Carmel

Biographie de Soeur Thérèse de St Augustin

Julia-Marie-Élisa Leroyer   1856-1929

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Un secours dans la nuit

La fille chérie de ses parents

C'est une frêle petite fille qui voit le jour au château de la Cressonnière, non loin d'Orbec (Calvados), le 5 septembre 1856. Ses parents, Louis Leroyer et Élise Valentin, mariés depuis un an, sont domestique et femme de chambre au dit château. Tout jeunes parents : à peine vingt-deux et dix-huit ans. Fervente chrétienne, la maman offre à Dieu son premier enfant, qui restera unique.

Julia grandit dans un isolement choyé, mais sans être gâtée. M. Leroyer s'établit bientôt limonadier à Lisieux, 125, Grande Rue. Un 15 août, la fillette étrenne une jolie toilette. Et la voilà qui s'attarde devant le miroir, faisant de gentilles petites manières. Survient la maman, éducatrice stricte ; elle réprimande vivement la coquette! Innocente peccadille enfantine, qui an­nonce peut-être une tendance de la future carmélite. Ses notes spirituelles révèlent une vie réflexe très développée, comme un besoin de « se mirer ». Un confesseur le lui reprochera un jour ; « Vous pratiquez la vertu en bourgeoise... pour vous voir vertueuse. » 
Julia est confiée au pensionnat des Bénédictines. Un 2 février (1870), l'appel divin se fait entendre. L'abbé Hodierne, vicaire à Saint-Pierre et chapelain intérimaire du Carmel, reçoit ses confidences. Le Carmel, avec sa vie austère, solitaire, unie à Dieu, fixe le choix de l'adolescente. Elle s'en ouvre aussitôt à ses parents. « Si cette vocation vient vraiment du bon Dieu, je ne m'y opposerai pas », répond le père, homme de grande foi. Mais il est emporté deux mois plus tard par la petite vérole (11 mai 1871), et Julia quitte le pensionnat pour tenir compagnie à sa mère. L'intimité sera de courte durée. 
Impatiente et volontaire, ce que Julia veut, il le lui faut sans retard. Les épreuves - bizarres - imposées par l'abbe Hodierne, les reproches de l'entourage (« sans cœur »!) ne l'arrêtent pas, Mme Leroyer est d'ailleurs sa meilleure alliée. Elle laisse partir sa fille le 1er mai 1875. Elle songe même à l'y rejoindre un jour. Des conseils avisés l'en détourneront. Elle mourra le 27 février 1911 après une vie de dévouement à l'enfance pauvre.

La postulante jubile : « Si tu voyais comme je suis gaie, tu ne me recon­naîtrais plus (...) Et puis si tu connaissais les âmes du Carmel, ces âmes avec lesquelles j'ai le bonheur de vivre, tu verrais, tu verrais comme elles sont sublimes, ces âmes privilégiées. Quelle charité! Quelle abnégation! Quel esprit de sacrifice! » (Lettre à sa tante, Mme Hue, 6-5-1875). La jeune Thérèse de Saint-Augustin s'élance à l'assaut de cette sainteté sublime. Elle s'estimera un jour privilégiée entre les privilégiées. Sa bonne volonté sincère, pour manquer parfois de clairvoyance, ne connaîtra jamais de fléchissement, précise sa Circulaire.

Le rêve réalisé

La postulante est admise à la vêture le 15 octobre 1875, à condition, stipule M. Delatroëtte, de ne pas faire profession avant ses vingt et un ans. La novice est sous le charme de sa jeune prieure, Mère Marie de Gonzague (41 ans) mais n'arrive pas à se sentir a l'aise avec sa maîtresse, Mère Geneviève (70 ans). Elle est très impressionnable, imaginative, portée à dramatiser. Son insistance finit par fléchir le supérieur, Pour « ne pas passer pour un entêté déraisonnable » (comme il l'écrit lui-même), M. Delatroëtte autorise l'émission des vœux le 1er mai 1877, sous réserve du consentement de Mme Leroyer - il est acquis d'avance! Dans une crise de scrupules, la jeune sœur reçoit cette consolante réponse de l'abbé Youf : « Ma pauvre enfant, tout ce que je puis vous dire, c'est que vous avez déjà un pied en enfer et que, si vous continuez, vous y mettrez bientôt le second »... Mère Marie de Gonzague, avec son habituelle ouverture d'esprit, apaise la novice aux abois : « Soyez tranquille, moi j'y ai déjà les deux ! »

La jeune carmélite se domine à la force du poignet. On a laissé d'elle ce portrait : « Petit personnage, tenant des chérubins, toute à sa règle et à son devoir, ne perdant pas une ligne de sa petite taille ni aucune occasion de pratiquer un acte de vertu ou de fidélité aux plus petites choses. Volonté voulante et qui à son cri d'armes : « C'est réglé », s'élance à l'assaut du ciel avec une intrépidité qui défierait celle des plus illustres guerriers. » (texte de sœur Marie des Anges en 1893). Thérèse de Saint-Augustin devient un modèle de gravité religieuse et de recueillement, un exem­plaire vivant et soutenu de la régularité, non sans raideur un peu tranchante dans ses paroles et ses manières d'agir » (Circulaire).

