Carmel

02 avril 1894 – Bayonne

 

Ma Révérende Mère,

 

Salut et Paix en Notre-Seigneur,

 

Nous vous avons déjà fait part, Ma Révérende Mère, du sacrifice douloureux que Notre-Seigneur a imposé à nos coeurs au moment où nous nous disposions à célé­brer les mystères de sa Passion. C'est, en effet, le samedi 10 mars, vers minuit, que notre chère et regrettée Soeur ANNE-JOSEPH-MARIE-THÉRÈSE AIMÉE de JÉSUS, professe du Carmel d'Oloron et fondatrice de notre monastère avec son frère, a été enlevée à notre religieuse affection après une bien courte maladie. Malgré les infirmités dont notre chère soeur était atteinte depuis longtemps, sa forte constitution nous faisait espérer, même au début de cette maladie, que cette chère existence se prolon­gerait longtemps encore. Tels n'étaient pas les desseins de Dieu !

Notre chère soeur naquit à Bayonne d'une famille honorable. Ses parents profondé­ment chrétiens eurent quatre enfants, dont trois filles carmélites et un fils prêtre qui, jeune encore, devint l'Archiprêtre de la Cathédrale; Archiprêtre aimé et vénéré, dont la mémoire est en bénédictions non seulement dans notre ville, dans le diocèse, mais bien au-delà encore.

Combien l'amour de ce bon prêtre pour la Très Sainte Vierge et son zèle pour étendre son culte rendaient notre soeur heureuse ! Elle était saintement fière de la gloire et surtout des grâces qui revenaient à celui qu'elle aimait tant appeler son cher curé, de ce que le premier il eût eu l'initiative des pèlerinages publics à Notre-Dame de Lourdes. C'est aux pieds de l'Auguste Madone qu'il conçut, en effet, la pensée de conduire sa chère congrégation de jeunes filles de la Persévérance à la Grotte bénie et mille fois privilégiée. Son voeu formé fut bientôt réalisé et la fête de Notre-Dame du Mont Carmel fut le jour choisi pour cet heureux pèlerinage qui devint le premier anneau de cette longue chaîne de pèlerinages lointains. Comme nous vous l'avons déjà dit, Ma Révérende Mère, M. Laparade était fondateur de notre Carmel avec sa chère Soeur AIMÉE de JÉSUS. Que n'aurions-nous pas à vous écrire de ses continuelles et délicates attentions pour ce cher monastère qu'il aimait tant. La petite Lettre Circulaire que nous vous avons adressée à sa mort a pu vous faire admirer le dévouement dont il nous entourait. Nous ne saurions taire notre reconnaissance envers un si insi­gne bienfaiteur; aussi permettez-nous, Ma Révérende Mère, de vous demander quel­ques indulgences, malgré l'espoir que nous avons qu'il est en possession du bonheur éternel.

Mais revenons à notre regrettée Soeur, que Dieu dota dès le berceau des béné­dictions de sa douceur, comme nous le disait une de ses amies d'enfance : « Pas d'enfant plus paisible, plus douce, plus remplie de charité et de bonté. Ce qui ressortait surtout en elle, et ce qui me frappait, c'était son humilité. Très intelligente, capable, elle semblait toujours chercher à s'effacer. Au catéchisme, à la première communion, nous nous trouvions à côté, elle le savait parfaitement bien. Aussi quand M. le curé m'interrogeait, Caroline, s'apercevant de l'embarras de sa petite compagne plus portée qu'elle à la dissipation, me soufflait bien vite ce que j'avais à répondre, ce qui me ravissait. Sa piété enfantine s'alliait à merveille avec celle de son jeune frère. Leur récréation préférée était de représenter les cérémonies de la sainte religion. Le futur prêtre désirait-il célébrer la messe, Caroline était son servant; désirait-il prêcher, elle devenait son auditoire. A eux deux, des ornements de papiers étaient bientôt confectionnés ; rien ne manquait à la petite chapelle. Pauvre chère Soeur, avec quel bonheur elle vit se réaliser plus tard les voeux de son enfance. »

De très bonne heure, le Seigneur déposa dans cette âme la semence de la vocation religieuse; mais notre chère Soeur avait à subir une longue attente. Ses deux soeurs entrèrent au Carmel d'Oloron en 1835; notre Soeur Aimée de Jésus, alors âgée de 17 ans, les accompagna avec sa mère. Quand elle vit la porte de clôture prête à se fermer sur ses aînées, le désir qu'elle avait de partager leur heureux sort la fit s'écrier, elle si timide pourtant : « J'entre, moi aussi, j'entre ! » Elle avait cependant un long chemin à parcourir avant de pouvoir effectuer son désir ; le devoir filial la retenait auprès de ses parents. Ce ne fut que quinze ans plus tard qu'elle vit enfin s'ouvrir devant elle les portes bénies de l'Arche sainte.

