Carmel

02 février 1894 – Metz

 

Ma révérende et très honorée Mère,

 

Paix et très humble salut en Notre-Seigneur qui, le 27 Janvier dernier, a retiré des misères de cet exil notre chère et bien aimée Soeur Stéphanie des Apôtres, doyenne de nos Soeurs du Voile blanc et professe de notre Communauté. Elle était âgée de 59 ans, 4 mois, 8 jours et avait de religion 50 ans, 10 mois et 8 jours. C'est la cinquième de nos chères Soeurs que la Volonté du bon Dieu enlève à notre religieuse affection en moins de 18 mois ! ...

Née à Kappelkinger, village de notre diocèse, d'une famille aussi honnête que chré­tienne, notre chère Soeur eut le bonheur de sucer avec le lait les principes de foi et de piété qui l'ont toujours distinguée. La troisième des dix enfants que Dieu donna à ses parents, elle se fît remarquer par sa candeur et son innocence, et profita bien de l'édu­cation simple et virile qu'elle reçut au foyer paternel. Elle aimait à attribuer la grâce de sa vocation à l'attachement que ses grands parents avaient toujours montré pour l'Église de Dieu et pour ses ministres. En effet, durant la tourmente révolutionnaire du siècle der­nier. la maison de ses aïeux fut toujours l'asile des prêtres proscrits qui y étaient ordi­nairement en sûreté. Un jour pourtant, une dénonciation amena une enquête qui faillit coûter cher au pauvre ecclésiastique caché chez eux. Les révolutionnaires irrités se pré­sentent subitement au logis, menaçant de décharger leur rage sur le prêtre caché. Celui-ci, vêtu en paysan, était assis au coin du feu ; devant la fureur de ces hommes sanguinaires, il tremble et pâlit. La courageuse aïeule de notre Soeur voyant le danger, le frappe au visage et lui dit : « Comment, fainéant ! restez-vous-là sans rien faire ? Prenez donc celle lumière et conduisez ces messieurs où ils voudront ! Le prenant pour le fils de la maison, les gueux le suivent partout : démarche inutile ; aussi furent- ils fort mécontents d'avoir été joués et de ne pas trouver celui qu'ils cherchaient. Pour s'en venger, ils infli­gèrent un châtiment exemplaire à la dénonciatrice, qui en mourut peu de temps après.

La chère petite Marguerite profita beaucoup des instructions qui lui furent données tant au catéchisme de la paroisse que chez ses parents, et se prépara à sa première com­munion avec une ferveur angélique. Elle fit sa confession générale avec un soin et un sérieux tout particuliers ; car elle tenait à ce que la maison de son âme fût bien pure pour l'Hôte divin qu'elle attendait. L'heureux jour est enfin arrivé. Mais, ô douleur ! à peine à la grand'messe et le saint Sacrifice venant de commencer, Marguerite se souvient d'une faute oubliée qui lui parait importante. Que va-t-elle faire ? Elle se recommande au bon Dieu, et, à l'offrande, quand vient son tour de baiser la patène, elle monte sur la marche de l'autel et dit au prêtre ce qui la tourmente. Après avoir reçu l'assurance qu'elle souhaite, elle revient joyeuse à sa place et achève paisiblement sa préparation.

Notre chère soeur demeura dans sa famille jusqu'à l'âge de 19ans, édifiant toute la paroisse par sa piété et sa modestie. Douée d'une belle voix, elle la dépensait avec zèle et ardeur, en qualité de congréganiste, pour célébrer les louanges de la Très Sainte Vierge Marie, qu'elle honora toujours d'un culte filial. Elle nous disait naïvement que son curé avait eu beaucoup de peine à son départ, pour la perte qu'il faisait en elle d'une de ses meilleures chanteuses. Souffrant de la gêne des siens et désirant leur venir en aide, elle fit le sacrifice si douloureux à son coeur de quitter ses bons parents pour venir se placer à Metz comme cuisinière. Avant de prendre aucun engagement, elle se réserva toujours de pouvoir pratiquer largement ses devoirs de piété. Se levant de grand matin, elle entendait la sainte messe tous les jours et revenait encore à la maison avant le lever de ceux qui l'habitaient. Sa mise ne varia jamais et fut toujours celle de son village : elle ne prit en rien le goût ni les allures du monde ; outre l'horreur qu'elle en avait, elle voulait écono­miser pour soulager davantage sa famille à qui elle donnait tout ce qu'elle gagnait. Ses maîtres avaient en elle une confiance extraordinaire et lui en donnaient des marques con­tinuelles. Cependant elle voyait avec peine le maître de la maison violer les jours d'abstinence, et elle, pauvre domestique, obligée de préparer ces mets défendus. Comme dès lors, elle avait une grande confiance dans l'eau bénite, elle, pensa que le bon Dieu bénirait l'usage qu'elle en voulait faire. Elle en assaisonna donc tous les plats gras qu'elle servait les vendredis. Peu de temps après, sou maître lui déclara que désormais il ferait absti­nence les jours où l'Eglise le prescrit. La chère Marguerite, qui n'avait confié son secret à personne, rendit mille actions de grâces à la divine Bonté.

