Carmel

02 octobre 1892 – Montauban

 

Ma Révérende et Très-Honorée Mère,

Paix et humble salut en Notre-Seigneur qui vient d'affliger nos coeurs en enlevant à notre religieuse affection notre bien chère Soeur Germaine-Marie de la Croix, dans la 46me année de son âge, après 15 ans de vie religieuse.

Par un billet, écrit de sa main, notre chère Soeur a demandé qu'on ne lui fit de circulaire que pour réclamer les suffrages de l'ordre. Tout en voulant nous conformer à son désir, nous ne pouvons pas cependant nous empêcher de vous dire quelques mots sur cette vie si spécialement marquée du caractère de la Croix.

Dès ses plus tendres années, les vérités de notre sainte religion avaient fait une si profonde impression sur son âme, qu'elles la tinrent toujours éloignée du monde et de ses maximes. L'amour de Dieu pénétrait dans son jeune coeur et déjà il y traçait l'empreinte qui ne devait plus s'effacer, celle de la souffrance. La chère enfant ressentait les angoisses de terribles peines intérieures et commen­çait de boire ce calice où elle devait s'abreuver sa vie entière.

En se consacrant à Dieu par les voeux de la religion, elle ne faisait qu'avan­cer dans la voie douloureuse. Si au dedans d'elle-même notre regrettée soeur trouvait toujours son Gethsémani, de grandes souffrances physiques devaient aussi concourir à l'action crucifiante que la main divine opérait en elle.

 

Sa santé assez délicate s'était cependant maintenue d'une manière satis­faisante durant les premières années de sa vie religieuse. Six mois après sa sortie du noviciat, notre bonne Soeur Marie de la Croix subit une forte crise, après la­quelle ce qui n'avait été jusqu'alors que faiblesse d'estomac prit des caractères de gravité bientôt alarmants. Des intervalles d'un mieux relatif lui permirent de se dévouer dans les offices qu'on put encore lui confier ; elle le fit avec régularité et esprit religieux, mais au prix de bien des efforts. Maîtresse des novices, elle mit tous ses soins à affermir ses élèves dans la pratique des plus solides vertus.

11 y a environ cinq ans notre chère Soeur se trouvait sous une impression de grâce toute spéciale. Dieu semblait lui montrer, par une nouvelle lumière, la vie d'abandon comme devant être sa voie sûre; elle en pénétrait la beauté et la per­fection, elle sentait le prix de cette paix qui en est le fruit. Etait-ce la préparation à de longues et plus grandes souffrances? Il y a lieu de croire que, dans sa miséricordieuse bonté, le divin Maître l'y disposait ainsi, car, ma Révérende Mère, au mois de décembre de cette même année, le jour de Noël, son état s'étant aggravé, nous dûmes la faire transporter â l'Infirmerie, qu'elle ne devait plus quitter. Elle trouva là vraiment un Calvaire où elle devait être crucifiée par de continuelles souffrances, dont Dieu seul a pu mesurer l'intensité.

11 arrivait souvent que notre chère malade passait des semaines, presque des mois, sans pouvoir supporter d'autre alimentation que quelques gouttes d'eau ou de lait, qui faisaient même parfois subir de vraies tortures à son pauvre estomac, tandis que le supplice de la faim et d'une soif ardente rendait son état on ne peut plus pénible. De violentes névralgies lui occasionnaient habituellement des douleurs aiguës.

Nous avons toujours eu la peine de constater l'impuissance des remèdes à lui donner le moindre soulagement.

Sa faiblesse la condamna, tout le temps de ce long séjour à l'Infirmerie, à une inaction complète qui ne fut pas le moindre de ses sacrifices.

Quand ses souffrances le lui rendaient possible, notre chère soeur remplissait son temps par des dévotions qu'elle variait suivant les époques,, d'après les fêtes ou les mystères que la Sainte Eglise propose à notre vénéra­tion. Elle se plaisait à mettre sans cesse devant ses yeux quelque image analogue à ces mêmes mystères ; elle avait aussi une intention particulière pour tous les jours de la semaine et c'est ainsi que la victime se consumait pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Connaissant son ardente dévotion à Notre-Dame des Sept Douleurs, nous avons été frappées de voir que c'est aux derniers jours du mois qui est plus particulièrement consacré à l'honorer que son exil finissait. C'est mercredi 28 septembre, à cinq heures du matin, que notre bien chère soeur Marie de la Croix a rendu son dernier soupir, sans agonie, dans la paix du Seigneur, après avoir reçu tous les sacrements, la communauté et nous présentes.

Veuillez, ma Révérende Mère, lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre Saint-Ordre et y ajouter une communion de votre fervente communauté, l'indulgence du Via Crucis et des Six Pater, elle vous en sera reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire en Notre-Seigueur,

Ma Révérende et très-honorée Mère,

 

Votre très humble soeur et servante,

Soeur MARGUERITE-MARIE DU CŒUR DE JÉSUS.

R. C. /.

De notre Monastère du Saiut-Enfant- Jésus et de notre Sainte Mère Thérèse des Carmé­lites de Montauban, le 2 octobre 1892.

 

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