Carmel

01 septembre 1892 – Figeac

 

a Révérende et très honorée Mère,

Paix et très humble salut en Notre Seigneur Jésus-Christ, qui le jour où nous célébrions la fête de la Transverbération du Coeur de notre séraphique Mère Thérèse de Jésus, a voulu transpercer nos coeurs d'un glaive de douleur en retirant du milieu de nous notre bien-aimée Soeur Marie-Geneviève de l'Im­maculée-Conception, professe de notre. monastère, doyenne de nos Soeurs du voile blanc, comptant d'âge 76 ans, 4 mois, 7 jours ; et de religion 58 ans, 7 mois, 5 jours.

Notre chère Soeur Geneviève naquit dans un petit lieu peu éloigné de notre ville, de parents fort hon­nêtes et chrétiens. Son enfance s'écoula douce et paisible sous le regard tendre et attentif de sa mère, au milieu de ses frères et soeur, tous formés à la piété et à l'amour du travail. La petite Marie annonçait malgré sa physionomie douce et ouverte un caractère ardent et décidé ; elle aimait à se rendre utile à la maison, elle prenait part aux mille occupations du ménage, et volontiers elle s'en allait à la prairie, la quenouille au côté et le fuseau à la main, garder les brebis de son père. Son âme d'enfant toute pure se plaisait à l'atmosphère embaumée des champs et là isolée, elle s'élevait naturellement vers le Ciel qu'elle aimait à contempler tout en faisant sa prière ou en filant son lin.

Elle n'avait que huit ou neuf ans quand son père mourut ; sa mère encore jeune, ne tarda pas à con- voler à de secondes noces et laissa ses quatre enfants aux soins de leur bonne aïeule, la mère de leur père, avec leur modeste héritage.           

La piété de ses enfants se développa à mesure qu'ils grandissaient. Les deux jeunes filles étaient exemplaires ; les deux garçons aussi; et cette bénédiction divine s'est heureusement perpétuée dans la famille. Elle compte parmi ses membres des hommes de foi et d'honneur. L'un d'eux, prêtre vénérable exerce avec autant de vertu que de mérite le ministère paroissial dans le diocèse de Rodez ; un autre, parti Missionnaire pour la Chine, il y a plusieurs années, y a consommé le sacrifice de sa vie, victime de sa charité et de son dévouement pour Dieu et ses chers Catéchumènes.

Il y avait en face de la petite montagne où la jeune Marie faisait paître ses troupeaux, le Couvent des Soeurs de Notre-Dame de St Julien d'Empare. Sans savoir ce qu'était ce grand établissement, elle le

regardait sans cesse, et s'écriait souvent : « Oh ! quand serai-je donc assez grande pour aller demeurer là ?....» Ce n'était pas la demeure que Notre divin Maître lui destinait... Mais sa soeur aînée y entra plus tard et après quelques années d'une vie religieuse très parfaite, elle y mourut en odeur de sainteté.

Marie ayant atteint sa dix-septième année, résolut de quitter le monde et de se consacrer entièrement à Dieu. Elle le déclara à sa chère famille, et se mit en mesure d'exécuter son dessein. Elle voulait servir Dieu de tout son coeur et aspirait à une vie pénitente ; elle se recommanda à la Très Sainte Vierge qu'elle aimait et priait beaucoup et vint se présenter à la Vénérable Prieure fondatrice de notre Carmel. Après quelque temps de préparation et d'examen, les portes lui furent ouvertes le 22 janvier 1834, elle entra pour postuler comme soeur du voile blanc.

Grande, forte, d'une santé robuste, nos Mères la reçurent avec d'autant plus de plaisir que la fonda­tion à peine établie laissait encore beaucoup de travaux pénibles à exécuter. Ma Soeur Geneviève, au coeur aimant et dévoué, fut enchantée d'avoir à se dépenser au travail pour la Communauté; elle défricha le jardin, l'ensemença, le planta et le fit d'un magnifique aspect et d'un grand rapport. Souple et docile aux enseignements religieux, elle se forma vite à la vie du Carmel, en prit l'esprit et mérita par ses excellentes qualités d'être admise au saint habit le 27 août, sept mois après son entrée.

Fidèle à la prière et à ses devoirs, régulière, obéissante, mortifiée, elle conquit l'amour de son divin Fiancé qui bénit ses efforts généreux et disposa son âme à la grâce incomparable de la profession reli­gieuse. La Vénérable Mère et les Soeurs, qu'elle s'était attachées par son dévouement et son service parfait, consentirent unanimement à l'émission solennelle des Saints Voeux, et le 10 juin 1836, elle eut le bonheur de se consacrer à Dieu sans retour, dans l'Ordre privilégié de la Reine du Carmel.