La miséricorde de Dieu préserva l'âme de notre bonne Soeur des dangers du monde ; sa conduite exemplaire et sa tendre piété attirèrent ses regards et II lui fit entendre sa voix l'appelant à notre vie austère et cachée. Elle vint se présenter à notre vénérée Mère fondatrice qui, après quelque temps d'épreuve, l'admit en qualité de Soeur du voile blanc.

Sa vie au Carmel, ma Révérende Mère, offre peu de traits saillants ; elle s'est écoulée simple et uniforme dans l'exercice des humbles devoirs de sa vocation. Elle eut la grâce de revêtir le saint habit et de faire sa Profession aux époques ordinaires. Employée aux soins de la cuisine durant les premières années, elle fut ensuite chargée de la confection des hosties qu'elle réussissait bien. Cette charge, qui fut la sienne pendant plus de 25 ans, répondait à son attrait pour la prière et faisait vraiment de sa vie une oraison perpétuelle. En âme fidèle, elle ne s'écarta jamais des pratiques qui lui avaient été enseignées au Noviciat, professant pour toutes, même pour les plus petites, une grande estime. Sa vie était parfaitement réglée jusque dans les moindres détails, et jamais elle n'aurait voulu se dispenser d'un seul iota de ce qui était prescrit ou conseillé. Pénitente et très mortifiée, une de ses grandes consolations dans ces derniers temps fut d'avoir pu soutenir toute sa vie sans aucun adoucissement la rigueur de notre sainte Règle ; elle y ajoutait même plu­sieurs pratiques de surcroît, surtout de longues veilles qu'elle aurait désiré faire tous les jours. Elle prit tellement à coeur de mortifier son goût au réfectoire, qu'on ne sut jamais ce qui lui allait ou ne lui allait pas, et que les aliments détériorés furent toujours l'objet de ses humbles et instantes demandes.

Notre chère Soeur ayant un esprit foncièrement religieux, aimait beaucoup la dépen­dance Toutes ses provisoires étaient frappées du soin avec lequel elle s'assujettissait à demander les plus petites permissions pour n'agir jamais en dehors de la sainte Volonté de Dieu. La volonté du bon Dieu ! C'était l'étoile de sa vie et la joie de son âme. Jamais elle ne s'est amusée dans les créatures pour y chercher quelque satisfaction : elle avait établi sa demeure plus haut, se surélevant sans cesse par les vues de la foi. On ne pouvait lui parler des choses de ce monde sans qu'elle ne trouvât aussitôt un texte des Livres Saints à y appliquer ; ses paroles étaient toutes empreintes de cette grande éternité qui était son flambeau lumineux cl lui faisait apprécier le temps à sa juste valeur. Elle était pour ses Prieures une âme simple et candide, mettant son bonheur à leur obéir comme elle eût obéi à Dieu même. Un jour qu'elle sortait de l'office de notre chère Mère Thérèse de Jésus, de sainte mémoire, à qui elle venait de rendre compte de ses dispositions, cette bonne Mère dit à sa Sous-Prieure qui entrait alors : « Ah ! ma chère mère, voilà une bonne Soeur bien cachée, qui sera grande au jour de l'Eternité ! Que nous serons au- dessous d'elle, sans doute, nous autres à qui elle rend tant d'honneur ici bas ! Le bon Dieu ne juge pas comme les hommes qui estiment les charges et les dignités ; Lui, au contraire, ne fait cas que de la vertu, et si vous saviez comme cette chère Soeur la pratique!...»

