Carmel

01 Janvier 1893 – Bordeaux

Ma Révérende et Très Honorée Mère,

Paix et très humble Salut en Notre-Seigneur ! Sa main toujours adorable vient de jeter un second voile de deuil sur notre Carmel et d'assombrir les derniers jours de la belle Octave de Noël, en imposant à nos coeurs un nouveau et très douloureux sacrifice. Notre vénérée et bien-aimée Soeur Anne-Cécile-Marie-Victime-de-Jésus, Professe de notre Communauté, frappée par la maladie le lendemain de la mort de notre chère Soeur Angèle de la Trinité, a été enlevée à notre religieuse affection, hier, dernier jour de l'an, et transportée par la divine Miséricorde, nous en avons la douce confiance, dans le sein de la Patrie où les années sont éternelles. Elle était âgée dé 78 ans 9 mois et 4 jours, et nous embaumait du parfum de ses vertus depuis 42 ans 6 mois et 9 jours.

Au milieu de nos regrets, ma Révérende Mère, c'est une bien douce consolation pour nous de nous entretenir un moment avec vous de celle que nous pleurons et dont le départ nous laisse privées d'une de ces figures de sainteté antique (devenues trop rares de nos jours), que nous eussions voulu conserver longtemps encore, comme un type achevé de perfection religieuse.

Notre Soeur vénérée appartenait à l'une des premières et des plus honorables familles de la Martinique. Sa Mère, dans le désir d'obtenir une postérité (légitime joie que semblait lui refuser le Ciel), fit deux neuvaines consécutives à la Sainte Vierge; De telles supplications furent si bien entendues, que ces dix-huit jours de prière ardente valurent à cette pieuse dame une couronne de dix-huit enfants, dont notre bien-aimée fille (avec une de ses soeurs, religieuse de N.-D. de la Délivrande), devait être un des plus beaux fleurons.

Au foyer paternel, comme au pensionnat des Dames de Saint-Joseph de Cluny, la jeune Cécile se distingua par une piété éminente. A l'insu de tous, le divin Maître avait parlé à son coeur et, tandis que ses frères et soeurs s'établissaient dans le monde, l'enfant de bénédiction, dont nous écrivons la pieuse vie, ne rêvait que solitude, péni­tence et détachement.

Pour se préparer aux austérités du Cloître où tendaient ses désirs, elle pratiquait en secret de rudes mortifications, passait des nuits entières sans se coucher, donnant à la prière de longues heures et préludant par là à sa future existence de Carmélite.

Bien des années s'écoulèrent sans que la jeune fille osât briser les liens qui la retenaient près des siens. L'attente se prolongea même ; car la condescendance de notre chère Soeur pour ses bons parents lui fit un devoir de ne partir qu'avec leur con­sentement. Ceux-ci n'ayant pu se résoudre à la voir s'éloigner d'eux qu'après un long terme fixé par leur excessive tendresse, Cécile ne s'embarqua pour la France qu'à l'âge de 36 ans.

Malgré les déchirements de son coeur, elle dit adieu à sa famille bien-aimée, à sa chère Martinique, et s'élança courageusement vers le port béni du Carmel, sans s'effrayer d'une traversée de deux mois, sur un navire à voile. Elle affronta ainsi les périls de la mer, sans regarder en arrière, attirée par un aimant divin du côté de la Sainte-Montagne où devait se consommer le sacrifice de sa vie. Un de ses frères. l'accompagnait. Son Directeur, prêtre d'une insigne piété, faisait aussi le voyage de France avec eux, pour venir demander aux solitudes contemplatives de la Chartreuse le calme du désert dont son âme avait soif.

Une autre Maison que la nôtre attendait Cécile depuis longtemps. Mais lorsque, en débarquant à Bordeaux, la Postulante apprit que notre ville possédait un Couvent du même Ordre : «  Pourquoi irais-je plus loin, se dit-elle, puisque j'ai ici ce que je cherche? »  Elle vint se présenter à notre chère et regrettée Mère Catherine qui, après une quinzaine de jours d'examen, l'admit avec joie au nombre de ses filles.

Pour résumer la carrière religieuse de notre Soeur vénérée, ma Révérende Mère, il suffirait de nommer une à une toutes les vertus monastiques : humilité profonde, charité exquise, obéissance parfaite, mortification universelle et constante, silence per­pétuel. Depuis son Postulat jusqu'à sa mort, sa vie s'écoula uniforme, régulière, cachée en Dieu. On ne saurait dire quel anneau brilla davantage dans la chaîne de ses vertus. C'était un ensemble tel, une telle égalité qu'on ne pouvait assez l'admirer ; et si l'on cherche quelles ombres ont fait ressortir les traits de cette douce physionomie reli­gieuse, on n'en trouve point d'autres que les voiles mêmes de son humilité et de son silence.

