Carmel

Notes préparatoires de Soeur Marie-Philomène de Jésus

Je n'ai jamais connu intimement ma Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus ; cependant, à son entrée au Carmel, je me suis trouvée en contact avec elle, j'avais encore un an de noviciat à faire.
Et malgré notre différence d'âge, (je suis entrée au carmel à 45 ans) malgré notre différence pour tout, je l'ai trouvée d'une bonté, d'une simplicité, d'une affabilité charmantes.
J'étais une de ces âmes dont elle parle dans sa vie, moins bien douée de la nature, et cela pour tout : pour l'intelligence, l'instruction, enfin pour tout ce qui ordinairement attire, et avec mon âge ce n'était guère attrayant. Ma Sr Thérèse de l'E.J., loin de m'en laisser penser quelque chose, avec une si aimable délicatesse, sans y mettre la familiarité des novices de son âge, était si bonne pour moi qu'elle m'a fait beaucoup de bien. Elle savait si bien cacher son dévouement par une gentille délicatesse, surtout par une charité si pure, que ses petites attentions me faisaient un véritable bien à l'âme.
 Je n'ai jamais été en rapport d'emploi avec elle, mais dans les travaux communs, quand je me trouvais près d'elle en récréation, enfin en toute rencontre où j'avais le bonheur de la voir, il m'était impossible de ne pas reconnaître une âme bien privilégiée du Bon Dieu, et constamment en tout bien fidèle à la grâce.  Une seule fois, je l'ai vue un peu émotionnée, sortir de son calme ordinaire, par suite de la peine que lui avait fait une novice ayant dans une circonstance manquée de la vertu qu'elle voulait leur voir.
Rien ne me rend plus heureuse que d'entendre le bien que fait la lecture de sa vie à tant d'âmes et surtout pour un bien grand nombre, à des âmes déjà toutes embaumées de l'amour du Bon Dieu.. Et ce qu'elle dit de sa vie, nous le voyons comme une chose tout ordinaire de sa part : en lisant cette vie si belle, il ne m'est jamais venu à la pensée, qu'il y eut de l'exagération, de l'illusion, oui, ma conviction est que c'est elle et bien elle.

Je ne crois pas avec notre nature qu'il soit possible d'avoir moins de recherche de soi-même qu'elle paraissait en avoir ; jamais je n'ai remarqué en elle, soit à la suite d'un compliment ou d'un reproche, d'un succès ou d'un insuccès, que l'on s'occupe d'elle ou que l'on ne s'en occupe pas, le moindre changement de ton, d'air, pas une parole, rien enfin qui puisse laisser apercevoir le moindre sentiment de nature.  Parfois, j'aurais aimé lui voir un peu plus d'empressement pour les emplois, mais je suis convaincue que c'était moi qui avait tort, et qu'avec son calme, elle faisait plus et mieux.
Quand je la voyais en licence, nous ne parlions à peu près que du Bon Dieu, et bien souvent, elle me disait son désir et son espérance de mourir jeune ! Et toujours je lui disais que je ne la comprenais pas de tant désirer la mort, tandis qu'en vivant longtemps, elle pourrait tant travailler pour le Bon Dieu : ordinairement, elle se contentait de rire de mes réflexions, mais, une fois, nous étions en récréation l'une auprès de l'autre, et de manière à pouvoir parler gentiment. A ce moment, elle n'était pas encore très malade, cependant elle était atteinte sérieusement, elle me parla d'un air radieux de son espoir d'aller bientôt avec le Bon Dieu. Je lui dis, et bien sérieusement, car je voyais sa mort comme une bien grande épreuve pour notre Cté : " Ma Sr Thérèse de l'E.J., je ne vous comprends pas de tant désirer mourir, si vous viviez aussi longtemps que notre bonne Mère Geneviève (elle est morte à 87 ans) pensez donc ce que vous pourriez faire pour la gloire du Bon Dieu !" Alors, elle se tourna devant moi et me dit : "Ah ! ma Sr Marie-Philomène, comme vous vous trompez, voilà St Louis de Gonzague, il n'y avait pas deux ans qu'il était mort, qu'il avait déjà fait des merveilles pour la gloire du Bon Dieu et le bien des âmes! S'il fut mort âgé, il eut été un grand Saint, mais il n'aurait pas fait le bien qu'il a fait." Et elle me dit cela avec un ton, un accent que jamais je n'oublierai, et il ne me vint nullement la pensée de me dire, "mais ma Sr Thérèse de l'E.J. se compare à St Louis de Gonzague.... !

Les nombreuses preuves que nous avons, qu'elle n'a pas été trompée dans son espérance, que quand elle serait au ciel elle ferait aimer le Bon Dieu sur la terre, prouve bien qu'il entre dans les desseins du Bon Dieu de se servir d'elle pour sa gloire et le bien des âmes.
Comment à ce moment espère-t-elle le faire, je n'en sais rien, car je crois qu'elle n'avait alors rien, ou presque rien écrit d'elle.  Mais je ne puis douter que le Bon Dieu ne lui en eut donné le sentiment.
Depuis que l'on nous a lu l'encyclique du St Père, j'avais bien de la peine de penser qu'il existe une si grande folie, une si grande impiété envers le Bon Dieu, je trouvais cela affreux, surtout venant de la part de catholiques et même de prêtres. Mais le jour de Ste Thérèse, entendant Monseigneur nous dire qu'il voulait le jour même s'occuper officiellement de ma Sr Thérèse de l'E.J., qu'il nous demandait de lui donner par écrit nos impressions sur elle, je vis cela, comme une permission du Bon Dieu. Et je me dis que c'était peut-être en effet le moment de faire reconnaître par la Ste Église sa petite voie, car elle me semble bien être le contrepoids de l'erreur d'aujourd'hui, elle qui voulait tout attendre du Bon Dieu, tout espérer avec la plus filiale confiance de sa bonté infinie, le voir en tout comme le plus tendre des Pères, tout rapporter à Lui,.. enfin, tout ce qu'elle a dit elle-même la fait bien mieux connaître que tout ce que je peux dire.
Mais ce que je puis affirmer, c'est que ma conviction est, qu'il n'est pas possible d'aimer le Bon Dieu plus qu'elle ne l'a aimé, et extérieurement, sans grâces extraordinaires, ce qui fait croire que c'est vraiment glorifier le Bon Dieu de faire connaître de plus en plus cette belle et sainte âme, car elle en est que plus encourageante pour les âmes.
Pour moi, j'ai la plus grande confiance en la protection de notre chère petite Sainte ; il me semble impossible de l'implorer en vain. Elle ne m'obtient pourtant pas toujours ce que je voudrais, mais je tâche de demander avec elle tout ce qui plait le plus au bon Dieu, alors, s'il arrive le contraire, de ce que je désire, je m'efforce de penser que ce qui est arrivé est le meilleur pour moi, ou pour ceux pour qui je l'ai priée, et cela, même pour mes défauts que je voudrais si bien ne plus avoir....

En toutes circonstances, j'aime à l'intéresser à ce que je désire, soit pour moi, ou pour la Cté, ou pour ma famille, et puis après, je suis tranquille quoiqu'il arrive. Mais, quand elle me donne une preuve de sa protection comme celle-ci par exemple, j'en suis bien heureuse. J'ai dans ma famille une petite âme qui m'est bien chère. Cette enfant de 10 ans n'avait encore reçu aucune instruction religieuse, j'en avais bien de la peine.
Je sus au mois de juillet dernier, qu'un excellent pensionnat religieux offrait de prendre cette pauvre enfant, et que ses parents n'étaient pas décidés à accepter. Je voulus cependant espérer cette grâce du bon Dieu. Il me vint à la pensée de recourir à Ste Anne patronne du pensionnat
J'aime beaucoup Ste Anne, cependant il ne me vint pas à la pensée de la prier, mais je dis à notre chère petite sainte : je vous en prie, allez trouver Ste Anne, et dites-lui qu'il faut qu'elle prenne cette enfant dans son pensionnat, et qu'elle la protège, et si vous m'obtenez cette grâce, je vous promets une neuvaine de communions dans vos intentions.    Le jour même de Ste Anne, le Père écrivait que tout était décidé, qu'il était heureux et reconnaissant du bien que l'on voulait faire à son enfant.
Plusieurs fois aussi, plusieurs membres de ma famille m'ont dit après l'avoir priée, avoir obtenu des preuves de sa protection. Pour moi, elle m'a obtenu bien des grâces surtout une fois j'ai senti sa protection d'une manière bien sensible, et bien consolante, je crois qu'il me serait difficile de l'écrire de manière à me faire bien comprendre, mais je crois que si je le disais on me comprendrait facilement. Cette grâce, je ne l'oublierai de ma vie, et je la crois bien surnaturelle. Il y a six ans, je me trouvais dans une grande anxiété. Je sentais un grand besoin du bon Dieu, il me vint à la pensée de demander à notre révérende Mère la permission de faire l'offrande à l'amour miséricordieux, de ma Sr Thérèse de l'E.J.  Elle me le permet, et sans me la faire expliquer, sans trop la comprendre, je fis cette offrande ; Je la fis sans enthousiasme, mais dans le désir bien sincère de bien entrer dans les intentions de ma Sr Thérèse de l'E.J., et malgré ma misère, je ne puis douter qu'elle ne fut agréée du bon Dieu, car pendant presque un mois après, j'ai éprouvé  un bonheur, une facilité à trouver le bon Dieu, je n'avais jamais rien  senti de pareil, ça n'a pas duré longtemps, mais je n'en fus pas étonnée, ce n'était pas de la terre.   Enfin je termine en affirmant encore que ma conviction est que l'on ne peut trop bien dire de la vertu de ma Sr Th de L'E.J., et trop espérer de sa protection.
Sr Marie–Philomène de Jésus