Durant les premières années de son séjour au Carmel, notre bonne Soeur Stéphanie avait peine à comprendre la douce gaîté de nos petites fêtes de famille, notamment le joyeux entrain qui accompagne toujours pour la jeunesse celle de la sainte Patronne de nos Soeurs du voile blanc. Pour obtenir d'en comprendre l'esprit, elle fit une neuvaine de ferventes prières et fut si pleinement exaucée que, durant plus de 25 ans, elle devint véri­tablement l'héroïne de la fête du 29 Juillet. Non seulement elle s'y prêta, mais elle l'aima, jouissant des témoignages d'affection de ses Soeurs, goûtant leurs pieux et joyeux cou­plets, les réclamant à chacune pour en faire, disait elle, ses lectures et son oraison plus d'une fois dans le cours de l'année. Elle avait, il faut bien le dire, une qualité qui prêtait extraordinairement à la joie, étant d'une crédulité sans pareille. On rappellera avec étonnement à la postérité des traits de cette crédulité, qu'on ne pourrait croire si on ne les avait vus. . .

Toute la vie de notre bien chère Soeur se consumait pour Notre Seigneur en son adorable Sacrement. La préparation des pains d'autel était, comme nous l'avons dit, son occupation de tous les jours ; quittait-elle son travail, c'était pour se rendre au pied du tabernacle et rendre ses hommages au divin Prisonnier. Elle y passait tous ses moments libres et y demeurait presque toujours à genoux, malgré les souffrances qu'elle endurait. Les dimanches et les jours de fête, à peine quittait-elle le choeur quelques instants : c'était même là son écueil et le sujet sur lequel on avait le plus d'occasions de la reprendre et de l'exercer. On aurait désiré d'elle plus de dévouement pour l'assistance de ses Soeurs, plus de spontanéité dans l'esprit de sacrifice : toutefois, sur ce point, sa lumière fut toujours un peu obscure. Comme elle était très obéissante, elle faisait tout ce qu'on lui prescrivait; mais, dès qu'elle avait satisfait à l'obédience, sans s'inquiéter assez de ce qui restait à faire à ses compagnes, elle s'envolait au lieu où était son trésor. Que de sacrifices ses Mères Prieures ne lui imposèrent-elles pas à cet égard ! Le bon Dieu permit qu'elle les ressentit toujours très vivement : elle les accomplissait de bon coeur ainsi que les services qui lui étaient demandés par ses Soeurs ; mais on sentait qu'ils étaient souvent le fruit d'un vigou­reux effort de sa volonté et de son esprit de foi.

Qu'il serait difficile de parler de cette foi qui lui rendait présentes les choses éter­nelles et tous les mystères de notre sainte Religion ! Elle les honorait tous, suivant l'esprit de l'Eglise, surtout les mystères de l'enfance de Notre Seigneur. Chaque mois, elle ne manquait jamais de faire la neuvaine préparatoire au jour consacré à la mémoire de l'Incarnation du Verbe, et si particulièrement honoré au Carmel. Elle aimait beaucoup aussi la Passion de Notre divin Sauveur et elle Lui tenait fidèle compagnie en ses douleurs. Tant qu'elle put marcher, elle fit le Chemin de la Croix tous les soirs après complies, et malgré des souffrances vives et continuelles, qui ne lui laissaient pas un instant de relâche, elle restait très longtemps les bras en croix, toute perdue dans l'agonie et les tourments de son Sauveur. Elle se préparait à la réception des Sacrements avec une très grande application, identifiant son âme à celle de son Jésus, surtout à la sainte Communion dont la faim la dévorait.

Sa dévotion envers la Très Sainte Mère de Dieu était aussi tendre que vive et pro­fonde : on la rencontrait toujours le chapelet à la main, les yeux bien baissés, toute occu­pée de sa prière. Outre le rosaire qu'elle récitait tous les jours, elle avait à son usage 16 autres chapelets, qui tous avaient leur place réglée dans ses journées. Elle ne cessa de les dire que l'avant-veille de sa mort, étant alors toute absorbée par la maladie; et encore fut-il besoin de l'assurer que son obéissance à cet égard était ce que le bon Dieu voulait d'elle et ce qui lui plairait le plus.