Ma Soeur Victime-de-Jésus était une de ces natures à la fois délicates et énergiques, puissamment douées pour souffrir, comme on en rencontre quelquefois parmi les âmes appelées au plus parfait. Le divin Maître la traita en conséquence. Il s'en fit une Épouse crucifiée, une véritable victime. Après s'être dévouée pendant 15 ans dans les offices d'Infirmière, de Portière, de Dépositaire et Maîtresse des Novices et avoir donné d'une manière soutenue les preuves d'une vertu consommée, notre bien-aimée Fille se vit condamnée à passer sur la croix les vingt-sept dernières années de son existence ; longue et douloureuse période, durant laquelle elle fut pour notre Communauté un sujet d'édification et d'admiration croissante.

Des névralgies qu'elle avait contractées à bord, en venant en France, et qu'elle avait endurées sans jamais en dire un mot, devinrent subitement si violentes qu'il en résulta une contraction des nerfs extraordinaire : ses genoux rejoignirent son visage. Aucune position n'était tolérable ; des cris involontaires échappaient à la pauvre patiente, et ce fut là son état habituel pendant quatre ou cinq ans.

Enfin le Seigneur prit en pitié sa Victime crucifiée. Une phase moins aiguë succéda à ce premier martyre et, grâce à une petite voiture (qui nous fut donnée par une demoiselle guérie miraculeusement de son infirmité après avoir fait voeu de se consa­crer à Dieu), notre chère Fille put reprendre peu à peu toutes nos saintes Observances.

Ce sont ces vingt-deux ans de vie régulière, dans un état pourtant bien pénible encore, ma Révérende Mère, que nous voudrions pouvoir retracer ici pour votre édification et pour la consolation de nos âmes.

Faisant tourner elle-même les roues de son petit véhicule, ma Soeur Victime rivalisait de zèle avec les Novices pour l'exactitude aux heures de Communauté. Il était beau de la voir arriver en toute hâte au choeur pour l'Oraison du matin, quelle que fût la rigueur de la saison, laisser sa voiture dans un coin de l'avant-choeur et se traîner sur ses mains jusqu'à sa stalle, où elle ne se hissait pour s'y asseoir qu' aux heures du saint Office ; car, en tout autre temps, elle restait assise par terre, soit pour prier, soit pour travailler. Ses journées s'écoulaient dans une solitude absolue et dans l'assiduité au labeur des mains, accompagnée d'une prière vocale non interrompue. Elle avait appris par coeur une foule de dévotions, d'offices divers, d'oraisons jacula­toires et ne manquait pas de faire suivre son Rosaire quotidien de la récitation de plusieurs petits chapelets, afin de gagner en faveur des âmes du Purgatoire un nombre considérable d'Indulgences. Il y a peu d'années, elle avait pris la peine d'écrire de sa main tremblante un volumineux recueil où tous ces trésors de la Sainte Église étaient réunis. Lui demander un renseignement sur les Indulgences ou la prier d'initier quel­que jeune Novice à l'une de ses chères dévotions, c'était la ravir. Alors elle sortait sans peine de son habituel silence et s'exprimait sur le sujet aimé avec un certain enthousiasme qui montrait la tendre piété de son âme.

Sa voie intérieure était cependant assez rude. Très timorée, sans cesse abîmée dans le mépris d'elle-même, notre chère Fille croyait ne pas savoir faire Oraison. Cet esprit d'humilité et de componction allait jusqu'à lui faire répandre des larmes après ses Communions; et quand on l'interrogeait sur ce point, elle ne répondait que par un sourire où se peignait une confusion profonde.

Fidèle à ne pas s'excuser, elle se prosternait à la moindre observation de ses Mères Prieures, ne se relevait qu'au signe de celle qui l'avait reprise et donnait cons­tamment aux Novices des exemples dont leurs âmes ne sauraient perdre la salutaire impression.