Les vertus que nous avons déjà admirées dans l'enfant se développant avec l'âge firent d'elle une jeune fille pieuse, sérieuse, modeste, en un mot, un modèle pour ses com­pagnes. Une de ses cousines, aussi unie à notre Soeur par les sentiments du coeur que par les liens du sang, nous écrivait : Ma chère cousine ne parlait jamais que de saintes choses, elle ne s'occupait que de la gloire de Dieu. Elle n'a jamais eu dans toute sa vie qu'une pensée, l'amour de Dieu ; qu'un désir, se mortifier, se sanctifier et prier pour la sanctification des autres; jamais dans cette si pieuse vie il n'y a eu une heure, un moment où son saint zèle se soit refroidi; son énergie et son admirable courage ne se sont jamais démentis. Oh ! oui, elle pouvait sans crainte quitter cette terre. Je la crois heureuse au Ciel, et c'est pour moi une consolante pensée. »

Tout souriait dans la vie de notre chère Soeur : l'épreuve vint. Installée dans une propriété hors ville, héritage des grands-parents, la famille reçut un jour avis que l'achat de cette propriété n'avait pas été fait dans les conditions légales, un des témoins de l'acte appartenant à une nation étrangère ; ils ne se trouvaient donc pas légalement propriétaires, alors qu'on touchait à la limite de la prescription. Ce fut une épreuve devant laquelle la famille Laparade ne put que s'incliner. Elle se retira dans une pro­priété plus éloignée de la ville, ce qui devint pour notre Soeur une source de sacrifices par la distance qui la séparait tant de sa chère cathédrale que de la chapelle du Grand Séminaire, sanctuaires privilégiés de ses dévotions.

La mort subite de son père fut ensuite pour son coeur filial un coup bien sensible. Sorti après son dîner pour sa petite promenade habituelle, on le rapporta sans vie. Notre chère Soeur se devait plus que jamais à sa pauvre mère que ce coup avait atterrée et qu'un nouveau chagrin devait encore atteindre. L'aînée de ses enfants, religieuse au Carmel d'Oloron, soeur Marie de la Croix, s'éteignit à la fleur de l'âge. Ame pure et fervente, elle ne sut que se donner généreusement et sans compter à son Divin Époux qui se plut à recueillir cette fleur à peine éclose. Au dire de notre bonne soeur Aimée de Jésus, ce coup dut être prévu par la tendresse du père lors de sa dernière visite à ses chères Carmélites. Il revint terrifié du dépérissement de son aînée, dont les jours étaient évidemment comptés. Ce père aimé et vénéré devait néanmoins, brisé peut- être par son chagrin, la précéder lui-même au tombeau.

Notre chère Soeur comprit l'importance de la mission qui lui restait à remplir auprès de sa digne mère; elle s'y livra tout entière; son dévouement fut à la hauteur de ses obligations, et n'eut d'égale que sa tendresse.

L'esprit d'abnégation dont était animée notre regrettée Soeur trouva un aliment fécond dans le genre de vie qu'elle eut à mener pendant les dernières années qu'elle passa dans le monde. Sa mère atteinte d'infirmités, de maladies graves, réclamait des soins continuels. Sa piété filiale, jointe à un coeur exceptionnellement affectueux, ne se trouva jamais en défaut.

Dans sa vie d'épreuves. Dieu, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, lui mé­nageait bien des consolations. Son jeune frère, sujet d'élite, poursuivait ses études au Grand Séminaire avec succès et à la grande satisfaction de ses supérieurs; elle eut cependant le regret que sa mère ne pût jouir du bonheur de le voir monter à l'Autel, car elle fut enlevée à leur affection peu de temps avant l'ordination de ce cher fils. Libre désormais, notre chère Soeur avait cru pourtant pouvoir se promettre à son frère, nommé immédiatement après son ordination vicaire à la cathédrale. Celui-ci prépara son appartement en conséquence. La volonté de Dieu sur la vocation de la chère Soeur se manifesta alors d'une manière si claire, si absolue, que malgré la pro­messe faite à son frère, elle ne put y résister. Elle prétexta un voyage au Carmel d'Oloron pour aller voir sa soeur, soeur Marie de Jésus, qui y était Sous-Prieure, et qui plus tard devait se joindre à elle pour notre fondation.

