Carmel

Biographie de Soeur St Jean-Baptiste

Marie-Estelle Dupont 1847-1917

Être toujours prêt

Notre chère Sœur St. Jean-Baptiste s'est trouvée au Ciel sans s'en douter, car elle ne s'est pas vue mourir ! écrit Marie du Sacré-Cœur à Léonie (29 octobre 1917). En effet, la sœur Saint-Jean-Baptiste est morte après une courte maladie, ce qui fait réfléchir Mère Agnès:  «Vraiment il faut être toujours prêt à paraître devant le bon Dieu, car nous ne savons ni le jour ni l'heure où il nous rappellera... Notre pauvre chère sœur à partir du moment où elle nous a inquiétées a perdu connaissance et ne l'a pas recouvrée un seul instant jusqu'à sa mort, j'ai bien cru même qu'elle allait mourir sans sacrements. Une petite sœur du voile blanc qui la gardait, une fois morte, demanda intérieurement à notre petite Thérèse si tout de même elle était venue à la rencontre de sœur Saint- Jean-Baptiste et lui avait aidé à franchir le grand passage. Au même instant, elle a senti un parfum de roses qu'une autre sœur a senti aussi. C'était une belle réponse, n'est-ce pas? (Lettre de Mère Agnès de-Jésus à Léonie, 29 octobre 1917).
Sans doute la communauté avait-elle besoin de ce parfum pour surmonter la mort subite de celle qui, pour Thérèse, avait été « ordinairement l'image de la sévérité du bon Dieu » (LT 230).

«Je ne ferai pas de circulaire à notre chère soeur, j'ai plusieurs raisons qui m'en empêchent, mais le bon Dieu a écrit ses vertus dans son coeur, c'est le principal. » conclut Mère Agnès.

Trois épines pour une rose

Tandis que s'annonçait de loin et que s'épanouissait un ravissant bouton de rose à Alençon, le 2 janvier 1873, la Providence, infaillible en ses desseins, dotait le carmel de Lisieux de trois postulantes qui constitueraient un jour les compagnes de cette rose. Thérèse apprendra de ces aînées comme des autres. Ces trois carmélites étaient soeur Saint-Jean-Baptiste, entrée le 7 octobre 1871, soeur Aimée-de-Jésus, entrée le 11 octobre, et soeur Thérèse de Jésus, entrée le 6 mai 1873.

La première des trois, Marie-Estelle Dupont, était une réfugiée de la guerre de 1870. Née le 10 octobre 1847, à Coulommiers (Seine-et-Marne), elle était fille de François-Denis Dupont, vannier, et de Louise-Antoinette Dardenne. Le foyer comptait deux autres filles. Marie-Estelle servit un temps la famille Hamel de la Barquerie, dont une fille était religieuse à l'Hospice de Lisieux. Lors de l'invasion prussienne, la famille de la Barquerie vient se réfugier à Lisieux, emmenant avec elle les trois soeurs Dupont. Estelle entre en rapport avec les Bénédictines. Sur le désir qu'elle manifeste de se faire carmélite, la Prieure de l'abbaye la présente à M. Delatroëtte, nouveau supérieur du Carmel. Affaibli par les fondations de Saïgon (1861), Coutances (1866), Caen (1868), le monastère a grand besoin d'être renfloué. Mlle Dupont est admise d'autant plus facilement que les apparences plaident en sa faveur. Elle entre ainsi le 7 octobre 1871 et reçoit le nom de soeur Saint-Jean-Baptiste pour honorer le Supérieur (Jean-Baptiste Delatroëtte). Elle reçoit l'habit le 19 mars 1872 en même temps que soeur Aimée-de-Jésus. Dans l'intervalle, Mère Geneviève-de-Sainte-Thérèse a été réélue prieure le 27 octobre 1871.

Les deux «jumelles», Saint-Jean-Baptiste et Aimée prononcent leurs voeux le 8 mai 1873 et reçoivent le voile noir le 16 juillet suivant. M. Delatroëtte préside la cérémonie et donne le sermon. La clairvoyance de ce dernier, entré en fonction le 14 septembre 1870, devait être prise en défaut en 1887-1888, au sujet d'une postulante nommée Thérèse Martin. Faut-il dire, en manière d'excuse: «Combien plus en 1871?». «Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin. » Les supérieurs regretteront un jour certaines admissions hâtives de l'après-guerre (1870).