Nos répréhensions à l'égard de cette vénérable Ancienne ne pouvaient porter sur autre chose que sur quelque excès de régularité de sa part : régularité qui, par son excès même, jetait toute la Communauté dans l'admiration. Car ma Soeur Victime voulait tout faire comme nous, en même temps que nous; et, sans compter avec ses forces d'infirme, elle faisait manoeuvrer sa petite voiture au gré de sa ferveur. Mais son empressement à se rendre aux Exercices ne l'empêchait point d'observer le silence de mouvements auquel elle s'assujettissait toujours, tâchant de faire marcher sa voi­ture sans bruit. Et lorsqu'une Soeur, pour l'aider à accélérer sa marche, poussait le véhicule sans prendre assez de précautions, les bras de la sainte Victime (comme nous aimions à la nommer), saisissaient les deux roues avec une vigueur telle que les efforts de son aide charitable étaient complètement paralysés. On savait que cela signifiait : « Nous manquons au silence ! »

Le silence!... Oh! comme il fut vraiment l'atmosphère dans laquelle vécut cette Soeur vénérée ! Lorsqu'elle avait à dire un mot à quelqu'une de ses Soeurs, elle s'abs­tenait d'en dire deux, observant scrupuleusement le point de nos saintes Constitutions qui traite de ce sujet, et le plus souvent même elle ne se servait que des signes en usage parmi nous. Elle était aussi très fidèle à ne jamais parler dans les lieux régu­liers, et, fallût-il faire un long trajet pour trouver un endroit où sa voiture pût entrer et dont elle pût fermer la porte, elle préférait l'accomplir, aux prix de grandes fati­gues et de grands renoncements, plutôt que d'enfreindre cette Observance monas­tique.

Une de nos Soeurs lui ayant demandé comment elle pouvait faire pour pratiquer avec une exactitude si constante cet article quelquefois difficile, elle lui répondit : «Ma première prière en m'éveillant est celle-ci : Mon Dieu, accordez-moi la grâce de gar­der aujourd'hui encore un silence absolu... » A la même Soeur qui l'interrogeait une autre fois pour apprendre d'elle le secret de pratiquer la vertu d'une manière soute­nue, elle dit avec un accent de résolution inébranlable ; « Tout consiste dans la déter­mination ! »

Ma Soeur Victime-de-Jésus était en effet une âme déterminée. Mais la force de sa volonté, qui eût pu être un écueil pour elle dans la vie religieuse et qui perçait par­fois, lorsqu'il nous paraissait à propos d'arrêter les élans de sa mortification, fut pré­cisément l'arme dont elle se servit pour dompter sa nature ; elle en usa si bien, qu'à part ses Mères Prieures, qui eurent la confidence de ses combats, nulle n'aurait pu soupçonner l'étendue du terrain sur lequel elle avait à lutter.

Nous venons de nommer sa mortification, ma Révérende Mère. Ici encore, notre édification s'élève au-dessus de tous les termes. A son âge, avec ses infirmités, notre Soeur vénérée observait l'abstinence, le jeûne, les veilles et bien d'autres austérités encore, avec une ferveur digne des temps anciens. Lui proposer un adoucissement quelconque, c'était exciter davantage son amour de la Règle ; et devant les assurances persuasives qu'elle nous donnait de son état de santé parfaite, nous étions obligées d'accorder à ses désirs ce que notre compassion maternelle aurait voulu lui refuser. C'est ainsi que nous étions contrainte de lui permettre souvent de faire l'Heure-Sainte et de prolonger aux pieds de Jésus-Hostie ses veilles et ses adorations. Il y a moins de deux mois encore, elle se livrait à ces saints Exercices, à la grande admiration de celles qui, veillant comme elle, la voyait, après minuit, s'en aller avec sa petite lan­terne sur les genoux, tournant tout doucement ses roues pour en assourdir le léger bruit et, traversant l'obscurité des Cloîtres (où nous avions dû lui organiser une cel­lule), comme une ombre mystérieuse de la Sainteté qui se cache, mais qui jette mal­gré elle les douces lueurs de la vertu.

Il nous reste maintenant à vous parler de sa charité, ma Révérende Mère. Notre bien-aimée Soeur posséda cette reine des vertus au plus haut degré. Aucune d'entre nous ne se souvient de l'avoir entendue prononcer une syllabe défavorable à son prochain. Elle excusait au contraire tous les actes les plus défectueux en apparence ; car se voyant la dernière des créatures, elle croyait les autres d'une perfection très grande.

Reconnaissante des moindres attentions qu'on avait pour elle, dans le but de ne donner de peine à personne, elle prévenait souvent la Soeur chargée du soin de sa cellule, en se rendant elle-même tous les petits services qu'une infirme, moins énergi­que qu'elle, n'eût pas crus en son pouvoir.