Nous ne saurions mieux faire que de laisser parler ici la Révérende Mère Prieure du Carmel d'Oloron, qui a toujours conservé à notre regrettée Soeur une vive affection, preuve des souvenirs édifiants que le temps n'a pu effacer :

«  Un des traits saillants de la vie de notre chère Soeur Aimée de Jésus, c'est la générosité avec laquelle elle quitta son frère. Elle vint à Oloron avec un de ses oncles. Au moment du départ, elle lui dit qu'elle désirait passer quelques jours auprès de sa soeur. L'oncle accéda volontiers au désir de sa nièce; il voulut même lui donner de l'argent pour le temps qu'elle devait passer ici. Grand fut son mécontentement lorsqu'il apprit qu'il avait été trompé. La chère postulante eut à soutenir un rude assaut, tant de la part de son oncle que de celle de son frère; elle fut forte, tint ferme et arriva au but désiré. Sa ferveur et sa générosité dans l'observance de la règle étaient à admirer. Un mal aux jambes l'ayant obligée de garder le lit, quoique retenue à l'infirmerie, elle observa rigoureusement l'observance et le jeûne. Elle avait un grand zèle pour la beauté du Culte; rien n'était jamais assez beau ! Combien elle aimait la sainte Pauvreté; aussi avait-elle le plus grand soin de ne laisser rien perdre. »

Notre chère soeur revêtit le saint habit et fit sa profession aux époques ordinaires. Ceux de nos Carmels qui ont connu de fait ou de réputation M. Laparade; ceux plus nombreux avec lesquels ma Soeur Aimée de Jésus était en correspondance toute cordiale, nous sauront gré de reproduire ici quelques fragments de lettres du pieux vicaire.

« Ma Chère Soeur,

Malgré toutes mes occupations, je ne dois pas vous laisser entrer au désert sans vous dire un adieu : puissiez-vous comprendre tout ce qu'il peut, tout ce qu'il sait renfermer. Quoique la démarche solennelle que vous allez faire brise sans retour vos rapports avec le monde, elle ne change rien dans mon coeur de frère; le sacrifice était déjà fait, il l'a fallu ainsi ; pour moi vous étiez déjà carmélite. Comme prêtre, il me reste à faire des voeux au ciel pour qu'il fasse tout en vous pour la gloire de Dieu et votre salut. Je vais unir mes prières aux vôtres; ce que je ne puis vous dire, je le dirai à Dieu. Ah ! ma soeur, que Dieu sait de choses : il est à vous et à moi notre confident. Près de Dieu, et désormais plus unie encore à Lui, n'oubliez pas votre pauvre frère ; priez-Le de bénir ses travaux, ses fatigues, ses peines, ses souffrances, tout son ministère ; priez-Le d'exaucer mes pieux désirs, si c'est sa volonté sainte, mais toujours de le conduire sûrement au ciel, même par la croix et le calvaire ; priez-Le d'éclairer son esprit, de fixer son coeur, tout son être, là où II veut qu'il soit, de le soutenir digne de sa mission, au milieu des tracas qu'elle peut lui offrir. Au désert, si Dieu fait entendre mieux sa voix à l'âme, Il écoute aussi mieux l'âme qui lui parle : parlez-Lui donc pour moi. Pour moi, au milieu du monde, de ses ennuis et de ses tracas, je vous promets mes faibles prières, mes voeux, ma pensée, mon affection. Adieu... »  

Quelques jours plus tard, il écrivait à la Mère Prieure : « Madame la Supérieure,

J'ai à vous entretenir de quelques petites affaires qui nous concernent tous deux

