Carmel

Correspondance de Hyacinthe Loyson

Hyacinthe Loyson a écrit à deux reprises au Carmel de Lisieux. Voici ces lettres.

Première lettre

Genève, 3, rue du Conseil général

Le 5 Février 1911

Ma révérende Mère,

J’ai reçu, dans ces derniers temps, un beau volume renfermant la vie et les poésies de Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, religieuse du Carmel de Lisieux. Des notes à la plume indiquaient que cette belle âme avait offert à Dieu ses prières et ses souffrances pour ce qu’elle appelait ma « conversion », c’est-à-dire ma soumission aux enseignements imposés par le Pape aux consciences qui abdiquent entre ses mains.

Cet envoi n’étant accompagné d’aucune lettre qui en indiquât l’origine, j’ai d’abord hésité à y répondre. Je m’adresse aujourd’hui à vous, ma Révérende Mère, parce que j’ai pensé que vous en connaissiez l’auteur.

Je tiens à vous dire que j’ai été touché, véritablement touché, de beaucoup de choses que j’ai lues dans ce livre. Je dois ajouter que je suis loin d’avoir été convaincu, et je ne peux m’empêcher d’appliquer à Sœur Thérèse ce que Saint Paul disait des pieux Juifs, ses contemporains et ses adversaires : « Ils ont le zèle de Dieu, mais non selon la science.»

J’ai perdu, il y a quelques mois à peine, la noble et pieuse femme que Dieu m’avait donnée pour être la collaboratrice et l’inspiratrice de tous mes travaux, pendant un mariage que je ne crains pas d’appeler saint, et qui a duré plus de trente-sept ans. Elle s’est sans doute rencontrée dans le ciel avec la généreuse carmélite qui a tant prié et souffert pour moi, et toutes deux voient, dans la même lumière supérieure aux ombres de la terre, la vérité profonde de cette parole de l’apôtre Saint Jean : « Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui. »

Je peux me tromper, ma Révérende Mère, je me suis trompé plus d’une fois dans ma longue vie, mais je suis persuadé que ce que Dieu condamne dans l’homme, ce n’est pas l’erreur, quand elle est sincère, c’est l’égoïsme, l’orgueil et la haine. Je crois pouvoir dire devant la mort et devant Dieu que tels n’ont jamais été les mobiles de ma pensée et de ma vie.

Très respectueusement

Hyacinthe Loyson,

Prêtre,

Ancien supérieur du Carmel de Paris.

Deuxième lettre

A la très honorée Sœur Geneviève de Sainte Thérèse, Carmélite

Au carmel de Lisieux

Paris, 110, rue du Bac

Le 21 Juillet 1911

Ma très honorée sœur,

J’ai reçu votre lettre en date du 18 Juillet, et je me hâte d’y répondre avant de quitter Paris. Ce que vous m’écrivez avec tant d’égards, et surtout d’âme et de cœur, m’a profondément touché.

Je dis touché, non ébranlé, car mes convictions sont aussi fermes qu’anciennes, et je croirais pécher gravement contre la vérité, et par conséquent contre Dieu, si je faisais ce que vous me conseillez. Ces convictions, qui datent déjà de plus de 40 ans m’ont éloigné du Pape, mais rapproché de Dieu, la noble femme, qui les a partagées, était au dire de ceux qui l’ont connue, une Sainte. Et le Pape Léon XIII, dont vous me parlez, nous a offert, pendant un long séjour que nous avons fait à Rome, de reconnaître officiellement notre mariage si nous voulions reconnaître son infaillibilité.

Vous êtes charitable, ma très honorée Sœur, mais vous n’êtes peut-être pas assez humble, et vous jugez les autres sans vous dire que Dieu a peut-être sur les âmes, sur l’Eglise et sur le monde des voies que vous ne connaissez pas.

Je vais passer l’été dans la famille de mon fils, à la Solitude-sur-Coppet, canton de Vaud en Suisse.

Vous me demandez de visiter le Carmel de Lisieux. Je le ferais très volontiers, si je n’en étais si éloigné.

Du moins je vous promets de prendre connaissance du livre des Articles, que vous venez de m’envoyer. Après tout ce que j’en sais, votre pieuse et héroïque sœur est loin d’être une étrangère pour moi, et, sans tout approuver en elle, je l’admire et lui suis reconnaissant.

Je vous remercie, ma très honorée Sœur, ainsi que vos compagnes, des prières que vous continuez de faire pour moi, et que Dieu, dans sa Sagesse, entendra et exaucera, à sa manière. Ses voies ne sont pas nos voies et ses conseils ne sont pas nos conseils.

Hyacinthe Loyson

P.S. Je crois pouvoir me rendre ce témoignage que j’ai marché en présence de l’Eternel, durant toute ma vie, surtout depuis mon entrée au Séminaire Saint-Sulpice, en 1845. J’ai cherché uniquement sa Volonté dans la Vérité et la Justice. J’ai été fautif en bien des actes, car je suis réellement un pécheur, comme tous les hommes, mes frères dans la chute et dans la rédemption. Mais, avec l’aide d Dieu, les grandes lignes de ma vie n’ont pas fléchi.

Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté !