Carmel

02 février 1890 – Lyon Fourvière

 

Ma Révérende et très honorée Mère,

Très humble et respectueux salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vient de nous éprouver bien douloureusement, en enlevant à notre religieuse affection notre vénérée Soeur Antoinette-Marie-Thérèse de St-Joseph, doyenne de notre Communauté. Elle était dans la 72e année de son âge et la 54e de son entrée en religion.

Docile à l'appel de la grâce, notre Chère Soeur vint à l'âge de 18 ans et demi se présenter au Carmel. La Mère Marie de St-Joseph, l'une des premières filles de nos an­ciennes Mères qui s'étaient réunies après la tourmente révolutionnaire, l'accueillit avec bienveillance. Après les premières épreuves du postulat, notre Soeur Thérèse de St-Joseph fut admise à la vêture : mais sa santé délicate autant que sa grande jeunesse firent prolonger son noviciat au-delà du terme ordinaire; elle n'eut le bonheur de pro­noncer ses saints voeux qu'après 18 mois d'attente. La Mère Marie de St-Joseph qui l'avait admise dans l'arche sainte et qui l'avait formée à la vie religieuse, reçut sa profes­sion. Ce fut dans toute la simplicité de son coeur et l'épa­nouissement d'une âme joyeuse de se donner au Bon Dieu que l'heureuse Novice se consacra au Seigneur. Elle n'avait pas 20 ans. Dès lors, toute à son Époux divin, le monde ne lui fut rien, comme elle ne fut plus rien au monde. Nous aimions, aux heures de la récréation, à la ramener sur les impressions premières de sa vie religieuse; elle se prêtait à nos désirs avec une bonté parfaite et une certaine originalité d'expressions naïves qui donnaient à son récit un charme tout particulier.

 

Toute la longue carrière religieuse de notre Vénérée Soeur peut se résumer ainsi : Dévouement à Dieu et à sa Communauté dans l'humilité, la régularité et le plus profond mépris d'elle-même. Notre chère Soeur Thérèse de ST-JOSEPH fut toujours religieusement affectionnée à toutes ses Mères Prieures qui pouvaient compter sur elle. Aussi les offices de confiance, tels que ceux de portière, de sacristine, lui furent-ils presque toujours donnés.

Elle fut conseillère près de 30 ans. Elue deux fois Sous-Prieure, elle fut aussi Maîtresse des Novices. Toujours humblement religieuse, notre Chère Soeur recevait les char­ges avec autant de simplicité qu'elle les quittait, en rentrant dans la vie commune; car elle avait à un haut degré le don du mépris de soi-même. Elle s'estimait la dernière de toutes, la plus misérable pécheresse qu'il y eût au monde; et quand elle parlait ainsi, c'était avec un accent de conviction si profonde, que, même en voulant s'abaisser, elle s'attirait l'estime et l'affection générale.    

Ce fut pour satisfaire ce besoin de se rendre utile en remplissant les plus humbles offices du Monastère, que notre Vénérée Doyenne demanda et obtint, dans les dernières années de sa vie, l'office des alpargatas dont elle s'acquittait avec un soin et une dévotion qui nous édifiaient beaucoup.

Nous eûmes la consolation, il y a plus d'un an, de célébrer le jubilé de profession religieuse de notre Soeur Thérèse de St-Joseph. Cette fête touchante fut consacrée par les prières de l'Église. Monsieur le Supérieur de notre Monastère voulut bien présider la cérémonie. Il fut heureux de lui donner, en terminant, la bénédiction apostolique obtenue pour cette circonstance. La famille de notre Véné­rée Soeur eut la joie d'assister à cette belle fête; et, pour satisfaire les pieux désirs de tous, la Chère et Aimée Jubi­laire dépouilla son bâton béni de la gracieuse guirlande dont- il était orné, afin d'en faire don à tous les Siens, comme souvenir de ce beau jour. I1 était beau de voir notre Vénérée Soeur se prêter, avec une humble simplicité, aux cordiales exigences de notre affection religieuse. Nous étions heureuses de lui témoigner notre profond et sincère attachement, car notre Chère Soeur doyenne était aimée de nous toutes, comme une vieille Amie qui nous avait accueillies à notre entrée dans la maison du Seigneur". Ayant é'été long­temps portière, elle connaissait nos familles respectives et s'intéressait à tous ce qui nous tenait au coeur.

Après les douces et saintes joies de sa fête jubilaire, les forces de notre Digne Soeur déclinèrent sensiblement. Le froid éprouvait beaucoup sa santé. Quand nous lui demandions de ses nouvelles, elle nous répondait : "Je suis usée, je me détruis", et sa faiblesse nous prouvait assez, malgré son grand courage, la vérité de ces paroles.

Peu à peu l'assistance au choeur devint impossible à notre Soeur. Elle gémissait aussi de ne pouvoir suivre le mouvement de son coeur, en prenant comme toujours pour elle la plus grosse part des travaux pénibles. Elle disait un jour à nos Soeurs: "Je souffre tellement de mon repos forcé, que si le Bon Dieu voulait me le permettre, lorsque j'aurai quitté l'exil, je reviendrais les jours de grande peine pour vous aider."

Malgré sa longue carrière religieuse, notre Chère Soeur regardait la mort avec un certain effroi. Croyant n'avoir rien fait de bien en sa vie, elle redoutait le compte rigoureux que nous avons à rendre à notre entrée dans l'Eternité. Mais à la dernière heure, la plus ferme confiance soutenait son âme dans la lutte et les transes de l'agonie. Elle s'unis­sait à nos prières et affirmait sa foi et sa confiance en Dieu avec une énergie étonnante dans la grande faiblesse où elle était réduite.

Toutes les choses de la terre avaient disparu à ses yeux, elle ne pensait et ne voulait entendre parler" que du Ciel; nous aimions, en l'entourant de notre religieuse affec­tion, à redire ces paroles de notre Sainte Mère Thérèse: "Enfin, je meurs fille de la Sainte Église". Ses traits, altérés par la souffrance, prenaient une expression bien consolante quand nous lui parlions du bonheur de sa vocation.

Après la réception des derniers Sacrements que notre chère Soeur mourante reçut avec toute sa connaissance, nous venions tour à tour auprès d'elle prier et recueillir les grands enseignements de cette heure suprême du passage du temps à l'Eternité.

 

Les prières de la recommandation de l'âme lui furent renouvelées plusieurs fois. Le Saint Rosaire, objet de sa grande dévotion, fut aussi récité bien souvent auprès d'elle : c'était désormais les derniers témoignages que notre bonne et cordiale amitié pouvait lui donner. Après une agonie douloureuse et paisible, notre Chère Soeur rendît son âme à Dieu le Samedi, à 3 heures de l'après-midi, toute la Communauté était présente.

Nous espérons, que notre Chère et Vénérée Scieur, expirant ainsi à l'heure bénie de notre Rédemption, aura été accueillie favorablement par Celui qu'elle avait servi si fidèlement pendant sa longue carrière religieuse. Veuillez cependant ma révérende Mère lui faire rendre les suffrages par grâce l'indulgence du Via Crucis, une journée de bonnes oeuvres et une communion de votre fervente Communauté. Elle vous en sera très reconnaissante, ma Révérende Mère, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ.

De votre Révérence,

 

La très humble Soeur et Servante,

Soeur Marie-Louise de Jésus.

C.D. indigne Prieure.

De notre monastère de Notre-Dame de Compassion sous le patronage de Notre Père Saint-Joseph.

Des Carmélites de Lyon Fourvière. Lyon, 2 Février 1890.

 

impr. Lyon St Just

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