L'ordre le plus parfait régnait en notre chère Soeur, tant en ses occupations et son extérieur qu'en son âme. Ses comptes étaient toujours en règle pour être présentés au divin créancier, et elle avait constamment présente à l'esprit l'heure de la mort, s'y pré­parant fidèlement tous les soirs et surtout dans sa retraite de chaque mois. Notre bonne Soeur était très sérieuse, et la perte de tant d'âmes qui ne profitent pas de la rédemption de Jésus, lui était bien sensible. Elle déplorait amèrement ce malheur et s'employait cons­tamment à prier pour le salut des pauvres pécheurs, s'offrant pour eux en victime à la Justice divine.

Notre chère et bien-aimée Soeur se courba de très bonne heure. Deux ou trois ans s'étaient à peine écoulés depuis sa Profession, qu'on remarqua déjà une déviation de taille qui alla toujours croissant. Ce fut là son martyre de tous les jours et de toutes les heures, même et surtout des heures de la nuit; car, depuis de longues années, le temps du repos lui était un supplice. Il lui arrivait souvent, durant les plus grands froids, de se relever pour prendre quelque relâche. Elle demeurait alors dans sa pauvre cellule, toute transie de froid et de douleur, s'unissant très intimement et très amoureusement à son Sauveur crucifié, et lui demandant pour prix de ses souffrances unies aux siennes, le salut d'un grand nombre d'âmes. Malgré cela, le matin arrivé, la bonne Soeur ne s'exemp­tait jamais de se rendre au choeur avec ses compagnes afin de prendre, dans une fervente oraison, des forces pour sa journée et de remplir son coeur comme un encensoir brûlant du feu de la divine charité. Notre bien chère Soeur vaqua à tous ses travaux, vint aux les­sives jusqu'à extinction de ses forces : on souffrait de la voir dans un état si pénible ; mais on savait combien jusqu'à la fin elle désirait user son existence pour Jésus et ses intérêts, et on respectait la conduite de Dieu sur elle. Outre la déviation mentionnée plus haut, elle fit des chutes successives qui lui causèrent toujours de nouvelles douleurs et de plus grandes infirmités. Peu à peu ses jambes se paralysèrent et lui refusèrent tout service. Force lui fut d'accepter le séjour de l'infirmerie où successivement les jambes, les bras, et tout le corps se paralysèrent entièrement. Au début de son arrêt définitif, arrivé il y a près d'un an, le docteur nous avait prévenues qu'il fallait nous attendre à voir la paralysie s'étendre aussi sur ses facultés mentales; mais à part de petites manies dont la cause tenait à son esprit d'ordre qui, même en son inaction forcée, ne pouvait voir déplacé si peu que ce fut un objet quelconque à son usage, on peut dire que le bon Dieu lui épargna ainsi qu'à nous cette douleur.

Durant cette dernière année plus que jamais, toute sa consolation et sa force au milieu de ses souffrances, parfois intolérables, étaient dans son esprit de prière et son union continuelle à Jésus crucifié. Elle nous a répété à toutes un grand nombre de fois ces paroles où elle trouvait, disait elle, un suprême allégement à ses douleurs du jour et de la nuit : Il a fallu que le Christ souffrît et qu'il entrât ainsi dans sa gloire. J'espère, ajoutait-elle, que puisqu'il m'associe à ses souffrances. Il daignera aussi m'associer à sa gloire, quoique j'en sois très indigne, n'étant qu'une grande pécheresse. » Elle nous disait encore : « J'offre sans cesse au Bon Dieu tout ce qui m'arrive, pour sa gloire, le salut des pauvres pécheurs, lui demandant qu'il ait aussi pitié de mon âme. »