suite - 2

Nous étions en Carême, sitôt levée, j'allais commencer les pains. Je reprenais mon oraison dans la matinée, mais souvent elle n'était pas longue ! Un jour, en prenant ce petit moment d'oraison au choeur, je me demandais si le bon Dieu pouvait être content. Je n'étais ni troublée, ni ennuyée, mais un peu inquiète, si le bon Dieu pouvait être content d'une vie si peu régulière que l'était la mienne
Je dis à ma Sr Thérèse de l'E.J. : " ma chère petite Soeur, vous faites tant de bien à tant d'âmes, vous donnez souvent tant de consolations, que je serais heureuse si, ne serait-ce que dans un rêve, vous me faisiez sentir quelque chose de ce  que le bon Dieu pense de moi."
Je le lui demandais bien sincèrement, mais sans trop m'y arrêter, ni m'attendre à rien (car le bon Dieu n'a pas l'habitude de me gâter) et dans la journée je n'y ai nullement pensé.
Ce jour-là, j'ai beaucoup travaillé...le soir, pendant Matines, c'était la fête du St Suaire, j'aurais si bien voulu penser à Notre Seigneur, entrer dans l'esprit de la fête .... ça m'était impossible, je ne pensais qu'à ma fatigue...enfin, l'Office fini, je me suis couchée, et sans qu'il me soit revenu à la pensée la demande que j'avais faite à notre petite sainte.

En m'éveillant vers deux heures, j'ai éprouvé un sentiment qui m'a saisie avec tant de douceur, il me semblait sentir le bon Dieu tout près de moi, il me semblait aussi sentir là notre chère petite sainte, et pendant un moment, je ne cesse de répéter : "Mon Dieu, que vous êtes bon !  Ma petite soeur que vous êtes bonne !" J'étais heureuse, j'ai goûté un bonheur, quelque chose que jamais je n'avais éprouvé ; il me vint à la pensée, - mais comme si on me l'eut dit, moi, je ne pensais à rien qu'à mon bonheur - "les Pains, c'est un suaire." (Elle ne dit pas par humilité qu'elle entendit comme une voix).

Puis il me vint un sentiment triste de n'avoir rien senti ni pensé de la Ste Vierge, et tant à ma petite soeur, comme un sentiment de crainte de lui avoir fait de la peine, et aussitôt il me vint à la pensée : une Mère n'est jamais plus heureuse que quand elle voit deux de ses enfants bien s'entendre. Ce moment de bonheur m'est resté aussi présent à l'esprit qu'au premier jour. J'ai pris cette consolation comme une grâce de ma Sr Thérèse de l'E.J. qui me trouvait trop craintive avec le Bon Dieu, elle me l'a dit tant de fois, elle aurait tant voulu me faire sentir comme elle, combien le bon Dieu est bon.
Ah ! je n'en ai jamais douté non plus, mais, à cause des grandes grâces que nous avons la grande responsabilité me donne toujours une certaine crainte, et quand en licence je me trouvais avec elle, toujours nous en parlions, et si souvent elle m'a dit : " ça me fait de la peine, vous avez trop peur du bon Dieu."
Quand on pense et agit comme elle, en effet, il n'y a rien à craindre de la justice du bon Dieu. Une fois elle me disait, mais avec un air qui en disait long, il me semble encore la voir et l'entendre : " Ah ! ma Sr Marie-Philomène, que ça me fait de la peine de penser que vous ferez du purgatoire, parce que vous voulez bien en faire  ! Il n'y a qu'une chose à faire pour ne pas avoir à le craindre, c'est de ne rien refuser au bon Dieu, espérer n'en pas faire, et alors on est sûre de n'en pas faire !

