Notre bon Docteur ayant confirmé nos craintes, nous crûmes prudent de la préparer à la grâce des derniers Sacrements. Le soir même, pour cette pieuse cérémonie, elle venait au parloir, placé presque en face de sa cellule. Là, au moins et à cette heure solennelle, elle eut la consolation de se voir entourée de sa famille religieuse. Elle aimait tant la commu­nauté ! L'unique épreuve de sa vie de tourière ne fut-elle pas d'en être séparée par la clôture ! Sa seule ambition, de s'en rapprocher le plus possible!... C'est vous dire, ma Révérende Mère, la joie toute sainte qui inondait l'âme de la bonne soeur au milieu des tristesses de ce jour.

La cérémonie terminée, seules avec notre chère malade, chacune de nous s'approcha de la grille pour lui exprimer, une fois de plus, l'affection bien sincère que nous lui portions, Nos commissions pour le Ciel lui furent données. Elle répondit à tout, le sourire sur les lèvres, et nous promit de présenter à Dieu nos pieuses requêtes lorsqu'elle aurait le bonheur d'être avec Lui.

Notre vénérée soeur ne s'étant alitée que la veille de sa mort, nous pûmes encore l'entretenir plusieurs fois. Qu'il était consolant, ma Révérende Mère, de voir le calme avec lequel cette pauvre agonisante envisageait sa fin prochaine : « Je ne refuse pas le travail, nous disait- elle ; si c'est la volonté de Dieu de me guérir, je consens à vivre ; mais s'il lui plaît de me retirer de ce monde, je suis prête à partir. »

 

Dieu semblait n'attendre que cet acte du plus parfait abandon : le 2 Mars, à 6 heures du soir, pleine de mérites et riche des trésors que Notre Mère la Sainte Eglise prodigue à ses enfants au terrible passage du temps à l'Eternité, notre vertueuse soeur s'endormait du sommeil des Justes.

Veuillez, ma Révérende Mère, faire offrir le Saint Sacrifice de la Messe pour le repos de son âme et y ajouter une journée des bonnes oeuvres de votre fervente Communauté. Nous vous en serons très reconnaissante et nous vous prions de nous croire, en N. S., avec le plus religieux respect,

Ma Révérende Mère,

 

Votre très humble soeur et servante.

Soeur Marie des Anges, r. c. ind.

De notre monastère du Coeur de Jésus, Sous la protection de Notre Père Saint Joseph, Des Carmélites de Bergerac, ce 4 Mars 1890.

 

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