Quant à son esprit de foi, il fut vraiment la consolation de ses Mères Prieures. Fondue de pensées et de sentiments avec toutes, elle était entre leurs mains comme une enfant, pleine de respect pour leurs décisions, d'obéissance à leur moindre volonté, d'abandon à leur conduite et d'empressement à leur faire plaisir. Dans cet esprit, elle se faisait un devoir et une joie de leur offrir, au jour de leur fête, de jolis ouvrages d'un travail relativement considérable, vu la difficulté qu'elle avait à enfiler ses aiguilles (trop souvent désenfilées), et à réunir ses petits matériaux. Cette année, sur­tout, notre regrettée Fille nous avait offert un plus grand nombre de charmants objets, comme pour nous témoigner le redoublement de sa tendresse filiale et de sa foi religieuse.

Elle était si grande, sa foi ! Sevrée par Dieu des douceurs sensibles, livrée intérieu­rement aux craintes purifiantes des jugements divins, son âme, en vraie Victime de Jésus, cherchait les traces de l'Epoux dans l'obscurité du Calvaire et parvenait à les y découvrir. La voix de sa Mère Prieure, celle du Père de sa conscience devenaient pour elle l'oracle du Ciel. On pourrait dire qu'elle voyait alors « la lumière dans leur lumière. »

Nous ne terminerions point encore le récit des vertus exemplaires de notre Fille bien-aimée, ma Révérende Mère, si nous suivions l'élan de notre coeur et de notre admiration; mais, ne voulant pas sortir des bornes d'une circulaire, nous passons à la dernière maladie de ma Soeur Victime-de-Jésus, qui fut l'écho fidèle de sa sainte et silencieuse vie et le dernier sceau apposé par le divin Maître sur cette âme de croix et d'abnégation.

Vivement impressionnée par la mort de notre bonne Soeur Angèle qui nous quittait, il y a trois semaines, notre Vénérée Soeur Victime, après avoir passé une nuit entière au choeur, près de la dépouille de la chère défunte, se sentit fortement indisposée. Les premiers soins donnés, le médecin vint, sur notre pressant appel, essayer de conjurer le mal qui s'annonçait avec des symptômes alarmants. Grâce aux remèdes prescrits et employés à temps, la pleurésie fut enrayée et, en quelques jours, toute ombre de dan­ger s'était évanouie. Il restait seulement à combattre une extrême faiblesse et un dégoût excessif pour tout aliment. C'est contre ces deux obstacles, s'opposant à la guérison de notre vénérable Soeur, que tous nos efforts échouèrent, hélas ! Nous étions loin, toutefois, de nous attendre à un dénouement si prompt.

La veille de Noël, notre bon Père Confesseur, en qui ma Soeur Victime avait une entière confiance, vint lui apporter le Saint-Viatique et lui adresser en même temps quelques-unes de ces paroles qui sortent toujours si onctueuses de son âme, lorsque la divine Eucharistie en est le sujet. La chère malade savoura ces grâces et passa les jours de fête qui suivirent dans son silence accoutumé, dans la récitation du Rosaire et de toutes ses autres prières vocales, regrettant seulement de ne pouvoir entendre toutes les Messes qui se disaient à la chapelle ; car c'était une de ses plus pures jouissances d'assister au Saint-Sacrifice, auquel elle s'unissait par diverses méthodes pleines de suavité.

Le lendemain de la solennité de Noël, son état nous parut un moment s'aggraver : la faiblesse augmenta et notre bien-aimée Fille se crut si près de sa fin qu'elle nous demanda si l'heure n'était pas venue pour elle de recevoir l'Extrême-Onction. Le bon Docteur, qui suivait le cours de la maladie, nous ayant assuré qu'il n'y avait aucun danger imminent, nous attendîmes encore et la semaine s'écoula avec des alter­natives de mieux et de moins bien qui nous tinrent jusqu'à la fin dans l'incertitude.