[Sr Marie-Philomène par humilité, ne dit pas qu'elle vit au moment de cette grâce si sensible, une lumière dans sa cellule, mais c'est ainsi qu'elle me l'a raconté, elle l'a dit encore à Sr Marie du Sacré-Coeur et à Sr Geneviève / Sr Agnès de Jésus  r.c.i. prieure    9 août 1910]

suite - 3

JESUS ! Depuis plusieurs jours j'avais beaucoup senti la mauvaise nature et j'en souffrais. Il me semblait avoir bien à craindre de n'avoir aucun mérite devant le bon Dieu, de n'agir en tout que par amour-propre, recherche de moi-même. Le 21 à l'oraison, j'étais vraiment malheureuse ; cependant, sans trouble ni découragement. mais je ne cessais  de répéter, oui, mon Dieu, je n'ai qu'une ombre de vertus, puis enfin, il me vint toutes sortes de pensées consolantes qui me mirent dans une grande paix. Je compris que de nous-mêmes, nous ne pouvons avoir qu'une ombre de vertu puisque de nous-mêmes nous ne pouvons avoir une seule bonne pensée, mais que notre vie devrait être l'ombre des vertus de notre bon Jésus, que pour le reproduire il fallait être bien là où il nous veut, et autant qu'il nous est possible avec notre pauvre nature, dans les sentiments où il nous veut, et tout faire par pur amour.
Au commencement des Heures, où je me trouvais encore dans ce sentiment de paix et de confiance, par deux fois pendant quelques minutes, il m'est venu une odeur de parfum si doux, que tout de suite j'ai pensé à la consolation qu'ont eu plusieurs de nos Mères et soeurs, l'attribuant à la gracieuse présence et protection de notre chère petite Sainte.
Je fus toute portée à croire qu'elle m'avait donné par là une marque de sa protection, et surtout ce qui me confirme dans cette conviction, c'est que les pensées qui m'étaient venues à l'oraison répondaient bien à ce que plusieurs fois dans nos licences, parlant intimement avec elle, elle m'avait dit, elle trouvait que j'étais trop portée à la crainte avec le bon Dieu, ça me fait de la peine me disait-elle vous avez trop peur du bon Dieu.
Je n'avais pas besoin de cette preuve pour avoir grande confiance dans la protection de notre bien-aimée petite Sainte, je ne lui avais jamais demandé, cependant j'en suis bien heureuse, j'en remercie le bon Dieu et elle aussi
Sr Marie-Philomène de Jésus, 21 mai 1909

