Carmel

Biographie de Soeur Marie des Anges

Jeanne de Chaumontel 1845 1924

Maîtresse des Novices de Thérèse

Le comte Amédée de Chaumontel, lieutenant au 1er Régiment de la Garde Royale, chevalier de Saint Louis (1830), bientôt cheva­lier de la Légion d'Honneur (1858) et son épouse, Élisabeth Gaultier de Saint-Basile, demeurent au château de Meauty à Montpinçon dans le Calvados. Ils ont déjà trois filles quand naît le 24 février 1845 une petite Jeanne-Julia. Le bébé est accueilli froidement par le père qui espérait un garçon. Qu'il se rassure, il en viendra deux quelques temps plus tard ! La famille quitte bien­tôt Montpinçon pour s'installer au château de Beuville, aux portes de Caen. Jeanne a alors neuf ans et suit les cours particu­liers du précepteur de son frère André. C'est une enfant vive, tur­bulente et enjouée, parfois nerveuse elle fait des colères au point que ses frères et soeurs qui l'appellent familièrement « Mimi » la surnomment aussi « Lady Tempête». Cependant à douze ans, son caractère change, elle devient inquiète et traverse durant sept ans une longue crise de scru­pules. Ainsi le soir même de sa communion, une si grande tris­tesse l'envahit qu'elle s'imagine avoir fait une mauvaise première communion et il lui faut attendre le passage d'un religieux pour qu'elle retrouve une paix relative.

Elle est très attachée à sa famille au point qu'il sera parfois nécessaire, même à la fin de sa longue vie, de la reprendre sur ce point tant elle s'inquiète pour les siens. En 1866, elle décide d'entrer au Carmel de Lisieux malgré la peine qu'elle éprouve à l'idée de quitter sa famille. Dans une prière à Marie qu'elle for­mule à cette époque elle s'écrie : « Si vous voulez que je quitte les miens, prenez-moi par les épaules et poussez-moi au Carmel car de moi-même je n'aurai jamais le courage de dire le plus petit mot ni de faire le moindre pas en avant.» Sa famille pourtant accepte sa vocation, sa mère l'avait même donnée à Dieu avant sa naissance, «je ne croyais pas qu'il me prendrait au mot!» précise-telle.

Est-ce la crainte d'une séparation trop difficile, Jeanne part le 29 octobre 1866 avec Marie, son aînée, sous prétexte de faire une retraite au couvent et... n'en revient pas. Ses parents éprou­vent un vif mécontentement de la voir procéder ainsi et s'abs­tiennent d'assister à sa prise d'habit le 19 mars 1867.

Ainsi donc Jeanne de Chaumontel devient Soeur Marie des Anges et le silence du Carmel se referme sur elle. Nous savons qu'elle fut sous-prieure à deux reprises de 1883 à 1886 et de 1893 à 1899 et chargée du noviciat d'octobre 1886 à février 1893 (ainsi Thérèse sera durant plus de quatre ans placée sous sa res­ponsabilité avant de la remplacer) et de 1897 à 1909. Physiquement son extrême maigreur laisse penser que sa santé est fragile mais c'est seulement à la fin de sa vie qu'elle sera atteinte de nombreux maux, elle devient sourde, les infirmités déforment de plus en plus son corps voûté et douloureux. Elle en rit elle-même: «Je suis plutôt à cacher qu'à montrer.» Elle est célèbre pour son étourderie, ainsi ses soeurs la voient, un jour de procession, brandir sa canne avec dignité et dévotion au lieu de son cierge.

Humble, elle s'astreint aux tâches les plus serviles alors que, dans sa famille, elle avait été habituée à être servie. Courageuse, son sang-froid est mis à l'épreuve quand elle éteint de ses mains un début d'incendie en se brûlant cruellement ou quand elle mul­tiplie les initiatives pour sauver ce qui peut l'être, y compris le Saint-Sacrement, lors de la grande inondation de 1875. Thérèse a pu dire d'elle qu'elle était « une vraie sainte, le type achevé des premières carmélites ».

Mais son esprit reste inquiet. Au moment de prononcer ses pre­miers voeux elle est saisie d'angoisse au point de rester un long moment sans pouvoir ouvrir la bouche. Certes, elle s'ouvrira à la confiance et à l'abandon mais son âme sera angoissée jusqu'à la fin. Elle a peur de la mort et son ancienne première novice, Soeur Marie du Sacré-Coeur s'efforce de la rassurer un peu. En fait, elle meurt calmement le 24 novembre 1924, quelques mois avant la canonisation de Thérèse.