Dès ce jour, notre bien chère Soeur Geneviève devint de plus en plus fidèle et fervente ; elle ne s'ap­partenait plus, sa vie était dépensée tout entière pour Dieu et ses soeurs. Sans jamais compter avec la fatigue, elle prenait part à tous les travaux pénibles de la maison, aidant, soulageant ses compagnes et marchant à leur tête partout et toujours. Que de nuits passées en grande partie aux labours, à la culture du jardin ou à d'autres soins indispensables !... Affable, prévenante, son bonheur était de rendre service et d'épargner la peine des autres. Jusqu'aux derniers jours de sa longue existence, cette vertu de charité a relui dans notre bien-aimée Soeur. Peu de temps avant sa mort, alors qu'une maladie de coeur lui ren­dait l'action et le travail impossibles, notre excellent docteur, si dévoué pour notre monastère, étant venu la voir et la trouvant un peu moins souffrante, lui dit : « Mais enfin, ma bonne Soeur, vous allez un peu mieux, n'est-ce pas ?... » —« Oh ! Monsieur, lui répondit-elle, avec un doux sourire je ne sais pas !... Tant que je ne pourrai pas reprendre la pelle pour aller travailler dans le jardin et soulager mes Soeurs. . . Non !. .. je n'irai pas mieux .'...»

Elle avait une vénération, un culte pour sa Communauté qu'elle aimait plus que sa vie. Elle respec­tait et aimait d'un amour surnaturel ses Prieures, voyait en elles Notre-Seigneur et s'empressait à leur témoigner les sentiments de sa foi et de sa tendresse religieuse. Aux fêtes de famille, toujours joyeuses et charmantes, elle était très fidèle à l'observance des pieux Usages. .. Et pour les Marthes, avec quelle dignité n'offrait-elle pas un magnifique bouquet à la Mère, après les chants d'invitation ?!...

Nous nous étendrions longtemps sur les vertus intérieures et extérieures de notre chère Soeur Geneviève ma Révérende Mère; mais il faut nous borner à une simple circulaire.

;Notre bonne Soeur jouit toute sa vie d'une excellente santé, excepté pendant six mois, au moment où elle atteignait sa 40e année. Elle fut atteinte d'une fièvre typhoïde qui la mit aux portes du tombeau. Elle resta bien des jours sans connaissance et fut administrée; mais son heure n'était pas venue, elle n'avait fourni que la moitié de sa course. Elle se rétablit entièrement et il ne lui resta qu'un peu de fai­blesse de tête de la fièvre mortelle à laquelle elle avait échappé.

Au mois de janvier 1884, notre bonne Soeur Geneviève compta cinquante ans de religion. Qu'il nous fut doux alors de célébrer le demi siècle de sa Consécration religieuse par une charmante fête de famille où se mêlèrent nos actions de grâces, nos prières et nos chants joyeux. Elle était rayonnante de piété et de reconnaissance et ne savait comment exprimer sou bonheur. Plusieurs membres de sa nombreuse et pieuse famille se rendirent au monastère ce jour-là et après avoir assisté à Messe solennelle qui fut

célébrée par son vénérable parent M. le Curé de La Besse-Noîts, ils eurent tous la j'oie de la voir au                  

parloir une partie de la journée. — Puis, vers le soir, la Bénédiction du Très-Saint Sacrement termina ce beau jour de ses Noces d'Or !. ..

Malgré la santé bien conservée de notre chère Soeur, depuis quelques années elle avait ressenti une certaine fatigue sans cependant s'y arrêter, lorsque se manifestèrent les symptômes d'une maladie de coeur déjà avancée. Notre bon docteur appelé aussitôt ne nous cacha pas la gravité du mal ; il essaya d'y apporter quelque remède et nous avertit de la surveiller, ajoutant qu'une crise soudaine était à redouter.,En effet, au mois de mai dernier, le lendemain de la fête de l'Ascension, notre bonne soeur fut tout à coup frappée d'une attaque qui la laissa sans connaissance et sans mouvement paralysée du côté droit. En deux jours elle fut au plus mal et nous nous hâtâmes de lui faire recevoir le Sacrement de l'Extrême-Onction

notre digne Père Confesseur extraordinaire lui administra en l'absence de notre vénéré Père Confesseur ordinaire ; et il lui conféra en même temps l'Indulgence plénière In articulo mortis. Cependant une réaction favorable s'étant opérée le troisième jour, notre pauvre malade reprit doucement les sens et la vie

elle se releva bientôt de cette forte secousse.

Revenue presque à son état ordinaire, elle ne se dissimula pourtant pas la vérité et songea plus que jamais à se préparer au redoutable passage du temps à l'Eternité. Ses forces épuisées ne lui permettant plus les travaux habituels, elle se concentra dans la prière et les petites occupations par lesquelles elle pouvait encore venir en aide à ses Soeurs. Durant,ses trois derniers mois, quelles n'ont pas été notre admiration et notre édification, ma Révérende Mère, la voyant malgré son essoufflement et sa faiblesse extrêmes, se rendre toujours aux exercices communs du Choeur ou de la Communauté! Jamais inactive, toujours en présence de Dieu, absorbée en quelque prière; attendant avec calme et confiance le signal du départ pour la Patrie !. . . Au milieu de ses souffrances continuelles, pas une parole de fatigue... pas une plainte.... toujours un visage agréable et souriant.... une patience angélique !... Oh! chère Soeur Geneviève !... qu'elle a souffert !... et bien souffert!!... La sérénité des traits du visage disait la paix de cette âme qui toute sa vie avait voulu aimer et servir Dieu de tout sou coeur ; sans effroi, sans trouble, elle allait simplement au Seigneur qui l'avait créée et qui voulait lui donner le bonheur éternel.