suite - 4

J.M.J.T.   Mon Dieu venez à mon aide, c'est sur votre grâce que je compte pour exprimer quelques sentiments de ma profonde reconnaissance, envers votre infinie miséricorde, pour le bien que si gratuitement vous avez fait à ma pauvre âme. Je vous le demande par l'intercession de Marie ma bonne et tendre Mère, et de celle de ma petite sainte chérie
D'abord merci mon Dieu de m'avoir fait naître dans un pays chrétien et de parents éminemment chrétiens ; Merci de m'avoir donné naturellement du goût pour la simplicité et la vertu. J'aurais été heureuse d'avoir une nature plus ardente pour le bien, plus capable pour tout, mais ô mon Dieu, j'adore vos desseins et les aime autant qu'il m'est possible, par soumission à votre bon plaisir. J'avoue que je me suis quelquefois et sans raison comparée à l'ouvrier qui n'avait reçu qu'un talent et l'avait enfoui, oui, j'aurais pu mieux faire en bien des choses, surtout dans le don de tout moi au bon Dieu! Mais je jette tout dans la miséricorde de ce doux maître, qui a été d'une patience infiniment grande pour moi, et qui a veillé avec un si grand soin sur ma pauvre petite âme.
Dès toute jeune, Il me donnait du goût pour une grande simplicité en tout, pour la toilette par exemple. J'avais plutôt des goûts de vieille fille que de mon âge, ce n'était pas par vertu, C'est le bon Dieu qui le permettait, moi je me trouvais plutôt mieux : merci mon Dieu.
La première fois que j'ai goûté quelque chose du bonheur du cloître, ce fut à la Vierge fidèle : nous y étions allées, mes deux soeurs, une compagne et moi, un dimanche, assister aux Vêpres. J'ai goûté là un bonheur que je n'ai jamais oublié, je me disais en sortant : "que c'est triste de s'en aller d'ici, qu'il y fait bon, j'avais 14 ou 15 ans, mais il ne me vint pas la pensée de la vie religieuse, il m'aurait semblé impossible d'espérer pour moi une si belle vocation.
Ce fut seulement à ma première retraite à 21 ans, que le désir m'en vint. J'en dit un mot à mon confesseur, mais pas de manière à le convaincre d'une vocation bien évidente ; il me dit "Eh bien, pensez-y cette année, nous en reparlerons l'année prochaine." Pendant plusieurs années j'en ai parlé avec lui, mais s'en sentir, ni lui non plus, l'appel direct du bon Dieu.
Je désirais la vie religieuse, mais sans voir où je pourrais aller. Ce qui paraissait à mon directeur le mieux me convenir, était un hospice, mais je ne m'y sentais nullement attirée, ce que je rêvais était une maison où il n'y avait ni malade, ni élèves, et peu nombreuse: c'était bien le carmel, mais je ne le connaissais pas, et mon confesseur, ni mon frère à qui j'en parlais aussi, ne pouvaient y penser pour moi ; en ce temps-là, on ne me permettait même pas de jeûner les jours ordonnés par l'église. Je finis donc par laisser tomber mes désirs de vie religieuse, et me contentais de servir le bon Dieu, le mieux qu'il m'était possible.
A la mort de mon directeur, sur la demande de mon frère, le bon Père V(?)..voulut bien se charger de moi, il me fit lui faire un petit résumé de ma vie, pour me mieux connaître, me dit-il.  Après lui avoir tout dit, il me dit : "Mon enfant, si le bon Dieu vous voulait, il vous veut encore, et suivant ce que vous m'avez dit, je suis porté à le croire". Je fus très heureuse de cette parole, mais lui aussi ne voyait pas clair sur ma vocation, il me fit attendre longtemps. J'avais trop d'attaches naturelles à la famille, les raisons que je lui donnais à ce sujet, lui donnait à craindre un manque de vraie vocation.

Ah!, ce qui me manquait surtout, c'était un amour assez ardent pour le bon Dieu ; quelle différence hélas, avec la foi et l'amour de notre chère petite Sainte  ! Cependant, je ne désespérais pas encore, la vie religieuse me faisait tant envie, mais sans me sentir plus d'attrait pour l'une que pour l'autre de celles que je connaissais. Je faisais ma retraite à la Ste Famille ; j'avais la plus grande estime pour cette petite communauté, la R. Mère Supérieure était une vraie Mère pour mon âme, je la voyais aussi souvent que je m'en sentais le besoin
J'allais en retraite avec bonheur, puis je quittais sans regret : ce n'était pas là que le bon Dieu me voulait. Enfin un jour, on m'avait prêté un livre intitulé "l'esprit de Ste Thérèse". J'en faisais ma lecture spirituelle depuis quelque temps. Tout à coup, je me dis" si je suis religieuse, je serai fille de Se Thérèse " ah! cette fois, le bon Dieu avait parlé, je n'eus plus un instant d'hésitation. Quand je dis cela au Père .....il ne me dit rien, il trouvait bien sûr  ce désir bien élevé pour ma pauvre petite âme, et il me laissa encore longtemps sans me dire ni oui, ni non, je lui en parlais à chaque fois, enfin un jour il me dit : "mon enfant, parlez-en à vos parents et si ils consentent, je ne demande pas autre chose comme preuve que c'est la volonté de Dieu : parlez leur aujourd'hui même. «Je fus bien contente. Cependant je me disais en revenant : "comment faire ? C'était un dimanche ; c'était l'habitude ce jour–là tous les soirs
ma soeur venait avec toute la famille souper chez nous. Ils s'en allaient tard, souvent mon bon Père était déjà monté se coucher, mais le bon Dieu si bon, permit que ce jour-là, il leur vint quelqu'un à qui ils ne s'attendaient pas. Ils le firent souper, donc, ayant la soirée seule avec mes bons parents, je fis ma demande, et avec leur foi, ils me répondirent : "C'est un bien grand sacrifice que vous nous demandez, mais si le bon Dieu le veut, nous ne lui refuserons pas ".