Soeur Marie des Anges a connu Thérèse très tôt, car elle accom­pagne Soeur Agnès au parloir quand la famille Martin vient en visite au Carmel et elle dit avoir été frappée, dès cette époque, par cet « enfant de bénédiction ». Thérèse n'a que neuf ans. « Il s'exhalait de cette ange, écrit Soeur Marie des Anges, une atmo­sphère de calme, de silence, de douceur, de pureté qui me faisait la contempler avec un vrai respect.» Puis Soeur Marie des Anges reçoit Thérèse au noviciat : « Je dois affirmer que durant tout son noviciat je n'ai eu à relever aucune imperfection en cette chère enfant.» Consciente de sa responsabilité, la maîtresse du noviciat profite de se trouver à la lingerie, seule avec Thérèse, pour lui tenir d'in­terminables propos spirituels. Thérèse, quand à elle, préfère de beaucoup le silence qui seul parle bien de Dieu, mais elle sup­porte ces pieux bavardages durant deux ans jusqu'à ce, qu'enfin, Soeur Marie des Anges comprenne son attente : « Il y avait peut- être deux ans que j'étais ici, confiait Thérèse en 1897, quand le Bon Dieu fit cesser mon épreuve, et je pus ouvrir mon âme à Soeur Marie des Anges qui, depuis, me consolait beaucoup.» De son côté, Soeur Marie des Anges qui avait bien retenu la leçon dira : « La force de la Servante de Dieu fut dans le silence... Elle y travaillait, elle y priait, elle y souffrait, et, dans les épreuves de sa vie, comme Notre-Seigneur en sa Passion elle se taisait. Ne lui enseignait-il pas qu'une âme sans silence est une ville sans défense et que « Celui qui garde le silence garde son âme.» Nous connaissons par Thérèse l'incident du vase que Soeur Marie des Anges lui reprocha sévèrement d'avoir brisé. Thérèse, innocente, accueillit le blâme sans un mot. Mais les deux femmes s'apprécient vivement malgré une diffé­rence d'âge de vingt-huit ans. L'aînée encourage sa novice et la console. Thérèse écrit à ce propos : « Un jour, je surpris notre Maîtresse en lui disant : «Je souffre beaucoup mais je sens que je puis souffrir encore davantage.» Soeur Marie des Anges reçoit également beaucoup de Thérèse. Elle se sent portée à lui raconter ses peines et Thérèse sait lui rendre la paix. Mère Agnès écrira : «C'étaient deux saintes qui s'encourageaient mutuellement à soutenir avec vaillance les combats du Seigneur. »

C'est seulement après la mort de Thérèse que Soeur Marie des Anges a connaissance de l'Histoire d'une Ame. «J'ignorais qu'elle avait écrit sa vie et lorsqu'on en a fait la lecture au réfec­toire je restai saisie d'étonnement et d'admiration. Quelques temps après, faisant ma grande retraite, je pris ce livre admi­rable. A la fin d'une de mes oraisons je le quittai en me disant : « Que c'est donc merveilleux! » Et restée sur ce mot j'eus l'inspi­ration à l'exemple de Soeur Thérèse de tirer quelque chose dans le Saint Évangile et voici les mots sur lesquels mes yeux tom­bèrent : «Quel est donc celui-ci dont on dit des choses si mer­veilleuses? Mais c'est Jésus le fils de Joseph. Et ses soeurs sont là. au milieu de nous! »

Parmi les textes adressés par Soeur Marie des Anges à Mère Agnès le plus ancien qui ait été conservé date du 21 janvier 1912, il s'agit d'un poème.

Voici qu'aujourd'hui ma Thérèse chérie Dont j'ai suivi jadis, ici, les premiers pas Vient veiller à présent aux derniers jours de ma vie L'enfant porte à son tour la Mère entre ses bras!

C'est elle qui m'abrite et cache sous son aile Me recueille et protège à chaque heure du jour Et je l'entends me dire : «Maintenant avec zèle Ensemble travaillons à faire aimer l'Amour»

En 1918 (le 12juin), elle écrit «Thérèse m'instruit et m'éclaire»; le 8 mai 1919 cette phrase intéressante quand on connaît son tempérament inquiet: «Oh, que Thérèse m'épa­nouisse pour la confiance, l'amour et le saint abandon »; en 1 920 : « La petite voie me ravit ; pendant neuf jours je vais la prendre pour mon oraison du soir pour obtenir de Thérèse qu'elle me fasse entrer tout à fait dans sa «petite voie», pour qu'à la mort Jésus soit mon ascenseur et que je vole droit avec Lui et avec notre cher ange.»

Ainsi la disciple était devenue la patiente pédagogue de sa vieille éducatrice qui dira encore : «Je me vois, de plus en plus, une âme dénuée de tout! Puisse justement cette indigence m'attirer le regard miséricordieux de Jésus, comme il en a été toujours pour moi! Puisse cette miséricorde, sous l'aide de ma Thérèse, me couvrir à l'heure de la mort et m'ouvrir le Ciel!» et cette phrase, tellement thérésienne, écrite à Mère Agnès à la fin de sa vie : « Je voudrais être encore plus pauvre et miséreuse pour que Jésus puisse se montrer encore plus miséricordieux!»

P. Gires