La soeur Aimée m'a annoncée sa profession pour le 25 de ce mois, fête de l'Annonciation de la Très Sainte Vierge. Je lui ai répondu sans pouvoir trop lui exprimer les divers sentiments que naturellement une semblable circonstance a réveillés dans mon coeur. Sa joie, son bonheur, qui éclatent évidemment dans sa lettre, que peut-être elle s'est efforcée de rendre plus animée pour détruire des sentiments contraires que la nature sans la foi peut soulever dans l'âme d'un frère, je les ressens aussi. Oui, j'aime trop ma soeur pour ne pas me réjouir avec elle; puis­qu'elle est heureuse, pourrais-je m'attrister de son sort ? D'ailleurs j'estime, vous le savez, celui d'une religieuse; il est beau ! Si Dieu l'a destiné à mes soeurs, je ne les plains donc pas, elles; et puisque le Carmel a été leur lot, comme je les aime, j'aime aussi le Carmel. Vous comprenez ce sentiment, Ma Très Révérende Mère, mais en vous mettant aussi à ma place dans certaines circonstances, vous en aurez aussi compris un autre qui parfois a mis tour à tour dans mon pauvre coeur et l'abattement et la douleur; sur mes lèvres et sous ma plume, presque des plaintes et des murmures. Habitué toujours aux plus douces affections de la famille et forcé de rompre tour à tour avec les liens légitimes de la tendresse, mon coeur a supporté de grands coups ; et quand le départ subit et violent d'une soeur qui seule me restait en ce monde pour me consoler et me fortifier dans mes loisirs est venue briser le dernier lien de ces affections, longtemps mon coeur a été comme terrassé, abattu, et aujourd'hui le souvenir l'accable encore. Mon coeur de frère a accusé celui d'une soeur d'une démarche, que j'ai crue avec bien d'autres inopportune et peu sage. Ce fut alors que pour calmer notre douleur, vous nous dites, Madame, que la sévérité de la règle serait adoucie pour elle. C'est ce que votre coeur, ému aussi comme le nôtre, nous disait dans les lettres que j'ai encore, et cela pour mitiger en quelque sorte la violence du coup qui nous avait étourdis, moi surtout. Je ne m'y suis pas trompé, Madame, je devais bien penser que ma soeur n'entrait dans le cloître que pour y être religieuse selon la force du terme. Privé de ma soeur, j'en devais faire le sacrifice : je l'ai fait dans le secret de mon coeur en dominant mes répugnances ; je l'ai fait, vous le savez, solennellement, en comprimant autant que possible des émotions que je ressens encore. Enfin Dieu l'a voulu sans doute, puisque voilà que ma soeur va faire sa profession. Que le nom du Seigneur soit béni, il achève son ouvrage en m'enlevant même la possibilité d'un retour. D'espoir, je n'en avais plus, de désirs, non plus; le sacrifice était fait. Y renoncer, pour ma soeur, sans nul doute, c'eût était trop dur ; je l'aime, pour elle pouvais-je le désirer ? Pour moi, ah ! mais non, et malgré le sang et la nature, malgré ce qui a été dit ou promis, de nouveau je renouvelle le sacrifice ; que ma soeur fasse sa Profession. »

Cette lettre est incomplète, nous avons le regret de n'en avoir pas retrouvé la suite.

Mgr Lacroix, de sainte mémoire, nourrissait depuis longtemps le désir d'avoir un Carmel dans sa ville Épiscopale. Des obstacles sans cesse renaissants entravaient ce projet. Le frère de notre chère soeur Aimée de Jésus et le vénérable Supérieur du Grand Séminaire déployèrent de concert toute leur activité afin de réaliser le désir de leur saint Évêque. Dieu bénit leurs efforts, et un terrain fut acheté. M. Laparade fit arranger une maison provisoire en forme de monastère ; il s'occupa lui-même des moindres détails d'installation avec un dévouement que rien ne rebuta, mû par un double sentiment, le désir d'élever un nouveau sanctuaire au Seigneur et celui d'y voir ses deux soeurs devenues les principales fondatrices d'un Carmel dans leur ville natale. Ces dignes Ecclésiastiques se firent les guides du voyage, s'exposant pendant son cours à toutes les intempéries. Le lendemain, tous deux eurent la consolation de célébrer la messe dans le nouveau sanctuaire, consolation qui fut vivement partagée par la petite communauté naissante.

Au début de la fondation, ma soeur Aimée de Jésus fut nommée Dépositaire, office qui lui fut plus tard continué. Elle s'y dépensa généreusement, ne s'épargnant en rien. Rien non plus n'échappait à sa prévoyance. Que n'aurait-elle pas fait pour éviter le moindre embarras à sa chère mère Dosithée, de si vénérée mémoire, qui fut notre première Prieure, et qu'elle aimait profondément. Mais l'office de la sacristie était surtout celui qui avait tous ses attraits ; elle l'a exercé longtemps comme première, et a toujours continué à s'en occuper. La confection des pains d'autel lui était particu­lièrement chère. Quelle sollicitude, quel recours aux Anges et aux Saints pour les réussir à son gré ! Aussi que de fois ne nous a-t-on pas fait l'éloge de nos hosties ! Mais son esprit de foi les eut voulues plus belles encore.

Notre chère Soeur nous avait demandé plusieurs fois de ne pas lui faire de Circu­laire. Cette demande, nous l'avons trouvée réitérée dans un petit billet que nous vous vous transcrivons :

«  Ma Révérende Mère,

Je prie notre révérende Mère de ne pas me faire de Circulaire. Je demande très humblement pardon à la Communauté de la mauvaise édification que j'ai donnée par ma lâcheté, ma tiédeur, mes irrégularités, mon orgueil, par tout ce qui lui a déplu en moi. J'abandonne mon âme à la grande miséricorde de Dieu dont les trésors infinis font tout mon mérite. Je me confie à la charité de notre saint Ordre avec celles de nos Soeurs que mon Sauveur Jésus purifie dans le Purgatoire où on ne l'offense plus et où on est assuré de l'aimer toujours. Je plonge mon âme dans le sang précieux de mon Divin Sauveur, enrichie de ses mérites infinis qui me sont acquis puisque Jésus s'est livré pour moi; je m'abandonne à la très grande, à l'ineffable miséricorde de mon Dieu ! Je lui fais avec amour le sacrifice de ma pauvre vie, de tout mon petit être en union de celui qu'il a daigné offrir de lui-même au Calvaire. Je le lui offre pour le salut de ma chère famille et de nos bienfaiteurs, pour le soulagement et la délivrance des chères âmes du Purgatoire ! pour le triomphe prochain de la sainte Église ma mère et la parfaite consolation de notre bien aimé Saint-Père,

pour la bénédiction et la perfection de ce cher Carmel de Bayonne, sans oublier mon cher berceau d'Oloron. Qu'on n'y oublie jamais mon cher et regretté Curé. Que Jésus soit glorifié, que son règne s'établisse dans tous les coeurs, que ses ennemis soient humiliés et convertis; que toutes les âmes se sauvent; c'est le voeu le plus ardent de la très indigne soeur Aimée de Jésus. »  

Malgré ce désir plusieurs fois exprimé par notre chère Soeur, nous ne saurions nous taire, Ma Révérende Mère, sans vous dire combien elle était véritablement bonne, affectueuse, charitable. Atteinte depuis longtemps de plusieurs infirmités, elle les supportait vaillamment, avec une énergie qui nous surprenait. Que de petits services elle aurait pu sinon réclamer, du moins accepter ! Que de fois n'avons-nous pas insisté pour lui faire prendre des soulagements qui nous paraissaient nécessaires ! mais dure pour elle-même, elle se rendait difficilement à nos désirs. Cette énergie lui a valu la grâce de soutenir nos saintes observances pendant toute sa vie religieuse, sauf à de rares et courts intervalles.

Malgré son âge elle se faisait une obligation de se joindre aux Soeurs qui veillaient soit pour l'heure sainte, soit la nuit du 24 au 25; elle l'a fait encore le 24 février. L'amour de la sainte Pauvreté a toujours été un des caractères dominants de sa vie religieuse.

Mais nous nous arrêtons, Ma Révérende Mère, car nous voulons tenir cas de l'humble désir de notre regrettée Soeur. Nous arrivons à la courte maladie qui nous l'a enlevée.

Le 1er mars, fête patronale de notre ville, elle remplit l'office de chantre aux premières vêpres et aux matines. Le lendemain, à Prime, elle occupait encore sa stalle, mais nous avoua ensuite qu'elle souffrait beaucoup du pied. La Soeur infirmière lui ayant prodigué ses soins, elle se trouva soulagée, mais éprouvant en même temps un grand besoin de repos, elle garda la cellule à peu près toute la journée. Le soir, elle voulut venir à la récréation. Nous fîmes quelques instances pour qu'elle prît un repos complet ; mais se trouvant mieux, l'amour qu'elle portait à sa chère Communauté l'emporta, et nous ne pûmes que céder devant son désir si affectueusement et si cor­dialement exprimé. L'assoupissement revint bientôt; nous voulûmes la faire accompa­gner à sa cellule ; elle nous supplia de nouveau de la laisser, nous disant qu'elle se reposerait en notre compagnie. Nous l'adossâmes contre la cheminée ; elle dormit profondément. Pauvre chère Soeur, comme nous étions loin de nous douter que c'était là le dernier acte de communauté auquel elle assistait !