Les derniers mois de notre chère Soeur furent particulièrement pénibles et doulou­reux, elle endurait dans tous ses membres un martyre que rien ne pouvait soulager, sinon qu'on la changeât un peu de position. Il fallait lui rendre absolument tous les services, ce à quoi nos bonnes Soeurs étaient heureuses de s'employer jour et nuit. Pendant ses six dernières semaines, il ne fut plus possible de la coucher, elle ne pouvait rester au lit plus d'une demi-heure : car elle y soufrait incomparablement plus que sur son fauteuil. Ou était donc réduit à l'asseoir sur le bord de son lit, et c'est ainsi qu'elle passa les nuits durant ces longues semaines. Jamais, malgré ses souffrances, la chère patiente n'éprouvait d'ennui; au contraire, elle remerciait perpétuellement le Bon Dieu de lui laisser la possi­bilité de prier et de faire de saintes lectures. Elle appréciait ces grâces au-dessus de tout et trouvait une incomparable force dans le saint Évangile, dans les exemples des Saints et dans les livres spirituels. Quatre jours seulement avant sa mort, elle dut renoncer à faire ses lectures accoutumées, ayant la tête comme collée à ses genoux. C'est surtout pendant ses derniers mois qu'on eut l'occasion d'admirer son esprit de mortification dans la nourri­ture : jamais elle ne voulut demander quoi que ce fût à cet égard, répondant invariablement à ses chères infirmières : « Ma Soeur, je prendrai tout ce qu'on me donnera, je ne veux que l'obéissance » C'était sa réponse à toutes les questions de quelque nature qu'elles fussent : « Ma Soeur, je ferai l'obéissance. » Nous vîmes aussi plus que jamais la faim dévorante de son âme pour la Sainte Communion. Elle avouait elle même qu'elle aurait consenti à toutes les souffrances et à toutes les privations plutôt que d'avoir celle de n'aller pas recevoir son bon Maître. Elle ne manqua pas une seule communion de toutes celles qui furent faites, durant sa maladie, à la chapelle de l'infirmerie. L'avant-veille de sa mort, elle y fit encore la Sainte Communion par dévotion, mais avec tant de peine que, malgré l'assistance de trois de nos Soeurs devenues nécessaires depuis plusieurs semaines, le Prêtre eut les plus grandes difficultés à introduire la Sainte Hostie sur sa langue, elle était déjà si malade qu'elle ne pouvait plus ouvrir la bouche. Chacune de nous comprit que cette bonne Soeur venait de faire, en ce monde, sa dernière communion. Dans l'après- midi de ce jour, nous priâmes Monsieur notre digne chapelain de vouloir bien l'adminis­trer. Elle reçut cette grâce en pleine connaissance et avec une grande joie ; mais sans pouvoir dire une seule parole. Quelques jours avant sa mort, elle put encore se confesser : Notre vénéré Père confesseur ordinaire ne la comprenant plus, elle demanda notre digne Père confesseur extraordinaire qui la comprit un peu. Rien ne paraissait l'inquiéter et elle reposait dans une douce paix; elle ne craignait pas la mort, mais elle la désirait pour être réunie à son Dieu. Sur le soir du jour où elle avait reçu l'Extrême Onction, nous nous réunîmes autour d'elle pour réciter le chapelet, les litanies de la Sainte Vierge, etc.; elle s'y nuit avec bonheur. Lorsque la communauté se fut retirée, nous demeurâmes auprès d'elle avec quelques-unes de nos Soeurs et nous lui proposâmes de lui faire une petite lecture, ce qu'elle accepta avec joie. Craignant de la fatiguer, nous nous arrêtâmes après quelques minutes pour prier en silence; mais, toujours insatiable de la parole de Dieu, elle nous demanda de continuer. Un peu après, nous lui proposâmes de chanter un can­tique à la Sainte Vierge, mettant comme condition qu'elle en ferait la basse. Nous enton­nâmes alors celui-ci : « Je la verrai, cette Mère chérie » et, à notre grand étonnement, elle unit encore sa voix aux nôtres, cherchant en effet à faire la basse. Après ce premier cantique nous chantâmes cet autre : « Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours », auquel elle participa comme au précédent. Chacune lui donna ensuite ses commissions pour le Ciel, et elle promit de s'en acquitter fidèlement, quand le bon Dieu lui aurait fait miséricorde, nous demandant de ne jamais l'oublier dans nos prières.