Rencontre de la jeune Thérèse

En août-septembre 1882, Pauline Martin, aspirante au Carmel, présente sa petite soeur à la Communauté. La candeur de l'enfant de neuf ans frappe toutes les soeurs. « Qu'elle est jolie! Quel air d'ange», ne cesse de répéter soeur Therèse de Saint-Augustin - oubliant sa réserve habituelle, la petite Therèse en est gênée : « Je ne comptais pas venir au Carmel pour recevoir des louanges » (Ms A, 26 v°). Mais pour la grave carmélite, les jeux sont faits : « Aussitôt que nous nous connûmes, nous éprouvâmes l'une pour l'autre un attrait irrésistible. »

Après les compliments, les petits cadeaux : « Remercie bien pour moi ma Sœur Thérèse de Saint-Augustin de son joli chapelet de pratiques et de m'avoir brodé la belle couverture de mon livre » (LT 11, mars 1884), le fameux livret de préparation à la première communion réalisé par Sr Agnès de Jésus.  Quatre ans plus tard, sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus inaugure une glo­rieuse guerre pour répondre à cette aînée. C'est elle qui fera entrer Thérèse en poésie, l'encourageant à se lancer. Thérèse lui dédie sa première poésie, La Rosée divine (PN 1) et l'une de ses dernières, L'Abandon (PN 52). Les « Souvenirs d'une sainte amitié » réunissent dès 1898 quelques-unes de ses confidences et de sa vie auprès de Thérèse.

« Il y a une manière d'arriver à la sainteté sans avoir trop de mal, enfin il y a un truc, le connaissez-vous? », interrogeait Thérèse - mais bien sûr, son aînée le connaissait... « Je mourrai bientôt... dans deux ou trois ans » (avril 1895).

Le rêve de la porte noire

Il y a aussi le fameux songe du 8 janvier 1897, qui sera si aidant pour Thérèse dans son angoisse. Soeur Thérèse de Saint-Augustin se trouve en rêve devant une lourde porte noire. De l'autre côte de la porte si noire, tout était lumineux, c'était un soleil éclatant (...) Il n'y avait aucun intervalle entre la porte noire et l'endroit lumineux. Une voix réclame soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, de la part de M. Martin : « II faut qu'elle soit très belle ». Et on apprête la petite Reine dans le noir. Le récit émeut beaucoup Thérèse : « La porte noire est si bien l'image de ce qui se passe en moi. (...) Il semble qu'après cette vie mortelle il n'y a plus rien. (...) Tout a disparu pour moi, il ne me reste plus que l'amour. »

Pendant l'été 1897, l'aînée visite son amie à l'infirmerie chaque fois que possible. Elle la trouve un jour « dans une vive allégresse ». Motif ? Une sœur vient de rapporter à Thérèse l'aimable réflexion de sœur Saint-Vincent de Paul : « Je ne sais pourquoi on parle tant de sœur Thérèse de l'Enfant Jésus, elle ne fait rien de remarquable; on ne lui voit point pratiquer la vertu ; on ne peut même pas dire qu'elle soit une bonne religieuse. » Ah ! s'exclame la malade : « Entendre dire sur mon lit de mort que je ne suis pas une bonne religieuse, quelle joie! Rien ne pouvait me faire plus de plaisir! » (PO, 403 ; PA, 339) Pour le coup, la visiteuse est dépassée, elle qui supporte fort mal de se prendre ou d'être prise en défaut.

Nommée sacristine en 1898, élue troisième conseillère en 1902 (elle le restera une vingtaine d'années), « ange » des postulantes de 1909 à 1916, elle s'offre à l'Amour miséricordieux à Noël 1908. A partir de 1909, une maladie d'estomac l'oblige à un régime strict : un bol de liquide, toujours le même (lait - œufs), sans pain, sans la moindre variante pendant presque vingt ans. Elle doit abandonner en partie la vie commune, réser­vant ses forces pour la sacristie : là, elle est un témoin actif du mouvement croissant des foules se déversant a Lisieux. Elle dépose aux deux Procès (1911 et 1915) et connaît le surmenage des grandes années de la béatification (1923) et de la canonisation (1925). Mère Agnès le lui rappelle dans son chant jubilaire (13-5-1927) Ce que j'ai vu, évocation des « grâces intimes de son existence » mais aussi des incomparables solennités qui avaient brillé sur ses dernières années.

Les dernières années

A l'infirmerie, où elle habite depuis 1919, son recueillement austère se teinte de douceur et de bonté. Une grâce de vérité l'inonde le 9 juin 1929: « J'ai vu toutes mes lacunes, combien j'étais désagréable, fatigante pour les sœurs, mais loin de m'en attrister, je me sentais comme heureuse d'avoir tout ce fardeau à jeter dans le brasier de l'Amour miséricordieux... cet Amour fait spécialement pour notre misère ». La petite Julia d'antan découvre son vrai visage dans le miroir de la miséricorde.

18 juillet 1929 : derniers sacrements - comme on disait alors. « Il ne faudrait jamais avoir peur de la mort; c'est le bon Dieu qui fait tout ! Voyez comme c'est simple pour moi ! » Les dernières heures, le 22 juillet, sont vécues dans une apparente inconscience. Sœur Thérèse de Saint-Augustin entre dans la vie au soir de ce 22 juillet 1929. « En purgatoire? Mais vous n'irez pas », lui avait assuré Thérèse, je viendrai au moment de votre mort! »

Sr Cécile (1929-2010) carmélite de Lisieux