Carmel

Circulaire de Soeur Marie-Elisabeth de Ste Thérèse

Soeur tourière
Marie Hamard   1861-1935

Paix et très humble salut en Notre Seigneur qui vient d'appeler à l'éternel repos, nous en avons la douce confiance, notre chère Sœur MARIE ÉLISABETH DE SAINTE THERESE, Tourière agrégée de notre Communauté depuis 44 ans, et qui avait fait sa Profession religieuse, selon les nouveaux Statuts des Sœurs Tourières, le 8 décembre 1933. Elle était âgée de 74 ans et 4 mois. Notre regrettée Sœur eût voulu qu'on ne dît rien d'elle après sa mort, mais les quelques souvenirs que nous allons évoquer ne nous semblent pas déroger à son humble désir; Née à Couterne (Orne) d'une très chrétienne famille dont plusieurs membres sont établis à Lisieux et dans la contrée, notre bonne doyenne du Tour, était entrée au service de notre Carmel le 7 juillet 1890, deux mois avant la Profession de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, qu'elle eut plus tard le grand bonheur de connaître et d'apprécier, à la Sacristie et au Tour.

Elle connut également notre Vénérée Fondatrice, Mère Geneviève de Sainte Thérèse et tout dernièrement, elle nous en parlait encore avec grande édification. Le 4 octobre 1897, elle suivit le bien modeste cortège qui conduisait au cimetière la dépouille mortelle de notre Sainte. Témoin ensuite de l'éclosion progressive de la dévotion des fidèles autour de l'humble tombe, elle fut appelée à déposer au Procès de Non Culte et sut attester discrètement avec quelle rigoureuse prudence le Carmel tempérait les démonstrations, parfois prématurées de la piété populaire. Sa santé, déjà bien précaire, ne lui permit pas d'assister à la Béatification et à la Canonisation, et ses larmes coulèrent en voyant partir pour Rome celles de ses compagnes chargées d'y représenter la Communauté. Son imagination lui montrait dès lors Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus dans une telle gloire, qu'elle nous fit un jour cette réflexion inattendue : « Ma Mère, on ne fera jamais assez de beaux portraits de notre Sainte petite Thérèse ; mais, couchée, dans le cloître près de l'infirmerie, un mois avant sa mort, elle est là trop humiliée. Je n'aime pas que les gens du monde la voient ainsi ; elle est si grande et si glorieuse à présent ! » Nous lui fîmes remarquer que cette photographie intime était peut-être plus encourageante à certains, dans leurs souffrances, qu'une apothéose, et que Notre Seigneur se laissait bien représenter sur la Croix. Mais notre bonne Soeur ne parut guère se rendre à nos raisons...

Elle avait vu cependant sur son lit de douleur, et très peu de temps avant sa mort, celle qui lui inspirait tant de respect. C'était un dimanche de septembre 1897, où, pendant la messe de Communauté, elle avait été appelée à la garder. Persuadée qu'elle se trouvait en présence d'une Sainte, elle passa l'heure entière à la questionner et à s'édifier de ses réponses, sans se douter de la fatigue extrême imposée à l'héroïque malade. Une très pénible crise de suffocation s'ensuivit, après le départ de Sr Marie Elisabeth qui l'ignora toujours et n'emporta qu'un souvenir céleste de cette heure fortunée. La moindre chose l'avait frappée : « Quand je pense, nous dit-elle, que cette pauvre petite Sœur n'a même pas voulu que j'essaie de tuer des mouches qui l'ennuyaient par cette chaleur ! Elle m'a suppliée de ne pas leur faire de mal, parce qu'elles sont ses seules ennemies et qu'elle est contente d'avoir l'occasion de pardonner. Comme c'est gentil ! » Elle était très estimée à Lisieux en particulier de nos familles. Ses Mères Prieures lui donnaient volontiers des missions de confiance.

C'est ainsi que la Révérende Mère Marie de Gonzague l'envoya autrefois près de la tante de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, Madame Guérin, alors mourante. Celle-ci, apercevant notre chère Sœur, lui sourit doucement et lui dit tout bas : « Sœur Marie Elisabeth, il me semble que je vois en vous ma petite Marie, et que tout le Carmel m'assiste en ce moment. » De retour au Monastère, notre chère Sœur, très émue, nous rapporta ces paroles et ajouta : « Madame Guérin est morte comme une sainte. Elle disait: « Que je suis contente de mourir ! C'est si bon d'aller voir le bon Dieu ! J'offre ma vie pour les prêtres, comme ma petite Thérèse de l'Enfant Jésus. » «Jamais je n'ai vu une aussi belle mort », concluait notre bonne Sœur. C'était le 13 février 1900. Elle ne se doutait pas qu'à pareille date, 35 ans plus tard, elle ferait elle-même une mort de prédestinée. En attendant, elle se montra toujours très attachée à sa vocation et foncièrement pieuse. Aussi, malgré son âge et ses infirmités, elle embrassa courageusement les obligations plus strictes de la vie religieuse imposées par les nouveaux Statuts des Sœurs Tourières, et regarda comme une grâce insigne de revêtir le grand scapulaire du Carmel. Depuis une quinzaine d'années, l'âme de notre chère fille subit un vrai martyre intime, par des scrupules qui ne lui laissaient aucun répit. « On voit bien qu'elle est sans cesse tourmentée, nous disaient avec compassion, ses compagnes, et pourtant c'est une âme qui nous donne l'impression d'être si innocente, si pure ! » Dès lors une expression de tristesse s'imprima sur son visage.