« Une trop grande âme »

«Si vous ne me comprenez pas, c'est que vous êtes une trop grande âme», devait écrire un jour Thérèse à sa soeur Marie, pour se reprendre d'ailleurs aussitôt (LT 197). La phrase vaut-elle pour soeur Saint-Jean-Baptiste?  Voici le portrait qu'en trace soeur Marie-des-Anges en 1893: « 46 ans. Première lingère. Sainte anachorète qui ne vivrait bien comme son saint Patron que de sauterelles et de miel sauvage - Grande mystique, toujours planant sur les hauteurs... Sainte émule de Mgr de Bérulle!... Amante passionnée du Verbe Incarné. Ame tellement absorbée dans la Divinité et oublieuse des choses de la terre qu'un jour, au moment de servir la soupe, elle ne put se rappeler où elle l'avait mise, et que l'on découvrit après bien des recherches dévotement posée dans un placard.» (CG, 1173 s.)

Le 24 septembre 1890, elle avait adressé à Thérèse, qui recevait le voile noir, cette dédicace au verso d'une image : « Pour élever l'âme à la sainteté, Dieu l'élève sur la croix, et pour la conduire à la vie il la conduit à la mort. Votre bien affectionnée petite Sœur en Jésus.»

Un jour, en récréation, la mystique lingère raccommode des guimpes archi-usées et de mauvaise forme. Elle confie à Thérèse, assise auprès d'elle, qu'elle les réserve à « ses intimes amies », les soeurs converses, comme toques supplémentaires pour les gros travaux. «Oh! alors, supplie Thérèse, considérez-moi, je vous en prie, comme du nombre de vos intimes amies! » (PA, 485). Soeur Saint-Jean-Baptiste accède si bien à sa demande que, même pour la toilette mortuaire, le 30 septembre 1897, elle lui sortira une toque usée. Mère Agnès en était navrée : «J'avais envie de pleurer, racontera-t-elle, mais le sourire de ma petite Thérèse m'en empêcha. Elle semblait dire dans son repos : « Qu'est-ce que cela me fait d'avoir cette vilaine toque, moi qui suis si bien habillée là-haut!» (Cahiers verts, 125).

On connaît l'incident du 28 mai 1897. Thérèse est déjà très malade. Soeur Saint-Jean-Baptiste vient lui demander son concours immédiat pour un travail de peinture, en vue de la fête de Mère Marie-de-Gonzague. Thérèse s'excuse; Mère Agnès, présente, avance des objections; soeur Saint-Jean-Baptiste insiste, Thérèse finit par s'impatienter, la soeur se retire. Dans la soirée, les deux soeurs se rencontrent. « Au lieu de passer froidement » à côté de Thérèse, soeur Saint-Jean-Baptiste l'embrasse : « Pauvre petite soeur, vous m'avez fait pitié, je ne veux pas vous fatiguer, j'ai eu tort, etc., etc. ». Bref, « des paroles douces et tendres ». «Je n'en revenais pas», écrit Thérèse! Image de la justice de Dieu, soeur Saint-Jean-Baptiste, cette fois, n'a pas condamné... Thérèse est bouleversée : ce soir-là, « le vase de la miséricorde Divine a débordé pour moi.»

« Si j'étais maîtresse des novices... »

Estelle Dupont est grande, de belle prestance, on le lui a dit naguère. Soeur Saint-Jean-Baptiste savait en outre broder admirablement (des ornements en font foi encore aujourd'hui à la sacristie du Carmel) et travailler les cheveux en motifs floraux.

Le Père Silverio, Général des Carmes voici quelques décennies, mettait en garde les religieux les plus « observants » qui s'autorisaient de leurs jeûnes ou de leur lever matinal pour dénigrer des confrères moins forts en ascétisme. La chère Sœur appartenait-elle à cette confrérie... Les novices surtout exerçaient sa vigilance : « Moi, si j'étais maîtresse des novices, je ne souffrirais pas un seul poil noir sur la toison de mes agneaux. » Elle ne peut comprendre que ce soin incombe à Thérèse, si jeune, et lui fait sentir sans ménagement son opposition. Un jour entre autres, en récréation, elle exhale son amertume, disant à Thérèse qu'elle aurait plus besoin de se diriger elle-même que de diriger les autres. Son air passionné contraste avec la douceur de Thérèse, qui répond avec humilité : «Ah! ma sœur, vous avez bien raison, je suis encore bien plus imparfaite que vous ne le croyez!» (CRM, 81).

