Carmel

Circulaire de soeur Marie de l'Incarnation

Zéphirine-Joséphine Lecouturier   1828-1911

Paix et très humble salut en Notre‑Seigneur, qui vient de retirer d'au milieu de nous notre bien chère Soeur Zéphirine‑JOSEPHINE‑MARIE DE L'INCARNATION, doyenne de nos Soeurs du Voile blanc, âgée de 82 ans, 7 mois, 10 jours, et de religion 58 ans, 6 mois et 12 jours. 

Notre chère Soeur naquit à Firfol, petit village du Calvados, au sein d'une nombreuse et chrétienne famille. Les sentiments d'une tendre piété s'éveillèrent en elle dès son enfance, ainsi que les premiers indices de sa vocation religieuse. Elle fut favorisée à une certaine époque de sa jeunesse de grandes grâces de la très sainte Vierge et sa dévotion pour cette divine Mère s'étant accrue avec les années, elle lui fit plus tard, au Carmel, la consécration totale d'elle‑même, suivant la méthode du Bienheureux Grignon de Montfort.

Présentée à notre Communauté par notre vénéré Père Fondateur, la chère aspirante, âgée de 24 ans, y fut reçue avec joie par notre Révérende Mère Geneviève de Sainte Thérèse, de si douce et si sainte mémoire.

Quelque temps après sa Profession, Soeur Marie de l'Incarnation ayant commis, par dévouement, une très grave imprudence, fut atteinte dès le même jour, d'une maladie mortelle qui compromit sa santé pour le reste de sa longue vie. Trente ans durant, elle se vit éprouvée par toutes sortes de maux, dont une paralysie des jambes fut le moins cruel. Enfin, sa robuste constitution ayant triomphé de cet état d'impuissance, elle put, sans toutefois reprendre jamais le jeûne et l'abstinence, se livrer à quelques‑uns des travaux de nos Soeurs du Voile blanc, qu'elle accomplit avec beaucoup d'adresse et d'assiduité. Cependant elle dut renoncer à l'emploi de la cuisine et aux lessives, où elle eût été bien précieuse par son intelligence et son esprit d'ordre et de pauvreté.

Son âme contemplative s'élevait facilement vers Dieu : « Ma Mère, nous disait‑elle quelquefois, quand je vais dans le jardin soigner mes « petites bêtes » et que je vois, surtout au printemps, toute la vie qu'il y a dans la nature, j'ai comme des élans d'amour vers le bon Dieu; je me sens loin de la terre et tout près de Lui. »

Le samedi 11 févier, nous fûmes touchées de sa ferveur. Malgré sa grande fatigue, car elle était très affaiblie depuis plusieurs mois, notre chère Soeur s'était rendue au Chapitre pour assister à une Profession. Cette cérémonie l'avait particulièrement émue. A la fin, elle nous tendit les bras et nous embrassant les larmes aux yeux, elle nous dit : « O ma Mère, que c'est beau une Profession ! Que c'est touchant et céleste ! Cela m'a toute renouvelée... »

Trois jours après, ma Révérende Mère, l'épidémie de l'influenza s'abattait sur notre Communauté, presque aussi terrible qu'il y a vingt ans. Soeur Marie de l'Incarnation ne nous inquiéta pas tout d'abord mais, le 22 février, elle fut terrassée par le mal. Notre bonne Soeur priait depuis des années pour obtenir la grâce de ne pas rester plus de huit jours alitée dans sa dernière maladie, afin de ne pas donner de fatigues à ses soeurs; elle fut exaucée au‑delà de ses désirs. Mais son esprit de foi lui avait fait demander aussi avec instance de voir sa Mère Prieure à ses côtés au moment de sa mort, et, comme nous étions nous‑même, retenue à l'infirmerie, cette consolation lui fut refusée... Elle accepta l'épreuve avec un grand abandon à la Volonté de Dieu.

D'ailleurs, tous les secours de notre sainte religion lui furent prodigués, et après avoir reçu pieusement le saint Viatique, le matin même de sa mort, 23 février, elle s'endormit dans la paix du Seigneur, vers 4 heures de l'après‑midi.

Nous vous prions, ma Révérende Mère, de faire rendre au plus tôt à notre bien chère Soeur Marie de l'Incarnation les suffrages de notre saint Ordre ; par grâce, une Communion de votre fervente Communauté, une journée de bonnes oeuvres, l'indulgence du Chemin de la Croix et des six Pater.

Elle vous en sera très reconnaissante, ainsi que nous, qui avons la grâce de nous dire, avec le plus profond respect et la plus religieuse union, Ma Révérende et très Honorée Mère,

Votre humble soeur et servante,
Soeur AGNÈS DE JESUS,
r.c.i.
De notre Monastère du Sacré‑Coeur de Jésus et de 1'Immaculée Conception des Carmélites de Lisieux, le 1er mars 1911