Carmel

02 avril 1889 – Vans

 

Ma Révérende et très honorée Mère.

 

Paix et très humble salut en Notre Seigneur, sa volonté adorable a affligé bien sensiblement nos coeurs en appelant à lui, il y a un mois, notre bien chère et regrettée soeur, Adélaïde Marie de la Croix, professe de notre Communauté et doyenne de nos soeurs du voile blanc, âgée de 68 ans et quarante trois de religion.

Des circonstances indépendantes de notre volonté, nous ont empêchée jusqu'à ce jour de nous occuper de cette circulaire, nous comptons sur votre indulgente bonté, ma révérende Mère, pour nous excuser de ce retard.

Notre chère Soeur Marie de la Croix était née dans cette ville d'une honorable et très chrétienne famille, des revers arrivés un peu avant sa naissance privèrent cette chère soeur d'une éducation et d'une instruction qu'elle a toujours regrettées et l'obli­gèrent pendant sa jeunesse à s'industrier pour gagner sa vie. De bonne heure elle laissa paraître cette douceur et cette égalité de caractère qui ne l'ont jamais abandonnée et les personnes du monde qui se trouvaient en rapport avec elle, cherchèrent parfois à éprouver son caractère, en lui suscitant volontairement des contradictions, mais ce fut inutilement et on disait dans le pays que jamais on n'avait pu faire impatienter Adélaïde. Cette chère soeur s'était enrôlée sous la bannière de Marie, dans la congréga­tion de la Paroisse, il y avait alors dans cette congrégation, une association particuliè­re de jeunes personnes qu'on appelait les Louises, parce que outre les obligations de congréganistes de la Sainte Vierge, elles prenaient pour protecteur Saint Louis de Gonzague et se consacraient d'une manière plus particulière au divin Maître par le voeu de virginité. Notre chère Soeur Marie de la Croix, fut une des plus zélées dans cette association et jusqu'à la fin de sa vie elle ne manqua pas toutes les années de faire les sept dimanches de Saint Louis de Gonzague en souvenir de sa consécration.

Notre chère soeur coulait ainsi ses jours dans la paix et la piété, quand se fit dans cette ville la fondation de notre Monastère; sentant alors le désir d'une plus grande perfection, elle songea au moyen de se faire recevoir; elle fut encouragée par le bon curé de la paroisse et n'osant pas se présenter elle même, elle pria son frère d'aller parler pour elle à la Mère Marie du Mont Carmel, de sainte mémoire, fondatrice de ce Carmel. Cette révérende Mère ayant demandé de la voir elle se rendit auprès d'elle ; sa candeur et ses bonnes dispositions firent que son entrée fut fixée au premier jour.

Notre chère Soeur Marie de la Croix, au comble de ses désirs, ne songea plus qu'à devenir une parfaite religieuse; elle fut dès le début ce qu'elle a été toute sa vie; une âme de foi, voyant Dieu dans sa Mère Prieure et dans tous les événements, rien ne troubla jamais la paix et la sérénité de son âme. 'Dieu fait tout, Dieu permet tout, il est tout bon; c'était ce qu'elle répétait sans cesse. Aussi malgré toutes les vicissitu­des qui ont éprouvé ce cher Carmel. On ne la vit jamais différente; toujours le sourire sur les lèvres quelque embarras ou quelque travail qu'elle put avoir ; sa vue inspirait la joie et la sérénité. Ainsi s'écoula son existence, toujours paisible, tou­jours bonne, priant sans cesse et se dévouant pour sa chère Communauté, sous le regard de Dieu et ne cherchant que lui seul en tout et partout. Ne regardant que Dieu dans sa Mère Prieure, elle était pleine de soumission et de respect: Notre Mère, c'est le bon Dieu disait-elle souvent tout ce qu'elle dit, on peut le faire parce que ce que le bon Dieu demande a toujours sa grâce.

Il y a deux ans, notre chère Soeur Marie de la Croix eut au mois de décembre une attaque de paralysie dont elle se releva assez facilement, mais ses facultés intellec­tuelles s'en ressentirent ; elle perdit un peu la mémoire et ne put plus s'occuper com­me auparavant, elle fut employée au travail manuel à la roberie. L'année dernière à la même époque, elle eut une autre secousse dont ses facultés se ressentirent davantage ; elle continuait cependant son travail lorsque le seize février au moment de la collation, elle fut prise de vomissements et de violentes douleurs de tête; quelques soins la remirent cependant et on put croire que cette indisposition n'aurait pas de fâcheuses conséquences. Mais le lendemain matin, son état s'aggrava, et elle perdit l'usage de ses facultés. Monsieur notre dévoué docteur appelé en toute hâte, ne dissimula pas que l'état était désespéré et le danger imminent. Nous n'avions donc plus qu'à faire le sacrifice de notre bonne soeur. Monsieur notre digne aumônier, toujours si dévoué pour notre Communauté vint la voir ; comme elle n'avait pas sa connaissance il ne put que lui donner l'absolution et lui appliquer l'Extrême Onction. L'état de notre chère Soeur Marie de la Croix paraissait par moment s'améliorer, mais pendant les quinze jours de sa maladie, elle ne reprit jamais parfaitement la connaissance malgré tous les soins qui lui furent prodigués. Le mardi cependant Monsieur notre aumônier qui venait la voir tous les jours fut assez heureux pour profiter d'un moment lucide et lui faire recevoir le Saint Viatique. Ce ne fut qu'un éclair, mais il procura à toute le Communauté une grande consolation.                                      

  

Notre chère Soeur Marie de la Croix fut dans cette maladie, ce qu'elle avait toujours été. Quoique ses facultés fussent très affaiblies, on voyait encore sur son visage le reflet de la douceur, de la joie et de l'abandon qui avait animé son âme pendant sa vie entière. Enfin le samedi deux Mars après une agonie de quarante huit heures elle rendait son âme à Dieu en présence d'une grande partie de la Communauté.

La vie si édifiante de notre chère Soeur Marie de la Croix nous donne la confian­ce qu'elle a été reçue favorablement auprès du Souverain Juge, mais comme il juge les justices mêmes, nous vous prions, ma révérende Mère, de lui faire rendre au plutôt les suffrages de notre Saint Ordre, par grâce, une communion de votre fervente Communau­té, l'indulgence du Chemin de la Croix, des six pater et une invocation à Saint Louis de Gonzague à qui elle avait une si grande dévotion.

Elle vous en sera bien reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire au pied de la Croix,

Ma révérende et très honorée Mère,

 

Votre très humble servante,

Soeur MARIE DE SAINT-PIERRE. R. C. I.

De notre monastère du Sacré Coeur de Jésus la protection de notre sainte Mère Thérèse des Carmélites des Vans le 2 Avril 1889.

 

ANNONAY. — Imprimerie Nouvelle, P.-Ch. HERVÉ, 5, Place Grenette. — ANNONAY.

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