Oui, leur sacrifice était grand, j'avais entendu ma bonne mère dire lorsque nous étions toutes les trois avec elle, "je serais bien heureuse si le bon Dieu prenait à Lui une de vous". Mais arrivée à l'âge où j'étais, bientôt 37 ans, elle espérait bien me garder pour les assister tous deux jusqu'à leur mort... Leur sacrifice leur fut encore bien plus méritoire que si je les avais quittés jeune.

Je vins donc me présenter ; on eut la charité de bien vouloir m'accepter, et 6 semaines après, le 13 octobre, je suis entrée très heureuse ; la vie du carmel me plaisait beaucoup, mais malheureusement, je n'avais pas le détachement nécessaire pour cette sainte vocation, la pensée de la famille me faisait souffrir...je me rappelle que parfois je me disais: " si j'étais sûre d'avoir ici ne fusse que dans 15 ans, une de mes tant aimées petites nièces, ça m'aiderait à m'habituer..."et malgré l'affection dont j'étais entourée, je me sentais seule, enfin je n'avais pas la vertu nécessaire pour cette sublime vocation, aussi quand vint l'épreuve, je ne pus la porter : en apprenant que ma bonne Mère était prise d'une fluxion de poitrine et très malade, je fus convaincue que je devais partir, et rien ne put m'arrêter, et je ne compris mon malheur que sortie, il était trop tard ! Ai-je souffert Tous mes parents ont souffert aussi, tout en étant heureux de me ravoir, ils comprenaient que la nature avait eu le dessus de mon amour pour le bon Dieu. Ma bonne Mère elle-même, quand mon frère fut lui dire que j'étais là, répondit : "Ce n'est toujours pas moi qui l'ai faite revenir !"  Et lui, mon bien cher frère, à qui j'avais dit tout de suite ma tentation et qui m'avait répondu une lettre que l'on n'a jamais oubliée ici, tellement belle, me représentant le devoir d'une âme que le bon Dieu appelle.... mais je n'avais pas eu la patience de l'attendre, a-t-il souffert ! Pourtant quelle décharge pour lui que mon retour, mon bon Père ne pouvait rester seul que serait-il devenu ?
Je n'ai aucune excuse pour ma grande faiblesse, et j'ai toujours été heureuse qu'aucun des miens n'y soit pour rien ; je m'abandonne à la Miséricorde du bon Dieu, et eux ont eu tout le mérite de leur sacrifice. Au carmel, on eut aussi pitié de moi, et on a bien voulu me conserver une vraie sympathie. J'exprimais parfois mon désir et mon espérance de rentrer un jour ...on ne me disait ni oui, ni non, on a été d'une bonté pour moi, que le bon Dieu tout seul pouvait permettre

Je suis restée 7 ans, tout en souffrant j'étais en paix, parce que je n'avais pas à me demander "que dois-je faire ? mais dès que j'eus la possibilité de me faire remplacer auprès de Papa par ma soeur, je fus vite lui demander si elle le voulait bien, et, pleine de foi et d'amour du bon Dieu, elle me répondit "Ah oui, je suis toute prête à t'aider à retrouver ta vocation si tu le peux". Le R.P.V. en fut heureux aussi, mais comme je ne voulais bien que la volonté du bon Dieu, je lui dis que l'on ne m'avait jamais dit au carmel que je n'avais pas à espérer, que seulement une fois, la bonne Mère Geneviève m'avait dit qu'elle s'était quelquefois demandée si j'avais eu une vraie vocation, si j'avais si longtemps vécu dans une si grande paix dans le monde. Il me répondit : " Mon enfant, vous avez vécu en paix parce que vous avez vécu d'obéissance, et je ne demande pour preuve de la volonté de Dieu que si on veut bien vous reprendre." Et encore de cette fois on voulut bien, ah ! que le bon Dieu est bon, et le carmel aussi.
Quand je fis ma demande à mon bon Père, il me répondit : "Ah oui, allez si l'on vous veut, je n'ai plus si longtemps à vivre." Mon frère fut heureux aussi, cependant par prudence, il me fit attendre que ma soeur fut bien installée chez nous.