Elle passa deux ou trois jours dans le même état, sentant toujours un besoin de repos qu'elle attribuait à plusieurs nuits passées sans sommeil, se refusant à faire venir le docteur. Nous la soignâmes de notre mieux, cherchant à la fortifier. Nous pûmes enfin la décider à voir notre médecin qui, en toutes circonstances, nous donne des preuves de son dévouement le plus désintéressé, et que nous sommes heureuse de recomman­der à vos prières, Ma Révérende Mère. Il trouva que l'état de notre malade était grave, mais ne faisait pas pressentir encore un dénouement prochain. Nous la fîmes transporter à l'infirmerie. Pendant trois ou quatre jours, le mal ne fit pas précisément de progrès, mais notre bon docteur ne nous cachait pas en même temps que l'affection dont était atteinte notre Soeur était des plus graves, qu'elle ne s'en relèverait pas ; mais que devant la force de résistance de notre chère malade, il ne serait pas étonné qu'elle durât encore. Une autre de nos soeurs était en même temps bien gravement atteinte. Le vendredi, 8 mars, nous dûmes nous hâter de faire administrer celle-ci, et nous en prévînmes ma soeur Aimée de Jésus, l'invitant à profiter de l'entrée de Notre- Seigneur Eucharistie dans la clôture pour le recevoir elle aussi et l'assurant qu'elle avait bien le droit d'en profiter. Ne se sentant pas malade pour mourir, comme elle le disait, elle eut peine à se rendre à notre proposition, mais ajouta qu'elle s'en rappor­terait à la décision de notre Père Confesseur. Elle fut tout heureuse de sa communion, tout en avouant aimablement que nous avions un Père à la manche large; que pour elle et dans son état, elle n'aurait jamais osé avoir la prétention de demander la communion en viatique. Lorsqu'il nous quitta le soir, le R. P. Joseph Marie, Gardien du couvent des Capucins, notre confesseur, nous exprima le regret de n'avoir pas donné à ma soeur Aimée de Jésus comme à l'autre malade l'Extrême-Onction et nous recommanda de veiller à son état qui ne le satisfaisait pas.

En effet le mal faisait de rapides progrès. Notre chère malade s'affaiblissait sensible­ment sans qu'elle se doutât encore de la gravité de la situation. Le temps pressait cependant; aussi, dès le lendemain matin, nous fîmes appeler le R. Père Gardien qui accourut bien vite. Quelle surprise pour notre chère soeur ! elle ne la dissimula pas, mais dit au bon Père qu'elle était prête à tout, que cela ne l'impressionnait pas. Elle reçut les derniers sacrements avec une foi, une dévotion qui nous touchèrent beaucoup. Avec quelle humilité elle demanda pardon à la communauté, insistant surtout sur la mauvaise édification qu'elle craignait d'avoir donnée aux jeunes soeurs. Ses voeux, renouvelés par trois fois, malgré la fatigue que cela lui occasionnait; l'offrande et le sacrifice de sa vie tels qu'elle les avait souvent exprimés et qu'ils se retrouvent dans ses papiers que nous avons été heureuses de vous transcrire, tout cela, joint à l'émotion que, sans s'en douter, elle ressentait, l'accabla profondément. Elle qui avait conservé une gaieté aimable, douce, presque enfantine, durant sa courte maladie, et cela même dans les moments de ses plus intolérables souffrances, devint sérieuse et réfléchie. L'illusion n'était plus possible, car notre bon Père Confesseur, ayant vu que même après la réception des derniers sacrements, notre chère malade était toujours loin de se croire mal, n'avait pas voulu lui dissimuler plus longtemps toute la vérité et lui avait assuré que très probablement elle achèverait sa journée en Paradis. Avec quelle piété onctueuse et tendre la bien-aimée mourante témoigna sa gratitude au bon Père ! Dès lors elle se tourna tout entière vers son céleste Époux qui, dans quelques instants, devait devenir son juge et sur la bonté duquel elle avait toujours compté.