Lingère, elle se poste sur le pas de sa porte pour surveiller les allées et venues des novices allant chez soeur Thérèse, au fond du même dortoir : « Mon coeur battait fort en passant... », avoue soeur Geneviève. Ou bien elle arrive à pas de loup jusqu'à la cellule de Thérèse, trouve une commission urgente, et va rapporter à Mère Marie-de-Gonzague, maîtresse en titre (c'était sous le priorat de Mère Agnès), ce qu'elle a vu. En mars 1896, les deux prieures auront le bon goût de remplacer soeur Saint-Jean-Baptiste par soeur Marie-de-Saint-Joseph, à la lingerie, avec Thérèse pour seconde d'emploi. Ainsi tout le dortoir Saint-Élie deviendra-t-il, de fait, l'aile du noviciat, cette année-là.

Attendons! La vérité se fera jour

Inutile de préciser que la Soeur apprécie peu, au début, qu'on ouvre la Cause de Béatification de Thérèse. Elle partageait en tout l'avis de sa compagne, Aimée-de-Jésus : «C'est à l'instigation de ses soeurs que nous devons cela, n'en doutons pas... Attendons! la vérité se fera jour certainement.» Soeur Saint-Jean-Baptiste ne témoignera pas aux Procès.

Mais Thérèse ne lui refuse pas ses faveurs pour autant. Après l'exhumation du 6 septembre 1910, «la terre recueillie sous le premier cercueil, dans l'ancienne tombe, répandit plusieurs fois des odeurs suaves de racine d'iris. Ces émanations ont été perçues en particulier par soeur Geneviève, soeur Aimée-de-Jésus, soeur Saint-Jean-Baptiste et par moi (Mère Agnès), alors même que nous ne pensions aucunement à la présence de cette terre ». (PA, 208.)

Bon gré mal gré, la vieille lingère est emportée dans le mouvement général. Elle s'est mise à confectionner elle aussi des reliques : sachets de laine de l'oreiller de la Servante de Dieu. Un soir, au début du «silence» (de 20 à 21 heures), sa lampe Pigeon va s'éteindre, faute d'essence. Elle prie avec ferveur soeur Thérèse : «Oh! je vous en supplie, ranimez notre lampe qui se meurt! » «Aussitôt, confiera-t-elle ensuite, je la vois se ranimer avec une vitesse incroyable puis jeter une si vive clarté qu'on eût dit qu'il y avait un bec de gaz dans notre cellule, ce qui dura deux ou trois secondes, et notre lampe reprit sa lueur ordinaire qui dura jusqu'à l'heure des Matines.» (Fondation IV, 144.)

Au début d'octobre 1917 — elle atteint 70 ans — sœur Saint-Jean-Baptiste suit comme toute la Communauté la retraite du Père Pichon, un Père Pichon de 75 ans, tout vieilli. «Elle paraissait moins malade et moins patraque que beaucoup d'entre nous, ce n'est pas elle qu'on aurait désignée pour mourir la première» (Sœur Geneviève à Léonie, 29 octobre 1917). Prise d'un douloureux point du côté droit, on l'oblige à descendre à l'infirmerie le 26 octobre; elle refuse le médecin, tombe dans le coma la nuit suivante et meurt le 27, vers 11 heures du matin, sans le moindre signe de connaissance. Mais comment douter que Thérèse n'ait au dernier instant ranimé la lampe de cette vierge sage? L'inhumation était célébrée le 29 octobre. Le lendemain, mardi 30 octobre, Mgr Lemonnier clôturait solennellement, en la cathédrale de Bayeux, le Procès Apostolique sur « l'héroïque sainteté d'une âme qui est nôtre et que tous admirent». L'Église avait fait la pleine vérité et sœur Saint-Jean- Baptiste s'en réjouissait au grand Jour de l'éternité.

Sr Cécile ocd