Enfin, le jour arriva où je pus rentrer dans l'arche bénie, où depuis j'ai goûté tant de bonheur. J'étais si heureuse d'être toute au bon Dieu. Puis je trouvais tant de charité, d'affection, dans nos bonnes Mères, tant de bonté dans mes compagnes  du noviciat, et dans toutes nos soeurs, que je n'eus nul peine à m'habituer, malgré mon âge et un si grand changement de vie.
De la famille, il m'est venu bien des peines, des morts bien pénibles, de vraies peines bien sensibles  mais la conviction qu'elles étaient permises par le bon Dieu pour obtenir le salut de tous, que tout en souffrant beaucoup, je ne pouvais pas me dire malheureuse, par moment je me trouvais même trop heureuse. Surtout en pensant à mon offrande  comme victime à l'amour miséricordieux, je me disais:  qu'est-ce que j'ai à donner au bon Dieu, quelle triste victime ! ; C'est dans cette disposition que je commençais cette année ma grande retraite  de l'Ascension à la pentecôte ; un jour, plongée dans ces pensées durant une oraison, je dis à notre bon Jésus : "Je n'en suis pas digne, mais que je serais heureuse si vous  me donniez dans votre grande bonté une goutte de l'océan d'amertume que vous a causé la perte de tant d'âmes qui malgré ce que vous avez fait  pour leur salut ne seront pas sauvées  ! je voudrais si bien contribuer au salut de quelques-unes ", je ne pensais pas être si vite exaucée, mais la mort de notre pauvre pécheur n'est pas une goutte d'amertume pour mon âme, mais un abîme !
Malgré l'état de son âme et si près de sa fin, je voulais espérer qu'il ne mourrait pas sans conversion, et sans regret sincère de son ingratitude envers le bon Dieu ; et cette grâce, je ne l'attendais que d'un miracle de la miséricorde de ce bon Maître, et je l'espérais avec tant de confiance, que je ne sentais même pas beaucoup de défiance. Je priais, mais peut-être pas assez, c'était surtout dans ma confiance que je me reposais, et dans les sacrifices que le bon Dieu depuis si longtemps a demandé à ses pauvres parents, et à lui aussi, car il me semble qu'il a bien souffert et en bien des manières. Ah mon Dieu, c'était des grâces de votre part, il n'en a pas profiter pour revenir à Vous. Mais Vous, ô mon doux maître, ah je veux l'espérer, au dernier moment, dans un élan infini de votre amour miséricordieux, vous avez pu l'attirer à Vous, blesser son coeur d'un sentiment de profond regret, de confiance et d'amour, oui, je veux espérer que vous l'avez pris en pitié. Je suis convaincue que notre chère petite Sainte à ma place n'en douterait pas, eh bien mon Jésus, c'est comme elle que je veux penser, elle était là bien sûr, notre chère petite soeur et puissante protectrice, je lui en confie le soin avec tant de confiance ! Marie, notre bonne et si tendre Mère aussi, je n'en puis douter. Je lui avais toujours demandé avec tant de confiance la conservation de la foi pour tous les miens, que j'espérais qu'elle ne la laisserait pas s'éteindre tout à fait dans l'âme de ce pauvre pécheur, et qu'un jour, ne fusse que le dernier, elle la rallumerait, et lui ferait ouvrir les yeux. Notre bon Paul, il me semble, devait être la aussi. Enfin, oh mon Dieu, j'adore vos desseins. Grâce à vous, je ne me plains pas de mes souffrances : notre bon Jésus a infiniment plus souffert que moi ; pour cette âme. Je serais certaine que ce pauvre malheureux n'a pas eu une pensée de repentir, je ne m'abandonnerais pas avec moins d'amour comme victime à votre amour miséricordieux, car plus je souffre et plus je sens le désir de faire quelque chose pour obtenir le salut de quelques âmes, toutes sont tant aimées de Vous ô mon Dieu, et notre bon Jésus a tant donné pour obtenir le salut de tous !