L'esprit de foi qu'avait notre chère soeur pour ses Prieures, quelles qu'elles fussent, lui faisait trouver un véritable bonheur à être auprès d'elles; aussi nous efforcions- nous de rester le plus possible auprès de son lit. Après la cérémonie de l'Extrême- Onction, elle nous demanda de ne plus la quitter; elle nous témoigna même le désir que nous prissions notre repas auprès d'elle.

D'abondantes grâces lui étaient encore réservées. M. le chanoine Pouré, qui pendant plusieurs années fut notre Confesseur extraordinaire, et pour qui notre chère soeur avait une grande vénération, vint la voir, lui réitéra la grâce de l'Absolution et récita ensuite avec la communauté les prières du Manuel. Cette visite lui fut une grande consolation. Bientôt après notre digne et vénéré Evêque venait lui porter sa Pater­nelle Bénédiction. Notre chère mourante semblait n'attendre que ce moment pour se laisser aller à un paisible sommeil qui, vers sept heures, devenait l'agonie.

Nous fîmes appeler M. le Supérieur du Grand Séminaire. Une fois de plus le Sang Précieux de Notre-Seigneur fut appliqué à son âme. M. le Supérieur eut la paternelle bonté de réitérer avec nous les prières du Manuel. La respiration se faisait doucement haletante; c'est à regrets qu'à 9 heures nos soeurs quittèrent son chevet. Nous avions lieu de craindre qu'elle n'arrivât pas jusqu'à la fin des matines; aussi avec quel frater­nel empressement les soeurs accoururent-elles si tôt l'office achevé. La respiration se ralentissait, et cependant, comme il nous semblait que la mourante irait encore, nous engageâmes les soeurs à prendre leur repos, les assurant qu'elles seraient pré­venues à temps. Elles étaient à peine rendues à leurs cellules que le Divin Epoux fit sentir sa présence; ce fut l'affaire de quelques instants. La communauté, avertie, revint en toute hâte et eut la consolation d'assister aux derniers moments. Notre chère et bien aimée soeur a rendu son âme à Dieu aux dernières heures du jour con­sacré à la Très Sainte Vierge. Nous aimons à voir dans cette circonstance une protec­tion de cette Divine Mère pour laquelle elle avait une profonde dévotion.

Le mal à la jambe qu'avait notre Soeur nous donnait tout lieu de craindre que nous ne puissions pas l'exposer, ce qui eût été pour nos coeurs et pour tous ceux qui l'affectionnaient une véritable peine. Il n'en a été rien, grâce à Dieu, et selon nos usages, nous avons pu la laisser à découvert jusqu'au dernier moment de la cérémonie.

Ses obsèques ont été un véritable triomphe. Le clergé était nombreux : il comptait plusieurs membres du Chapitre, M. le Supérieur et MM. les Directeurs du Grand Séminaire, d'autres Ecclésiastiques et deux religieux Capucins, ainsi que plusieurs élèves du Grand Séminaire, M. l'Archiprêtre de la cathédrale présidait la cérémonie. Le lendemain une messe de Requiem était chantée par le R. P. Gardien ; les élèves du Pensionnat des Frères qui, en toutes circonstances, nous donnent des preuves de leur religieux dévouement, ont prêté leur pieux concours. Une nombreuse et sympathique assistance témoignait hautement l'affection que notre regrettée Soeur s'était acquise.

Quoique nous ayons la douce confiance que notre vénérée et regrettée Soeur soit déjà en possession du bonheur céleste, comme les jugements de Dieu sont impénétra­bles, nous vous prions, Ma Révérende Mère, de vouloir faire ajouter aux suffrages déjà demandés, par grâce, une communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Via Crucis, celle des six Pater et quelques invo­cations aux divins Coeurs de Jésus et de Marie, à notre Père saint Joseph, à notre Mère sainte Thérèse, à sainte Anne ; elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, Ma Révérende Mère, qui avons la grâce de nous dire avec un religieux et profond respect, en l'amour de Notre-Seigneur et de sa Divine Mère,

Votre très humble Soeur et servante,

 

Soeur MARIE-LOUIS DE GONZAGUE DE L'ENFANT JÉSUS,

R. C. ind. Prieure.

 

De notre Monastère de l'Immaculée-Conception, sous la protection des Saints Anges Gardiens des Carmélites de Bayonne, ce 2 avril 1894, en la fête de l'Annonciation de la sainte Vierge.

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