Avant-hier, nous annonçâmes à notre bonne Soeur que notre Père Aumônier, si dévoué toujours, entrerait le lendemain matin pour la confesser et lui apporter le Saint-Viatique en dévotion. « Je suis bien imparfaite, nous dit-elle en s'humiliant comme à l'ordinaire ; mais je vais me renouveler pour recevoir cette visite de Jésus. Oh ! oui, ma Mère, je vais bien me renouveler ! »

La nuit fut assez calme d'abord; vers trois heures, notre chère Fille appela la Soeur du voile blanc qui couchait dans son infirmerie et qui, chaque fois qu'elle s'était approchée de la malade, en avait obtenu cette réponse : « Ma Soeur, je suis bien. » Cette fois-ci elle la trouva anxieuse, suffoquée et demandant pourquoi notre bon Père tardait tant à venir. Comme ma Soeur Victime était sujette à ces étouffements causés par la contraction des nerfs, l'infirmière eut recours aux remèdes employés en pareil cas ; puis, profitant d'un moment de mieux, elle alla éveiller deux Soeurs qui n'étaient pas éloignées et revint avec elles auprès de la chère infirme. L'une d'elles, lui mon­trant l'autel dressé pour recevoir Jésus-Hostie à quelques heures de là, lui dit : « Il vous tarde bien que Notre-Seigneur vienne ? » — Oh ! oui, répondit-elle, c'est long... j'étouffe... Et sa tête retomba ; c'était fini ! 11 était près de 4 heures. Nous arrivions au même instant en toute hâte, mais trop tard, hélas ! pour recueillir son dernier soupir. L'Époux divin, pressé d'ouvrir à cette âme les Tabernacles éternels, était venu avant le jour la convier à la Communion sans voile et sans fin du Ciel.

L'Épouse était prête, sans doute; et, à défaut des derniers Sacrements, elle s'en allait à Dieu marquée du signe sensible de la croix, parée, comme une Victime, de ses souf­frances, de ses vertus et de ses mérites et toute abandonnée à la Miséricorde infinie du Seigneur. Car elle avait répondu deux jours auparavant à une de ses Soeurs : «  Qu'elle ne craignait plus la mort, qu'elle désirait voir son Dieu, et qu'elle se confiait pleine­ment en la divine Bonté. »

Cet événement si douloureux pour nos coeurs, en nous faisant participer à la Circoncision de Jésus, nous a apporté en même temps de telles grâces intimes, qu'il nous semble que la sainteté de notre regrettée Soeur embaume le Monastère d'un parfum plus pénétrant que jamais : parfum qui excite chacune de nos âmes à commencer une vie nouvelle de perfection religieuse et d'union à Dieu par le silence, la prière et la fidélité à notre sainte Règle.

Nous avons peine à penser que la chère et si sainte Victime-de-Jésus soit retenue dans les flammes expiatoires ; car nous nous sentons portées à l'invoquer et à la croire en possession du suprême bonheur ; d'ailleurs, cette véritable Carmélite (qui avait fait le voeu héroïque en faveur des âmes du Purgatoire) avait bien mérité de son Dieu la plus plénière Indulgence ; et celle qui avait invoqué si souvent Notre-Dame du Rosaire, ne pouvait qu'en attendre une assistance maternelle à l'article de la mort. Aussi aimons-nous à voir une preuve de ce spécial secours de la part de la Sainte Vierge dans le départ de Notre vénérée Soeur, effectué à l'aurore d'un samedi, et à penser que le privilège de la Bulle Sabbatine lui aura été accordé. Mais, comme le Souverain Juge exige beaucoup de ses Épouses, à qui il a beaucoup donné, nous vous prions, ma Révérende Mère, de faire rendre au plus tôt à notre regrettée Soeur les suffrages de notre Saint Ordre ; par grâce, une Communion de votre fervente Commu­nauté, les Indulgences du Via crucis, celles des six Pater, une journée de bonnes oeuvres et quelques invocations au Coeur Sacré de Jésus, au Coeur Immaculé de Marie, à notre Père Saint-Joseph, à notre Mère Sainte-Thérèse et à notre Père Saint-Jean de la Croix. Elle vous en sera reconnaissante, ainsi que nous qui avons la grâce de nous dire, avec un profond et religieux respect, au pied de la Crèche de l'Enfant-Dieu, Ma Très Révérende et Très honorée Mère,

 

Votre bien humble Soeur et Servante,

Soeur Marie de la Trinité, r. c. i.

De notre Monastère de l'Assomption et de Saint-Joseph des Carmélites de Bordeaux.

Ce 1er janvier 1893.

 

P.-S. — Nos Révérendes Mères du Carmel d'Albi réclament le secours de vos ferventes prières pour le repos de l'âme de M. l'abbé Fabre, leur dévoué Confesseur, décédé au mois de décembre dernier : prêtre d'une piété éminente qui avait acquis des droits à la reconnaissance du Carmel de Castres aussi bien que de celui d'Albi.

 

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