Ah merci mon Dieu de m'avoir mise dans une vocation toute occupée à ce but, vous ne pouviez me faire une plus grande grâce, Mais hélas, comment je m'en acquitte ! Mon Jésus, apprenez-moi, guidez-moi, je ne puis mieux faire qu'en imitant notre chère petite sainte en m'appuyant uniquement sur ses mérites. Mon bon Jésus, faites-moi je vous en conjure me plonger de plus en plus dans cette voie de confiance et d'abandon, depuis longtemps vous m'en avez donné l'attrait, mais donnez m'en la pratique en tout et toujours.
Notre chère petite Thérèse pendant qu'elle était avec nous, aurait bien voulu m'aider à entrer entièrement dans cette voie de total abandon et elle le cherche encore je crois, plus je m'y sens portée et plus je la crois près de moi ; je voudrais si bien comme elle, consoler votre Coeur, mon Jésus, et contribuer au salut des âmes, pas seulement de quelques-unes mais d'une multitude. C'est si affreux la pensée d'une âme perdue, une éternité sans amour, une éternité de haine, un éternel supplice...oui c'est affreux et tant qu'on y pense pas ! Ah mon Jésus
quel martyre que cette vue pour votre divin Coeur Ah je vous en conjure donnez-le au mien autant qu'il le peut porter ; vous savoir si bon et tant offensé, que c'est triste  !
Merci mon Dieu de m'avoir donné votre amour, de m'avoir conduite avec tant de douceur !
Vous êtes infiniment bon pour toutes les âmes. Je suis sûre que toutes si elles étaient sincères, le reconnaîtraient, mais vous avez des privilégiées et avec la plus profonde reconnaissance, j'ose me dire du nombre : soyez-en à jamais béni, mon Dieu. !
Un jour, je demandais à Sr Thérèse de l'E.J. ce qu'elle pensait de nos deux vocations : Elle entrée au carmel à 15 ans, moi à 45 ans, elle me répondit si gentiment, "Je pense que le bon Dieu a des fruits de toutes saisons."
Mon Dieu que vous êtes bon ! Je vous aime! mais je vous en conjure faite que je vous aime bien davantage !

NOTES TRES TARDIVES de Soeur Marie-Philomène

J.M.J.    Ma bonne Mère    10 mars 1919


Ce que je vais écrire, je l'entendrais dire à une autre, je penserais que le bon Dieu lui a donné un doux moment de consolation, c'est bien tout simplement ce que je pense pour moi
Cependant, le jour de la mort de Sr St Raphaël, à l'heure même je crois, m'a porté à bien des réflexions. Notre pauvre Soeur avait eu tant de confiance en notre chère petite Sainte qui aurait si bien voulu que le bon Dieu n'eut pas de purgatoire à faire faire à des âmes qui l'aiment vraiment !  Plusieurs fois, elle me dit quand je lui parlais de Purgatoire pour nous, à cause des grâces de l'Avent, de tant d'autres, si nous n'en profitions pas autant qu'il nous est possible. Mais il n'y a qu'une chose à faire pour ne pas avoir de Purgatoire, me disait-elle :
éviter toutes fautes volontaires non à cause de la peine, mais pour faire plaisir au bon Dieu.  Non involontaires, Il les efface à mesure.
Ma Mère donc ce jour, en m'éveillant sur le matin, j'eus un sentiment si vif du bonheur du ciel, non seulement la pensée du ciel, mais quelque chose que je n'avais jamais éprouvé ...je voyais même une entrée d'où on apercevait une lumière que je ne voyais qu'en dehors, et j'avais le sentiment que c'était le ciel. Enfin, j'étais bien heureuse, et sans m'y arrêter précisément, m'a porté à me dire peut-être que notre chère petite Sr Thérèse que Sr Raphaël priait avec tant de confiance lui obtenait-elle de ne pas faire de fautes volontaires, et lui aide à ne pas faire de peine au bon Dieu ?
Elle m'a si souvent édifiée, je trouvais une grâce pour elle que vous, ma chère Mère et surtout l'infirmière, n'écoutiez pas ses manies, mais les prendre comme elle les prenait, elle était aidée et a peut-être par là fait son Purgatoire. Je prie cependant pour elle, si elle n'en a pas besoin, tant mieux !

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24 novembre 1921       
Le bon Dieu nous prendra telles que nous sommes. C'est lui qui est seul capable de donner, et il nous donnera tout ce qui nous manque.

Sr Marie- Philomène

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Une année, le Père qui nous donnait la retraite nous dit : "une carmélite doit chaque jour gagner au moins six âmes au bon Dieu". Je dis à ma Sr Thérèse de l'E.J." voilà un Père qui nous donne de l'ouvrage, gagner 6 âmes par jour !"  Elle me répondit avec un ton si assuré  
"Ah j'espère bien en gagner bien davantage  !"

Une fois en licence, parlant gentiment avec ma Sr Thérèse de l'E.J., je lui dis : " mon attrait est surtout de prier pour les pauvres pécheurs, ils me font si grande pitié !" Elle me répondit : " moi non ! le mien est de prier pour les prêtres, en priant pour les prêtres il me semble faire un commerce en gros !!
Sr Marie-Philomène de Jésus