Vers les huit heures du soir, ses chères compagnes qui étaient remplies d'attention pour elle, l'installèrent sur le bord de son lit, comme à l'ordinaire avec tous les soins de leur fraternelle charité. Contre son habitude, la chère malade ne fit pas un mouvement, ne proféra pas une plainte, mais demeura immobile toute la nuit. Le matin, on s'aperçut qu'elle baissait de plus en plus. L'une de nos bonnes Soeurs du voile blanc qui couchait près de la chère infirme, s'étant levée à trois heures, toute inquiète de ne l'entendre pas, resta à prier auprès d elle et lui mit son grand Christ de profession dans la main droite ; elle le garda ainsi jusqu'à sa mort, demeurant absolument dans la même situation, assise, la tête penchée sur ses oreillers, tenant fortement son Jésus d'une main et l'autre étendue sur ses genoux. Nous priâmes sans interruption auprès de notre chère mourante toute la journée, toute la nuit et jusqu'à l'heure de sa mort. La communauté entière se réunit plu­sieurs fois autour de cette douce victime qui, jusqu'à midi de la veille de sa mort, donna encore quelques signes de connaissance. Nous priions souvent à haute voix, pensant que, si cette chère âme nous entendait, ce lui devait être une grande consolation. A trois heures du matin, la respiration de notre bonne Soeur devint plus forte, ce qui fit comprendre qu'elle entrait en agonie A cinq heures, n'ayant plus de repos, nous vînmes nous réunir à nos chères Soeurs du voile blanc qui l'entouraient. Nous fîmes avertir la Communauté un peu avant l'heure du réveil ; elle se rendit aussitôt autour de cette chère et si belle âme, répondant aux prières du manuel dont un digne prêtre de notre ville nous a fait la traduction.

Notre bien chère Soeur Stéphanie rendit son âme à Dieu pendant la première Messe, si doucement que nous pûmes à peine saisir son dernier soupir, la plus grande partie de nos Soeurs et nous étant présentes. Au moment où la Messe commençait, notre chère Soeur Infir­mière ouvrit la porte de la tribune des malades, afin que notre fervente Soeur qui avait tant aimé la Sainte Messe durant sa vie qu'elle n'en avait jamais manqué aucune, mourut en présence de cet autel sacré, consommée dans l'union avec la grande Victime du Cal­vaire. Cette coïncidence de sa mort avec le Saint Sacrifice de la Messe nous a toutes vive­ment frappées.

Quelques jours auparavant, Monseigneur notre vénéré Pontife et Père avait daigné envoyer sa bénédiction à notre chère mourante qui l'avait reçue avec une bien grande consolation et une profonde reconnaissance. Veuillez, ma Révérende Mère, nous permettre de recommander à vos ferventes prières notre Saint Evêque dont la santé qui vient d'être bien ébranlée, laisse encore beaucoup à désirer.

L'enterrement de notre bien chère Soeur eut lieu le 29 janvier, surlendemain de sa mort. Notre vénéré l'ère confesseur extraordinaire, si dévoué à Notre Carmel, entra avec le clergé et lit lui-même les absoutes, ce qui nous remplit de consolation.

Quoique nous ayons tout lieu d'espérer que la vie si pure de notre bonne Soeur Stéphanie des Apôtres et sa mort si sainte lui aient mérité un accueil favorable de Celui quelle a tant aimé, nous vous prions, ma Révérende Mère, de vouloir bien lui faire rendre au plus tôt les suffrages de notre Saint Ordre ; par grâce, une communion de votre fer­vente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis, celle des Six Pater, quelques invocations à la Sainte Vierge, à Notre Père Saint Joseph, à Saint Michel, à Sainte Marguerite et à Saint Etienne, ses Patrons. Cette chère âme qui n'a jamais manqué de faire la Sainte Communion et de dire les offices de mort pour nos Soeurs décédées, vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix, dans l'amour de Notre-Seigneur,

Ma révérende el très honorée Mère,

Votre très humble Soeur et Servante, Soeur MARIE-DOROTHÉE DE LA COMPASSION DE LA SAINTE-VIERGE,

r. c. ind.

De notre Monastère de la Sainte Trinité et de l'Incarnation, sous la protection de Notre Père Saint Joseph, des Carmélites de Metz, le 2 février 1894.

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