Elle vivait solitaire, n'ayant plus la force de partager les travaux de ses Sœurs, mais les aidant néanmoins en de petites choses, avec une bonté, une cordialité qui les touchaient profondément. A leur Chapitre des coulpes, Sœur Marie Elisabeth, après s'être humblement accusée elle-même, les interrompait souvent, non pour les accuser, mais pour les excuser toujours. Malgré son épreuve, elle les égayait parfois, à propos de riens, avec des reparties pleines de finesse. Ce n'était qu'un éclair, il est vrai, et bientôt ses inquiétudes habituelles l'absorbaient de nouveau. Elle eut, cependant, une joie bien sentie à prendre part, le 5 décembre dernier, à la fête Jubilaire de notre chère Sr Marie de Jésus, chargée de la direction de nos Sœurs Tourières depuis 30 ans, et qui, tant de fois, l'avait consolée et soutenue dans ses angoisses. La purification de cette âme simple et droite allait se consommer bientôt après, dans la plus grande paix.

Notre bonne Sr Marie Elisabeth fut atteinte, dans la soirée du vendredi 8 février, de congestion pulmonaire qui la réduisit, en quatre jours, à toute extrémité. Elle reçut le dimanche soir les derniers Sacrements en pleine connaissance, produisant avec ferveur les actes du plus confiant amour. Le mardi, veille de sa mort, après sa dernière Communion elle dit à la Sœur infirmière « Monsieur l'Aumônier est parti, mais le bon Jésus est resté. - Il faut l'adorer dans votre cœur, lui suggéra alors la religieuse. Oui, ma Sœur, mais surtout l'aimer... », reprit notre édifiante malade. Souvent elle regardait., avec un beau sourire, l'image de notre Sainte placée en face de son lit : « Oh !, que je voudrais bien avoir son parfait abandon ! ». murmurait-elle. Et, sans cesse, elle répétait en baisant son Crucifix « Mon Dieu, je vous aime ! » Notre pieux Aumônier, très consolé d'un tel changement, d'une telle sérénité, dans une âme qu'il avait connue si craintive lui conseilla de pousser sa confiance en Dieu jusqu'à la ferme espérance d'aller droit au Ciel. Elle lui répondit aussitôt : « Je l'espère, puisque vous le dites, mon Père. »

C'est dans ces sentiments que le mercredi 13 février, à 8 h. pendant la Messe de Communauté célébrée pour elle, notre vénérée et très aimée Sœur rendit son âme à Dieu, si doucement que ses compagnes et la dévouée Sœur de la Miséricorde qui l'assistaient, perçurent à peine son dernier soupir. Après sa mort, cette expression de tristesse dont nous avons parlé et qui, d'ailleurs, avait disparu pendant sa courte maladie, se changea en un sourire de paix. La Communauté, après de nombreux visiteurs, put le remarquer et s'en édifier le lendemain matin, lorsqu'on descendit notre chère défunte au parloir, avant de fermer le cercueil. L'inhumation eut lieu le samedi suivant. M. le Chanoine Travert notre si dévoué Aumônier, chanta la Messe de Requiem, accompagné de M. le Chanoine Germain, Directeur du Pèlerinage, et de M. l'abbé Lesaunier, l'un des Chapelains, en présence de plusieurs prêtres, amis du Monastère, de la famille et d'une nombreuse et sympathique assistance. Nous vous prions, ma Révérende Mère, de remercier le bon Dieu avec nous de la vie si édifiante et de la mort si confiante de notre chère Sr MARIE ELISABIETH DE SAINTE THÉRÈSE, et nous vous demandons humblement de lui faire rendre les suffrages de notre saint Ordre. Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire bien fraternellement en Notre Seigneur,
votre très humble Sœur et Servante,
Sr AGNÈS DE JÉSUS
r. c. i.
De notre Monastère du Sacré Cœur de Jésus et de l'Immaculée Conception, sous la protection de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, des Carmélites de Lisieux, le 16 février 1935.