Le Dimanche qui précéda sa mort, nous la rencontrâmes haletante qui se rendait au Chapitre, pouvant à peine marcher ; nous lui représentâmes qu'il eût été prudent de rester tranquille à la cellule. « O ma mère, nous dit-elle, cela me fera tant de bien d'aller vous entendre !... » Elle y vint donc et y fit sa coulpe pour la dernière fois.

Le lundi, de plus en plus faible, elle s'alita vers les huit heures du soir, avec un peu d'agitation. Le lendemain matin, au réveil des Soeurs du voile blanc, elle parut encore fatiguée ; mais lorsque la bonne Soeur Infirmière revint près d'elle, vers l'Angelus, elle reposait tranquille : « Je pourrai, dit-elle, atten­dre pour faire la Sainte Communion. » Y étant retournée avant les petites heures, quels ne furent pas sa surprise et son effroi de trouver notre pauvre malade étendue au pied de sou lit sans connaissance. Elle avait voulu se lever et s'habiller comme d'habitude, mais ses forces l'avaient trahie. A l'aide de deux autres Soeurs, on la remit sur sa couche promptement.—Hélas! c'était sans espoir. Notre bon Docteur constata une nouvelle attaque avec paralysie du côté gauche et congestion cérébrale. Les remèdes essayés furent inutiles.... elle touchait à l'heure de la lutte suprême de la délivrance.

Notre vénéré Père Confesseur eut la bonté de venir la voir; le Mercredi vers 5 du soir, il lui donna une dernière absolution dont elle parut avoir quelque sentiment... cependant elle était toujours sans parole et inconsciente.

Cet état douloureux se prolongea jusqu'au samedi. Après-midi nous profitâmes d'un peu de calme pour la changer de linge et panser d'horribles plaies qui s'étaient formées sur son pauvre corps. Plus de deux heures se passèrent en soins et en précautions autour d'elle. Elle sembla un peu soulagée. Mais, vers cinq heures l'agitation reparut plus vive ; l'infirmière nous rappela, nous la trouvâmes au plus mal. Vers six heures et demie, nous la vîmes en agonie et la Communauté s'assembla au Choeur pour faire les prières du Manuel. L'heure des Complies étant arrivée, nous restâmes auprès d'elle avec nos chères Soeurs du voile blanc, redisant les mêmes prières de l'église, si touchantes, si pleines de gràce et de force pour l'âme qui va sortir de ce monde. Sur la fin, la respiration embarrassée de notre pauvre mourante nous annonça qu'elle touchait à son dernier moment... Nous priâmes alors comme on prie lorsque la mort va frapper... Nous lui avions fait baiser le Crucifix qui reposait devant elle. Aux dernières paroles des Compiles, sa respiration s'arrêta.;. Et lorsque le dernier tintement de la cloche annonçait la fin de la prière du soir, notre bien-aimée Soeur Geneviève terminait la longue journée de sa vie... Elle exhalait son dernier souffle... Et son âme s'envolait vers le Ciel !!.. .

Après sa mort, ses traits contractés par la souffrance, reprirent leur aspect naturel avec une sorte de beauté sereine, et une expression de paix et de béatitude qui semblait nous révéler le bonheur de son âme !...

Malgré l'assurance du salut éternel que nous laisse la mort paisible et sainte de notre bien-aimée Soeur Marie Geneviève de l'Immaculée-Conception, il faut être si pur, ma Révérende Mère, pour entrer dans la gloire du paradis et être admis à la vision du Dieu Trois fois Saint, que nous vous prions de lui faire rendre au plus tôt les Suffrages de notre Saint Ordre. Par grâce, une communion de votre fervente Communauté, les Indulgences du Via Crucis et des six Pater, avec quelques invocations au Sacré- Coeur de Jésus, au doux Coeur de Marie, à notre Mère SteThérèse et à Ste Geneviève sa patronne. Elle vous en sera très reconnaissante ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, au pied de la Croix de notre adorable Sauveur,

Ma Révérende et très honorée Mère,

 

Votre très humble soeur et servante en N.-S.

Sr Thérèse de Jésus

R. C. ind. prieure.

De notre Monastère du. Sacré-Coeur de Jésus, sous le patronage de notre père St-Jean-de-la- Croix, des Carmélites de Figeac, ce premier Sep­tembre 1802.

 

P. S. — C'est pour nous un devoir de reconnaissance et d'affection religieuse de recommander à vos saintes prières et à celle de votre Monastère, l'âme de Mademoiselle Sainte Gardin du Boisdulier, qui pendant plusieurs années a eu pour notre Carmel les bontés généreuses d'une bienfaitrice, et qui est pieusement décédée le 15 mai dernier, en sa demeure, près de Rennes.

Permettez-nous aussi. Ma Révérende Mère, de solliciter de votre charité, une prière reconnaissante pour Monsieur notre bon Docteur qui ne cesse de nous témoigner le plus vrai et le plus entier dévouement.

 

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